THE ARTEFACT


I. NEWLY FORGED


La Soie de Demian a été tissé il y a fort longtemps par un mage nommé Thanatrauma. C'est une sorte de cagoule sans ouverture permettant de « faciliter » l'accès aux mondes « intérieurs », aux dimensions oniriques et autres univers parallèles... au moins en pensées. La Soie permet d'avoir des visions de ces mondes. Elle ne possède aucune ouverture pour les yeux, la bouche ou le nez. Celui qui la porte est aveugle à ce qui l'entoure dans le monde de l'éveil. Elle augmente également les « pouvoirs » liés à l'exploration de ces mondes « intérieurs ».

Quand elle n'est pas portée, la Soie de Demian est un carrée de tissus d'environ 50cm de côté. Elle est de couleur blanche mais se pare à l'occasion de reflets allant du bleu turquoise au vert pâle. Dans l'obscurité, la Soie émet un léger halo. Elle est anormalement froide au toucher. Et surtout, en sa présence, les gens ont tendance à cesser de parler.


A l'origine et avant même d'être un mage, celui qui se faisait appeler Thanatrauma était un farouche opposant au règne du tyran hyperboréen Rouges Ténèbres. Thanatrauma, après que le tyran a fait massacrer tout ceux de son clan et de son village par pur caprice, s'est juré de se venger. Il a ainsi commencé à fréquenter des groupuscules d'opposants mais les a rapidement trouvés trop timorés. Il s'est alors plongé dans l'étude de textes anciens et y a découvert l'existence d'autres alliés. Ainsi, il est entré au service d'Ojiakw-A'nihlea', un dieu extérieur qui commença par lui donner le pouvoir de corrompre les graisses humaines. Ainsi, alors qu'une vie d'excès avait changé la physionomie du tyran, Thanatrauma parvint à mettre un terme à son règne en agissant sur l'épaisse couche de gras qui s'était accumulée sous sa peau au fil des ans.

Thanatrauma ne se fit pas prier pour prendre la place de Rouges Ténèbres et instaura une théocratie en l'honneur d'Ojiakw-A'nihlea'. Mais le dieu avait ses exigences et son joug commença à peser que les épaules d'un peuple qui se croyait libéré et avait de plus en plus l'impression d'être soumis à un nouveau tyran. De son côté, Thanatrauma négligeait de plus en plus ses fonctions politiques pour se concentrer sur les aspects religieux et rituels du culte rendu à Ojiakw-A'nihlea'. Il se fit constituer une importante bibliothèque consacrée aux cultes les plus « exotiques » et s'initia à des mystères toujours plus sombres, toujours en l'honneur d'Ojiakw-A'nihlea'. Là, il trouva trouva l'inspiration et les moyens de tisser la Soie de Demian. Il espérait pouvoir offrir ces nouveaux territoires oniriques à conquérir à son dieu.

Ainsi, Thanatrauma passait de plus en plus de temps à explorer les territoires oniriques. Il affinait ses pouvoirs de rêveur et altérait, transformait et soumettait les rêves de ses victimes qu'il offrait à Ojiakw-A'nihlea' qui gagnait ainsi en puissance. Puis, un jour, Thanatrauma se retrouva dans le rêve d'un homme-serpent. Ce dernier avait des rêves de grandeurs. Il rêvait d'envahir le royaume de Thanatrauma. Alors, le mage usa de la Soie de Demian à la fois pour soumettre son ennemi à venir et offrir son monde intérieur à Ojiakw-A'nihlea'. Mais les hommes-serpents, des mages eux aussi, comprirent ce qu'on avait fait à l'un des leurs et voulaient se venger. Or, cela, Thanatrauma n'en avait pas conscience. Et de plus, la colère du peuple allait grandissante, au sein même des membres du culte officiel d'Ojiakw-A'nihlea' qui toléraient de moins en moins ces sacrifices oniriques qui rendaient leurs victimes folles à lier. Aussi, quand l'armée des hommes-serpents se présenta aux portes du royaume, elle fut acclamée par une grande partie du peuple qui vit là une occasion de se libérer du joug de Thanatrauma et Ojiakw-A'nihlea'.

La Soie de Demian demeura très circonspecte face à ces remous. Elle ne comprenait rien à la politique. Elle était occupée à prendre conscience d'elle-même car il lui restait quelque chose de chacun de ses voyages en terre onirique, un fragment des rêves de ceux que Thanatrauma soumettait. Et de l'addition de ces fragments était née une sorte de personnalité composite ayant une perception de sa propre existence, de sa propre identité.

Étrangement, les hommes-serpents ne prêtèrent aucune attention particulière à la Soie de Demian qu'ils considérèrent comme une pièce de tissus précieux au même titre que bien d'autres qui garnissaient le palais et les temples du royaume. Aussi, la Soie demeura inusitée durant longtemps et perdit son éclat, ses reflets vert et bleu.

Les années passèrent. Les hommes-serpents se montraient finalement moins cruels que leurs prédécesseurs malgré les ponctions qu'ils opéraient au sein de la population afin de mener leurs expériences et satisfaire leur curiosité scientifique.

Et dix ans plus tard...


Hessehazen est un jeune noble appartenant une vieille famille aristocrate serpentine. Certains de ses membres les plus anciens n'ont même pas une forme humanoïde. Ils ne sont que des serpents géants au visage vaguement humain. D'autres, s'ils possèdent le haut du corps d'un homme, ne possèdent pas de jambes et rampent grâce une queue à la fois souple et musclée. Hessehazen n'est pas de ceux-là. Il a une silhouette entièrement humaine. Ses traits serpentins se limitent à sa peau écailleuse d'un blanc éclatant parsemée de quelques écailles noires. Il n'a évidemment aucune pilosité. Ses yeux sont ceux d'un reptile et sa langue est bifide. Sinon, il se tient sur deux jambes et possède deux bras. Encore considéré comme un adolescent, il ne prend pas encore part aux grands débats concernant la vie et le destin du peuple serpent en général et de sa famille en particulier. Il n'ignore pas l'existence d'intrigues mais, pour l'instant en tout cas, il n'y joue aucun rôle et n'est pas pressé de le faire. En vérité, Hessehazen est un garçon plutôt rêveur. Il passe beaucoup de temps à lire les récits de ses ancêtres, des sorciers, mais ne les voit que comme des sortes de fictions. Il étudie l'alchimie et expérimente mais il éprouve un sentiment de manque. Cela, bien qu'intéressant, ne lui « parle » pas. Il veut de l'aventure. Il veut du rêve. Et le rêve, il le trouve le jour où, errant dans les couloirs de l'ancien palais de Thanatrauma, il ressent quelque chose de particulier pour cette banale (?) pièce de tissus pourtant si froide au toucher. Il faisait chaud ce jour là et, bien qu'aimant la chaleur, Hessehazen s'en recouvrit le visage pour se rafraîchir. Et il rêva...

Le jeune homme-serpent eut une vision fragmentaire et kaléidoscopique de tous les royaumes que la Soie de Demian avait traversé et conquis au nom d'Ojiakw-A'nihlea'. Ce n'était pas la volonté de la Soie mais, avide d'aventures et initié aux secrets de l'alchimie et de la magie, Hessehazen comprit ce que ce bout de tissus lui offrait, pour peu qu'il accepte à son tour d'offrir les territoires oniriques qu'il visiterait à Ojiakw-A'nihlea'.

Non seulement Hessehazen offrit des rêves à son nouveau dieu, mais il usa des connaissances de ses ancêtres pour broder sur la Soie de Demian des symboles ésotériques accroissant sa puissance et sa portée. Il se faisait fort, avec le temps et l'expérience, d'aller toujours plus loin dans les rêves et les cauchemars, pour la plus grande joie d'Ojiakw-A'nihlea' qui lui avait fait un si beau cadeau.

Et à mesure de ces voyages, de ces conquêtes, la « personnalité » de la Soie de Demian gagnait elle aussi en consistance. Pour autant, consciente que tous ces rêveurs dont les terres étaient pillées sombrer dans la folie, elle ne se fit pas « connaître » d'Hessehazen, restant un simple « outil », le complice involontaire de ces massacres oniriques. Mais, pourtant, la Soie prenait non seulement conscience d'elle-même mais également de ce que, envahissant les rêve d'autrui, il était fort probable qu'elle fut elle aussi le produit du rêve d'un autre... qu'un autre pourrait envahir. Un rêve dans un rêve dans un rêve... Etait-il possible qu'un rêveur se retourne non seulement contre l'envahisseur mais contre celui-là même qui le rêvait ? Qui avait rêvé la Soie et son monde ? Le domaine de ce rêveur pouvait-il être envahi par Hessehazen au nom d'Ojiakw-A'nihlea'. Que se passerait-il dans une telle situation ? La Soie de Demian l'ignorait et préféra garder le silence. Que le jeune homme-serpent ne la prenne que pour un bout de tissu magique dénué de personnalité et encore moins capable de communiquer.

Parallèlement, des bruits se mirent à courir concernant les activités d'Hessehazen. On ne lui reprochait pas tant ses expérimentations que son allégeance à Ojiakw-A'nihlea'. Il devait rendre des comptes et, surtout, se vouer au culte ancestral de Yg avec plus de ferveur. Hessehaezen ne s'en rendait pas compte mais son comportement peu religieux, ou plutôt dirigé vers la « mauvaise » divinité, commençait à causer du tort à sa famille. On tenta de lui faire comprendre à demi-mots qu'il devait changer d'attitude mais, sous l'empire total d'Ojiakw-A'nihlea', il ne prit pas la mesure de l'avertissement. Au bout d'un moment, la situation devint si compliquée pour ses aînés qu'ils durent sévir.

Hessehazen ne le comprit que trop tard et chercha à fuir le courroux de ses ancêtres en se réfugiant... dans le rêve. Ainsi, on le trouva dans un coma dont il ne ressortir jamais, son esprit à jamais en fuite, allant de rêve en rêve et y répandant la parole d'Ojiakw-A'nihlea'.

Ceux qui le trouvèrent ramassèrent ce bout de tissus qui semblait si précieux aux yeux d'Hessehazen mais, conscients qu'il ne pouvait s'agir d'un « banal » voile, refusèrent d'y consacrer plus d'attention, y voyant l'origine de la triste situation du jeune homme-serpent. Ainsi, la Soie de Demian fut-elle remisée parmi d'autres artefacts oubliés.


Puis, un an plus tard...


II. A TIME OF GLORY


Le Papillon était appelé ainsi en raison de son agilité ,de sa dextérité et de sa grâce dans son art de la cambriole. Il parvenait à s'introduire à peu près partout où il le souhaitait, partout où il y avait quelque chose de valeur à dérober. Avec le temps, le Papillon avait a tête d'une bande de cambrioleurs auxquels il avait transmis une partie de son savoir. Ils vivaient de leur rapine dans leur repaire, cachés dans le désert hyperboréen. À l'abri du besoin, le Papillon était toujours la proie du désir. Désir d'acquérir, de voler, de nouvelles choses, de nouvelles connaissances. Sa faim était impossible à satisfaire. Il ne craignait plus de manquer de nourritures terrestres, il se mit alors à la recherche d'autres saveurs plus ésotériques. Ainsi, par goût du risque autant que pour montrer à ses sujets qu'il était toujours le meilleur, le Papillon s'introduit lui-même dans ce palais des hommes serpents, là où il savait trouver quelques grimoires et autres artefacts qui étancheraient provisoirement sa curiosité. Il emporta plusieurs ouvrages et parchemins. Il ne put s'empêcher de mettre la main sur cette pièce de tissus si froide au toucher.

Le Papillon, comme à son habitude, s'enferma dans son palais du désert et se mit à étudier les textes qu'il avait dérobé aux hommes-serpents. Mais il examina également de près cet étrange bout d'étoffe. Une « voix » lui suggéra que, par une telle chaleur, cette étrange fraîcheur pourrait lui faire du bien. Aussi, le Papillon recouvrit son visage du voile et se mit à rêver. La Soie de Demian ne lui parla pas directement mais le Papillon saisit une partie de son message concernant la nature de son être et du dieu qui avait présidé à sa création. La Soie de Demian lui permettrait de rêver et s'il faisait don de ces territoires oniriques à Ojiakw-A'nihlea', ce dernier saurait le récompenser.

Cette « proposition » fit écho à certaines notes manuscrites qu'il avait trouvé parmi les textes dérobés aux hommes-serpents. Et le Papillon se dit qu'il pouvait faire d'une pierre deux coups en se servant des informations qu'il trouverait dans les rêves de ses victimes pour se livrer à de nouveaux cambriolages audacieux. Et peu à peu, le Papillon convertit sa troupe de bandits au culte d'Ojiakw-A'nihlea'.

Mais Hessehazen n'avait pas accepté qu'on lui a dérobé le Soie de Demian. Le Papillon ne le savait pas mais le jeune homme-serpent avait lancé des gardes à ses trousses et ils avaient finalement retrouvé sa trace. Il était dérisoire d'entreprendre le siège de la forteresse du Papillon. Alors, Hessehazen décida de l'attaquer de l'« intérieur ». Certes, il ne possédait plus la Soie de Demian mais il restait un rêveur averti. Pourtant, cela ne suffit pas. Bien que novice dans l'art du rêve, le Papillon, grâce à la Soie, l'emporta sur l'homme-serpent.

Par la suite, la Soie de Demian s'ouvrit un peu plus au Papillon et lui expliqua comment devenir un meilleur rêveur, un rêveur plus efficace. Elle entreprit de lui enseigner les arcanes du voyage onirique, l'art de se voler de rêve en rêve et de les transformer à sa guise. La Soie de Demian demeurait un artefact destiné à accroître l'influence d'Ojiakw-A'nihlea'. Toutefois, elle ne devait rien à Hessehazen qui avait fait son temps. Aujourd'hui, le Papillon serait un meilleur serviteur.

Mais le Papillon finit par mourir. À ce moment, nul ne savait dire si son âme avait rejoint le monde des morts ou s'était échappé dans le rêve. Quoi qu'il en soit, le Papillon avait bien gardé le secret des pouvoirs de la Soie de Demian et si ses sujets ont, quelques temps au moins, perpétué le culte d'Ojiakw-A'nihlea', aucun n'a pensé ou juger utile de recouvrir son visage de la Soie de Demian et rêver. Ou alors, ils le savaient mais... avaient peur...


Puis, le dernier des bandits qui avait personnellement connu le Papillon mourut à son tour. Il n'y avait maintenant plus personne pour se souvenir de la valeur et l'utilité de ce carré de soie qui fut oublier pendant des siècles.


Rien n'était venu troubler le silence si caractéristique qui entourait depuis toujours l'usage de la Soie de Demian. Rien, aucun son, aucune parole, ne devait risquer de réveiller le rêveur. Mais, en l'absence de « porteur », la Soie de Demian se rendit compte que si elle n'avait pas perdu cette étrange conscience d'elle-même qu'elle avait développé, elle avait par contre perdu la capacité à communiquer ses idées, ses conseils à autrui. Tout ce qu'elle pouvait enseigner à un rêveur restait accessible mais elle ne pouvait plus « aiguiller » ce dernier par ses visions. C'était maintenant au rêveur de trouver son chemin parmi tous les royaumes oniriques qui avaient été soumis et offert à Ojiakw-A'nihlea'.

La tristesse de la Soie de Demian s'en vit accru. Elle devint encore plus froide, au point qu'un contact prolongé recouvrait de givre la peau de celui qui la touchait. Mais la Soie de Demian mit malgré tout ces siècles sans nouveaux rêves à contribution pour étudier les anciens, ceux qu'elle ne pouvait pas oublier. Et il lui apparut que si la plupart n'étaient que des fantasmes, certains d'entre eux étaient des visions, des visions de royaumes à venir... Et ces mondes avaient été offert en pature à Ojiakw-A'nihlea' ! Cela était tout autant rassurant qu'inquiétant car cela signifiait que la conquête et le culte d'Ojiakw-A'nihlea' se poursuivrait après le grand cataclysme qui enterrerait les royaumes de l'Hyperborée.


Mais avant cela, bien que plusieurs siècles passèrent...


III. THE RUINATION


Des siècles... cela a-t-il une quelconque signification pour le rêveur Paul Singer ? Paul Singer n'est pas citoyen d'un royaume d'Hyperborée. La cité qui le verra naître ne sortira de terres que bien des siècles et des millénaires après la chute des royaumes et cités qui furent ceux de Thanatrauma, Hessehazen et du Papillon. Mais, comme eux, Paul Singer était un rêveur et un rêveur puissant. Dans sa cité du XXIè siècle, il était à la tête d'une armée de rêveurs qui, comme lui, voyageaient de rêves en rêves en quête d'aventures et de connaissances. Et dans les rêves de leurs contemporains, ils avaient vu des royaumes qui, d'après les livres d'histoire, n'avaient jamais existé. Et pourtant, ces rêveurs dont ils violaient les rêves les avaient vu... en rêve...

Et ce fut dans l'un de ces rêves que Paul Singer découvrit l'existence de la Soie de Demian. Il comprit en quoi elle pouvait l'aider à accroître ses connaissances et ses pouvoirs de rêveurs. Aussi, il devait se l'approprier. Usant de drogues et de prières à des dieux interdits, il voyagea de rêves en rêves jusqu'à la forteresse oubliée du Papillon. Et là, comme dans un rêve, il s'empara de la Soie de Demian que tout le monde avait oublié. Il la rapporta et la cacha dans un de ses propres royaumes oniriques. Et, en rêve, il s'y rendait pour se recouvrir le visage de l'étoffe glacée et plonger encore ans d'autres strates du rêves, plus obscures... celles où régnait Ojiakw-A'nihlea'. A l'aide de la Soie de Demian et désormais sous l'autorité corruptrice d'Ojiakw-A'nihlea', Paul Singer et les membres de sa société secrète s'emparèrent de toujours plus de terres oniriques, accroissant le pouvoir d'Ojiakw-A'nihlea' et répandant la folie à travers le monde.

Puis, Paul Singer succomba à son tour à la folie. Sa soif de conquête le consuma. Il attira l'attention d'autres rêveurs s'étant fait un devoir de protéger les royaumes oniriques et leurs rêveurs de personnes telles que lui. Rongé par l'orgueil, corrompu par Ojiakw-A'nihlea', Paul Singer se croyait tout puissant. Il ne l'était pas. Ou plutôt, il ne l'était que dans le rêve et... ce ne fut pas dans le rêve qu'on s'attaqua à lui. Alors, Paul Singer ne fut plus capable de rêver et la Soie de Demian resta oubliée dans l'une des salles d'un des palais oniriques que Paul Singer ne visiterait plus jamais.

La Soie de Demian profita de ce qu'elle considéra comme un repos bien mérité pour retrouver ses beaux reflets vert et bleu d'antan. Mais, en l'absence de rêveur à qui transmettre ses connaissances et en l'absence de tout contact avec Ojiakw-A'nihlea', elle n'en devint que plus froide et silencieuse. Elle le savait, son prochain rêveur risquait fort de voir son visage geler s'il la portait trop longtemps et, désormais, plus personne ne pourrait prononcer la moindre parole en sa présence. Là où était la Soie de Demian régnait et régnerait le froid et le silence. La vie n'était que dans le rêve...

Pour autant, la Soie de Demian n'était pas oubliée. Son souvenir traversa les siècles et les millénaires, traversa les frontières des différentes terres oniriques. Les rêveurs parlaient d'elle. Certains voulaient l'acquérir. D'autres la craignaient. Malheureusement, personne ne savait plus où elle se trouvait. Attendant d'être retrouvée, on l'avait surnommée... La Patiente.

Pourtant, on continuait à la recherchait, notamment les disciples de Paul Singer car, « grâce » à lui, l'influence d'Ojiakw-A'nihlea' sur le monde s'était considérablement accrue.


Les mois, les années, les siècles et les millénaires n'avaient plus de sens dès lors qu'une poignées maintenant trop importante de rêveurs étaient capables de voyager non seulement dans les rêves de leurs contemporains mais aussi dans ceux de leurs ancêtres. Leurs contemporains rêvaient du passé qu'ils avaient « vu » dans des textes anciens et interdits. De là, des rêveurs comme Paul Singer et ses disciples « glissaient » dans ces anciens royaumes oniriques. Et ces voyages étaient d'autant plus aisés qu'Ojiakw-A'nihlea' les rendaient plus faciles, désireux qu'on lui soumettent un nombre toujours plus grands de rêves et de rêveurs.

Paul Singer était devenu fou. Il n'était pas le seul. Et cette « vague » de folie en inquiéta certains qui prirent alors conscience de cette faculté qu'ils avaient de voyager dans les rêves mais aussi des manigances d'Ojiakw-A'nihlea'. Bien que novices dans l'art du rêve, un petit nombre d'entre eux prit le risque de s'y initier. L'un d'entre eux réussit à retrouver la Soie de Demian, la légendaire Patiente...


Cela faisait environ un an que Paul Singer était interné sans espoir de sortir de sa folie quand Lewis Sangre, un de ces novices qui s'était un devoir de combattre l'influence d'Ojiakw-A'nihlea' trouva, enfin, la Soie de Demian. Grâce à elle, il espérait pouvoir devenir un rêveur plus puissant et rétablir l'ordre dans le flux onirique perturbé par les serviteurs d'Ojiakw-A'nihlea'.


Lewis Sangre n'est pas un rêveur chevronné. C'est avant tout un passionné d'occultisme et d'ésotérisme. D'abord collectionneurs d'ouvrages anciens, il a acquis certaines connaissances qu'il a souhaiter approfondir plus par goût du jeu que parce qu'il y croyait vraiment. Puis, les pièces du puzzles ont commencé à s’emboîter avec un logique telle que le jeu n'en fut plus un. Lewis Sangre commençait à y croire. Il voulait en savoir plus. Il voulait comprendre. À la recherche de livres rares, il ajouta celle d'objets qu'entouraient les rumeurs les plus mystérieuses. Au bout d'un moment, des textes évoquèrent les Contrées du Rêve. Lewis Sangra s'initia donc à ce nouvel art. Il se mit donc à rêver timidement, modestement jusqu'à découvrir l'existence des royaumes oniriques corrompus par Ojiakw-A'nihlea'. Lewis Sangre prit peur. Il mena son enquête et fit le lien avec la vague de « folie » qui déferlait en ce moment même dans tout le pays. Lewis se fit alors un devoir de mettre ses connaissances au service de la lutte contre Ojiakw-A'nihlea' et ses serviteurs, quand bien même il était seul face à cette menace qu'il ne pouvait quantifier. Il fit l'acquisition, parfois à prix d'or, d'ouvrages toujours plus rares et spécialisés dans l'art du rêve. Il s'engagea à rendre des « services » à des personnes parfois peu recommandables en échange d'informations. Ainsi, au bout de quelques mois, il parvint à mettre la main sur la « Patiente », la Soie de Demian dont il espérait qu'elle accroîtrait ses talents de rêveur et lui permettrait de l'emporter sur les serviteurs d'Ojiakw-A'nihlea'.

Lewis Sangre savait que, malgré la Soie, il avait besoin d'aide. Mais comment attirer l'attention de rêveurs chevronnés ? Comment les convaincre de l'aider ? Il était un rêveur solitaire. Ses relations dans le domaine de l'occulte se limitaient à d'autres collectionneurs comme lui. Alors, il prit le risque d'aller chercher l'information dont il avait besoin directement chez l'ennemi. Pour lui, c'était une risque calculé car il entendait espionner les rêves et fouiller la mémoire de celui dont il savait qu'il était un serviteur d'Ojiakw-A'nihlea'. Paul Singer, interné dans un hôpital psychiatrique depuis maintenant plusieurs mois devait forcément avoir gardé en mémoire les noms de certains de ses ennemis qui accepteraient sûrement de rejoindre Lewis dans son combat.

Ainsi, Lewis Sangre recouvrit son visage de la Soie de Demian et arracha aux délires de Paul Singer le souvenir de celui qui était désormais retenu prisonniers dans une geôle onirique d'Ojiakw-A'nihlea', le Guerrier du Rêve qu'on appelait aussi le Patient 13 !

Fouiller les rêves de Paul Singer n'avait pas été si difficile que ça. Cela tenait peut-être au fait qu'il avait lui aussi rêvé à l'aide de la Soie de Demian. Par contre, tirer le Patient 13 de sa cellule capitonnée, dans cet étrange institut quasi déserte dont les infirmiers en blouse blanche n'avaient aucune personnalité propre et dont les médecins semblaient encore plus fous que les autres patients fut plus compliqué et Lewis Sangre eut à naviguer entre divers niveaux de rêve et de cauchemar. Mais il parvint finalement à faire sortir le Patient 13. Et de même que d'un royaume onirique il avait ramené la Soie de Demian dans l’Éveil, Lewis Sangre avait réussi à ramener chez lui le fameux Patient 13, en attendant de rêver à nouveau mais, cette fois, pour combattre Ojiakw-A'nihlea'.

La Patient 13 n'avait pas été très difficile à convaincre. Il avait un compte à régler avec Ojiakw-A'nihlea' et, avant tout, c'était un rêveur juste. Il voyait bien quelle menace le dieu faisait planer sur les mondes oniriques. Et il voyait aussi comment son influence commençait à se faire ressentir dans l’Éveil. Cela durait depuis bien trop longtemps. Il fallait que ça cesse ! Le Patient 13 ne dit rien à Lewis Sangre du monde d'où il venait mais, comme il s'acclimatait très facilement au sien, il se demanda s'il n'était pas contemporains. Peut-être que le Patient 13 était un rêveur chevronné ayant voyagé loin et longtemps dans les territoires oniriques et s'étant fait piégé il y a longtemps mais... longtemps dans le rêve. L'espace et le temps ont des géométries variables dans l’Éveil. C'est encore plus compliqué dans le Rêve, se disait Lewis. Il ne chercha donc pas à en savoir plus et chercha plutôt un moyen de contrer cet étrange effet « givrant » de la Soie de Demian. Ils devraient peut-être rêver longtemps et il ne fallait pas que ce froid leur cause un quelconque préjudice. Aussi, alors que le Patient 13 ré-apprenait à rêver librement en utilisant la Patiente, Lewis Sangre cherchait dans ses grimoires un moyen de contrer cet effet de la Soie sans en altérer les pouvoirs. Trouver la formule prit du temps. Collecter les éléments nécessaires prit du temps. Ré-enchanter la Soie de Demian fut plus rapide. Maintenant, le Patient 13 pourrait rêver autant de temps qu'il le désirait sans craindre la morsure du froid.

Lewis Sangre continuait de rêver mais, ayant confié la Soie de Demian au Patient 13, il le faisait sans prendre de risque. Il se bornait à voyager, visiter, récolter des informations dont il espérait qu'elles seraient utiles au Patient 13. Désormais, ce serait lui qui mènerait le combat final contre Ojiakw-A'nihlea', si combat final il devait y avoir...


Contrairement à ce que pensait, espérait Lewis Sangre, la préparation au combat final contre Ojiakw-A'nihlea' fut beaucoup plus longue que prévue. Cela leur prit, au Patient 13 et à lui, dix longues années ! Mais enfin, ils étaient prêts. Ils avaient maintenant tout ce qu'il était possible d'avoir entre les mains pour tenter de vaincre Ojiakw-A'nihlea'.


Le Patient 13 était nommé ainsi car, dans sa prison onirique, cet étrange hôpital, tout le monde savait que s'il y en avait un qui était susceptible de s'enfuir, c'était bien lui. Et cela arriva. Bon nombre de ses tentatives échouèrent et il dut finalement son évasion à l'action imprévu d'un autre rêveur venu spécialement pour lui : Lewis Sangre.

Lewis Sangre avait tout prévu. Il savait que l'esprit du Patient 13 était retenu dans un hôpital onirique. Il savait également que son propre corps, rendu fou suite à la défaite infligée par les serviteurs d'Ojiakw-A'nihlea', était également retenu dans un institut psychiatrique. Lewis Sangre organisa donc une « double évasion », permettant ainsi au Patient de réintégrer son corps dans l’Éveil.

Lewis Sangre lui expliqua ses motifs. Il lui raconta comment il avait réussi à mettre la main sur la Soie de Demian et comment il souhaitait que lui, le Patient 13, l'aide dans son combat contre Ojiakw-A'nihlea'. Le Patient 13 ne fut pas dur à convaincre.

Le monde n'avait pas beaucoup changé durant l'emprisonnement du Patient 13. En réalité, il ne s'était écoulé que quelques années. Il n'avait rien dit de son « monde d'origine » à Lewis Sangre, cultivant le mystère mais il savait qu'ils n'étaient pas si « étrangers » que cela. En fait, le Patient 13 souhaitait avant tout entretenir sa propre légende. Pourtant, bien que sa rétention ne dura pas si longtemps, sa préparation au combat final, elle, leur prit dix ans !

Dix ans d’entraînement afin de parfaire ses techniques de rêveurs. Dix ans afin d'apprendre comment utiliser au mieux les pouvoirs de la Soie de Demian. Dix ans afin de recueillir les informations nécessaires concernant les serviteurs d'Ojiakw-A'nihlea'. Dix ans a faire de leur mieux pour contrecarrer leurs plans d'invasion des territoires oniriques. Dix ans à tenter de chercher des alliés dans le monde de l'occulte.

Dix ans s'étaient écoulés. Le Patient 13 ne savait pas s'il était vraiment prêt mais, maintenant, il ne servait plus à rien de différer encore l'ultime confrontation avec le maître-conquérant du Rêve. À l'aide de la Soie de Demian, qui avait pourtant été tissé afin de lui rendre hommage, le Patient 13 entendait bien mettre un terme définitif au règne et aux conquêtes d'Ojiakw-A'nihlea'.

Et, contre toute attente, ce combat n'en fut pas un. La Patiente, la Soie de Demian, ne pur finalement que s'incliner devant son ancien maître. Il lui fut impossible d'accorder ses pouvoirs au Patient 13. Après des millénaires, elle restait soumise à Ojiakw-A'nihlea'. Le combat ne fut même pas bref. L'âme du Patient 13 fut d'abord littéralement gelée, malgré le rituel de Lewis Sangre, puis déchirée par le dieu. En quelques instants, il ne restait plus rien du rêveur qu'on ne put enfermer dans une geôle onirique.

La puissance d'Ojiakw-A'nihlea' et de ses serviteurs, que ce soit dans le Rêve et l’Éveil, venait d'être réaffirmer avec force. C'était une leçon donnée à tous ceux qui avaient osé espérer. Maintenant, plus personne n'oserait rêver de faire obstacle aux conquêtes d'Ojiakw-A'nihlea' avant longtemps. Lui et ses serviteurs allaient régner sur le Rêves et ce d'autant plus facilement qu'il faudrait longtemps avant que d'autres rêveurs prennent le risque de s'aventurer dans ces territoires.

Le règne d'Ojiakw-A'nihlea' sur ls territoires oniriques ne sera pas éternel, mais il durera encore longtemps...


la Soie de Demian rejoignit les trésors et artefacts des serviteurs d'Ojiakw-A'nihlea'. Pourtant, aucun rêveur n'osa s'en servir. Le combat contre le Patient 13 fut bref mais intense. Si intense que le visage du Patient 13 demeure toujours imprimé sur la Soie. On dit, mais rien n'est sûr, que son âme y est également enfermée.


Et les ères passèrent. Et comme le monde de Thanatrauma, Hessehazen et du Papillon prit fin, le monde de Lewis Sangre et du Patient 13 prit fin également. Tous sombrèrent dans l'oubli. Un autre monde naquit. D'autres hommes foulèrent son sol. D'autres hommes se mirent à rêver. D'autres hommes acquirent la connaissance de l'existence de la Soie de Demian et partir à sa recherche.

Murée dans le silence et ne pouvant rêver durant si longtemps, la Soie de Demian était devenue folle à son tour. Aussi, elle n'offrit que des visions kaléidoscopiques, fragmentées et insensées à celui qui finit par la trouver. Ce rêveur était le descendant d'une longue lignée. Chassé par les siens en raison de son allégeance envers de sombres divinités, il recherchait la Soie de Demian dont on disait qu'un de ses ancêtres l'avait eu en sa possession. Il la voulait. Il voulait rêver, conquérir et se venger. Il ne comprit pas grand chose des visions qui lui donna la Soie de Demian. Il lui faudrait du temps avant de pouvoir se servir de toutes les connaissances qu'elle contenait. Toutefois, une chose était sûre, la Soie avait bien été la possession d'un de ses ancêtres. Ainsi il prit le nom de Patient 14.


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