ARACHNOHOMIA



                Black Rain a ses Mouches.

                Haze travaillait pour Black Rain mais n’était pas une Mouche.

                Je ne travaille pas pour Black Rain.

                Je ne suis pas une Mouche.

                Je suis un araignée.

                Je vis chez Haze, au plafond.



                Je suis une araignée.



                Et je vis chez Haze, au plafond. Et Haze est mort.



                Je suis une Eratigena atrica, aussi appelée Tégénaire noire ou Tégénaire des maisons. J’appartiens à est une espèce d'araignées dîtes aranéomorphes de la famille des Agelenidae. En gros, petit corps et longues pattes, sans poils.

                Jusqu’à présent, je me sentais bien mais depuis quelque temps, je suis un peu stressée. Haze avait changé ces derniers temps. Et son intérieur aussi. Cela n’a jamais été très propre mais là… ça devenait vraiment n’importe quoi. Je ne me sentais plus chez moi. Je ne me sentais plus dans un appartement. J’ai l’impression, par moment, d’être dans une forêt…

                Parfois, mais pas tout le temps, les murs se recouvraient de mucus, de moisi et de plaques de champignons. Maintenant, ils sont comme ça tout le temps. Haze est mort. Son cadavre se décompose au milieu du salon. Une énorme hache a jailli de son dos et le mucus s’est répandu dans tout le salon. Cela a attiré d’autres locataires. Je ne suis plus seule chez moi.



                Pour oublier que je ne suis plus vraiment chez moi, je rentre dans moi. Pour oublier, je me me penche sur mes souvenirs. Je me rappelle que je suis une araignée. Je ne suis pas une Mouche. Je ne travaille pas pour Black Rain. Je suis une Araignée et je travaille pour… Merde !!! Je ne me rappelle plus ! On, mais qui ?, m’avait envoyé chez Haze pour le surveiller mais… quand j’essaye de me rappeler, les seuls mots qui me viennent à l’esprit sont « Cité Bleue » et « Lacuna ».

                Je suis une araignée mais pas seulement. Quand je pense à la « Cité Bleue », quand je pense à moi dans la « Cité Bleue », j’ai une autre apparence. Je suis toujours une Araignée mais pas une Eratigena atrica. Dans la « Cité Bleue », je suis énorme, aussi grande que Haze. Je me tiens debout. Je porte des vêtements qui ressemblent aux uniformes de l’armée russe. J’ai de grosses mandibules et… des poils ! Dans la « Cité Bleue », je suis une autre Araignée. Et c’est bien.

                Je me balade dans la maison de Haze. Je reste prudente car depuis que le mucus a envahit le salon, d’autres formes de vie sont apparues. Je peux les manger mais elles sont quand même dangereuses. Je dois m’en méfier. Le mucus a complétement transformé le salon. Il a commencé à envahir la cuisine et la salle de bain mais la chambre est, pour l’instant, intact. C’est là que je tisse ma nouvelle toile.

                J’ai une mission. Je dois surveiller Haze, même si je ne sais plus pour le compte de qui. Haze aussi avait une mission. Il devait surveiller la Zona, pour le compte de Black Rain. Pourtant, Haze n’était pas une Mouche. La Zona, c’est le royaume des Cafards. Des Cafards, des Mouches, des Araignées. Je suis dans un appartement pourri en plein cœur de Mertevcgorod, capitale de la RIM, un petit état sous influence russe, comme l’uniforme que je porte quand je suis dans la « Cité Bleue ». Il n’y a pas de hasard mais… il y a un truc, quelque chose, quelqu’un qui me grignote la mémoire. Tout est lié. Il n’y a pas de hasard. Mais on m’empêche de tisser les liens entre tous ces faits.

                Haze a une hache géante plantée dans le dos. Haze a des insectes qui commencent à se repaitre de ses chairs mortes et à y pondre leurs œufs. Haze a pris des notes. Elles sont quelques part dans son appartements. Si je parviens à me transformer en araignée géante, je pourrais peut-être les trouver et les lire… avant que quelqu’un ne débarque car, c’est sûr, quelqu’un va finir par débarquer. A cause de l’odeur… Mais comme ce quartier pue la mort de toute façon, j’ai un peu de temps devant moi.

                Je ne parviens pas à changer de forme. Je ne sais pas pourquoi. En fait, je crois que j’ai oublié comment reprendre cette autre forme. On me grignote la mémoire. Je dois trouver les notes de Haze avant d’oublier que je les cherche…

                Avant d’oublier qui je suis…

                Je me rappelle. J’ai déjà fouiller ces lieux. J’ai déjà repris mon autre forme dans cet appartement pendant que Haze n’était pas là. J’ai pu le faire. Je dois pouvoir le refaire. Il n’est pas nécessaire que je sois dans la « Cité Bleue » pour avoir cette forme « humanoïde ». C’est une bonne nouvelle. La mauvaise, c’est que, Haze ne le savait pas, il était surveillé par les Cafards. La preuve ? J’ai des images d’un combat, dans les escaliers menant au local poubelle. Comment je m’étais retrouvé là ? Je ne sais plus mais il y avait deux autres hommes, armés. Je les fuyais ! Ils étaient armés et me tiraient dessus. Mais j’ai réussi à m’enfuir, à me cacher et à retourner dans l’appartement de Haze. Mais, que savent les Cafards de tout ça ? Que savent-ils de la mission de Haze ? Black Rain est-elle au courant que son agent était sous surveillance ? Les Mouches savent-elles qu’il est mort ? Pourquoi personne n’a encore débarqué dans cette forêt dégueulasse qu’est devenu son salon ? Dehors, le vent souffle. On est mieux dedans.

                Je fais des allers-retours entre la chambre et le salon. Il y a de plus en plus de nécrophages à s’affairer sur le cadavre de Haze. Ils ne font pas attention à moi. Tant mieux. Je tisse ma toile. L’un d’entre eux tombera dedans et je le mangerai.



                Quelle est ma vraie maison ? ici ou… la « Cité Bleue » ? Le temps passe mais je ne sais pas s’il passe vite ou lentement. S’il en passe beaucoup ou peu. Ça fait combien de temps que le salon de Haze est devenu une annexe de Millevaux ? J’ai oublié. Quelle est ma « vraie » forme ? Celle-ci ou l’autre avec l’uniforme de soldat russe ? J’ai oublié.

                Cet appartement est rempli de secrets. Ceux de Haze, les miens… ceux de la forêt…

                Et si la forêt finit par manger toute ma mémoire, est-ce que je finirais par considérer le salon comme étant tout l’univers ? Est-ce que j’aurais oublié qu’il y a un autre monde hors du salon ? Est-ce que j’aurais oublié la « Cité Bleue » ?

                La « Cité Bleue », c’est MON secret. Et si Millevaux finit par manger toute ma mémoire, tous mes souvenirs, alors personne ne pourra plus me voler mon secret. Plus j’oublies, moins j’ai à perdre. Et quand je n’aurai plus rien à perdre, personne ne pourra me contrôler, me manipuler… car, on me manipule ? Qui ? Qui me manipule ? Qui me contrôle ? Dois-je essayer de m’en rappeler ou tenter de l’oublier ? Ai-je le choix d’ailleurs ? Puis-je aller à… contre-courant ?

                Cette forêt, c’est chez moi. Il y a de plus en plus d’insectes et autres nécrophages mais… ça reste chez moi. Par la fenêtre, je vois la Zona. C’est chez eux. Les Cafards géants n’ont pas débarqué. Les Mouches non plus. Il y a des mouches et des cafards mais de Mouches ni de Cafards. Pour l’instant tout va bien. Je suis bien chez moi. Je ne manque de rien.

                Haze vivait seul. Je ne sais pas pourquoi mais je tente d’articuler les concepts de solitude et de contrôle. On m’a contrôlée. Dans la « Cité Bleue », je n’étais pas seule. On me contrôlait. Ici, au milieu des autres, je suis seule et personne ne me contrôle. Je suis en sécurité, au milieu de ma toile.

                J’ai trouvé les notes de Haze mais… je ne peux pas les lire. Je ne peux pas les prendre. Je ne peux pas les cacher si des Cafards ou des Mouches viennent les chercher. Je ne peux pas les remettre à ceux qui me contrôlaient depuis la « Cité Bleue ». Mais je les ai trouvées.

                Au milieu de ma toile, j’observe les nécrophages. Je réfléchis. je me concentre. J’essaye de me rappeler. De quoi ? Millevaux me bouffe la mémoire. Je bouffe des insectes. C’est ma façon de bouffer Millevaux qui me bouffe la mémoire. Mais ça ne me rend pas la mémoire. Mais je me rappelle encore du Bleu. Le Bleu est quelque chose d’important. C’est un rêve…



                Quelqu’un est venu. C’est mon nouveau secret car moi seul suis au courant. Ce n’est ni un Cafards, ni une Mouche. Ce n’est pas un humain non plus. Ça a été humain mais ça ne l’est plus. Maintenant, c’est un peu comme de la forêt qui marche, un amas fongique et moisi avec des bouts de métal tranchant lui servant de colonne vertébrale. Il n‘a plus de visage. Il prend la hache. Je le reconnais pourtant. Il prend la hache plantée dans le dos de Haze.



                Alone Guru est le nouveau détenteur d’une hache légendaire. Et il a trouvé les notes de Haze.



                Je suis au milieu de ma toile. J’observe Alone Guru tout en mangeant. Ici, je suis en sécurité. Ni les Cafards Géants, ni les Mouches ni les Arachnides de la « Cité Bleue » ne peuvent me faire du mal.



                L’oubli est le meilleur gardien pour tous mes secrets.

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