OUR VACATION / THE NAME OF GOD




            Je suis la Bougie !

            Le nom de mon corps mortel est Iossif.

            J’ai brulé 12 ans.

            J’illumine les ténèbres de la Cité Bleue.



            Où suis-je ? C’est la question qu’on se pose généralement dans ces cas-là. Sauf que je sais où je suis. Je suis dans la Cité Bleue. Ce que je ne sais pas, c’est comment je suis arrivé là. Je m’appelle Iossif. Je suis la Bougie et, il y a encore peu de temps, j’étais flic à Mertevcgorod. Il y a plein de rumeurs concernant la faune de la Zona et des alentours. Un illuminé poste des vidéos où il parle de Cafards géants. On m’a demandait de creuser un peu la question.

            Mes supérieurs ne croyaient pas en l’existence de ces Cafards géants. Ou alors… la situation est encore pire que ce que je pensais. Non, je crois et j’espère qu’ils voulaient juste s’assurer que cet illuminé, cet Alone Guru, ne rassemblait pas une troupe d’abrutis en vue d’une connerie du genre attentat terroriste ou dieu sait quoi.

            J’ai enquêté. J’ai trouvé des choses. Des preuves. De l’existence des Cafards géants. Et des Araignées humanoïdes. Elles viennent de la Cité Bleue. J’ai appris que certaines organisations envoyaient des agents dans la Cité Bleue mais… La Cité Bleue a aussi envoyé ses agents à Mertvecgorod. Ces agents, ce sont les Araignées et elles ont leurs contacts parmi nous.

            Ces « contacts », j’en ai trouvé quelques-uns et… ils me l’ont fait regretté. Je suis tombé dans un piège. Un piège énorme mais je n’avais plus le choix. Je ne pouvais plus que tomber dedans à pieds joints. Je me suis retrouvé dans cet entrepôt à jouer le preneur d’otages. Kang était de l’autre côté. Je voulais lui expliquer, tout lui dire. Mais ce n’était pas possible. Puis, tout a basculé. Et maintenant, je suis dans la Cité Bleue. Je ne sais pas comment je suis arrivé là. La réponse à cette question, je l’ai entre les mains. C’est cet album photo qui retrace mon voyage.

            Je suis la Bougie !

            Le nom de mon corps mortel est Iossif.

            J’ai brulé 12 ans.

            J’illumine les ténèbres de la Cité Bleue.



            La première photo est floue. On dirait un parc d’attraction. Il fait nuit. Il y a plein de lumières. Je vois un château de conte de fée et des maisons en formes de champignons dont la tiges et longue et maigre. Je n’aime pas les yeux de ces maisons-champignons.

            Il y a des espèces de marionnettes qui tournent en boucle autour des maisons champignons. Ça devrait être féérique mais non ! C’est glauque. J’ai l’impression de m’être retrouvé piégé dans des montagnes russes. Ça va à toute vitesse et je ne peux pas quitter le petit train.



            La deuxième photo me parait tout aussi floue et je ne sais pas si ça vient d’elle ou de moi. Il fait toujours nuit. Il y a des lumières bleues et roses. Je me rappelle d’une odeur de cigarette… au chocolat. Quelqu’un fume un de ces cigarillos aromatisés. Pas ici, pas maintenant mais… j’ai croisé un type qui en fumait.



            La troisième photo n’est pas floue. Il fait jour (enfin ?). C’est un château de conte de fée et de carton-pâte. Un château de parc d’attraction, de fête foraine. Je ne rappelle pas d’une fête foraine à Mertevcgorod récemment. Qu’est-ce que ça veut dire ? La façade de ce château est faite de formes géométriques assez simples. Des triangles. Je trouve qu’il y a beaucoup de triangles. Ils sont pointus et ça fait mal. Je tourne la page.



            Une nouvelle photo du même château. Une parodie de palais présidentiel. Certaines formes me font penser à l’architecture russe. Pas soviétique, juste avant, russe. Comme les uniformes des Araignées géantes. Mais leurs uniformes sont-ils russes ou soviétiques ? Je ne sais plus. Pourquoi ces images de parc d’attractions ? Parce que tout ça n’est qu’une illusion ? Mais ce n’est que le début, que la bande annonce de ce qui s’est passé. Le pire est à venir. La nuit va tomber à nouveau.



            Un plan large de la façade. Tout devient beaucoup plus petit que ce que je pensais. Il y a des gens-là. Un jeune garçon avec un t-shirt blanc attire mon attention. Il est assis sur une barrière en acier. Il regarde vers le fond de la photo. Il a vu quelqu’un ou quelque chose. Je regarde le fond de la photo. Une forêt. Des gens entrent et sortent d’une forêt. Et entre moi et la forêt, il y a cette façade en carton-pâte, ce château de faux conte de fée.



            Si c’est bien moi qui ai pris ces photos, je suis maintenant seul. Le parking s’est vidé. Tout le monde est entrée dans la forêt derrière le château en carton-pâte. L’heure du jugement a sonné. Un air de charleston se fait entendre. C’est un signal. Il fait soudain très chaud. Trop chaud. Je dois me mettre à l’ombre.


            Je tourne la page et vois une nouvelle photo de l’entrée du parc. Je pense « Yang » et je ne sais pas pourquoi. Alors, je pense « Ying ». Et je pense que ce que je vois n’est qu’une partie de ce qui est. Une photo n’est qu’une partie de la réalité. La réalité dépasse du cadre. La photo est une image en deux dimension d’une partie d’une réalité en trois, voire quatre, voire plus encore de dimension. Mais là, j’ai un sentiment de « pire ». Cette photo n’est pas qu’un fragment en deux dimensions, c’est le « Yang », c’est l’envers du décor. La réalité est autre. Cette photo est fausse. Les gens sur cette photo sont en vie mais, de l’autre côté, ils sont… morts ! Et de l’autre côté, c’est la forêt…



            La photo d’une fanfare traversant la route. Je n’entends rien. Je sais que cette image est fausse et que de l’autre côté, dans la forêt, il y a la réalité. Qu’est-ce cette fanfare en réalité ? Des musiciens, des bateleurs imprudents qui traversent Millevaux en faisant trop de bruit ? Ils vont attirer les Horlas. Ou alors, c’est une tribu de nomades. D’où viennent-ils et où vont-ils ? Je ne vois que des garçons. Il n’y a pas de femmes parmi eux. Cette fanfare n’est composée que d’hommes. Est-ce à dire que de l’autre côté, dans la forêt, il n’y a que des femmes ?



            Une nouvelle photo de la façade du château en carton-pâte. Il y a de nouveau des gens sur la photo. Des touristes, des clients, comment les appeler ? Si toutes ces photos sont des reflets déformés de mon voyage vers la « Cité Bleue », en quoi tous ces gens sont-ils impliqués. Sont-ils comme moi des victimes ou, au contraire, sont-ils des voyageurs volontaires ? Peut-on vraiment vouloir volontairement faire un tel voyage ? Est-ce là le signe d’un esprit normal ? Il faut être sacrément tordu pour se jeter volontairement là-dedans, non ? Ce voyage vers la « Cité Bleue », c’est un peu comme… des montagnes russes. Ça va à toute vitesse et on ne contrôle rien. En voiture, tu peux rouler à n’importe quelle vitesse, le pare-brise te protège. Dans des montagnes russes, il n’y a rien de tel. Et si tu ne fais pas attention, les insectes, les Mouches, te rentrent dedans, jusqu’au fond de ta gorge…



            Des gens font la queue devant des stands. Il y a des pancartes mais je ne peux en lire qu’une seule. En fait, je ne lis pas. Je devine seulement. Il y a écrit « Informations ». Non, ce n’est pas ce qu’il y a écrit mais c’est ce que je veux voir. Car je veux des informations ! J’ai une image mentale. Le mot le mieux adapté est… souvenir. Je me rappelle avoir fait la queue moi aussi, quelque part. je me rappelle avoir fixé le visage des gens. Certains étaient marqués. Ils portaient sur leur visage les traces de leurs mémoires. Perdus à l’intérieur, leurs souvenirs étaient gravés sur leur peau, scarifications, tatouages, pyrogravures même pour certains. Leurs souvenirs prenaient la forme de sigils compliqués et devenaient les vecteurs, les composantes de rituels magiques complexes. Un bruit bizarre. Ce n’est pas la fanfare. C’est juste bizarre. Je ne sais pas d’où ça vient et cela met fin au souvenir.



            J’ai (mais est-ce bien moi ?) pris une photo d’un château. Je l’ai pris de loin, derrière une barrière ou une grille. C’est un vieux manoir en briques rouges. Pas du toc comme le château en carton-pâte. Il y a une horloge. J’essaye de lire l’heure mais j’en suis empêché parle bruit assourdissant d’un jet ! Et alors, je me mets à transpirer car… c’est le signe d’une malédiction. Je suis maudit. Je suis maudit du temps ! C’est pour ça que je faisais la queue au stand des informations. J’ai besoin de conseil pour mettre fin à cette malédiction. Je suis maudit du temps et… je ne sais pas ce que ça veut dire. Je sais que la Bougie a brûlé 12 ans mais c’est quoi 12 ans quand on est maudit du temps ?



            Cette photo est prise en plongée. Elle montre le sas d’entrée au parc d’attraction. Derrière, tout a l’air normal mais ce n’est pas normal. J’ai les larmes qui montent jusqu’à mes yeux et elles descendent le long de mes joues. Il y a des gens qui font la queue pour rentrer. Sur la photo, ce sont des touristes (comme moi ?) mais dans la réalité que (dis)simule cette photo c’est une caravane de marchands. Ils sont plusieurs et entourent un car à bœufs. Et soudain, il n’y a plus aucun bruit. Le silence règne. Plus de fracas de jet. La caravane passe l’entrée mais le temps s’arrête…



            Une photo en contre-plongée d’une montagne. Elle est percée d’un tunnel en hauteur et traversée par une sorte de téléphérique. Les couleurs sont froides. La températures chute de plusieurs degrés. Est-ce un mirage ? Sûrement car je suis en nage.



            Une autre photo de cette montagne montre qu’elle est percée de plusieurs cavernes. Elle est entourée d’arbres et il y a aussi un lac. J’ai peur de voir la réalité de cet endroit. Je devine des silhouettes humaines au loin. En vérité, je suis trop loin pour voir quoi que ce soit mais je suis sûr qu’aucun d’entre eux ne sourit. Je ne comprends pas. Un parc d’attraction devrait être plus animé. Est-ce parce que rien n’est réel ? Est-ce par ce que je suis maudit du temps ? Le temps ne s’écoule plus pour moi de la même façon ? On compare souvent le temps à un cours d’eau. Que signifie ce la alors ?



            Une nouvelle vue des téléphériques entrant et sortant de la montagne. Cette montagne est fausse elle aussi. Si j’avais une arme, je tirerais sur ces cabines. Et dans ma tête, une voix vient de répéter ces mots, mes mots, comme un perroquet. Mais ce n’est pas moi ! Il y a quelqu’un dans ma tête ! Il y a quelqu’un ?

            Quatre ! Pourquoi ce chiffre est important ?


            Et je tourne les pages de l’album photos de ma mémoire. Cette mémoire est « fausse », partielle et truquée. Ces photos ne représentent pas la réalité de mon voyage vers la « Cité Bleue ». C’est une vision déformée, édulcorée( ?) de ce qui s’est vraiment passé. La photo montre une rangée de sièges et, en arrière-plan, une machinerie à la complexe et vieillotte. Ça a tout d’une attraction de fête foraine. Me suis-je assis sur un de ces fauteuils ? Quelle machine m’a propulsé hors de la réalité, hors de la RIM ? Mais ni la RIM ni Mertevcgorod ne sont la réalité. Ce sont un pays et une capitale fictive sortie de l’imagination d’un écrivain. Pourquoi cette notion de machine devient soudain si importante ? Est-ce parce qu’on a utilisé une machine sur… moi ? Mais, dans cette machine, je n’étais pas assis. J’étais allongé, à l’horizontal. Je me rappelle, ou crois me rappeler d’un tapis roulant. Et dessus, je suis comme une vache qu’on mène à l’abattoir. Rien de tout cela n’est réel. Ce n’est qu’un théâtre de carton-pâte.



            J’observe maintenant cette machinerie comme à travers une grille. Est-ce qu’on m’a retenu prisonnier ? Si oui, combien de temps. Je suis la Bougie et j’ai brûlé 12 ans… On m’aurait retenu 12 ans ? 12 ans ce seraient écoulés à Mertevcgorod ? Qui m’a retenu prisonniers ? Les Cafards géants ou les Araignées géantes. Et la « Cité Bleue », est-ce ma prison ou… est-ce que, m’étant enfui, c’est là que j’ai atterri ? Suis-je libre ? Suis enfermé ? Suis-je en cavale ? Me traque-t-on ? Qui me traque ? J’éprouve une désagréable sensation d’humidité. L’air est empli d’une odeur de moisi, de champignon ? Il y a des traces de pas. Je ne parviens pas à déterminer si ce sont des empreintes humaines ou non. Tout ce que je peux dire c’est que la « chose » marche sur deux pattes et est… partie… Pourtant, ces traces me disent quelque chose. J’ai l’impression de les reconnaitre. Je les ai déjà vu quelques part mais où ?



            Un tunnel recouvert de tout un bric-à-brac de métal et de plastique. Un homme en costume blanc parle dans un micro. Le tunnel est sombre mais au fond… de la lumière. L’homme s’appelle Degas. Il est un palindrome. Degased… dégazé. On m’a fait respirer un gaz. A-t-on cherché à me tuer ? Ce tunnel, avec cette lumière au fond… Suis-je mort ? Est-ce cela la malédiction du temps ? La « Cité Bleue » est mon Enfer ou mon Purgatoire ? La mort ! Je ne sais pas ce qu’on m’a fait mais cela a trait à la mort et à d’antiques rituels égyptiens. Ceux qui m’ont piégé ce sont servis de moi pour une expérience, une sorte de NDE ! Cette révélation me fait l’effet d’un coup de poing !



            La photo suivante est une vue du lac. C’est le même que celui du parc d’attraction. La photo est prise depuis le milieu du lac. Je vois l’embarcadère mais aussi des rails sur des pilotis. Le temps est comme un fleuve qui s’écoule mais qu’en est-il quand il n’y a plus qu’un lac calme. Le temps s’est arrêté pour moi ? Parce que je suis mort, ou presque ? Cela fait parti des choses que je vais devoir vérifier. Suis-je mort ou vivant ? Le corps que je sens dans la « Cité Bleue » est-il vraiment le mien ou est-ce que je gis quelque part au fond d’un tunnel, relié à toute une mécanique étrange, mutation moderne de rituels anciens ? Est-ce que je ne serais pas tout simplement sous l’emprise d’un gaz hallucinogène ? M’aurait-on drogué ? Est-ce qu’on m’aurait forcé à prendre de ce fameux Vish qui circule sur tous les trottoirs de la RIM ? Des images me reviennent. Je reconnais le rajon 4, un des plus pauvres et des plus violents.



            La photo suivante a elle aussi été prise du milieu du lac. Je vois un monorail blanc et un sous-marin jaune. Je ne suis ni dans l’un ni dans l’autre. Si je ne suis pas dans le sous-marin, c’est que je n’ai pas du aller au fond du lac. Est-ce une bonne chose ? Je n’en sais rien. Bonne ou mauvaise nouvelle, entre les deux mon cœur balance. Qui est le baron ? Pourquoi je pense  soudain à ça ?



            Et une nouvelle photo de cette rangée de fauteuil. M’a-t-on attaché à l’un d’eux. Etais-je attaché au moment où ces photos ont été prise du milieu du lac. Je ne suis pas allé au fond du lac mais j’ai été au milieu du lac, au milieu du temps qui ne s’écoule plus et je suis revenu. Est-ce après ça que je me suis retrouvé « maudit du temps » ? Et l’espace d’un instant, je pense que tout ça ne sont que des salades. Mais non ! Je ne pense cela que parce que cela me parait totalement incohérent. Mais la cohérence ne m’apparait pas non parce qu’elle n’existe pas mais parce qu’il me manque des éléments. Ces éléments ont disparu. Les ai-je perdus ou me les a-t-on pris ? Puis-je les retrouver ? Ces éléments, ce sont des bouts de ma mémoire… et on me les a pris ! Oui, on me les a pris ! Qui ? Le Baron ? Ce Baron est-il derrière tout ça ? Ai-je eu affaire à lui avant que tout ne parte en sucette ?



            Je tourne une nouvelle page de l’album photo de ma mémoire truquée, tronquée. Ce sont les mêmes photos que celles de la page d’avant le sous-marin, dans le même ordre. Il y a la rangée de fauteuils, la machinerie, le tunnel et l’homme en costume blanc. A qui s’adresse-t-il ? On m’a fait faire un aller-retour. On m’a envoyé quelque part, dans la mort ?, et on m’a ramené. Et maintenant, je suis dans la « Cité Bleue ».

            Que signifie le chiffre 13 ? Il a tellement de significations. La Bougie a brûlé 12 ans. Est-elle en train de brûler une treizième année ? S’agit-il du rajon 13 ? C’est un quartier riche. Est-ce là que vit le Baron ? Dois-je chercher dans la tradition égyptienne ? Je commence à en avoir plain le cul. Je ne comprends rien ! Je me rappelle vaguement une enquête, un truc qui a viré à l’occulte. On m’a piégé. Je me suis retrouvé en pleine prise d’otage puis… ici, la « Cité Bleue ». Et entre-temps ?

            Un nouveau flash. Qui est Sobek ?


            Est-ce que c’est cet homme en blanc qui parle dans le micro ? Ou est-il le Baron ? Ou s’agit-il de la même personne ? Et à qui s’adresse-t-il ? Et pourquoi leur a-t-il cité ce passage de la Bible : « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. (Jean 13,6) »

            Cette expérience, car c’en est une, est une commande. L’homme en blanc a des comptes à rendre. Sa marge de manœuvre est serrée. Mais qui sont les commanditaires ? Qui se cache derrière tout ça ?



            Une autre photo est une vue extérieure d’une espèce de cabine. Il y a quelqu’un aux commandes. Est-ce l’homme en blanc ? Je n’en suis pas sûr. Il s’adresse à quelqu’un à l’extérieur de la cabine, mais pas au photographe. Ce n’est pas moi qui ai pris toutes ces photos. Durant tout ce temps, où suis-je coincé ? Je ne sais pas où est mon corps mais mon esprit est déjà ailleurs. J’en prends pour preuve que je me rappelle avoir senti le vent souffler. La flamme de la Bougie a vacillé. Le bruit du vent dans les arbres. Je suis, j’étais, dans une forêt. Combien de temps cela a-t-il duré ? Douze ans ? Est-il possible que je sois mort pendant douze ans ? Et que durant tout ce temps mon âme ait erré… dans une forêt. Et je serais revenu. Ou on m’aurait ramené ? Et je me rappelle que le temps n’est pas figé. Il peut s’écouler, s’étirer ou rester immobile, comme la surface d’un lac. Mais sait-on jamais ce qui dort au fond d ‘un lac ?



            Encore une photo de la cabine, vide cette fois. En vérité, je ne sais plus si je suis de retour dans le présent. Je suis dans la « Cité Bleue » mais j’y suis quand ? En tout cas, quelque fut la durée de cette « expérience » je n’ai visiblement pas vieilli. On dit que l’alcool conserve. Ceux qui m’ont utilisé comme cobaye ont-ils malgré tout pris quelques précautions pour que je survive ? Si effectivement tout ça a trait à de vieux rites égyptiens, m’a-t-on en quelque sorte momifié ? S’est-on assuré de ma bonne conservation ? On dirait. En vérité, ont-ils joué avec la mort ou avec le temps. Ce passage de la Bible, cherchent-ils l’immortalité ? Ils ne seraient pas les premiers mais… Comment devient-on immortel ? En agissant sur soi-même, en transformant son corps et son esprit ou… en agissant sur le temps lui-même ou… les deux ?



            Les deux photos suivantes sont mal orientées. C’est une vue d’un salon ou quelque chose comme ça. On dirait une cheminée d’un style moderne. Elles ont été prise chez des gens qui ont de l’argent. Les classes aisées de Mertvecgorod ? Les commanditaires de toute cette expérience ? Au-dessus de la cheminée, une énorme fresque représente, mais c’est flou, une forêt et un cheval qui galope, qui file comme le temps ? Cela fait penser aux cowboys du midwest mais… rien à voir en vérité. Sur la cheminée, il y a deux « truc » en fer blanc. J’ai déjà vu ça. Ça sert à désioniser une pièce. Mais à quoi ça sert de désioniser une pièce ?

            J’ai été dans cette pièce. Je m’en rappelle maintenant. J’y ai pris le petit-déjeuner. Il était très tôt, trop tôt. C’était le dernier petit-déjeuner du condamné. Pourquoi ces photos viennent après les autres ? Elles devraient être avant. Où alors, c’est que je suis revenu dans cette pièce… avant de me retrouver dans la « Cité Bleue ». Ou alors, est-ce possible, que tout cet album soit monté à l’envers ou que le temps soit inversé, renversé ? Mystère ! Quoi qu’il en soit, je suis ici et maintenant… pour autant que « maintenant » signifie quelque chose.



            La dernière photo est une vue plongeante sur la ville de Mertvecgorod. Le ciel est bleu même si nuageux. Je regarde cette ville comme si je regardais la photo d’une vieille amie. Mais c’est une erreur. Mertvecgorod n’est l’amie de personne. Cette ville, c’est un truc qui te broie. Si ce n’est pas l’air pollué qui te tue, si tu n’es pas victime d’une banale agression dans le métro, elle trouvera autre chose… mais cette ville te tuera. J’ai mal au crane. J’ai l’impression d’être… dérangé. Mais ce n’est pas moi qui suis « dérangé », c’est cette ville. C’est la « Cité Bleue » qui est malade !



            Si je réfléchis bien, je menais une enquête sur un de ces groupuscules de tarés qui penchent vers l’occulte pour justifier leurs crimes. J’ai levé un lièvre plus gros que prévu et on m’a tendu un piège. Tout a très mal tourné et je me suis retrouvé au cœur de cette prise d’otages. Là, tout a basculé. Je me suis réveillé ici, dans la « Cité Bleue » mais, entre-temps, on m’a fait quelque chose. J’ai été le cobaye d’une expérience sur le temps, la mort. On m’a envoyé quelque part – une forêt peut-être ? – et on m’a ramené. Cette expérience est un mélange de technologie et de rites égyptiens. Ceux qui ont monté cette expérience travaillent pour d’autres gens, des gens riches et puissants. Ceux-là mêmes que mon enquête commençait à déranger ? Peut-être bien, oui.

            Maintenant, il y a encore des questions sans réponses. Qui sont le Baron et Sobek ? Pourquoi les nombres 4 et 13 sont-ils si important ? La Bougie a brûlé 12 ans. Ça aussi, qu’est-ce que ça signifie ? Cette expérience a-t-elle vraiment duré 12 ans ? Ai-je disparu pendant 12 ans ? Où étais-je ? Les réponses sont-elles ici, dans la « Cité Bleue » ?


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