THE PROCESSION


Edmund Valley est un petit village, un « patelin » comme on dit. Perdu le long d'une route peu fréquentée, ce n'est pas le désert mais il y règne une chaleur écrasante la plupart de l'année. On ne sait plus pourquoi les fondateurs de ce patelin se sont installés ici. On ne se pose plus la question. La réponse pourrait être gênante.

Les habitants s'en sortent tant bien que mal. Le peu de passage permet la survie d'un pe ude commerce. Certains se sont mis au e-business. D'autres persistent à vouloir faire pousser quelque chose. Bon, quand même, il y a la mine et la carrière.

Toutefois, Edmund Valley ne respire pas la joie. C'est peut-être ce qui leur manque le plus aux habitants, un peu d'entrain. Ce serait peut-être plus facile si l'accès à l'eau et l’électricité ne posait pas de problème. Il y a parfois des coupures et elles peuvent être longues. Et puis, ça manque de nouvelles têtes aussi. Ici, tout le monde se connaît et non pas que les gens se détestent mais... ils se lassent les uns des autres. Alors, la chaleur aidant, parfois le ton monte.

Mais il y a quand même une tradition qui perdure. C'est la Fête de la Pluie. Là aussi, plus personne ne se rappelle pourquoi on fête la pluie à cette date de l'année, surtout qu'il pleut rarement à cette période justement. Et puis, la Fête de la Pluie n'a jamais fait pleuvoir. Mais la tradition se maintien et l'espace d'un week-end, tout le monde fait comme s'il pleuvait, comme s'il faisait moins chaud et l'atmosphère est moins tendue. Cela aide à faire oublier ce qui est là, tapi dans les rochers depuis... toujours ? Là aussi, plus personne ne s'en rappelle mais, par prudence, on insiste quand même pour que les enfants n'aillent pas jouer seuls trop prêt de la mine et de la carrière. Personne n'a jamais rien vu mais...


Outre la Fête de la Pluie, il y a autre chose qui amène un peu de joie de vivre à Edmund Valley, c'est la Procession. Elle passe une fois par an, à peu près à la même date. Elle ne reste jamais le même nombre de jours. Parfois, elle reste quelques semaines. Parfois, elle ne reste qu'une journée. Mais c'est toujours avec joie qu'on la voit arriver et toujours avec un peu de tristesse qu'on la voit repartir. Mais, on sait qu'elle reviendra.

Cette Procession est un peu comme une parade, un cirque itinérant à l'ancienne. Il n'y a pas de représentation avec un chapiteau et tout mais il y a de l'animation au village, ça c'est sûr. Il se passe des choses. Des choses parfois étranges mais... c'est agréable, parfois.


Aujourd'hui, dans le milieu de l'après-midi, des créatures caquetantes sont apparues à l'entrée du village. On aurait dit un mélange d'homme et de poulet. C'était la Procession qui arrivait en chantant et en dansant. Comment faisaient ces clowns pour se grimer ainsi. C'était bizarre, c'était drôle. Les gars de la mine regretteraient de ne pas avoir vu ça.


Il n'y a pas vraiment eu de « représentation » la veille au soir. Mais les hommes-poulets ont quand même effectué, de nouveau, leur petite danse pour les mineurs. Tout le monde a bien ri. Cela n'a pas duré très longtemps car les membres de la Procession devaient installer leur caravanes. Avaient-ils prévu de rester longtemps cette fois-ci ? En tout cas, quand ils ont branché leurs générateurs, ils ont proposé de partager leur électricité avec les villageois. Ceux-ci n'osaient pas accepter mais quand la Procession leur offrit également de partager avec eux une partie de leurs réserves d'eau, tout cela fut accueilli avec joie.


Pour le remercier, le lendemain, les hommes leurs proposèrent de les accompagner à la chasse dans les rochers. On interdisait aux enfants d'y aller mais, armés, les gars s'y rendaient parfois pour y chasser cette créature bizarre qu'ils voulaient montrer à ceux de la Procession. L'animal n'est pas très grand et parvient à se faufiler d'une manière assez agaçante dans les interstices entre les rochers. Mais, surtout, il a une très grande langue grâce à laquelle il chaparde des trucs de valeur aux villageois. En vérité, cette bestiole est gourmande et aime bien voler des œufs. Mais là, c'est différent. Les villageois expliquent que la bestiole a volé quelque chose de vraiment important. C'est un vieil objet qu'avaient apporté avec eux les fondateurs d'Edmund Valley. C'était en rapport avec leur religion de l'époque, celle de leur pays d'origine. Ils n'en dirent pas plus et traquèrent la bestiole. Mais celle-ci s'était réfugiée dans un trou où elle avait abandonné l'objet en question. L'ouverture était trop étroite pour qu'on puisse y introduire le bras. Et il n'était pas possible de bouger les rochers à cet endroit. L'objet en question était perdu. Mais il se passa quelque chose de bizarre. Une espèce de papillon sortit du trou. Il brillait bizarrement. Ce n'était pas naturel. Puis, la terre a légèrement tremblé au niveau du trou. Une racine en est sorti et s'est mise à grandir. Pas beaucoup, mais juste assez pour faire apparaître un fruit. C'était une espèce de grosse poire marron et jaune, d'aspect très juteuse. Un des gars a voulu la cueillir mais un de membres de la Procession lui a conseillé de ne rien en faire et d'attendre. C'était là, nul doute, un cadeau d'Ojiakw-A'nihlea'. Il n'en dit pas plus.


Aujourd'hui, les membres de la Procession ne se sont pas montrés. Les femmes ont jeté des coups d’œils en direction de leur camp mais... rien ! Pas de bruit, pas de mouvement, jusqu'à... ce qu'un chariot en bois dont les roues avaient disparu traversa la grand-rue à toute vitesse. Il souleva un grand nuage de poussière et il y avait même de petits éclairs. Après que la chariot eut disparu, on constata que tous les objets consommant de l'électricité étaient maintenant chargés à bloc !


La jeune femme avait un grand chapeau, très grand, trop grand pour elle. Alors, elle s'approcha d'un des anciens du village et le lui remit. Elle lui expliqua avec un fort accent que ce chapeau le ferait rêver et que les rêves, parfois, devenaient réalité.


C'était la première fois qu'on le voyait à Edmund Valley. Celui-là n'était pas un homme-poulet déguisés et qui se contorsionnait comme les autres. Lui, il avait vraiment un problème. Il était malade. Ses jambes étaient trop maigres, comme celles d'un dindon. Mais surtout, il avait six bras ! De loin, on ne savait pas trop si c'était un déguisement ou s'il avait vraiment six bras mais... c'était très bien fait. Il tournait autour des enfants. Les femmes n'étaient pas très rassurées mais personne n'osait bouger. Puis, il porta son choix sur un des gamins qu'il emmena avec lui. À sa mère qui se levait, il dit de ne pas s'inquiéter, il allait lui présenter un « sage ».


Le lendemain, la terre trembla. On crut à un incident dans la mine ou la carrière. On crut aussi qu'ils avaient peut-être dû plus simplement utiliser de la dynamite. Ça arriva parfois. Mais non ! Aucune explication à ses tremblements. Mais, par contre, à la périphérie du village, on vit apparaître comme des petits îlots de verdure. Des petits jardins fait d'herbes bien vertes et qui n'étaient pas là la veille.


Ce soir, les membres de la Procession nous ont demandé de nous réunir. Ils voulaient nous offrir une chanson. C'était, ont-ils dit, une chanson que connaissaient bien ceux qui ont fondé le village. Nous l'avions oubliée mais pas eux. Et ils allaient nous l'apprendre. Alors, nous avons écouté et répété les paroles. À la fin de la soirée, tous nous connaissions par cœur le chant d'Ojiakw-A'nihlea'.


Le petit « choisi » par le type a six bras est retourné voir ce soi-disant « sage ». Sa mère demeurait un peu inquiète mais elle le laissait aller surtout que l'enfant insistait. Puis, ce jour, elle le vit revenir accompagné de ce « sage ». L'homme avait deux têtes ! Et il parlait effectivement avec sagesse.


Et le garçonnet s'en alla dans les rochers. Sa mère lui cria de ne pas y aller mais le « sage à deux têtes » lui dit de laisser faire. Son absence dura des heures puis le garçon revint. Il avait trouvé une flûte. Il joua quelques notes et des nuages apparurent dans le ciel. Le tonnerre gronda. Il se mit à pleuvoir. Le sage dit qu'Ojiakw-A'nihlea' avait le pouvoir de rendre les rêves réels.


Les jours suivant, le « sage à deux têtes » et l'homme à six bras expliquèrent aux villageois ce qu'ils avaient découvert, au fil de leurs voyages, concernant l'histoire d'Edmund Valley. Les anciens du village l'avaient fondé ici car personne ne voulait d'eux ailleurs. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient des rêveurs ! Pas de « doux rêveurs », non ! Mais des rêveurs patentés, acharnés, chevronnés. Ils savaient comment rêver de façon à ce que les rêves deviennent réalité. Si Edmund Valley avait pu sortir de terre ici et si maintenir si longtemps, c'était parce que les fondateurs du village l'avaient rêvé. Et parce qu'ils avaient suivi les conseils d'Ojiakw-A'nihlea'. Aujourd'hui, ils pouvaient réapprendre à rêver. Ils pouvaient, en renouant le liens de leurs ancêtres avec Ojiakw-A'nihlea', briser les frontières de l'espace et du temps et rêver avec d'autres, ailleurs, loin.


Et ces paroles furent accompagnées d'un vent violent qui balaya les rues d'Edmund Valley. Il ne resta pas un grain de poussière après cette pourtant courte tempête. C'était tellement improbable, irréel. Les villageois demandèrent si c'était là l'action de ce Ojiakw-A'nihlea'. Mais le « sage à deux têtes » leur dit que c'était plutôt le souffle d'Ithaqua.


La période de la Fête de la Pluie approchait. Les villageois se mirent d'accord pour en avancer les préparatifs. Aux festivités traditionnelles, ils comptaient ajouter des chants et des danses en l'honneur d'Ojiakw-A'nihlea' et Ithaqua. Les membres de la Procession étaient très satisfaits et proposèrent de se joindre à eux pour cette grande Fête. Cette année, il allait pleuvoir suite à la Fête de la Pluie.


C'était comme dans un rêve. Ojiakw-A'nihlea' et Ithaqua posait sur Edmund Valley un regard bienveillant. L'air était frais. Les réserves d'eau seraient abondante. On ne manquerait de rien avant longtemps, c'était sûr. C'était un rêve qui devenait réalité. La température avait chuté mais cela ne dérangeait personne, au contraire. Puis la terre trembla à nouveau. On s'attendait à voir apparaître de nouveau jardin. Ce ne fut pas le cas. À la place, ce fut une véritable citadelle qui sortit du désert. Ses murailles étaient très hautes. Et quand ses portes s'ouvrirent, ce fut pour laisser passer une délégation d'hommes à tête de serpent ! Des hommes-serpents ! Ils furent accueillis par le « sage à deux têtes » et l'homme à six bras qui leur parlèrent dans leur langue mais les hommes-serpents connaissaient la langue des hommes. Ils furent conduit jusqu'au centre d'Edmund Valley et présentés aux villageois. Ils se serrèrent la main. Ils venaient en paix. Une nouvelle ère commençait ?


Les hommes-serpents avaient leur propre dieu, Yg. Mais ils connaissaient et respectaient ls autres dieux comme Ojiakw-A'nihlea' et Ithaqua. Tous ensemble, ils allaient rendre à cette région sa gloire d'antan. Les hommes-serpents étaient des sortes de scientifiques. Ils montrèrent aux villageois comment ils savaient fabriquer des créatures à partir d'eau et de boue. Ils en fabriquèrent une dont les cris ressemblaient au bruit des vagues. Et là où elle passaient, elle laissait de vastes étendues d'eau. C'était un rêve qui devenait réalité. La Procession leur avait rendu le culte de leurs ancêtres. Ils avaient réappris à rêver et leurs rêves devenaient réalité. Ils ne manqueraient plus d'eau, ni d'électricité. Ils ne manqueraient plus de nourriture. Avec ces hommes-serpents et tous ces gens qu'ils côtoyaient en rêve, ils n'étaient plus seuls, si isolés à Edmund Valley. Avec cette flûte, le petit garçon pouvait faire pleuvoir quand ils en auraient besoin. Ojiakw-A'nihlea' et Ithaqua étaient des bénédictions !


Cette nuit, tous les habitants d'Edmund Valley rêvèrent d'une forêt. Il y avait, dans cette forêt, de l'eau, des fleurs, la promesse de folles aventures. Mais, ils se sentaient observés. Prudemment, ils avancèrent. Puis, sortant de l'ombre, un homme vint à eux. Il dit s'appeler NoAnde. Il dit qu'ils étaient là dans la forêt de Millevaux, le domaine de la Chèvre Noire. Il dit qu'autrefois il avait été à la tête d'une armée de rêveurs au service d'Ojiakw-A'nihlea'. Son dieu était fier de lui, d'ailleurs, il lui avait offert cette couronne, l'« Armée de la Foi ». Mais son clan avait été décimé. Alors, aujourd'hui, il leur remettait à eux cette couronne, l'« Armée de la Foi », avec pour mission de s'en servir pour rêver et accroître le royaume onirique d'Ojiakw-A'nihlea'.

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