MICROSCOPE - THE ISLAND SHE KEEPS


Jour I
            Je me réveille. L’air a des relents de sel et de poisson pourri. J’ai un gout de sang dans la bouche. Il me manque une dent. Les vagues s’éclatent contre les rochers. J’ai la tête qui tourne. Je ne sais pas comment je suis arrivé là. Je m’appelle Louis-Marie Hatecroft.
            Je me retourne. Je regarde l’océan et me rappelle. Le bateau. Je fuyais. Les serviteurs de Chtulhu.
            C’est un miracle que je sois en vie. Je devrais être mort. Je suis peut-être mort et c’est un tour que me jouent mes ennemis. Quelle torture me préparent-ils alors. Du bout de la langue, je fouille l’espace laissé vacant par ma dent brisée.
            Cette île n’a pas l’air très grande. Je devrais en faire le tour facilement. Mais avant cela, je dois trouver de quoi me nourrir. Et, peut-être, de quoi rêver aussi. Je suis un Rêveur, non ? Je crois, oui. Ces arbres un peu plus loin ont l’air chargés de fruits. Pourtant, mes pas me portent vers cette caverne. Si je suis en train de rêver, cette grotte sera un symbole, une métaphore dont l’exploration me mènera bien quelque part.
            La nuit tombe. Je grelotte. Je suis à l’abri du vent qui se lève mais… j’ai faim… et j’ai froid.

Jour II
            Le soleil se lève. Je m’approche des arbres et suis déçu. Les fruits sont nettement moins abondant et appétissant qu’ils n’en avaient l’air hier. La plupart sont recouvert d’une sorte de moisissure. Je regarde la caverne de loin. Je n’ai pas envie d’y retourner. Je crois qu’il y a quelque chose tout au fond. Je repense au bateau. Quel était son nom déjà ? Ah, oui ! Le Lotus des Profondeurs, comme cette plante qui fait rêver… rêver le Rêveur que je suis. Et j’entends cette voix lointaine, en français avec un terrible accent anglais, qui dit :
            « Où est Louis-Marie ? Il est dans le Cœur. Il est dans le Cœur Noir... C’est un rêve… Liberté… »
            Et je passe le reste de la journée à aménager l’entrée de la grotte pour la rendre un peu plus confortable. Ensuite, j’y dépose le plus possible de fruits comestibles. Demain, s’il y a un demain, j’essayerai de pêcher.
            Cette nuit encore, il n’y a ni lune ni étoiles dans le ciel. Je n’arrive pas à dormir. J’entends le vent qui s’engouffre dans la grotte. Je l’écoute. C’est comme s’il avait quelque chose à me dire.

Jour III
            Le soleil est haut dans le ciel et lui donne des couleurs magnifiques. Les vagues sont toujours aussi violentes. Je suis le rivages jusqu’à une petite crique où les flots sont plus calmes. Là, je peux pêcher. Mais ces gros poissons blancs sont craintifs et vif. J’arrive tout de même à en attraper deux. Mais tous les autres s’enfuient.
            J’ai l’impression que cette journée est passé plus vite que la veille. Peut-être est-ce parce que j’ai un bon espoir de pouvoir quitter cette île. J’en ai vu deux autres un peu plus loin. Cette île fait partie d’un archipel. Peut-être que les autres îles sont habitées… Et si j’arrivais à construire un radeau…
            Mais déjà le soleil se couche. Il est trop tard pour regagner ma caverne. Je décide donc de rester sur place. Mais je n’ai rien pour faire du feu. Alors, je mange les poissons crus. Leur chair est froide, sa texture est… dégoutante. Quand je la déchire, un liquide « vicieux » se déverse au fond de ma gorge.
            Cette nuit, j’entends encore le bruit des vagues et du vent mais… cela sonne comme une berceuse. J’ai pensé que cette grotte pouvait être un symbole, une métaphore. Mais peut-être que c’est toute cette île qui est un symbole. De quoi ?
            Puis un autre bruit, comme du verre, régulier, lent. D’où ça vient ? Aucune idée.
            Et le matin je comprends. Contre les rochers, ballotées par le courant.
            Une bouteille ! Une bouteille à la mer.

Jour IV
            Il y a un message dans la bouteille, évidemment. D’instinct, je regarde la signature. Ça comme par SI… mais le reste est illisible. Il ou elle est aussi un naufragé, un marin. Sur quel navire ? Ce nom là aussi est illisible. Cela faisait trois semaines lorsqu’il a écrit ce message. Il raconte des choses d’étranges. Lui aussi a l’impression que le vent (lui ?) parle. Mais lui, il a vu quelque chose dans l’océan. Il dit que quelque chose a bougé dans l’océan, que la mer et devenue noire. Ce quelque chose était énorme, comme une baleine, comme une île… et il a eu le sentiment que « ça » le regardait. C’était gros comme une baleine, plus gros même mais ça ne bougeait pas comme une baleine.
            Je regarde ce qui reste de mon triste repas de la veille. Les fluides restant dans les cadavres des poissons sont devenus noirs. Ça me donne une idée. Je presse les poissons et en extrais ce qui va pouvoir me servir d’encre. Une brindille me servira de plume. J’écris.
            « Je m’appelle Hatecroft, je suis un Rêveur, un naufragé… »
            … et je n’ai déjà plus d’encre. J’espère que ça suffira. Au moins, l’auteur de ces mots saura qu’il n’est pas seul. Il saura que j’existe.
            De retour dans la grotte, je me rends compte qu’une bonne partie des fruits ont pourri pendant la nuit. Alors, je me jette sur le reste.
            Le soleil se couche. Moi aussi. Le vent me parle. Je ne comprends pas ce qu’il dit. Je deviens fou ?

Jour V
            Encore une nuit sans sommeil. Encore ? Depuis combien de temps n’ai-je pas dormi ? Je ne sais plus. Si je ne dors plus, je ne rêve plus. Ou alors…
            Je dois faire du feu. Je dois absolument faire du feu. Je ramasse quelques herbes sèches et deux cailloux. Ça ne marche pas. Je me brûle mais le feu ne prend pas. A ma 6ème tentative, enfin, le feu prend sur les feuilles et non plus sur mes doigts.
            Je longe le rivage. Je ne sais ce que je cherchais mais ce n’est pas ce que je trouve. Un crane. Humain. Ce ne peut pas être celui de SI, hein ?
            Au moins, la pêche est bonne. Et grâce au feu, le poisson sera bon.
            Le feu danse pour moi, comme une houri de conte de fée. Mais une houri cruelle. Elle me fait mal, comme pour me punir de ne pas l’avoir allumer du 1er coup.
            Je ferme les yeux. Vais-dormir ? Je dois dormir car le vent murmure à mes oreilles. Il m’appelle… par mon nom !
            Mes dents pulsent. J’ai mal aux dents !

Jour VI
            Je n’ai toujours pas dormi.
            Debout, je fixe l’océan. Les vagues s’écrasent contre les rochers. Elles m’invitent à les rejoindre. Et une voix, une douce voix, réclame une de mes dents. Mes dents me font mal. Elles bougent mais, non !, elles sont à moi, pas à la voix, ni à la mer !
            J’erre sur la plage et je repense à cet autre naufragé, ce SI. Quel peut bien être son nom. Si… Singer ! Je décide de l’appeler Singer ! Paul Singer, le marin ! Mais Paul n’est pas qu’un simple marin. Il a ses secrets. Il connait des secrets. Est-il un Rêveur lui aussi ? Et si…
            Et déjà le soleil se couche. Déjà ? Il est pourtant si tôt. Si tôt que les étoiles ne se lèvent pas. Tant pis. Je rentre à la caverne. Il reste du poisson.
            Je ferme les yeux et je ne dors toujours pas. Si je ne rêve pas, comment rejoindre Singer le Rêveur ? Je ne dors pas mais j’entends le vent. Et le vent répète, inlassablement, le même mot : « suis… »

Jour VII
            J’ouvre les yeux. Les murmures se sont tus. Je regarde le ciel. Il est magnifique et effrayant. Avec ses reflets rouge, orange et violet, on dirait qu’il est en feu. Mon feu s’est éteint. J’ai froid.
            De nouveau face à la mer, je repose aux serviteurs de Chtulhu. Je repense au Rêve. Et si… et s’ils m’avaient piégé ici. Si c’était ça, le Cœur Noir. Un énorme fracas, en provenance de la caverne me tire de mes pensées.
            Un éboulement. J’accède malgré tout à l’intérieur de la grotte mais… il y a eu des dégâts. Je ne parviens à récupérer qu’un peu de nourriture. Si peu…
            Le soleil se couche et je mange la moitié de mes réserves. Je garde le reste pour demain matin. Ensuite, je retournerai pêcher.
            Je ferme les yeux. Je ne dormirai pas. Le vent souffle, plus fort. Il répète inlassablement ce mot : « un… »
            Ça n’a aucun sens et j’ai si froid. Je ne dors pas. Je pleure.

Jour VIII
            De nouveau face à la mer. Le fracas des vagues est toujours aussi assourdissant. Une brume épaisse recouvre le rivage. Je ne vois rien. Mes yeux sont emplis de larmes. Puis je la vois. Une masse sombre et énorme mais gracieuse. Elle danse sous le surface. Elle agite vers moi ses espèces de « filaments » ? Je ne sais pas comment appeler cela. Ça avance vers moi. Ça veut m’attraper. Ça veut que je l’accompagne. Ça me promet que j’y serai bien. Non ! J’ai faim.
            Je m’approche des arbres mais tous les fruits sont pourris et recouverts de filaments bizarres, un peu comme ceux de la chose noire. Cette chose me veut.
            Le soleil se couche et la lune ne se lève pas. Le ciel est noir, sans étoile, aucune. Le vent murmure. J’attends. Quoi ? Des réponses qui ne viendront pas. Personne ne viendra me chercher. Je vais mourir ici. Quand ?

Jour IX
            Devant ce qui fut ma grotte je comprends que ni elle ni cette île ne furent jamais mienne. Je n’ai été chez moi. Cette demeure est celle… du vent ? De la chose noire au fond de l’océan. Rien n’a jamais été à moi ici, quand bien même je l’ai pris, quand bien j’ai cru me l’approprier. Le prendre. Le comprendre. Je n’ai rien compris. J’aurais donc été un si piètre invité, un si mauvais… candidat.
            Je regarde le peu qui reste de mes affaires. Je n’en ai plus besoin. Je m’en vais. Je marche. Je retourne là où j’ai pêché mes 1er poissons, là où j’ai trouvé la bouteille.
            Personne ne viendra me secourir car ce n’est pas un endroit dont on revient. Ce n’est pas un endroit dont on vous sauve. Est-ce que SI, Paul Singer ?, avait compris ça lui aussi ?
            Dans cette petite crique, la mer est calme. Je plies mes vêtements sur le sable et avance dans l’eau. La chose est là et m’invite en agitant ses filaments. Elle m’attendait. J’ai déçu l’île mais elle, sa gardienne ?, je ne la décevrai pas.

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