SENTINEL


Je suis Les Larmes, mon corps de mortel n'a pas d'autres nom. J'ai été délivré de mon chagrin par le Papillon. Le servir est ma plus grande joie.

Le Papillon m'a sorti de mon chagrin. Je suis Les Larmes mais, grâce à lui, je suis des larmes de joie. Le Papillon sait combien je lui sais reconnaissant et loyal. Il me fait confiance. C'est pour ça qu'il a fait de moi le gardien de son Sanctuaire. Cet endroit où il a rassemblé les éléments les plus étranges de sa collection, qu'il s'agisse d'objets ou de livres.


Je suis Les Larmes. Je ne suis pas qu'un voleur ni un simple garde. Ici et maintenant, je peux montrer une vision d'exaltation ou changer le joie en regret. Je suis Les Larmes.

Le Sanctuaire est un petit bâtiment de pierre claire, construit sur le tard dans la cour de notre forteresse. Il n'y a pas de fenêtre. Aucune ouverture ne permet d'accéder au toit en terrasse. Il n'y a qu'une porte en bois et fer forgée. Et moi !

À l'intérieur, le Papillon y a entreposé tous ses trésors dont la richesse n'est pas que matérielle. Il partage ses richesses matérielles avec nous. Il l'a toujours fait et continuera de le faire. Mais ses connaissances spirituelles, il ne les partage pas. Et il ne le fera jamais.

Souvent, le Papillon se rend au Sanctuaire. Il ne me permet pas de l'accompagner. Je continue d'en garder la porte close. Mais, parfois, je l'entends parler. Avec qui ? Je ne sais pas. À ma connaissance, il n'y a personne d'enfermer à l'intérieur. Peut-être que ces paroles étouffées ne sont que des prières adressées à Ojiakw-A'nihlea', notre nouveau dieu. Pourtant, j'ai parfois l'impression d'entendre une autre voix lui répondre.


Cela fait maintenant, déjà !, quatre ans que je suis affecté à la garde du Sanctuaire. Qu'ai-je perdu ? Qu'ai-je gagné ? Je ne saurai le dire. Parfois, j'ai l'impression d'avoir perdu mon temps. J'aurais voulu moi aussi participer à nos rapines dans de riches cités. Mais je devais rester là. Qu'ai-je gagné ? La sécurité. Aucun risque d'être arrêté. Même ici, personne ne tente de s'infiltrer dans le Sanctuaire. Tout le monde a trop peur. Et je sais de quoi. Le Papillon a fait de nous des serviteurs d'Ojiakw-A'nihlea', le conquérant onirique aux ailes de papillon. Je l'ai vu, dans une vision. Ojiakw-A'nihlea' n'a pas de forme fixe si ce ne sont ses ailes aux motifs fragmentés et changeant. Il est le conquérant des royaumes oniriques. Nous continuons à voler des biens matériels mais, pour le servir, le Papillon est également devenu un voleur de rêves. Et chaque rêve qu'il vole devient une nouvelle province du royaume d'Ojiakw-A'nihlea'. Et cela a tout changé !

Je n'aurais pas dû. Si le Papillon l'apprend... Je suis entré dans le Sanctuaire. Je voulais juste y jeter un coup d’œil. Je ne sais pas pourquoi. Ou plutôt, si ! J'ai eu une vision. Et j'ai entendu une voix. À l'intérieur. Je m'attendais à trouver plus de choses dans le Sanctuaire. Mais, le Papillon s'étant mis en tête de voler, désormais, essentiellement des rêves, il était finalement normal qu'il n'y est pas tant de chose ici. Pour autant, tout y était forcément de grande valeur. Des livres, des rouleaux de parchemins, des œuvres d'art, un étrange bout de tissus aux reflets bleu et vert. Je fus immédiatement attiré par ce bout de tissus. C'est lui qui m'avait appelé. Je le touchais du bout des doigts. C'était froid, presque glacial. La Soie de Demian, elle me dit son nom, me parla mais pas avec des mots. Avec des images. Elle ne me montra pas de visions. Elle me parlait avec des images. Tout était fragmentés. C'était un véritable kaléidoscope fracturé. Je la lâchais. Je pris soin de la remettre exactement là et comme je l'avais trouvé et je repris mon poste. Il me faudrait un moment avant de vraiment comprendre...


C'était il y a quatre ans. Mon premier jour en tant que Sentinel.

Je ne comprenais pas trop pourquoi le Papillon m'avait affecté à cette tâche. La perspective de ne plus accompagner ms camardes dans nos expéditions m'apparaissait comme une punition.

Mais le Papillon m'expliqua que ce n'était pas le cas. Il allait entreposer ici ses butins de la plus grande valeur. Ces richesses même indispensables au culte d'Ojiakw-A'nihlea'.

Pour nous, qui ne rêvions pas, rien ne changerait. Mais pourtant...

Je ne saisissais pas pourquoi mais le Papillon insista sur l'importance de la mission qui m'était confiée. Je devais veiller avec le plus grand soin sur tout ce qui serait entreposé ici.

Il me dit que c'était à le plus beau jour de ma vie.

Je croyais que le plus beau jour de ma vie était celui où le papillon m'avait délivré du chagrin...


Mais le plus beau jour de ma vie, de ma vie de Sentinel fut celui où je fis face à cette tentative d'intrusion.

Notre forteresse fut infiltrée par un groupe de mercenaires menés par des hommes-serpents. Ils voulaient entrer dans le Sanctuaire. Ils ne venaient pas pour nos trésors mais pour ces objets que le Papillon réservait au culte d'Ojiakw-A'nihlea'.

Et moi, Les Larmes, ici et maintenant, je brandis ma hallebarde et transforma leur joie en regret.

Le Papillon me félicita.

Je fus des Larmes de joie.


Un an plus tard, qu'est-ce qui avait changé ? Le Papillon ordonnait toujours des expéditions à destination des cités ls plus riches. Et mes compagnons revenaient toujours victorieux, les bras chargés de trésors. Personne n'avait tenté de pénétrer à l'intérieur de notre forteresse et encore moins dans le Sanctuaire. Le Papillon, par contre, ne menait plus ses hommes en ville. Il passait de plus en plus de temps dans le Sanctuaire, à rêver...


Il m'arrivait encore, parfois, de voir la voix de la Soie de Demian. Elle m'envoyait ses mots sous forme de visions fragmentées des royaumes qu'elle avait contribué à pillé au nom d'Ojiakw-A'nihlea'.

En vérité, je crois que la Soie de Demian se sentait seule. Seul le Papillon lui rendait visite et je crois que cela ne lu isuffisait pas. Je crois que la solitude la rendait... triste, folle...

Je crois que la Soie de Demian voulait que je devienne son ami. Je crois qu'elle voulait m'apprendre à rêver comme elle l'avait appris au Papillon mais... j'étais, je suis, la Sentinel du Sanctuaire. Je ne peux pas me soustraire à ma tâche. Je ne pouvais pas trahir la confiance du Papillon. J'aurais préféré ne pas voir cette voix, ne pas entendre ces visions...


Et un jour, des inconscients nous attaquèrent. Le Papillon pensait qu'il s'agissait de proches de rêveurs dont il avait violé les songes mais non. Il ne s'agissait que de pillards. Ils avaient fini par trouver notre forteresse et voulaient s'emparer de nos richesses. Ils ne savaient pas que le Sanctuaire n'abritait aucune des richesses qu'ils souhaitaient. Mais ils tentèrent d'entrer. Ils étaient armés de chaînes, de lames et d'arbalètes. Ce n'était pas grand chose face à ma hallebarde et les visions de regret que je leur infligeais.

Ce fut une victoire paradoxale car si nous leur avons infligé une sévère défaite, ils n'en étaient que plus convaincus de l'énormité des richesses que nous avions accumulées. Ce n'est qu'un trésor immense qu'on pouvait défendre ainsi. Nous savions qu'ils reviendraient. Nous savions aussi qu'ils allaient faire courir des rumeurs concernant nos trésors et qu'elles allaient attirer d'autres pillards. Nous devions rester prêts.


Et d'autres revinrent. Et eux aussi étaient mieux préparés. Des mages les accompagnaient. Ceux-là savaient ou croyaient savoir quelles trésors étaient enfermés à l'intérieur du Sanctuaire et j'eus bien du mal à les contenir. Finalement, c'est le Papillon qui nous sauva. Grâce à la Soie de Demian, il rêva notre victoire et soumis ces pillards dont il remit les rêves à Ojiakw-A'nihlea'.


Ce fut un jour étrange que celui où je suis mort. Nous n'avions pas été la cible d'une autre bande de voleurs. C'était autre chose. C'est à travers le royaume même d'Ojiakw-A'nihlea' que nous avons été envahi. Quelque chose était entré dans le rêve et, de là, s'en était pris à nous. Celui ou ceux qui nous attaquèrent pouvaient venir, rêver, de n'importe où dans l'espace et le temps. Nous étions pris de cours. Nos rêves furent mis à sac comme le Papillon mettait à sac ceux qu'il offrait à Ojiakw-A'nihlea'. Mais, finalement, le Papillon rêva plus fort et, grâce la Soie de Demian, nous pûmes tous nous réveiller. Mais, je le sais, nous n'étions pas seulement endormis. Nous étions morts...


Des visions ! J'ai encore eu des visions. Mais je en sais pas si c'est la Soie de Demian qui me les a envoyées cette fois. J'ai vu, dans le Sanctuaire, un ouvrage dont j'ignorais l'existence. C'est un recueil de parchemins. Ils contiennent une partie de l'histoire d'Ojiakw-A'nihlea' lui-même. Ces parchemins ne devraient pas être là ! Comment le Papillon se les est-il procuré ? Je sais que rêver dans le culte d'Ojiakw-A'nihlea' permet de transcender les lois de l'espace et du temps mais... j'ai peur ! J'ai peur à l'idée que ces parchemins soient là alors qu'ils ne doivent pas y être. J'ai peur car je pressens que l'ordre des choses vient d'être gravement perturbé. Pourquoi le Papillon a-t-il fait ça ? Est-ce un ordre d'Ojiakw-A'nihlea' ? J'espère, sinon...

Quoi qu'il en soit, je considère cette vision comme une révélation et une mise en garde. Quelque chose, quoi ?, va se passer ! Je dois être vigilant, plus que jamais. Je dois être prêt !


Je ne sais pas si c'est en lien avec la présence de ces parchemins mais... le Papillon est mort ! Nous lui avons rendu hommage en espérant que son âme aura gagné l'une des provinces du royaume d'Ojiakw-A'nihlea' et que, de là-bas, il continuera à rêver.

Est-ce une coïncidence, quelques temps plus tard notre forteresse fut de nouveau prise d'assaut. Cette fois encore, des mages et des hommes-serpents tentèrent de pénétrer à l'intérieur du Sanctuaire. Une fois de plus, je parvins à les en empêcher mais... le Sanctuaire porterait maintenant les traces de ce qui aurait pu être mon plus grand échec.

Et si nos jours étaient comptés...


Puis vint le dernier jour de ma vie. Le souvenir du Papillon fut longtemps honoré puis, peu à peu, en raison des attaques de plus en plus nombreuses dont nous étions l'objet, cela ne fut plus le cas. Avec une certaine tristesse, je vis le souvenir du Papillon tomber dans l'oubli. Avec moins de tristesse, je vis peu à peu négligé le culte d'Ojiakw-A'nihlea'. Nous étions redevenu de « simples » voleurs mais les trésors accumulés grâce au Papillon, et ceux conservés dans le Sanctuaire, continuaient d'exciter les convoitises.

Une fois encore, des mages et des hommes-serpents tentèrent d'en percer l'entrée. Une fois encore je les en empêchais mais... ce fut la dernière fois. Ces mages et ces hommes-serpents s'enfuirent bredouilles. Ils n'avaient pris que ce qui me restait de vie. Mais je n'étais pas triste. J'avais accompli mon devoir, jusqu'au bout.


Je suis Les Larmes, mon corps de mortel n'a pas d'autres nom. J'ai été délivré de mon chagrin par le Papillon. Le servir fut ma plus grande joie.

Et maintenant, je m'en vais le rejoindre, peut-être, dans le royaume des rêves d'Ojiakw-A'nihlea'.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog