THE HUNT & THE HUNTED

Mon nom est Damien, mais dans le cadre de mes petits jeux de rôle en solo je m'appelle le plus souvent Demian ou Damon (j'ai toute une série de noms que je tire au dé). J'habite à Nantes. Enfin, j'habitais car depuis que Siebert a (d)écrit dans une de ses nouvelles comment il avait pris le car pour aller à Mertvecgorod, j'ai fait pareil. J'ai donc pris moi aussi un car imaginaire pour la capitale de la RIM. Je ne sais pas trop ce que ou qui j'espérais y trouver. Peut-être un de ces personnages que j'ai joué dans cette ville ans le cadre d'autres jeux. Peut-être Siebert lui-même. En attendant, je n'ai rencontré personne. Je suis seul dans ce studio crasseux avec vue sur la Zona. Ce studio m'est plus que familier car bon nombre de mes personnages y ont déjà séjourné. Je regarde la Zona et, pour avoir lu Images de la Fin du Monde, je sais déjà ce qui va y arriver d'ici cinq ans. Je tiens quand même à préciser que, malgré la pollution qui règne ici, je ne me suis pas résolu à me mettre à fumer ces horribles petits cigares aromatisés. Je conserve ainsi l'illusion que mes poumons sont sains.
Mais mes poumons sont peut-être le seul organe à être resté sain. Ou plutôt, si mes organes sont sains, mon esprit montre des signes de faiblesse. Je me sens « engourdi ». Elle semble loin l'époque où j'entreprenais une certaine effervescence et curiosité intellectuelle en lisant un peu de tout en la quantité la plus industrielle possible. Là, ça fait une dizaine de mois que je n'ai pas ouvert un livre. Les revues sur les potins de stars ne comptent pas. En plus, ne lisant pas le russe, je ne comprends rien, je ne regarde que les photos de stars locales que je ne connais pas.
Je passe mon temps à la fenêtre de mon studio crasseux. Je scrute la Zona espérant y voir quelque chose qui sorte de l'ordinaire. Ces apparitions fantomatiques dont parle la rumeur et dont Siebert s'est fait l'écho dans son livre. Des Cafards géants car, j'en suis sûr, la Zona est un Portail vers leur royaume. Et, j'en suis sûr aussi, ces saloperies me traquent. Je ne sais pas pourquoi mais... les Cafards géants sont après moi. Je précise tout de même que je ne me suis pas installé à Mertvecgorod pour fuir les Cafards ou me confronter à eux. Je n'ai fui qu'une réalité et une société qui partent en sucette ou plus rien n'a de sens et où les gens foncent dans le mur en toute connaissance de cause, en riant. On vit à une époque où il faut « vivre à cent à l'heure », quand bien même on fonce droit dans le mur. Plutôt le crash et la fin du monde que de se poser cinq minutes pour réfléchir un peu et changer de direction. Voilà, en gros, les pensées qui m'animent quand je scrute la décharge géante. Des fois, je sors, quand même. Je prends le métro et me rends dans le quartier universitaire car on y parle anglais, et même des fois français, et je comprends un peu ce que les gens racontent. Il y a des rumeurs qui courent. Des étudiants anglais ou américains parlaient l'autre jour d'un excentrique, un certain Herbert Williamington, qui aurait mené des « expériences ». Je n'ai pas tout compris mais ils semblaient parler d'occultisme, d'ésotérisme. Je n'y crois pas mais... j'aime bien.
Alors que je me disais que le seul Herbert W. que j'aimais bien était évidemment Herbert West, les choses ont commencé à « bouger » autour de moi. Je en sais pas pourquoi cette soudaine impulsion mais, en marchant, je me suis arrêté net à côté d'une vieille voiture rouillée garée sur le trottoir. Je me suis senti « forcé » à poser la main sur la poignée. La voiture était fermée et je ne voulais pas ouvrir la portière de toute façon mais... je n'ai pas pu m'empêcher de laisser filer ma main le long de la carrosserie. Ce faisant, je pensais à Ballard. Et comme je pensais à Ballard, les reflets de la lumière sur la carrosserie rouillée ont commencé à s'animer. C'était complètement abstrait, sans aucun lien mais... quand ces images sont arrivées au fond de mon cerveau, c'était pour projeter le film d'accidents de voitures. J'ai enlevé ma main de la voiture et j'ai vu une cannette de soda écrasée. Je l'ai ramassée. J'ai regardé à l'intérieur et j'ai vu... l'espace, le ciel et les étoiles. Des constellations. Et tout ça bougeait.
J'ai lâché la cannette et je suis rentré chez moi. Il était tôt mais je me suis couché. J'ai rêvé. J'ai déjà écrit que je ne rappelle que très rarement de mes rêves mais, quand je joues, je m'en rappelle beaucoup plus souvent et ils sont toujours plus ou moins prémonitoires. Ce sont rarement de bonnes nouvelles. Quand je me suis allongé, tout s'est mis à tourner autour de moi. Ça ressemblait à ce que certains potes m'avaient décrit quand ils se couchaient ivres morts pour la patrie. Moi, ne buvant pas d'alcool, je ne sais pas ce que c'est que de se coucher bourré et de voir tout tourner autour de moi mais je crois que ça doit ressembler à ça. Sauf que... Là, ce n'est pas seulement « tout » qui tournait. Moi aussi, je tournais. Ou plutôt, j'étais tordu. Tout tourner et me retourner, me tordait. L'univers autour de moi était comme essorer par des mains géantes et invisible et moi, pris dans cette grande serviette qu'est le monde, j'étais tordu avec. Et je repensais à cette phrase de Drieu la Rochelle « La vie n'allait pas assez vite en moi, je l'accélère. La courbe mollissait, je la redresse. Je suis un homme. Je suis maître de ma peau, je le prouve. » Sauf que là, je n'étais maître de rien et ne prouvait pas grand chose...
Et comme je me tordais sur mon lit, avec mon lit, je le vis, assis sur une chaise dont j'ignorais l'existence. Le Cafards géant. Sauf qu'il portait un masque... un masque de cochon ! À côté de mon lit, assis sur une chaise dont j'étais sûr qu'elle n'était pas là ce matin, il y avait un Cafard géant avec un masque de cochon ! Il regardait droit devant lui. Il ne me regardait pas. Il ne regardait pas non plus le bloc-notes qu'il tenait dans sa main gauche. Il avait un stylo-bille dans la droite. Il faisait tourner le stylo-bille entre ses doigts et me poser des questions sur mes films et mes livres préférés, ce que j'aimais manger et faire. Et alors, fixant le plafond, je répondais. Et quand il m'a demandé quelle était ma plus grande terreur, je lui ai dit que c'était de mourir noyé. « Bien, bien, bien », il a dit.
Ensuite, j'ai dormi. Mais je ne sais plus si une journée s'est écoulée ou non entre ce rêve étrange et le suivant. En tout cas, le Cafard géant avec le masque de cochon était de nouveau là. Il se battait contre une chose, une lueur, qui tentait de s'approcher de mon lit, de moi. Il la tenait éloignée. Mais la forme lumineuse gagnait du terrain. Ça a été difficile mais j'ai réussi à tourner la tête et j'ai vu le Cafard, tout flou à travers la lueur, agiter un de ses organes tout mou. Et je me suis réveillé...
… et j'étais dans une vaste salle de concert. C'était un groupe de métal russe que je ne connais pas. J'ai pas aimé. Mais il était là, à côté de moi, le Cafard géant. Personne ne semblait le voir. Lui, il me regardait. Je le regardais aussi. J'essayais de voir ses yeux derrière le masque de cochon mais je n'y arrivais pas. Il a posé son doigt sur mon front et l'a bougé comme s'il dessinait quelque chose. J'essayais de deviner de quel motif il s'agissait. Je ne pouvais évidemment être sûr de rien mais... j'étais sûr que c'était ce motif qu'on voir sur la couverture de la Trilogie de la Crasse, leur symbole, le signe des Cafards. Et j'ai eu une nouvelle vision. J'étais de nouveau dans mon lit. Et le Cafard géant était à côté de moi. Il avait ôté son masque de cochon et l'avait posé sur la table de chevet. Moi, j'étais immobile. Je ne pouvais pas bouger. J'étais paralysé. Et le Cafard m'a retourné. Il a planté quelque chose, ses griffes, dans le bas de mon dos et m'a littéralement ouvert en deux ! Et il est entré en moi, m'a enfilé comme un manteau !
À mon réveil, il y avait un petit mot sur la table de chevet, là il avait posé son masque de cochon. C'était un rendez-vous. Je devais y aller. Je ne pouvais ne pas y aller même si je savais que les chances que ça se passe bien étaient infinitésimales. Pourtant, à aucun moment je n'ai songé à m'enfuir, à ne pas y aller. En vérité, ça faisait plusieurs parties ce mois-ci que les Cafards en avaient après moi et, là, j'avais peut-être l'occasion d'en finir. Ce serait une fin pourrie, nul doute, mais... un fin quand même. La fin ne pouvait qu'être pourrie car, pour avoir lu et relu la Trilogie de la Crasse, je savais que les Cafards sont indestructibles. Aussi, même si c'est plutôt facile de se procurer une arme à Mertvecgorod, c'était complètement inutile dans une telle situation. En vrai, j'espérais surtout savoir enfin pourquoi ces insectes me courraient après et j'espérais aussi que ça ne se terminerait pas par une enfilade sanglante.
J'avais rendez-vous au dernier sous-sol du parking d'un centre commercial. Le cafard avait envisagé les choses d'un point de vue assez pratique et m'avait convoqué durant les heures d'ouvertures. Sur les lieux, je vis qu'une porte de service était maintenue ouverte par un seau rempli d'eau sale. Un escalier en colimaçon descendait. Je descendais aussi. Chaque marche grinçait et donnait l'impression que tout allait se péter d'un instant à l'autre. Mais non. J'arrivais en bas sain et sauf.
C'était une grande salle, une caverne, un truc complètement improbable en un tel endroit. Le Cafard était là, juché sur un espèce de trône. Et de chaque côté, bien rangé, des gens, immobiles. Ces gens, je les connaissais bien. C'était pour la plupart des personnages récurrents de mes parties de jeux de rôles en solo. Il y avait Damon Haze, Tad Corso, Hatecroft... mais aussi Eagle Stokes, Random Connect ou encore le Morning Man. Et il y en avait d'autres que je n'avais pas encore joué comme le Cannibale ou Les Machines Absurdes. Aurais-je seulement l'occasion de les jouer ces deux là ?
Le Cafard ne dit pas un moment fait fit un large geste du bras m'invitant à prendre place parmi mes personnages. Et je crus comprendre... Tous ces personnages étaient comme des costumes que j'enfilais pour jouer et lui, le Cafard, semblait vouloir s'attribuer cette, ma, garde-robe. Je crois qu'il s'était mis en tête de prendre ma place pour pouvoir « enfiler » mes personnages et vivre à son tour leurs aventures. Et je crois qu'il voulait aussi m'enfiler moi pour vivre mes aventures après avoir endosser (je préfère ce mot à enfiler finalement) le rôle d'un de mes personnages. Alors, dans le personnage, il y aurait moi et dans moi il y aurait désormais un Cafard ? Je deviendrais un costume parmi les autres, un personnage parmi les autres ?
Merde ! En vrai, je n'avais là rien pour m'opposer à lui. Il m'« invitait » mais je n'avais pas vraiment l'opportunité ni les moyens de dire non. Est-ce que ça voulait dire qu'à partir de maintenant, quoi que je joues, il y aurait un Cafard géant derrière, aux manettes ? Est-ce que je me rendrais compte de quelque chose ou serait-il plutôt « discret » ? Est-ce qu'il allait m'enfiler de la manière dégueulasse décrite par Siebert ?
En vérité, s'il y a vraiment un moyen de me sortir des pattes de ce cafard, je ne le trouverais que dans une prochaine partie...

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