THE IMPENDING DOOM


Ce mois de mai restera bizarre pour moi car... c'est le mois où je suis mort.

C'était le 18, pour être précis. Je me suis réveillé et j'avais rêvé que j'étais mort. Mais pas que...


Je m'appelle Herman Morning. J'ai 46 ans. Je vis à Atlanta. Je suis le comptable attitré d'un ensemble d'exploitation agricole. Ce n'est pas un boulot de rêve mais... je rêve quand même. Quand on a un job comme le mien, s'évader est une nécessité. Psychologiquement, c'est vital. Je pourrais, comme beaucoup de mes collègues, me contenter d'une vie insipide alternant métro-boulot-jeux vidéos/séries télés-dodo. Je pourrais me soûler un soir sur deux, de venir accroc à la coke ou n'importe quel autre stupéfiant. Je pourrais faire une dépression, un burn-out. Je pourrais développer un ulcère. Je pourrais être victime d'un AVC. Je préfère rêver.

Je n'ai pas besoin de drogue. Ce n'est pas le signe d'une psychose, d'un début de schizophrénie ou je ne sais quelle pathologie mentale. Je rêve mais pas comme tout le monde. Je voyage dans mes rêves. Je vois d'autres mondes. Je visite d'antiques cités hyperboréennes. J'accède a des savoirs perdus et, pour certains, interdits. Ce qui me distingue d'un malade mental ? Le malade croit dans son délire. Moi, je sais que ce que je vis est vrai. D'ailleurs, j'ai des techniques pour rêver ainsi. En vérité, c'est presque scientifique. Tout le monde pourrait en faire autant s'il s'en donnait les moyens.

Bref, je rêve !

Mais le problème, c'est que la nuit dernière j'ai rêvé ma mort et c'était un peu trop réaliste pour que cela ne soit pas inquiétant.

Je suis mort noyé, dans une bassine en plastique. J'étais attaché à une chaise. On m'a plongé la tête dans une bassine pleine d'eau et on m'y a laissé un peu trop longtemps. Je ne sais pas qui m'a tué. Ils ne se sont pas présentés. Mais je sais ce qu'ils voulaient savoir. Ils voulaient savoir ce que je savais au sujet de Paul Singer et Ojiakw-A'nihlea'. En vérité, ces deux noms suffisaient à provoquer la panique dans le milieu des rêveurs (oui, il y a un milieu des rêveurs). Mais, toujours en vérité, j'avais commencé à paniquer plus tôt dans la journée. Enfin, dans le rêve de ma journée. Et ce matin, dès mon réveil, je panique.

Ces types sont des membres de l'organisation de Paul Singer, une bande de rêveurs cinglés qui violent les rêves des autres et les rendent fous. Et tout ça, en l'honneur de leur dieu : Ojiakw-A'nihlea'. Pour ce que j'en sais, Ojiakw-A'nihlea' est un dieu extérieur plutôt mineur. Il est à la tête d'un royaume onirique qui s'accroît sans cesse en y ajoutant les rêves de ses victimes. Leurs rêves deviennent une nouvelle province de son royaume. Et les rêveurs perdent la raison. C'est ce qu'on raconte en tout cas.

Dans mon rêve, mon début de journée se passait normalement. Mais, je ne le savais pas encore, j'étais suivi depuis mon départ de la maison. C'est à la pause-déjeuner que je m'en suis rendu compte, quand je me suis assis dans le parc pour déguster mon hot-dog hebdomadaire. Une fois par semaine, je m'offre un hot-dog. Je demande à ce qu'on remplace la moutarde par de la sauce BBQ. Dans mon rêve, je remarquais bien ces men in black mais ne réalisait pas qu'ils étaient là pour moi. En fait, il m'a fallu un petit moment pour comprendre que c'était bien moi qu'ils suivaient. Ils ne se donnaient même pas la peine d'être discret. N'ayant rien à me reprocher, je m'arrêtais et me retournais pour leur faire face en souriant. J'étais sincèrement prêt à répondre à leurs questions. Je pensais qu'ils s'agissait d'agents fédéraux et il devait forcément y avoir une erreur puisque... je n'ai rien à me reprocher.

Ils ne souriaient pas. Il n'y avait pas d'erreur. C'était bien après moi qu'ils en avaient. Ce n'était pas des fédéraux.

Je ne sais pas comment ils s'y sont pris mais c'était très bien fait. L'un d'entre eux m'a bousculé, comme par inadvertance et entraîné à sa suite. Un autre nous a rejoint et j'ai été conduit vers un véhicule aussi noir que leur costume. J'étais tellement surpris que je n'ai même pas pensé à poser de question, ni à crier. Et on m'a fait rentrer de force dans cette voiture. Là, sans ménagement, on m'a recouvert le visage d'une cagoule et on a roulé un bon moment. J'ai reçu quelques coups sur la tête et j'ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillé, j'étais attaché à cette chaise, face à quatre men in black qui voulaient savoir ce que je savais sur Paul Singer et Ojiakw-A'nihlea'. Je ne savais pas grand chose, juste ce que tout le monde en savait. Et cela ne leur suffisait pas. On m'a plongé la tête plusieurs fois dans la bassine d'eau. Et on a fini par me la plonger la fois de trop.

Je suis mort.

Et je me suis réveillé.

Et maintenant, je fais quoi ?


Je prends mon petit-déjeuner et je réfléchis. Ce rêve était trop bizarre pour que je ne le prenne pas au sérieux. Alors, en allant au travail, je regardais autour de moi, si j'étais vraiment suivi. Et c'était le cas. Alors, aussi discrètement que possible, je m'arrêtais une station avant celle du travail et... passais un coup de fil expliquant que je me sentais mal et blablabla. Je ne fis pas demi-tour pour autant. Il fallait que je trouve un endroit où me planquer. Heureusement, j'avais quelques amis partageant mes « centres d'intérêts ». Parmi eux, je pensais pouvoir compter sur l'aide de Lewis Sangre. Il n'était pas spécialement un rêveur mais il s'y connaissait. Et surtout, je savais qu'il était au courant des agissements de Paul Singer et de l'existence d'Ojiakw-A'nihlea'. Dans mon rêve, c'était à midi que les men in black me tombaient dessus. Je fis donc en sorte d'arriver chez Lewis un peu plus tôt.

Il n'était pas chez lui. Je l'appelais et il me dit qu'il avait un rendez-vous à la bibliothèque, pas très loin de mon travail justement. Je n'avais qu'à le rejoindre, il m'attendrait. J'acceptais un peu à contre-cœur car j'aurais préféré rester éloigné de mon lieu de travail et du parc. Quand je le vis, Lewis souriait mais j'avais quand même l'impression que quelque chose n'allait pas. Il m'expliqua que son rendez-vous ne s'était pas passé tout à fait comme prévu. Pas de mauvaise nouvelle mais pas de bonne non plus. Préoccupé par mon proche décès, je ne lui posais pas plus de questions et lui expliquais mon problème. Évidemment, il réagit en entendant les noms de Paul Singer et Ojiakw-A'nihlea'. Pour lui, tout ça était très sérieux et cela concernait justement son entrevue avec l'employé de la bibliothèque. Lewis avait entendu parlé d'un exemplaire de ce qui semblait justement être tout ou partie de la mémoire d'Ojiakw-A'nihlea'. Il avait un peu naïvement espéré que la bibliothèque en aurait un exemplaire dans un de ses « fonds secrets » mais... un tel texte est en réalité tellement secret que... évidemment, l'employé de la bibliothèque fut contraint de lui dire qu'il faisait fausse route et que ce ne serait certainement pas dans un établissement public qu'il trouverait un tel ouvrage. Pour autant, il lui confirmait la rumeur de l'existence de ces mémoires.

Lewis me confirma ce que tout le monde savait dans le petit monde des rêveurs. C'était une véritable épidémie de folie et il s'avérait que c'était bien le fruit des activités que menait le groupe de Paul Singer, au nom d'Ojiakw-A'nihlea'. Et Lewis Sangre se montrait finalement beaucoup plus pragmatique que je ne le pensais... et beaucoup plus que moi ! En effet, il avait décidé de prendre les devants. Érudit, certes, mais pourtant loin d'être un rêveur chevronné, il s'était mis en tête de mettre un terme à cette vague de folie. Il entendait en finir avec les rêves de conquêtes de Paul Singer et son dieu. Il avait donc commencé à rassembler de la documentation. Il lui fallait toutefois passer à la vitesse supérieur et commencer à penser aux « choses sérieuses ».

J'étais bien conscient maintenant que les men in black qui m'avaient tué dans mon rêve étaient au service de Paul Singer. Je ne comprenais pas trop pourquoi ils s'en étaient pris à moi alors que, manifestement, Lewis Sangre constituait un danger nettement plus concret. Mais, et je n'osais pas lui poser la question car je ne voulais pas lui en suggérer l'idée, et si Lewis avait pensé à moi pour mener sa croisade dans le rêve. Après tout, nous nous connaissions et j'étais un bien meilleur rêveur que lui. Pour peu qu'il en ait eu l'idée et en ait parlé à la mauvaise personne... C'était possible mais je ne voulais pas le savoir. Je ne voulais pas, évidemment, qu'Ojiakw-A'nihlea' règne en maître absolu sur les territoires oniriques. Je ne voulais pas finir dans un hôpital psychiatrique après qu'un des rêveurs de Paul Singer ne m'ait volé mes rêves pour les offrir à Ojiakw-A'nihlea'. Mais je ne voulais pas finir noyé dans une bassine. Je voulais être utile mais je voulais rester vivant et en bonne santé. Alors, je me creusais la tête et finis par trouver quelque chose.

Ce quelque chose était en réalité un quelqu'un. Lewis Sangre avait-il entendu parler du Patient 13 ? Non ! Je lui racontais alors tout ce que j'avais pu entendre au sujet de ce rêveur légendaire et, notamment, de cet étrange lieu onirique où on le disait retenu. À ce moment là, on en était pas certain mais déjà courrait la rumeur comme quoi il avait été victime de Paul Singer. Toutefois, en raison de ses capacités de rêveurs hors normes, non seulement son corps s'était retrouvé dans un hôpital psychiatrique, mais son âme également... dans un autre établissement onirique. Lewis vit tout de suite où je voulais en venir et vit dans la Patient 13 et bien meilleur croisé que moi pour sa guerre. Finalement, c'était une bonne journée conclut-il. De mon côté, un peu honteux de ma lâcheté, je lui promis tout de même de l'aider à trouver le Patient 13 dont, pour l'heure, nous ignorions la véritable identité.

Et là, j'ai manqué de discernement.

Nous nous quittâmes avec Lewis et je traversais le parc. L'heure de la pause-déjeuner était passé mais, par réflexe, je m'arrêtais au stand de hot-dog. Je m'assis sur un banc prêt à déguster mon en-cas quand je les vis. Je me mis à courir mais... pas assez vite.


Et, comme dans mon rêve, je finis dans cette voiture avec une cagoule sur la tête. Je pris quelques coups et perdis connaissance. Je me réveillé, ligoté. Il y avait quatre types en costume et une bassine pleine d'eau. Une différence majeure d'avec mon rêve, c'est que là, je savais vraiment quelque chose. Je savais que Lewis Sangre préparait quelque chose contre eux et je savais qu'il allait très bientôt partir à la recherche du Patient 13.

Dans mon rêve, j'étais mort sans rien leur révéler. Et là, qu'est-ce qui allait se passer ? Est-ce que j'allais encore mourir sans rien dire ? Allaient-ils me tuer après ou avant que j'ai parlé ? Est-ce que j'allais réussir à m'en sortir vivant ?

Je serrais les dents et réussis à encaisser les premiers coups sans rien dire. Du moins, sans rien dire qui ne mette Lewis Sangre en danger. Mais est-ce que je tiendrais longtemps ? Devais-je me résoudre à mourir pour protéger Lewis ou pouvais-je tenter de m'enfuir malgré tout ? J'avais l'impression que c'était complètement débile puisqu'ils étaient quatre et que j'étais seul. Pourtant, je tirais sur mes liens et... Je réussis à me détacher !

Je me levais et fonçais vers la porte. Cela les prit par surprise et je gagnais ainsi quelques instants. Juste quelques instants... pas vraiment assez pour... ne pas me retrouver de nouveau ligoté et, en plus, le nez en sang. Je serrais les dents, celles qui n'étaient pas cassées. J'en étais sûr, j'allais crever ici. Au moins, je pouvais essayer de ne rien dire mais... j'avoue, j'ai craqué.

Et j'ai fini la tête dans la bassine...

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