SOMBRE-MILLEVAUX-METALLIC TOME


Est-ce à cause de la Distorsion qui a provoqué la fin du monde, la forêt de Millevaux, si elle reste le domaine et l'avatar de la Chèvre Noire n'occupe plus qu'une partie des restes de la planète. Est-ce à cause de la Distorsion ou de la concentration d'Egrégore, cette partie des bois s'avère être une jungle tropicale pour l'heure recouverte d'un épais manteau... de neige !

C'est là que reprend conscience celui qui se fait appeler No-Connect. Il sait que ce n'est pas son vrai nom et c'est peut-être bien la seule chose dont il soit certain. Il croit avoir été routier par le passé (mais quel passé ? Et est-ce bien vrai?). Aujourd'hui, il se veut aventurier « Gothic-Doom ». Cela doit lui venir de la Distorsion, comme cette mutation qui a fait de lui un être à la peau verte et fibreuse, un être végétal finalement plutôt bien adapté à la vie dans les bois si ce n'est, au vu de cette tempête de neige, l'absence de lumière qui pourrait lui être fatale à moyen terme.

No-Connect, alors qu'il émerge littéralement de l'oubli, fait l'inventaire des poches de ses vêtements de cuir noir : 4 Dollars, un long pieu en bois, 25 mètres de corde pour l'heure enroulés autour d'une bâche. Dans la bâche, un cadavre dont il sait qu'il doit le cacher au plus vite. Il a la nette intuition d'être traqué. Il sent au plus profond de lui qu'il a trahi quelqu'un (un ami?) mais ne sait pas pour autant si c'est bien lui ou quelqu'un d'autre qui est à ses trousses. Il se penche sur le visage du cadavre mais il ne reconnaît pas cette femme au visage d'ange recouvert de tâches de rousseur.

La nuit tombe. La tempête fait rage. Un étroit sentier entre les palmiers dont les feuilles croulent sous la neige s'ouvre sur une clairière. Au centre, une cabane en bois. Une pancarte avec peint en lettres blanches : Paradise Lake. Il y a de la lumière. No-Connect s'approche quand même, il espère pouvoir se débarrasser du corps de l'« ange » sous le vide sanitaire.

L'obscurité et la la tempête lui sont favorables et il approche sans attirer l'attention de qui que ce soit. Il commence par faire glisser la bâche sous la cabane. Il s'en occupera mieux plus tard. Avant, il veut en savoir plus sur les occupants des lieux. Il gravit les quelques marches menant au porche et regarde par la fenêtre sur sa gauche, celle qui donne sur une cuisine. La pièce semble vide. Revenant sur ses pas, il « teste » la porte d'entrée. Elle résiste mais un bon coup d'épaule en vient à bout facilement. Sur sa gauche, la cuisine, plutôt pas trop mal équipée. Sur sa droite, une table à manger. Il y a une cheminée dans un coin, une armoire et deux portes. Le plus discrètement possible, il colle son oreille à l'une d'entre elles. Rien ! Manifestement, les lieux sont déserts.

No-Connect ouvre la porte et se retrouve dans une chambre avec un grand lit double entouré de deux tables de chevet. Il y a aussi une grande une armoire. À l'intérieur, des vêtements, tout un tas d'affaires laissant penser que les les lieux sont occupés. Pourtant, pourquoi sont-ils vides ? Pourquoi toutes les lumières sont-elles allumées ? Les occupants ont-ils dû fuir précipitamment la maison ? Ont-ils tout simplement oublié d'éteindre ? Veulent-ils faire croire que les lieux sont occupés ? Vont-ils revenir ?

N'empêche que son « instinct » de Gothic-Doom lui fait remuer un tas de fringues en bas du placard. Là, sous un tas de vêtements « normaux », il trouve ce qu'on a coutume d'appeler, dans le « Milieu », une Corpse Armor tout en cuir et spikes d'acier. Évidemment, il l'enfile ! N'empêche, qui sont ces gens pour en avoir une ? A l'affût, il tend l'oreille. Toujours pas de bruit, il entreprend de fouiller l'autre pièce. Mais, l'imprévu ne s'est pas donné la peine de frapper à la porte. Dans la salle à manger, un homme dont les traits lui rappellent quelqu'un de... mort !

L'homme est souriant mais, par moment, secoué de violentes quintes de toux. Cela rappelle quelqu'un à No-Connect mais impossible de mettre un nom ou quoi que ce soit de plus sur ce visage. Pourtant, il est certain de le connaître, de l'avoir déjà vu quelque part. Puis, suite à une quinte de toux toujours aussi violente, l'homme devient translucide, un fantôme ?, et No-Connect voit dans son dos un énorme trou ! Une Huldre ! Cette chose est une Huldre, un Horla capable de prendre l'apparence d'un défunt mais, surtout, de transformer ses victimes en pierre par simple contact !

Entre deux quintes de toux, la Huldre, nerveuse tout à coup, lui explique avoir besoin de sa peau pour se fabriquer une nouvelle Corpse Armor. No-Connect s'empare de son pieu mais, surtout, se précipite dans la chambre. Là, il espère pouvoir fuir par la fenêtre. Il saute sur le lit et se jette à travers les carreaux, la Huldre le suivant de très très près.

Une fois dehors, No-Connect sait qu'il doit mettre le maximum de distance entre lui et le Horla. Il sait que le moindre contact sera fatal. Mais il sait aussi que ce type de monstre est lié à un « territoire ». No-Connect pense, espère, que la Huldre ne peut pas s'éloigner trop de la cabane en raison d'un cadavre qui l'ancrerait là. S'il parvient à courir assez longtemps, assez loin s'en se faire rattraper, il a une chance de sauver sa peau. Mais, c'était compter sans le pouvoir de téléportation du Horla.

No-Connect tente une ruse. Il fonce vers le monstre, pieu en avant, mais entend bien bondir sur le côté au dernier moment et profiter de cet « effet de surprise » pour s'enfuir le plus loin possible dans les bois et quitter la sphère d'influence du Horla. Et ça marche, surpris, la Huldre ne parvient pas à s'emparer de lui et il fonce dans la nuit. Mais, quelques centaines de mètres plus loin, la Huldre est de nouveau face à lui. Cette fois, pas de ruse, No-Connect lui fonce dessus ! Et il enfonce son pieu à travers l'abdomen du monstre dont l'expression du visage trahit la surprise. Il agite les bras et tente de se saisir de No-Connect. Est-ce grâce à la Corpse Armor, il parvient à éviter tout contact avec le Horla et le repousse dans la neige. Il se jette de nouveau sur lui, s'emparant du pieu resté enfoncé. Il entend bien vider la créature de son sang. Celle-ci se met à convulser, agitée par de terribles quintes de toux et, surtout, affaiblie par sa blessure. No-Connect continue à agiter le pieu dans tous les sens mais finit par le briser. Il enfonce alors ce qui reste du pieu d'un coup de pied. La créature agonise, littéralement clouée au sol.

Conscient qu'il ne serait pas raisonnable de pousser sa chance trop loin, No-Connect s'enfuit dans les bois et laisse le monstre là, espérant qu'il se vide de son sang... espérant vraiment qu'il meurt et ne pas retrouver sur sa route un ennemi supplémentaire...


Le soleil se lève. No-Connect se trouve maintenant dans un vieux cimetière dont les pierres tombales fendues sont recouvertes de racines et autres plantes grimpantes. Il neige toujours mais le vent souffle moins fort. La tempête semble s'apaiser.

No-Connect se sent mal. Il sait que les Horlas comme la Huldre sont capables de prendre l'apparence d'êtres chers. Aussi, ce n'est pas par hasard si elle a pris l'apparence de cet homme qui toussait sans arrêt. Mais qui était cet homme pour lui ? Un ami, un parent... son père ? Il n'en sait rien... il se souvient à peine s'être débarrassé du corps de cette femme sous la cabane du Horla. Qui était-elle, elle aussi ?

Une perdrix se pose sur une pierre tombale et le fixe. Il sent que l'oiseau attend quelque chose de lui mais quoi ? Puis, il se résigne... Il accepte de ne pas se rappeler, de n'être finalement que ballotté par les événements, de ne rien maîtriser. Mais, aurait-il plus de contrôle sur son destin s'il savait d'où il venait et qui sont tous ces gens ? Pas certains après tout. L'important est-il de savoir d'où on vient ou de savoir où on va ? Et lui, où va-t-il d'ailleurs ? Que fait-il à part fuir une menace qu'il sait réelle mais dont il a oublié la nature ? Amnésique, sa mémoire rongée par Millevaux, n'importe qui finalement peut se révéler être cet ennemi implacable qui a juré sa perte pour des raisons qu'il ignore. Alors, et si la solitude des bois était son meilleur refuge ? Après tout, à voir sa peau verte et fibreuse, éprise de lumière, n'est-il pas devenu une émanation des bois, lui aussi ?

Tout à ces réflexions, il sent quelque chose pousser dans sa bouche. Ce sont ses dents ! Il y met la main et arrache quelques-unes de ses dents. Et c'est spontanément qu'il les assemble en une dague osseuse. Il soupèse l'arme, en apprécie le tranchant, puis la démonte et replace ses dents dans sa mâchoire.

La perdrix s'est envolée. No-Connect reprend sa route.

XxXxX

I-

La soirée est bien avancée. Il fait noir et ce depuis un bon moment tellement la météo est pourrie. La tempête fait rage. No-Connect ne se sent pas bien. L'épaisse couverture de nuages le prive de lumière depuis trop longtemps. Il a besoin de repos... et de lumière. Et de la lumière, il y en a aux fenêtre de cette bâtisse en plein cœur de la jungle enneigée. De ce qui a dû ou pu être un château, il ne reste plus qu'une tour dont les façades sont recouvertes de racines et de lierre. Des stalactites de glace menacent de tomber du toit.

De là où il est, No-Connect voit une double porte en face de lui. Une rampe ou un escalier semble mener à une entrée à l'étage. Prudent, il s'approche de la double porte. Il prête l'oreille mais n'entend rien. Il entre. Ce sont des écuries. Il y là une charrette et un cabriolet. Sur la gauche, deux boxs abritent un cheval et un âne. Il fouille rapidement les lieux mais ne trouvent rien d'utile. Toujours le plus discrètement possible, il ressort et se dirige vers la rampe.

Face à une lourde porte en bois et fer forgée, il écoute, n'entend rien et décide, tout simplement, de tenter de l'ouvrir. Coup de chance !, elle est ouverte. Il l'ouvre le plus lentement possible pour ne pas faire de bruit.


II-

La grande salle est vide, mais No-Connect entend du bruit à l'étage. Le sol est recouvert de tapis. Il y a des tentures aux murs. Elles représentent pour la plupart des scènes mythologiques. Il y a aussi des trophées de chasse dont une tête de cerf empaillé qui, pourquoi ?, retient son attention. Il y a également un grand portrait en pied d'un homme en uniforme. Une petite plaque en cuivre, fixée en bas du cadre, indique qu'il s'agit du Baron Karl von Frankenstein. Il y a quelques petits meubles ainsi qu'une cheminée. Le feu est éteint mais les braises sont encore rougeoyantes et dégagent de la chaleur. No-Connect s'approche, en quête de chaleur mais aussi d'un tisonnier qui pourrait faire office d'arme. Heureusement, il trouve l'un et l'autre.

Face à deux portes, il choisit celle de droite. Apparemment pas de bruit, il ouvre la porte et se retrouve dans une grande chambre. Il y a deux lits, une armoire et un coffre. Un côté de la pièce est en parfait ordre, l'autre... en parfait désordre. Au-dessus de lui, les voix se font plus fortes. No-Connect saisit quelques mots et comprend qu'il se passe quelque chose d'important. Le moment (?) est proche !

Un peu inquiet malgré tout, il farfouille dans les affaires qui traînent mais ne trouve rien d'intéressant. En vérité, il est tout autant curieux que stressé par ce qui est en train de se passer à l'étage et espère ne pas s'être jeté la tête la première dans les ennuis. Il sait qu'il ferait mieux de quitter les lieux mais ne peut pourtant pas s'empêcher de chercher une issue vers l'étage. Et il la trouve ! La porte de gauche donne sur un escalier en colimaçon.

L'escalier mène autant à l'étage qu'au niveau inférieur. Il s'attendait à entendre encore les voix mais plus rien! Ça l'inquiète alors... il gravit quelques marches. Il s'arrête et écoute, craignant un instant qu'on ne descende. Mais rien ! Pas un bruit. Il continue sa montée des marches... et se retrouve face à une lourde porte. De nouveau, les voix retentissent. No-Connect colle son oreille à la porte. On ordonne à un certain Igor d'ouvrir la verrière...


III-

À un grincement succède le bruit du vent, de la tempête qui s'engouffre dans la pièce. De nouveaux ordres sont hurlés par-dessus le vent. No-Connect comprend qu'on parle d'un antenne paratonnerre. Très rapidement, des crépitements se font entendre. Puis, entre la tempête et les crépitements, No-Connect ne parvient plus à comprendre ce qui se dit. Alors, il entrouvre la porte. Celle-ci grince mais personne ne semble y prêter attention. Il s'avance dans l'ombre et reconnaît un laboratoire... gothique !, comme son look de Gothique-Doom. Des tables, des chaises, des paillasses débordant de matériel scientifique vieillot. Un four aussi, comme un énorme four à pain. Des étagères remplies de livres. Des machines étranges et gigantesques reliées à d'énormes accus, eux-mêmes reliés à... dieu sait quoi ! La pièce est inondée par la tempête qui s'est engouffrée par le toit ouvert (la verrière ouverte par le fameux Igor). Mais surtout, une cuve ! Une cuve énorme remplie d'un liquide rougeâtre (du sang ?).

Un bossu s'active sur une manivelle, obéissant aux ordres lancés par deux jumeaux. L'un a le crane rasé, l'autre arbore une longue tignasse désordonnée. Une fois la verrière refermée, on rallume celles des lampes à huiles et bougies qui ont été soufflée par le vent et la pluie. Ensuite, on abaisse un levier au niveau des accus. Et toute l'électricité issue des éclairs semble transférée vers la cuve. À l'intérieur, les éclairs font perdre sa couleur rouge au liquide. À l'intérieur, No-Connect voit maintenant la silhouette énorme d'un homme nu, à la peau blême, grisâtre, couturé de partout.

Sous l'effet des éclairs, la surface de la cuve s'agite de vagues. Puis, sous l'eau, c'est l'homme qui est agité de spasmes violents, faisant déborder la cuve. Soudain, les accus prennent feu. Le jumeau chevelu hurle au bossu de s'en occuper. Ce dernier se saisit d'un seau rempli de sable. Visiblement, les jumeaux s'y attendaient. Dans la cuve, l'homme est à nouveau immobile. No-Connect sent la tension qui anime les jumeaux. Et la tension se relâche, juste un instant, quand l'être dans la cuve comment à faire bouger ses doigts. Il ouvre et ferme son poing... et l'abat sur la paroi de la cuve qui se brise en mille morceaux !

L'être, un géant une fois debout !, arrache les câbles électriques auxquels il était relié. Igor, terrorisé, s'est terré dans un coin d'ombre. Le jumeau chevelu se met à crier « Vivant ! Il est vivant ! » L'autre s'empare d'une barre de fer.


IV-

Le géant se jette aussitôt sur le jumeau chevelu et lui arrache la tête. Le sang gicle ! Le bossu quitte sa cachette et court vers l'escalier... et No-Connect. Mais le monstre lui saute dessus, s'empare de lui par une jambe et l’envoie voler à l'autre bout de la pièce. Le bossu, une fois au sol, se met à courir à quatre pattes jusqu'à un épais rideau et se cache de l'autre côté. Pendant ce temps, le jumeau au crâne rasé en profite pour tenter de fuir, lui aussi, par les escaliers. Il y est presque, son regard croise même celui de No-Connect, quand il est (r)attrapé par la créature, sa création. Comme le bossu, le jumeau, saisi par une jambe, est propulsé en l'air à l'autre bout de la salle. Puis, c'est le regard du monstre qui croise celui de No-Connect. Alors, il se met à dévaler les marches !

Le monstre le suit ! No-Connect saute dans les marches et parvient à conserver un peu (si peu!) d'avance. Pas un instant il ne songe à débarrasser le monde de cette aberration. Il ne songe qu'à sauver sa peau, à mettre la plus grande distance entre lui et cette chose. D'autres se chargeront de faire le ménage ou de mourir. Lui, il sera loin ! À condition de pouvoir semer cette horreur...

Au rez-de-chaussé, il fonce vers la porte d'entrée. Mais le monstre est toujours là, juste derrière. No-Connect, instinctivement, se baisse et évite de peu d'être saisi. Au fond de lui, il sait qu'il doit sa chance à sa nature de Gothique-Doom et... à la Corpse Armor ! La Distorsion qui a ravagé le monde n'a peut-être pas eu que des mauvais effets si elle a permis la création de telles armures « métalo-magique » ! Alors qu'il se jette sur la rampe à l'extérieur, No-Connect se rappelle les écuries. S'il y parvient, il pourra fuir à cheval, peut-être...

Une fois dans les écuries, il cherche des yeux de quoi seller la bête. Rien ! Tant pis, il montera à cru. Il ouvre le box mais l'animal s'énerve. No-Connect tente de le calmer mais lui-même est sur les nerf et le cheval le sent. Il le saisit alors par le col et se jette sur son dos, à cru ! De violents de coups de talons dans les flancs, il propulse l'animal par la porte alors que la silhouette du monstre se dessine. Heurté par le cheval, la créature est jetée à terre.

Battu par la pluie, mais seulement par elle et le vent, No-Connect ne se retourne pas. Il frappe les flancs de la bête et s'enfonce dans la jungle. Une créature meurtrière hante désormais cette partie de Millevaux mais lui est déjà loin...

Deux fois maintenant qu'il croise la route de monstres terrifiants et qu'il s'en sort de justesse. Les Dieux du Métal Gothique Doom sont avec lui... mais pour combien de temps encore ?


No-Connect abandonne son cheval épuisé à l'entrée d'une petite bâtisse en pierre qui se révèle un ossuaire. Il y a des ossements partout. Pas des squelettes, mais des os triés et empilés. Par qui ? Pourquoi ? Le jour se lève et le silence succède au fracas de la tempête. No-Connect a soif.. de lumière. Il se dit qu'il va dormir quelques heures à l'intérieur de l'ossuaire puis, quand le soleil sera plus haut, il fera le plein de lumière.

Il s'allonge au sol, cherchant une position confortable. Il ferme les yeux mais ne trouve pas le sommeil. Il pense. Le Horla, ce monstre... sa chance ne peut pas durer éternellement. Cela l'inquiète. Il se dit qu'il y a forcément un prix à payer et que celui-ci sera forcément trop élevé. Puis la fatigue le gagne. Ses yeux clignent. Et pour forcer le sommeil, il se décide finalement à tout simplement accepter cette chance qui lui est offerte. Après tout, si quelque chose ou quelqu'un préside à son destin et s'est mis en tête de lui sauver la peau, qu'il en soit ainsi. Et s'il y a un prix à payer et bien... il verra ça le moment venu !


A son réveil, il sent quelque chose sur sa tête et dans son dos. À travers sa peau fibreuse et semi-végétale, des branches ont poussé, comme un début de cornes et d'ailes...

XxXxX


 Paul Hesse a 12 ans. Il vit à Lakewood après la Distorsion mais... comme il n'a jamais connu que ça, cela ne lui pose pas vraiment de problème. Son problème, c'est plutôt que Lakewood, une petite ville de quelques centaines d'habitants, est aux mains de l'Ordre. Il n'est donc pas rare d'y croiser quelques crusader angels, sortes de centaures-craboïdes dont un bras a été remplacé par un lance-flamme ! Incarnations et représentants de l'Ordre, les villes comme Lakewood sont heureusement trop petites pour qu'ils se donnent la peine d'y faire régner la terreur. Toutefois, gare à ne pas tomber entre leurs griffes !

Et Paul est d'autant plus susceptibles de tomber entre leurs griffes justement qu'il cumule les « handicaps ». D'une part, il est noir et cela ne plaît pas aux anges. De plus, il ne s'est pas caché de son intérêt pour l'« occulte » et l'« ésotérisme ». Il a carrément affirmé avoir plusieurs fois entendu les voix des morts ! Et comme il n'est plus à ça près, il se fait l'écho des rumeurs les plus improbables, comme celle affirmant que des néonazis (mais il n'est pas vraiment certain de savoir qui sont ces gens) ont décapité un enfant au cimetière de voitures. Et comme il n'est définitivement plus à ça près, il a décidé de s'y rendre ce soir même afin de vérifier la véracité de cette rumeur et en rapporter la preuve. Et il arrive ainsi sur les lieux avec en poche un tournevis, sept flèches, un briquet et une vieille bible.


I-

Paul ne sait pas pourquoi tant de vieilles bagnoles ont été entassée au fil des ans (des décennies?). On dit qu'elles étaient déjà là avant la Distorsion et c'est très possible quand on voit comment elles sont toutes recouvertes de végétation. La jungle de Millevaux ne leur a pas fait de cadeau. Ce soir encore, il neige, mais il ne fait pas si froid que ça en vérité. C'est presque étrange, se dit Paul. Doit-il y voir un présage ?

Paul s'approche du bord du lac. De là, on peut apercevoir l'ancien camp d'Indian Lake. Mais il veut surtout savoir s'il y a du monde, ce soir, sur les rives du lac. Il n'est pas rare que des jeunes, plus âgés que lui, se réunissent ici. Il y a longtemps, on a démonté des sièges d'un vieux bus jaune. Ils ont été disposé autour d'un foyer. Paul examine les braises. Elles sont froides et bien froides. Personne n'a allumé de feu ici depuis un moment visiblement. Il se dit que cela ne prouve rien quant à la rumeur. Elle dit qu'un enfant a été décapité, elle ne dit que c'était hier !

Paul se concentre et observe les environs. Il ne voit rien, n'entend rien. Rien du tout, silence total et absolu ! Soudain, une voix derrière lui. Il sursaute, se retourne et se retrouve face à un homme... translucide. Un Stygien ? Un de ces être à cheval sur le monde des morts... Paul s'approche. Le Stygien (si c'est bien de ça qu'il s'agit) ne semble pas le voir. Il lève la main en direction d'Indian Lake. Paul voit bien que le Stygien ne le perçoit du tout et que s'il s'adresse à quelqu'un ce n'est pas à lui. Pourtant, il se dit que s'il devait suivre cette direction, il lui faudrait passer sur le lac gelé. L'idée n'est qu'à moitié réjouissante. Faire du patin est tentant mais... il vaut mieux ne pas chercher à savoir ce qui vit sous la glace.

L'être contracte son visage. Il ferme les yeux et la bouche en une drôle de grimace. Paul ne comprend pas trop pourquoi. Il regarde autour de lui et...


II-

Des portières claquent. Des bruits de pas se font entendre. Des éclats de voix. Est-ce que ce sont ces fameux néonazis ? Paul cherche une cachette sous une vieille carcasse. De là où il est, Paul voit des paires de bottes et rangers marchaient rapidement. Et il reconnaît aussi les guibolles d'un gamin qu'on traîne de force. Les néonazis (Paul est certain qu'il s'agit bien d'eux) sont environ une dei-douzaine. Et le gamins, qui doit être bâillonné car on ne l'entend pas parler ni même gémir, doit avoir dans les 10 ans.

C'était donc vrai ! Ces types ont vraiment décapité un enfant et ils vont recommencer cette nuit. C'est une idée complètement stupide mais elle vient de s'installer pour un bon moment dans le crâne de Paul. Il doit sauver ce gosse ! Et ce, même s'il est lui-même un gamin, tout seul, face à une demi-douzaine de néonazis certainement armés ! Un des anciens de Lakewood dit tout le temps ça : « Mais que ferait Mac Giver dans une telle situation? » Paul n'a aucune idée de qui est ce « Mac » mais se demande quand comment il va pouvoir venir en aide à ce môme avec ce qu'il a dans les poches et son sac.

S'il parvient à s'approcher sans être vu, il pourrait toujours jeter son tournevis contre une carcasse de voiture pour faire du bruit et attirer l'attention des néonazis. Ensuite, s'il est assez rapide, il pourrait trancher les lien du gosse avec la pointe d'un de ses flèches. Mais ça, c'est à condition que tous les néonazis tombent dans son panneau. Dans le doute, il se dit qu'il faudrait plusieurs diversions pour les obliger à se séparer.

Paul se dirige vers une vieille voiture. Il veut grimper dedans et, à l'aide de son briquet, y mettre le feu. Le temps que le feu soit assez important pour attirer l'attention des néonazis, il espère pouvoir s'éloigner et recommencer ailleurs. Si plusieurs foyers se déclarent, peut-être qu'il aura l'opportunité de libérer cet enfant. Mais... c'était sans compter sur


III-

… le Crusader Angel qui vient d’apparaître juste devant Paul ! Ce truc est énorme et horrible. Un torse humain sur le corps d'un crabe géant ! Et ce bras, un lance-flamme qui hypnotise littéralement Paul. Les Crusaders font office de représentants de l'Ordre à Lakewood. Inconsciemment, car effrayé comme il l'est il n'est plus capable d'une quelconque pensée consciente, il espère que l'Ange vient pour arrêter les néonazis.

L'Ange fixe un point au loin et ne semble pas voir Paul. Pourtant, c'est bien à lui qu'il s'adresse quand il dit : « Un chef de culte repoussant veut lever le voile sur le secret encore plus repoussant de la ''Nurserie ''. Mais il faut contracter avec les démons et je ne peux le tolérer. »

Et l'Ange se lance à l'assaut contre les néonazis. Il s'en débarrasse assez facilement mais, toujours figé par la peur, Paul voit bien que l'Ange est préoccupé par autre chose. Souvent, alors que son lance-flamme achève un néonazi, son regard se porte ailleurs, plus loin, dans Millevaux. On dirait qu'il attend quelqu'un ou quelque chose.

Et sans savoir pourquoi ni comment, Paul récupère le contrôle de ses pensées et de ses mouvements. Alors, il fonce vers le gamin et commence à scier ses liens. Le môme en larme arrive à peine à balbutier des remerciements. Mais Paul s'en moque. Il profite de ce que l'Ange fixe le lac pour tirer le gamin par le bras en se cacher derrière une carcasse rouillée. C'est alors qu'il le voit, s'approchant du cimetière de voiture. Il arrive par le lac. Il marche sur la glace.


IV-

C'est un Horla, c'est obligé, se dit Paul. Il est grand comme un homme, plus petit que l'Ange. Mais il n'est pas moins terrifiant. De loin, on voit ses cornes et ses ailes de bois et de feuilles. Quand il pose pied sur la rive, Paul voit qu'il porte une armure de cuir noir cloutée. Il a la peau verte et fibreuse. Il marche et, soudain, se met à courir. Il fonce sur l'Ange et lui décoche un coup de cornes à l'Ange. Celui-ci vacille sur ses pattes de crabe. Il vise le Horla avec son lance-flamme mais ce dernier est trop rapide.

Le Horla enchaîne les coups de cornes mais l'Ange les évite. Mais pas tous... et pas assez. Au bout d'un moment, il s'écroule et le Horla l'achève d'un coup de dague. Mais pas n'importe quelle dague. Paul en est certain, le Horla l'a fabriquée avec ses dents ! Ses propres dents qu'il vient lui-même d'arracher !

C'en est assez (trop?) pour Paul qui, tenant toujours l'autre gamin par le bras, se met à courir en direction de Lakewood. Il entend le Horla leu courir après mais s'étonne que celui-ci abandonne la poursuite assez rapidement. Peu importe ! Lui ne s'arrêtera de courir qu'une fois à la maison !


Paul apprendra le nom du gamin et le ramènera chez lui. Ce dernier, toujours mutique, ne dira rien de son histoire. Paul, quant à lui, dira juste l'avoir trouver dans les bois alors qu'il se « promenait ». Trop heureux d'avoir retrouver leur fils, les parents ne posent pas plus de question. Mais Paul s'en pose, lui. Pourquoi les néonazis enlevaient-ils des gamins. Était-ce pour les « offrir » à ce Horla ? Et quel est cette chose ? Que fait-elle dans les parages ? Est-elle là depuis longtemps ? Elle est venue par le lac. Vit-elle sur Skull Island ? Et c'est quoi, cette ''Nurserie'' ?

Paul aura-t-il le courage de chercher des réponses à ses questions ? En attendant, il se passera bien des nuits avant qu'il puisse enfin dormir sans faire de cauchemars...


Ils appellent cet île Skull Island. Moi, j'ai l'impression d'être nul part. Le soleil se couche. Il y a quelque chose d'étrange dans l'air. De l’Égrégore ? Peut-être... mais qu'est-ce que c'est au juste ? Je sais que l'air en est saturé par endroit. Je sais qu'on peut le manipuler, exercer dessus son... Emprise... mais c'est bien tout. Si j'en ai su plus, je l'ai oublié. Je me rappelle juste que j'ai oublié des choses, notamment qui je suis... j'ai été quelqu'un d'autre, mais qui ? J'ai changé. Ces cornes et ces ailes de bois, je ne les ai pas toujours eu. J'ai été quelqu'un d'autre, je m'en souviens encore mais pour combien de temps ? Combien de temps avant que je ne pense n'avoir jamais été autre chose que cette chose que je suis devenu ? L'oubli me déconnecte de ce que j'étais et me reconnecte à... autre chose. À la forêt ? À Millevaux ? Millevaux, pas seulement la jungle ! Millevaux, le domaine et avatar de la Chèvre Noire qui manifeste son... Emprise sur... moi ! Pourquoi ?

Celui que je suis et celui que j'étais sont tous les deux nés quelque part. Je dois retrouver au moins un de ces endroits. La ''Nurserie'' !


Et mes pas m'ont mené sur cette île, ce caillou qu'ils appellent Skull Island. Pourquoi ? Je n'en ai aucune idée. Mais ces jeunes gens de la petite ville d'à côté ont trouvé judicieux de m'offrir du sang, celui de gamins dont ils coupent la tête. Peu m'importe en vérité. Ce n'est pas de sang dont j'ai besoin. J'ai besoin de lumière. Pourquoi ne me donnent-ils pas de la lumière ?

Est-ce un hasard si mes pas m'ont mené ici, sur cette île et près de ces gens ? Il y a quelque chose sur cette île ? Je ne sais pas quoi mais c'est lié à ce que je suis, à ce que j'étais. Je dois le trouver. Et si c'est coupeurs de têtes peuvent m'y aider, tant mieux !

Je vais devoir faire vite car les Anges savent que je suis là. Ils ne me laisseront pas tranquille très longtemps, surtout quand ils comprendront que c'est pour faire plaisir que des enfants son décapités. Et ils n'accepteront jamais de croire que je n'ai rien demandé. Heureusement, Skull Island n'est pas très grande et j'ai trouvé cet espèce de puits qui s'enfonce sous l'île. Je devrais descendre, mais j'ai peur. J'ai peur du noir. J'ai peur de rester trop longtemps sans la lumière du soleil. Et j'ai peur de ce que je pourrais trouver en bas... des monstres et des vérités...


XxXxX


« Je suis la Feuille !

Un vent halluciné m'a soufflé jusqu'ici

Je me languis du printemps, cet hiver qui n'en finit pas me pèse

Le ciel m'a fait un cadeau, il a fait de moi le Témoin... »


La Feuille est arrivé il y a quelques temps maintenant à Lakewood. On ne sait pas d'où il vient. Lui non plus ! Il prend des notes de tout ce qu'il voit. Il dit qu'il est un témoin LE Témoin. Il dit qu'il est la Feuille mais qu'il a aussi un autre nom, un « vrai » nom qu'il a oublié. À Lakewood, on ne le prend pas vraiment au sérieux car tout le monde a bien vu à quel point il était accro. Accro aux mots, à l'encre, aux histoires. Mais on ne se moque ouvertement de lui car il est plutôt impulsif et sort un peu trop facilement ses deux couteaux-papillon qu'il manie en même temps, et avec dextérité, puisqu'il est ambidextre.


I-

Cette nuit, la Feuille s'est rendue à l'ancien camp d'Indian Lake. Il pense y trouver son « vrai » nom. Il veut faire vite car, à Lakewood, celui qui se fait appeler l'Archiviste veut lui aussi s'accaparer ce « vrai » nom. D'ailleurs, n'est-ce pas l'Archiviste, cet autre « témoin » autoproclamé qui lui a collé Billy Bob aux fesses ?

Cela faisait un peu plus d'une heure que la Feuille errait dans Indian Lake quand, contournant l'ancienne salle polyvalente pour entrer de ce qui servait d'office, le géant cinglé lui est tombé dessus, armé de sa machette. La Feuille évite le coup de justesse. Il saute dans un coin, roule-boule et parvient à se relever. Il se saisit de ses deux couteaux-papillon et fait face au géant timbré. Inutile de lui demandait quoi que ce soit, il est trop givré pour pouvoir répondre. Un coup un peu au pif, à peine une égratignure sur le torse du géant. Mais c'est assez pour l'énerver et lui faire perdre le peu de concentration qu'il avait. Billy Bob frappe au hasard mais la chance lui sourit, malheureusement pour la Feuille. Le choc est rude mais cela ne l'empêche de planter Billy Bob dans la cuisse. Quand il retire ses lames, la plaie saigne abondamment. Le colosse frappe de nouveau au hasard en criant et pleurant comme un gamin. Comme il s'agite dans tous les sens, ce n'est pas si évident que ça de le toucher mais, en vérité, il ne cherche pas vraiment à esquiver les coups. Ce qui empêche la Feuille de toucher à tous les coups, c'est surtout qu'il doit éviter les grands moulinets de machette de Billy Bob. Cela prend du temps mais, peu à peu, les estafilades s'accumulent sur le corps du colosse qui perd de plus en plus de sang. Et, enfin, il tombe et ne se relèvera plus. Pas avant un moment en tout cas.

La Feuille regarde autour de lui. Il tourne sur lui-même et fixe un point au hasard dans la jungle enneigée qui entoure Indian Lake. Il croit voir les Yeux. Alors, il dit :


« Je suis la Feuille !

Ici et maintenant, je suis la voie jusqu'au gouffre brut pour laisser derrière moi mon ancien nom qui ne me sert plus

Je suis la Feuille ! »


Et dans la jungle, à travers le fin rideau de neige qui s'est mis à tomber, les Yeux clignent. Et derrière la Feuille, la voie s'éclaire... jusque sur les bords du lac gelé.


II-

La Feuille passe à côté d'une ancienne chapelle. Il longe ce qui a été l'infirmerie, puis le réfectoire. Enfin, il se retrouve au bord du lac. Il pose un pied sur la glace afin de s'assurer qu'elle est praticable. Plus loin sur sa droite, il y a un vieux ponton. Au loin, à mi-chemin de Skull Island, un radeau est pris dans la glace. Skull Island ! Il ne se pose même pas la question. Il veut connaître les histoires que cache cette île. Et peu importe s'il y a du danger. Tant mieux, même... Cela n'en fera que de meilleures histoires à raconter.

Il ne peut s'empêcher de s'arrêter au niveau de ce radeau. Là, il se rend compte qu'il ne s'agit pas d'une embarcation de fortune mais plutôt d'une sorte de plate-forme. Il y a même une échelle en fer rouillé, mais comme elle est prise dans la glace. Qu'y a-t-il sous la glace d'ailleurs. Il lui paraît peu probable que la Chèvre Noire ait laissé le fond du lac sans vie. Il s'agenouille et colle son visage contre la glace. Il cherche quelque chose qui bouge. Il cherche les Yeux ! Il dit :


« Je suis la Feuille !

Ici et maintenant, je veux sauver celle que j'aime de cet accident. Mais était-ce vraiment un accident ? Et qui est cet être aimé ?

J'accepte de devoir payer cette dette à... je ne sais pas qui !

Je suis la Feuille ! »


Alors, Skull Island ne paraît plus si loin...


III-

La Feuille pose le pied sur la petite île. Il est convaincu qu'à son sommet, un puits le conduira sous l'île, sous le lac, sous la glace et que là il saura. Il saura qui était celle qu'il aimait. Il saura comment elle est morte. Et surtout, il s'emparera de son « vrai » nom avant l'Archiviste. Mais tout cela aura un prix. Et est-ce à cet être, un Horla ?, qu'il va devoir payer ce tribut ? À l'entrée du sentier menant au sommet se dresse un être à la peau verte et fibreuse. Il porte une armure de cuir noir cloutée. Dans son dos, deux ailes de bois et de feuilles (de Feuilles ?). sur sa tête, deux cornes de branchages. La Feuille veut voir les Yeux dans son regard. Il veut les voir car cela ferait, il pense, une bonne histoire à raconter. Et il aime les histoires...

Mais est-ce à ce Horla qu'il doit payer son tribut ?

Alors, il dit :


« Je suis la Feuille !

Ici et maintenant, je paie ma dette à la Chèvre Noire. J'accepte tes mensonges, je les extrais de ta chair et les mange. Faux souvenirs mais belles histoires, je m'en nourris.

Je suis la Feuille ! »


Je ne suis plus la Feuille. Moi aussi, maintenant, j'ai des cornes de bois sur la tête.


« Je suis le Corvidé !

Je suis un mauvais présage

La dernière âme que j'ai accompagnée au repos et... la mienne

Ce qu'il en est de vivre entre la vie et la mort ? Je ne le sais pas... encore...

Je suis le Corvidé ! »


Je suis de nouveau sous l’île. Mon île, désormais ? Et si c'était là, la ''Nurserie'' ? Ici naissent des histoires, des personnages comme cette Feuille. Dehors, le soleil se lève et un épais brouillard recouvre le lac gelé et la jungle. Je vais bientôt remonter car j'ai soif. Soif de lumière... au sens propre comme au sens figuré.

Je retrouve la surface. Du sommet de Skull Island, je scrute la jungle. Sur ma droite, l'ancien camp d'Indian Lake. Un peu plus loin, le cimetière de voiture. Là, je vois, une nuée de rats et de souris. D'où sortent-ils ? Et où vont-ils ? Est-ce le début d'une nouvelle histoire qui va grandir sous terre, dans la ''Nurserie'', sous Skull Island ? Comme la Feuille, comme le Corvidé, je n'en sais rien. Ce ne sont que des histoires qui vont grandir et deviendront, peut-être, des vérités.

Je ne sais pas pourquoi mais j'ai alors la certitude que ces sous-sols cachent encore autre chose. La certitude qu'un passage secret mène... ailleurs vient de s'imposer à moi avec violence. Une fois que j'ai accumulé suffisamment de lumière, je redescends et je cherche. Je cherche longtemps mais je ne trouve pas. Puis, je crois être sur une piste mais... je ressens alors une infinie culpabilité. Pourquoi cette certitude que trouver ce chemin, ce passage secret, causera du tort à quelqu'un qui m'est cher ? Qui m'est cher ? Je ne me rappelle plus être ou avoir été proche de qui que ce soit. Pourtant...


Et soudain, tout devient clair ! Ou presque... Et si, comme me l'a fait comprendre la Feuille, tout cela n'était que des histoires. Ici, dans les profondeurs de Skull Island, naissent des histoires, uniquement des histoires. Rien n'existent vraiment. Je n'ai pas de souvenirs car il n'y a pas de vérité. Il n'y a que des histoires attendant d'être écrites et ré-écrites. Et l'Oubli... le cadeau de la Chèvre Noire qui nous délivre de cette terrible révélation ? Nous n'existons pas réellement. Nous ne sommes que les personnages d'une histoire... Est-ce cela le secret que je cherche dans ces cavernes ?

Je veux oublier... oublier cette révélation, oublier ces questions aussi...

je veux être autre et recommencer... ailleurs.

La Chèvre Noire me fera-t-elle ce cadeau ?


XxXxX


Thanamaria, l'autoproclamé prêtre de la Chèvre Noire a manqué à sa parole. Il avait promis à ces jeunes néonazis que Shub-Niggurath saurait apprécier et les récompenser pour ces offrandes sanglantes, pour ces têtes d'enfants. Mais ça ne s'est pas vraiment passé comme prévu. Les Crusader Angels s'en sont mêlés et la Chèvre Noire n'a pas non plus aimé que son nom soit invoqué en vain. Aussi, ceux qui restent des néonazis ont décidé de se venger. Et la Chèvre Noire s'est bien moqué de lui en l'affublant de ces horribles tentacules qui lui ont poussé sur tout le haut du corps, tête comprise. Impossible de dissimuler ce nouvel état à la communauté de Lakewood. Et puis, il y a cette chose qui est en lui. Thanamaria sent bien que c'est à ce truc qu'appartiennent les tentacules. Que va-t-il se passer quand cela sortira ? Il a été interrompu dans ces questions quand une théorie composée de citoyens de Lakewood et des rescapés néonazis l'ont pris en chasse en vu d'un lynchage en règle. Thanamaria ne doute pas un instant que les Crusader Angels fermeront les lieux sur tout ça.

Thanamaria sait que ce n'est pas la meilleure idée qu'il ait eu que de chercher refuge dans la jungle, domaine et avatar de la Chèvre Noire mais... où aller ? Il n'est pas bien épais, voire chétif, il sait qu'il ne peut pas tenir tête à cette foule. Alors, il court. Dans la jungle et sous la neige, il court en espérant que la neige effacera ses traces. Il s'arrête quelques instants pour reprendre son souffle. Il écoute. Il n'entend rien. Aurait-il réussi à semer ses poursuivants ? Dans le doute, il reprend sa course. Et soudain, il se retrouve face à une volée de marches menant à un porche. Là, entre les arbres, une maison cubique s'élève. Contrairement à beaucoup de vestige du monde d'avant la Distorsion, elle n'est pas envahie par la jungle de Millevaux mais, en regardant sous le porche, Thanamaria a l'impression que quelque chose d'énorme est là, grouillant...

Thanamaria gravit la volée de marches. La porte d'entrée s'ouvre sans difficulté. Il entre dans une vestibule. Il y a une penderie, un escalier. Mais son regard est attiré avant tout par un grand vitrail représentant un scène s'apparentant à un exorcisme. Il y a aussi un monstre avec des tentacules mais Thanamaria n'arrive pas trop à déterminer s'il « sort » du corps de la possédée ou si... Le téléphone sonne ! Thanamaria décroche. Une voix de femme, apparemment sous le choc. « … repère les défauts dans la catapulte... » Thanamaria va pour raccrocher mais la voix reprend, captivée : « … question ! Vas-tu me rejoindre dans le mausolée ? »

Une catapulte défectueuse, un mausolée et cette femme... Qu'est-ce que cela veut dire ? La femme dans le téléphone est-elle la même que celle qui est exorcisée dans le vitrail ? La créature tentaculaire est-elle la même que celle qui grandit en lui ? Ont-ils tous les deux un destin similaire ? Va-t-il, doit-il être exorcisé ou... mourir ? Le mausolée, cette femme est-elle morte ? Et si la chose grouillante sous la maison était cette créature tentaculaire sortie du corps de cette femme ? Et puis, c'est quoi cette catapulte ?

Thanamaria interrompt ses réflexions et tend l'oreille. Rien, la maison semble vide. Une ouverture sur sa gauche donne sur une pièce à vivre confortablement meublée. Difficile de croire qu'on est dans la jungle enneigée de Millevaux ici. D'ailleurs, et c'est étrange, il ne fait pas froid alors qu'aucun feu ne brûle dans la cheminée. La cheminée, sur la tablette il y a une maquette. L'espace d'un instant, Thanamaria a espéré qu'il s'agisse d'une catapulte mais pas du tout. Ce n'est que la réplique miniature d'un shotgun. Cela ne fera même pas illusion face à un ennemi. Face à lui, une autre ouverte donne sur une salle à manger. Outre une table, des chaises et un buffet, il y a aussi des étagères et une vitrine. Là, il cherche encore une maquette de catapulte. Thanamaria ne peut pas croire un seul instant que les mots de la femme dans le téléphone concerne une véritable catapulte. Et il trouve effectivement la maquette. Il s'en saisit et l'examine. Il cherche les « défauts ». Et il croit en avoir trouvé un. Un petit défaut dans l'agencement de deux pièces. Rien de grave mais alors qu'il passe son doigt dessus des cris se font entendre à l'extérieur. Ses poursuivants l'auraient retrouvé ? Thanamaria se rapproche prudemment d'une fenêtre. Il entend effectivement crier mais ne voit rien. Rien du tout. Même pas la nuit noire, la jungle. Rien ! La fenêtre donne sur... le vide, sombre et froid ! Et Thanamaria se demande où il est « vraiment » ! Où a-t-il été... « catapulté » ? Un bruit sourd se fait entendre juste sous ses pieds. Est-ce la chose grouillante ? Oui ! Un craquement et un tentacule jaillit du parquet, cherchant à l'attraper. Thanamaria se met à courir. Dans la cuisine, il cherche n'importe quoi pouvant lui servir d'arme. Un couteau, parfait !

Thanamaria veut se réfugier à l'étage. Heureusement, une seconde porte dans la cuisine lui permet de regagner le vestibule sans avoir à repasser par la salle à manger où la chose grouillante a déjà lancé une bonne demi-douzaine de tentacules. En grimpant aussi vite que possible, il ne peut s'empêcher de penser aux tentacules qui s'agitent sur son propre corps. Et il regrette aussitôt ses pensée puisque les tentacules en questions semblent avoir décidé de rejoindre leur congénère. En effet, certains se sont déjà accrochés à la rampe de l'escalier et tirent pour entraîner Thanamaria vers le bas. Il résiste tant bien que mal et tente de découper les tentacules. Mais ils s'esquivent. Dotés d'une volonté propre, ils évitent les coups de couteau et continuent de tirer. Thanamaria perd l'équilibre et dévale les marches. Il se relève mais se rend compte qu'il s'est tordu la cheville. Malgré la douleur, il parvient cette fois à entailler les tentacules qui le retiennent mais il reste « attaché » et ne peut pas fuir bien loin alors que les énormes tentacules de la chose grouillante approchent. Il tente de frapper la chose mais elle s'en moque complètement. Un « coup de fouet » lui fait perdre son arme. Saisissant un des tentacules qui le retiennent à la rampe, il parvient à se dégager et court vers l'étage. Mais c'est sans compter ses tentacules qui, cette fois, ne s'accrochent pas à la rampe mais se tendent directement en direction du monstre qui commence lui aussi à ramper le long des marches.

Thanamaria est stoppé net dans sa course ! Un tentacule s'enroule autour de son cou et sert. Il peine à rester conscient. Sa vue se trouble. Ses pensées dérivent vers le mausolée où cette femme l'attend...


Celui qui fut No-Connect mais qui se définit aujourd'hui comme un Ange de la Chèvre Noire émerge d'un cauchemar. Mais c'est un cauchemar « agréable ». Dehors, la nuit est brune et un brouillard épais recouvre le lac gelé qui entoure Skull Island. Il ne sait pas combien de temps il est resté sous terre, dans cet endroit secret, cette « Nursery » dans laquelle naissent et grandissent les rêves, les cauchemars et les histoires mais il sait qu'il y est resté trop longtemps. Il se sent mal, nauséeux, faible. Il a besoin de lumière. Et déjà, cette histoire, le cauchemars de Thanamaria s’effiloche, sombre dans l'oubli, emporté par une nuée de mille-pattes.

L'ange de la Chèvre Noire regarde les mille-pattes et tente de se rappeler de Thanamaria, de cette chose grouillante sous la maison, de cette femme, du mausolée... Avant de partir, un mille-pattes se tourne vers lui et lui confie une mission : « garder secret l'horreur que recèle le Miroir Immortel ! » L'Ange de la Chèvre Noire accepte évidemment, bien qu'il sache qu'à cause de cela il sera blâmé pour quelque chose qu'il n'a pas fait. Le secret du Miroir Immortel restera inviolé mais l'Ange de la Chèvre Noire sait maintenant que les 12 viendront...


XxXxX

Les 12 ne sont plus que 4 ! Skinny, le tacticien armé de son Desert Eagle. Hawk, l'exorciste au fusil à pompe. Thug le légionnaire et son HK 416 et Bunny... le déserteur au couteau de tranchée. Tous les 4 sont d'accord pour dire que l'Ange de la Chèvre Noire est responsable de la mort de leurs coéquipiers. Ils ont marché longtemps pour le retrouver sur Skull Island.

Il fait nuit. Le vent souffle fort et la neige est glaciale. Ils avancent. Face à eux se dressent les silhouettes de ceux que l'Ange de la Chèvre Noire a fait « éclore » de sa « Nursery » - du moins, c'est ce qu'ils croient – soit une demi-douzaine d'individus au corps aussi torturé que leur âme. Les 6 Nécrophages entendent bien festoyer cette nuit ! Les 4 derniers Darkly Dozen entendent bien ne pas se limiter à vendre chèrement leur peau mais tanner celle des Nécrophages... et de l'Ange de Shub-Niggurath !


Le terrain est dégagé. Mais la tempête rend malgré tout les chose compliqué. Entre la nuit et la neige, on ne voit pas grand chose. Le froid est cinglant. Cela n'empêche pas Skinny de tirer le premier sur une fillette semblant particulièrement motivée pour lui sauter à la gorge. Sa rafale la frôle, lui arrache une giclée de sang. Pas assez pour l'arrêter. Elle ne lui saute pas à la gorge mais à la cuisse. Et sa morsure est plus profonde que celle du froid.

Hawk choisit une cible qui lui semble plus facile ; un bossu auquel il manque apparemment une main. Il n'est pas rapide mais semble pourtant résistant !

Bunny saute sur celui des Nécrophages dont le corps, à moitié nu malgré la tempête, arbore un nombre insensé de cicatrices et autres scarifications rituelles. C'est avec plaisir qu'il en ajoute de nouvelles !

Thug aligne un headshot... sur une créature bicéphale. Comme il lui en reste une, la chose déformée aux quatre bras plus ou moins atrophiés continue d'avancer.


Skinny peine toujours à infliger de réels dégâts à cette gamine à l'agilité surnaturelle ! Heureusement pour lui, si elle est rapide, elle ne semble pas très forte. Mais elle lui inflige malgré tout quelques griffures supplémentaires.

L'amputé d'Hawk perd encore quelques bouts de chairs. Mais il avance toujours lui aussi et se saisit d'Hawk auquel il inflige une violente et profonde morsure. Tous les deux, finalement, auront perdu quelques grammes de chairs. Mais l'amputé aura malgré tout ingurgité autant qu'il vient de perdre... un peu plus en fait.

Bunny frappe dans le vide. Est-ce parce que son adversaire est plutôt doué pour le combat ou parce qu'il a déjà l'esprit occupé à planifier sa fuite ? En tout cas, la distance se creuse entre les deux combattants.

Alors que la bicéphale se jette sur Thug, le légionnaire lui impose une distance de sécurité à coups de HK 416 !


Skinny ne parvient toujours pas à en finir avec cette satanée gamine. Mais il a l'impression qu'elle faiblit car si elle n'est toujours pas à terre, elle semble avoir perdu un peu de ses réflexes.

Hawk n'a pas le temps de se féliciter de son tir. L'amputé lui tombe dessus et lui arrache un bout de gorge. Un bout seulement mais... c'est assez pour que le sang jaillissent à grand flot. Hawk ne verra pas le jour se lever !

Bunny plante sa lame. Le scarifié plante ses griffes. Bunny prend peur ! Il jette un regard en direction de ses coéquipiers. Aucun ne semble lui prêter attention. Alors, il s'esquive ! S'il ne doit en rester qu'un, autant que ce soit lui... il se dit !

Une rafale cloue la bicéphale à terre mais elle en profite pour attraper le mollet de Thug qui pousse un cri dans la nuit alors qu'il sent les dents de la Nécrophage lui rentrer dans la chair !


La gamine a repris du poil de la bête. Elle semble toujours aussi rapide que les balles. Elle encaisse avec une aisance qui désarçonne Skinny juste assez de temps pour que la gosse lui enfonce ses griffes là où ça fait mal !

Thug tente de se débarrasser de la goule qui s'est accrochée à sa jambe à coups de crosse. En vain ! Elle lui arrache encore de la viande et semble vraiment ignorer les coups et la douleur.

Le Nécrophage scarifié ne poursuit pas Bunny. Au contraire, il change de cible et se dirige vers Thug mais la glace cède sous lui et il s'enfonce dans l'eau glacée.


La gamine tourne toujours aussi vite autour de Skinny qui continue à tirer dans tous les sens. Mais aucune de ses rafales ne la touche. Une seule par contre trouve son chemin jusqu'à... Thug !, qui s'écroule. Skinny est maintenant seul face à la gosse qui a repris du poil de la bête et à l'amputé qui se dirige vers lui. La bicéphale est trop occupée à dévorer ce qui reste de Thug.

Tirant sur la gosse tout en évitant l'amputé, Thug ne parvient à l'abattre qu'au bout du deuxième tir. Mais il offre ainsi une trop bonne occasion à l'amputé qui s'en saisit comme il se saisit de lui.


Du haut de Skull Island, l'Ange de la Chèvre Noire, entouré de deux Nécrophages un albinos et un écorché vif, regarde la scène. La neige blanche recouvrant le lac gelée se teinte de rouge alors que les Nécrophages se repaissent des cadavres des 3 Darkly Dozens. L'albinos et l'écorché se tournent vers l'Ange, en quête de l'autorisation de pourchasser le déserteur. Mais L'ange ne fait rien. Il semble s'en moquer. En fait, il garde à l'esprit que ce qui sort de la Nursery, ce sont avant tout des histoires. Les Nécrophages n'en sont sortis que pour ça, pour écrire une histoire. Et laisser le dernier des 12 en vie, c'est justement ne pas écrire le mot FIN à cette histoire. C'est du moins ce que l'Ange de Shub-Niggurath se dit alors qu'il s'en retourne dans les profondeurs de Skull Island...


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