MIND CRAWLER

La première fois que j'ai entendu parler des Cafards géants ? Une vidéo sur Rutube. Le type se fait appeler Alone Guru et il a mis en ligne plein de vidéos où il explique, entre autre, comment la Zona est en fait une « Porte » vers une autre dimension peuplée de Cafards géants.
Avec toutes les saloperies plus ou moins radioactives et contagieuses, il n'est pas étonnant que des insectes se soient... « adaptés ». Mais pour Alone Guru, c'était encore autre chose. Ces Cafards géants ne sont pas seulement des insectes plus gros. Ils ont une conscience ! Une conscience collective même ou un truc dans le genre. Et quand il dit qu'ils sont grands, c'est pas qu'ils sont grands comme ma main. Ils font dans les deux mètres de haut. C'est pour ça que ce n'est vraiment pas propre quand ils prennent possession d'un être humain pour pouvoir se balader tranquillement parmi nous. Parce qu'ils se baladent tranquillement parmi nous. C'est ça, le secret que dévoile Alone Guru dans ses vidéos.
Les Cafards géants sont parmi nous ! Et parfois, ils sont même dedans nous !
Et il y a tout un complot dont la Zona et le point nodal, comme dit Alone Guru. Alors, j'ai voulu en savoir plus. Moi aussi, je me suis mis à zoner, la nuit, du côté de la Zona. Et j'ai vu !
J'ai vu des types sortir de dessous les ordures. J'ai des Cafards géants sortir de dessous les ordures. J'ai vu des Cafards géants courir après des types et leur rentrer dedans par le cul et ça, je crois que c'était le truc de trop. Le truc qui m'a fait basculer. Le truc qui fait que ça me dérange pas de me balader en tenant en laisse une machine à écrire gambadant sur quatre paires de tentacules de pieuvres.
Je crois que ce que j'ai vu m'a fait péter un plomb. Mais surtout, je crois ce que j'ai vu !
Les Cafards géants sont parmi nous et, quand ils nous rentrent dedans, ça fait vraiment mal !

Je m'appelle Demian Hesse. Ce n'est pas mon vrai nom évidemment. C'est un des noms que je prends quand je me connecte. Comme j'en avais marre de ma vie, j'ai pris un car en direction de Mertvecgorod et... le trajet a été un peu long mais j'ai fini par arriver. Cette semaine, j'ai reçu par la poste mon exemplaire du guide touristique – Images de la Fin du Monde. Il est très bien foutu parce que, bien que nous soyons en 2020, il y a des informations très pratiques courant jusqu'en 2025. Cela permet d'anticiper.
Je sais donc qu'un très gros bordel se prépare au niveau de la Zona justement. Comment vont réagir mes Cafards géants ?

Ouais, comment vont réagir les cafards géants en... 2025 ? En vrai, j'ai le temps de voir venir. Ce qui m'effraye, c'est que s'ils apprennent que je sais quelque chose, ils vont vouloir me capturer pour me faire parler. Ils ne doivent pas savoir que je sais.
Aujourd'hui, je me sens pas bien. C'est très bizarre. Je ne me sens pas moi-même. Ou alors, je me sens trop moi-même justement. Je crois que ça va être mon challenge du jour. Dépasser cette sensation et réussir à choisir entre moi ou moi. Si j'arrive à choisir... et si je fais le bon choix, j'espère que ça me protégera... des cafards et... de mon autre moi qui risque de mal le prendre.

Là, maintenant, tout de suite, je suis chez moi devant mon PC. C'est bien moi, Demian, et pourtant, je ne suis pas à Mertvecgorod. Je suis à Nantes. Mais dans ma tête, Demian – moi ! – est bien à Mertevecgorod. Je suis donc devant mon PC à Nantes et dans ma tête à Mertvecgorod. Hier, j'ai commencé à lire le guide et je suis tombé sur cette sordide affaire d'ados kidnappeurs. Il y a de la technologie bizarre qui traîne et c'est peut-être un truc comme ça qu'on m'a implanté. Qui ? Comment ? Dans l'immédiat, c'est pas le plus important. Le plus important, c'est que je suis dans une boite. Cette boite, c'est mon appartement à Nantes. Je suis dans une boite. Cette boite, c'est ma tête dans la boite qu'est mon appartement à Nantes. Et dans ma tête, je suis dans une autre boite qui est Mertvecgorod. Mais dans cette boite, je suis encore dans une autre boite qui est ma tête dans ma tête, dans Mertvecgorod à Nantes. Et cette boite, celle que je ne connaissais pas, c'est... une forêt ! Merde ! Je suis de retour dans le parc d'hier. Là où tout est parti en sucette.
Autour de moi, la boite n'existe plus. Il n'y a plus que ce parc. Un des rares espaces verts de la ville. Des fois, on pourrait penser que ça fait du bien de la verdure. Il y a un côté « poumon » de la ville. Mais vu le niveau de pollution de la ville, justement, le poumon est dans un état critique. C'est vraiment dégueulasse ! Je ne sais pas si c'est à cause de ce qui s'est passé hier soir mais les arbres sont encore tout humides. Et là, je me dis que c'est quand même vachement réaliste tout ça car... en vérité je vous le dis, je ne suis pas vraiment dans le parc puisque je suis dans ma tête ! Pourtant, l'espace d'un instant, j'y ai cru. Mais, que fait cette forêt dans ma tête ? Ce n'est pas un souvenir, sinon Poulpe Nova serait là.
Non, ce n'est pas un souvenir. C'est un piège ! On a cassé les murs de la boite pour me faire croire que je n'étais pas enfermé. Pour me faire croire que je suis libre. Mais personne ne peut être libre dans ce parc parce que... parce que... si la Zona est le point d'accès des Cafards géants, ce parc et sa pseudo-forêt sont celui de Millevaux, le domaine et avatar de Shub-Niggurath !
Ridicule ? Non ! Car, « Rien n'est vrai, tout est permis ! » Et si tout est permis alors c'est vrai. Et si quelque chose est vrai... tout n'est – peut-être – pas permis... finalement ?
Là, je me sens mal. J'étouffe. J'appelle Poulpe Nova. Jamais là quand il faut. J'aurais pas dû toucher ce tronc d'arbre. Ce truc poisseux m'est rentré dans la main. C'est dans moi. Quelque chose de Millevaux est rentré dans moi. Au moins, c'est pas passé par mon cul comme un Cafard géant. C'est toujours ça de gagner mais... j'ai envie de chialer ! Millevaux et Shub-Niggurath me hantent. Ils doivent sacrément m'en vouloir pour me suivre jusqu'ici.

J'avance dans le noir. L'avantage d'être dans ma tête c'est que... En vrai, je ne sais pas... Ce que je sais c'est que les bois se sont retirés mais que ce qui les a remplacé n'est pas forcément mieux. Je suis dans une espèce d'usine désaffectée. Il y a encore toutes machines utiles à la chaîne de production. Tout est rouillé, recouvert de poussière. Ici aussi, il règne une humidité désagréable. En fait, j'ai peur que dehors, ce soit toujours Millevaux. L'espace d'un instant, je me demande si ces visions n'ont pas pour but de me rendre la RIM tellement dégueulasse et anxiogène que ça va me donner envie de rentrer chez moi. Ou alors, c'est autre signe que ma folie m'envoit car... de sous la rouille, émergent des centaines, des milliers de cafards. Heureusement, ils sont petits, ils sont normaux. Mais quand même, je me tire en courant. Je fais attention à ne pas en écraser car je ne voudrais que le tribunal des Cafards géants puissent me reprocher ça s'ils devaient m'attraper.

Et dehors, c'est de nouveau la forêt. Je suis un peu déçu mais, franchement, pas plus étonné que ça. Millevaux me hante. C'est mon croquemitaine. Je dois sauver les mondes de son influence car la Chèvre Noire et ses bois sont là, tapies dans l'ombre, impatient de corrompre les univers de sa pourriture. À Mertvecgorod, on peut dire que le boulot est plutôt bien avancé.
Mais il se passe quelque chose. Ou plutôt, il s'est passé quelque chose. À la sortie de l'usine, les bois ne sont plus tout à fait comme avant. Les troncs se sont resserrés. C'est de plus en difficile d'avancer. Alors, je me rappelle de la veille et je commence à grimper sur une branche. Je vais faire comme ça, en passant de branche en branche, je devrais m'en sortir. Je dois me raccrocher aux branches et me tirer vers le haut. J'ai l'impression que c'est typiquement le genre de métaphore à deux balles qui me ferait regretter mes 50 balles si je devais aller voir un psy. En vrai, Demian devrait peut-être aller voir un psy... Mais pas moi ! Ça veut donc dire que moi, à Nantes, qui n'est pas besoin d'aller voir un psy (?) a dans sa tête un moi, à Mertvecgorod, qui, objectivement, devrait vraiment en voir un ?

J'avance ! Je progresse, c'est indéniable. À force d'aller de branche en branche, je finis par sortir de ces bois. Et je me retrouve... à la Plage. Je déteste la plage. Je m'y emmerde comme pas permis. Mais là, c'est pas une plage comme les autres. Est-ce que c'est La Plage, celle des Cafards géants. En vérité, je n'en sais rien et je crois bien que non. Mais j'y pense car, en fait de sable, ce sont plein de petits bouts chitineux qui font office de sable. C'est noir, c'est glauque. Ça me ferait presque aimer la plage finalement.
Non ! Ce n'est pas la Plage des Cafards. Je le sais parce que j'ai lu la Trilogie de la Crasse. Mais c'est pas sûr que Demian l'ait lu. Ou alors, il a oublié. Non, ça c'est plutôt la représentation qu'il se fait de la Plage. Et j'en prends pour preuve le Cafard géant qui vient juste d’apparaître à quelques mètres de lui... de moi ! Là, il va falloir courir très vite !
Mais j'ai mieux ! J'ai beaucoup mieux ! Ce trip d'hier était providentiel ! J'ai toujours cette putain de flûte magique ! Alors, même si je n'ai pas joué de la flûte depuis le collège, je porte l'instrument à mes lèvres et souffle dedans. C'est clair que je en sais toujours pas en jouer correctement mais ça n'a aucune importance. Le brouillard jaillit et je disparais aux yeux du Cafards qui ne me retrouvera jamais ! Jamais ! (rire de savant fou!)

Toujours soufflant dans le pipeau et faisant mon possible pour chasser de mon esprit des images interdites aux mineurs, je cours dans le brouillard. J'en cherche la sortie – en vrai, je fonce tout droit – et la trouve sous la forme d'un arrêt brutal, conséquence d'un choc contre un tronc d'arbre. Arbre = forêt = Millevaux = retour à la case départ ? Pas tout à fait. Cet arbre est bizarre. Il est... chaud !
Et de son tronc bouillonnant commence à s'extraire une sorte de squelette qui tente de m'attraper. Si ça ne faisait que tenter, ça irait. Sauf que ça réussit. Ce truc m'agrippe et m’entraîne. Ça me tire à l'intérieur du tronc. Son écorce est brûlante. Je souffle toujours dans le pipeau mais ça ne sert à rien. Je brûle.

Je ne sais pas où je suis. Mais je sens que ça pèse sur mes épaules. J'ai l'impression d'être au fond de l'océan et d'avoir de tonnes de flottes qui tentent de me plaquer sol et de m'écrabouiller. Si je devais filer 50 balles à un psy il me dirait un truc du genre que je porte un fardeau sur mes épaules. Et dans fardeau, il y a « eau ». Et dans Pinochet, y a « hochet », connard ! Mais ça (me) lourd ce truc. En vrai, un psy chercherait peut-être à mettre tout ça en lien avec des grands principes comme... la culpabilité et là... je ne sais pas lequel de moi dans laquelle de mes têtes se demande pourquoi je pense à ça maintenant ! Demian se sentirait coupable ? De quoi ? De s'être tiré à Mertevcgorod ? D'avoir lâchement abandonné tout le monde ? De ne pas avoir fait face à... à quoi au juste ? Au réel ? Sans déconner, t'as vu la gueule du réel ? Non, non, je reste pas là, moi ! Franchement, même si ça pue tout le temps à cause de la pollution, la RIM, c'est moins pire que la réalité. Enfin, sauf quand des bataillons de cafards vous prennent en chasse. Je ne sais pas ce que Demian ou moi projetons sur ces insectes mais ce serait peut-être bien de le savoir. Comme ça, peut-être qu'ils arrêteront de nous courir après. Et puis surtout, peut-être que les Cafards géants ne chercheront pas à me rentrer dedans par le cul ! Ça, l'air de rien, c'est vachement important que ça arrive pas ! Mais c'est mal barré car... c'est saloperies me rattrapent et commencent à me courir dessus, à me grimper dessus et à me rentrer dedans (par pitié, pas par le cul ! Non!) par tous les trous possibles et imaginables.

Et j'ouvre les yeux, mes yeux, mes NOUVEAUX yeux, dans une caverne de cristal. Tout ici est soudain d'une pureté éclatante qui contraste (à peine!) avec les ténèbres que je viens de traverser et la pourriture qui s'est introduite en moi. Tout ça n'était qu'un rêve. Un rêve éveillé, un jeu. Tout ça n'était qu'un jeu dans ma tête. Mais à la fin du jeu, dans ma tête, et comme partout dans mon corps, il y a des milliers de cafards...
Et je ne sais plus si les cafards sont dans la tête de Demian ou dans la mienne, si je suis à Nantes ou à Mertvecgorod. Quand je regarde par la fenêtre, je suis à Nantes mais...





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