MANTOID



Les crimes ont été « joués » avec Arkham Noir.
Les journaux ont été joué avec The Thousand Years Old Vampire.
Les lettres ont été joué avec la campagne Quill : Ink & Shadows.


Les lettres de la Mort ont été jouée avec The Reaper’s Almanach.
Corso a été joué avec Mantoid et le Tarot de l’Aventure Imprévue & Bois-Saule.





            Je suis « Gragasanil » Corso. Je suis un Soar, chevalier d’or en exil et collectionneur de machines à écrire. Mon but dans la vie : tout savoir ! Je veux percer les secrets de l’univers et d’Azathoth. Mais, pour l’instant, je veux tout savoir sur la mort de Roularik et Putium, respectivement Cafaroïde, chevalier d’or en exil lui aussi, et Clone prêtre d’Azathoth de leur état. Cette affaire ne m’aurait concerné en rien si, Azathoth seul sait pourquoi, je ne m’étais retrouvé téléporté sur la première de crime.

            En tant qu’ancien chevalier d’or, j’avais entendu parler de Roularik même si je ne l’avais jamais rencontré. Le Joueur, même si cela lui paraissait plus que capillotracté, se rappela les Watchmen et se demanda si quelqu’un ou quelque chose n’en avait pas après les chevaliers d’or exilés justement. Aussi, il devenait légitime que je mène l’enquête, ne serait-ce que pour éventuellement sauver ma peau de porc.

            Pour des raisons historiques qui maintenant nous échappent un peu à tous, Azathoth partage son royaume du Chaos avec la forêt de Millevaux, tout à la fois domaine et avatar de Shub-Niggurath. Le corps de Roularik se trouvait donc dans les bois les plus profonds. Là, je remarquai des marques laissées par la foudre sur un arbre. Or, ces marques différaient de celles qui avaient foudroyé le chevalier. Là, sur le tronc, un symbole était tracé. Et, cachées au pied de l’arbre, je trouvais également un paquet de lettres. Rédigées à différentes dates par différentes personnes, elles avaient néanmoins en commun d’évoquer les Anciens, la forêt ainsi qu’un ouvrage appelé le Vir Stellas.

            De retour dans l’Interzone, je me rendis chez mon ami Randolf Carter et lui fit part de mes découvertes. Cela lui évoqua un Ancien Oublié. Je pensais à Shub-Niggurath bien sûr et Carter me le confirma. Cette mort était donc liée à la Chèvre Noire. Mais comment et pourquoi ? Carter me fit alors gouter une de ses drogues, un « cadeau » d’un de ses fournisseurs Mantoïdes. Là, sous l’effet de la drogue psychédélique, le temps s’accéléra et je me retrouvais dans une salle piégé d’un donjon technomagique. Il s’agissait là d’une ancienne arène désertée. Là, je trouvais un journal entre les mains du cadavre horriblement mutilé et méconnaissable d’un homme-porc.

            Et en substance, voici le contenu du journal :

                                                                                   « Graga veut dominer le monde. Parfois, il pète les plombs et doit être calmé. J’ai réussi à immobiliser, mais pour combien de temps, la structure dans laquelle il baigne en bloquant un mécanisme avec un vinyle de void métal. J’espère qu’il ne m’en veut pas trop. Yargalac veut que j’utilise un des sorts contenu dans mon livre pour l’aider dans sa vengeance mais… les voies d’Azathoth sont impénétrables et cela ne marche pas comme ça. Ce n’est pas aussi simple. Je ne suis pas sûr qu’il l’ai vraiment ni compris, ni accepté. Yargalac est toujours en quête d’artefacts d’origine voyvode. Aussi, il m’invite dans un tripot en plein cœur de l’Interzone et me fait part d’une rumeur concernant des trésors repérés dans la forêt. Je me méfie car c’est un des fameux plans de Yargalac qui m’ont mis face au Sumérien. Mais son enthousiasme me gagne et nous partons pour la forêt. Là, je suis pris d’un étrange malaise. Je me sens mal. Yargalac ne montre aucun signe de gêne. Je me concentre, regarde et écoute partout autour de moi. Mais c’est au-dessus que se trouve la source de mon mal-être. Nous passons sous un groupe d’arbres auxquels sont suspendues d’innombrables petites poupées faites de brindilles et de chiffon. Je les montre à Yargalac qui s’en moque éperdument. Pourtant, le vent les fait chanter dans cette Langue Putride qui me fait comprendre que nous sommes là en un territoire appartenant à des adorateurs de Shub-Niggurath. Que dois-je comprendre ? Suis-je devenu allergique à la Langue Putride ou dois-je me méfier des serviteurs de la Chèvre Noire ? Nous finissons par trouver ce que nous cherchons mais il ne s’agit pas des trésors espérés. Aussi, c’est sans regret que je laisse toutes ces babioles à Yargalac. Yargalac n’est plus. En vérité, je m’en moque un peu mais, pourtant, mes pas me portent vers l’une des demeures que nous avons partagé à une époque où nous étions beaucoup plus actif dans notre chasse aux artefacts voyvodes. En vérité, je m’attendais à ce que cet endroit soit de nouveau occupé mais il n’en est rien. Tout a été laissé à l’abandon. Je en sais pas si les lieux ont été occupé depuis notre départ mais il ne reste rien. J’ai l’impression d’être dans une boite vide… comme mon âme… »

            Qu’est-ce que tout cela pouvait bien signifier ? Les lettres relatives au Vir Stellas mentionnaient un rituel sanglant automutilatoire, des créatures venues d’une autre dimension, Nyarlathotep et Millevaux. Là, il s’agissait de retrouver des artefacts voyvodes dans la forêt. Mais ce fameux Yargalac semblait mort et l’auteur de ce journal restait pour l’heure anonyme. Mais cette histoire était elle aussi liée à Shub-Niggurath et Millevaux.

            Je quittais cet endroit après avoir découvert l’entrée d’un tunnel souterrain. Je regagnais donc l’Interzone mais non sans avoir été confronté à l’existence du Troisième Rituel Aklo dont, à ce moment-là, je ne comprenais ni la présence ni la signification.

            Les choses devinrent à peine moins floues quand je pris connaissance de la mort de Putium, également foudroyé dans la forêt. Pas de marques sur un arbre cette fois mais un passage dissimulé menant jusqu’à un mur de hiéroglyphes parmi lesquels je reconnus le symbole du Troisième Rituel Aklo. Je trouvais là également un autre journal, beaucoup plus court celui-là :

                        « Voyvodes ! Mal Tête ! Langue Putride ! Batterie… Vide ! Yargalac, mort ! […] Sang pourri ! Malade ! Sang Putride de langue Putride ! Malade ! Pas boire sang de Langue Putride ! […] Sang Putride partout ! Malade ! Batterie vide… Sommeil… Oubli. […] Animaux forêt fuient ! Courent loin ! Volent haut ! Animaux forêt peur de moi ! »

            Je ne comprenais rien. Je suivis le tunnel et, à sa sortie, me retrouvais face à une tombe envahie par la végétation. Malgré cela, l’épitaphe était lisible. Il s’agissait de la tombe d’un certain Moulesanil, Soar Cyborg. Et l’épitaphe disait : « L’électricité garantit la réforme biscornue. » Je notais toutefois qu’il y avait un écart dans le mot « biscornue » qui pouvait donc aussi être lu « Bis Cornue ». Deux cornes ? Comme ce Horla qui m’apparu alors que se mit soudain à tomber un violent orage n’ayant rien de naturel ? Et sur la tombe, invisible jusqu’alors, se mit à luire le symbole du Troisième Rituel Aklo. Je sortais mon flingue et m’apprêtais à quitter ces bois, espérant que le Horla n’en aurait pas après moi. Pas de chance, il me suit. Coup de chance, j’ai été bien inspiré de dessiner dans l’air, du bout de mon flingue, le symbole Aklo qui l’a fait fuir.

            De retour dans l’Interzone, je m’enfermais chez moi et me plonger dans le paquets de lettres, y cherchant un lien avec les deux journaux que j’avais trouvés. La première avait été écrite par un certain Damon Hesse dont je sais qu’il s’agit là d’un des pseudonymes du Joueur. Il s’adressait à un certain Pierre :

                                                           « Londres, le 3 septembre 1887



            Cher Pierre…



            Je suis encore à Londres. Je pensais rentrer plus tôt mais j’avoues consacrer un temps considérables à l’un de ses opus dont je fais la collection. Vous connaissez ma passion pour les livres anciens, notamment ceux traitant de sujets ésotériques, occultes même, soit tout ce qui se situe à la frontière la rationalité. Nombre de mes collègues refusent de leur accorder le moindre intérêt. Pourtant, ces ouvrages existent et ils sont des témoins de leur temps, eux aussi. Ainsi, un de ces ouvrages était mis aux enchère à Londres. Je me suis empressé de m’y rendre et d’en faire l’acquisition. La lutte fut âpre. Je n’étais pas le seul intéressé par le fameux Vir Stellas. Mais, après avoir payé le prix fort dans tous les sens du terme, je repartais avec l’ouvrage.

            J’avais prévu de rendre visite à quelques vieux amis mais, finalement, je ne quitte quasiment plus ma chambre d’hôtel. Je consacre en effet toutes mes journées, et mes nuits, à l’étude du Vir Stellas. Etude est un mot peut-être bien inadapté car, en vérité, je « subis » littéralement l’emprise de cet étrange tome. En effet, après des heures et des jours plongé dans ses pages, que puis-je en retirer si ce n’est d’étranges sentiments mêlés faits de fascination et de… dégouts.

            En vérité, force m’est de reconnaitre qu’une énorme partie du contenu du Vir Stellas me demeure interdite. Ce texte n’est pas uniquement rédigé en anglais. Et je ne suis même pas certain que toutes ses parties soient écrites en langues… humaines. En vérité, le peu de compréhension que j’ai de cette ouvrage est plus « intuitif » que rationnel et je tiens cette compréhension plus des songes inspirés par la vision de ces mots et de ces images que d’une véritable « intelligence » des propos consignés. En effet, à la lecture, je ne comprends que d’infimes parties de ce texte. La nuit par contre, quand j’arrive finalement à dormir, c’est autre chose.

            Pierre ! J’ai vu en rêve ce que j’ai lu dans le livre ! Une forêt, mais pas une simple forêt comme on en visite dans nos contrée. Là, c’était autre chose. C’était.. dérangeant… Cette forêt est le domaine de quelque chose de terrible. Je ne sais si c’est le maître des lieux qui m’est apparu mais j’ai vu, dans le ciel de cette forêt, un gigantesque buste de pierre. Je ne me rappelle que de son casque à cimier rappelant celui d’un soldat romain. Son regard portait loin devant lui. Il ne m’a pas vu, je l’espère. Pierre ! Avez-vous déjà entendu parler de ce livre ? Connaissez-vous le Vir Stellas ? Quelqu’un vous a-t-il déjà raconté une histoire comme la mienne ? J’ai besoin de votre aide, Pierre. Je dois en savoir plus. Accepteriez-vous de me recevoir et de me dire ce que vous comprenez du Vir Stellas ?



            Pierre, j’ai tardé à poster cette lettre et peut-être que j’ai bien fait. J’ai de nouveau rêver du Vir Stellas la nuit dernière. Ou plutôt, j’ai rêvé de cette forêt qu’il décrit. Je me suis de nouveau retrouvé plongé dans ses illustrations. Cette forêt est plus qu’une forêt, je l’ai déjà dit. Mais ce n’est pas seulement le domaine de la chose qui règne sur ces bois. Je crois que cette forêt est LA chose en elle-même, l’Entité dominante. Je n’ai pas revu cet étrange buste géant dans les cieux de ces bois. Mais j’ai ressenti autre chose. C’était plus insidieux. C’était… pire. Cet endroit baigne dans une « énergie » malsaine, Pierre. Une sorte d’éther que certains des habitants de ces bois manient grâce des règles qui seraient interdites dans notre monde. Sont-ce ses règles qui sont décrites dans le Vir Stellas ? J’ai besoin de votre aide, Pierre, pour me débarrasser de ces rêves, de ces tourments, mais aussi pour comprendre ce que sont ces bois, ce qu’est… Millevaux !



                                                                                                                      Damon Hesse »



            La seconde était l’œuvre d’un certain Paul. Je savais qu’il s’agissait de Paul Singer, un autre avatar du Joueur :

                                               « Chère Jemima,

            Je suis en ce moment même à Arkham, au chevet d’un ami mal en point. Toutefois, ce n’est pas de cela dont je veux te parler. Tu le sais, mes grands-parents sont décédés récemment. Ce n’est pas de cela non plus dont je veux te parler. Pourtant… Parmi toutes les choses qu’ils m’ont laissé, il y a une chose qui ne pourra qu’attirer ton attention. Il s’agit d’un livre intitulé Vir Stellas. C’est un recueil bien étrange. Il écrit dans divers langages auxquels je ne comprends que peu de choses. Mais ce n’est pas tout, il y a aussi d’étranges hiéroglyphes semblables à certains que tu m’as déjà montré. Oui, je te parle d’occultisme !

            En ce qui me concerne, je ne peux prétendre avoir une véritable compréhension du contenu de ce livre. Mais je ne suis pas le seul dans ce cas. En fait, le livre est accompagné d’une série de notes rédigées par un ami de la famille. Il a étudié l’ouvrage et confirme que le principal de ce que l’on peut saisir du Vir Stellas ne provient pas tant du texte que des visions que suscitent ses mots et ses gravures. Et j’ai été moi aussi la proie de ces visions étranges. Et j’ai vu, en songes, les choses décrites par Pierre Durand ainsi que par celui qui lui avait confié le livre. Et comme eux, j’ai vu des fragments de cette forêt qu’ils appellent Millevaux.

            Mais ce n’est pas tout est loin de là ! Durand a étudié aussi profondément que possible le texte même du Vir Stellas et il a mis en évidence les diverses étapes d’un rituel. Oui, un rituel qui permettrait de gagner cette étrange forêt non plus en rêve mais en réalité. Or, pour cela, il faut être au moins deux. C’est pour cela que j’ai besoin de toi. Je te sais férue d’occultisme et il n’y a que toi pour m’aider à réaliser ce rituel.

            Je sais que tu es très occupée. Je sais aussi que tu es très susceptible et que tu croiras peut-être que tout cela n’est qu’une plaisanterie. Mais cela n’est pas le cas. Je te supplies de me croire. J’ai lu et relu les notes de Durand. Je me suis plongée encore et encore dans les gravures et les symboles étranges du Vir Stellas. Il y a des mots qui ne pourront que trouver écho en toi et achever de te convaincre. As-tu entendu parler de Millevaux ? Peut-être pas. Mais, as-tu entendu parler de Shub-Niggurath ? Je ne suis sûr de rien évidemment et c’est aussi pour ça que j’ai besoin de toi, de ton expertise. Mais il est d’ores et déjà certain que cette forêt de Millevaux et ce ou cette Shub-Niggurath sont intimement liés. Je veux en savoir plus. Et je sais que toi aussi, après avoir lu cette lettre, tu voudras en savoir plus. Alors, m’aideras-tu à réaliser cette invocation ?

            Je te l’ai dit, je suis à Arkham en ce moment. Aussi, rejoins-moi ! Là, dans les bois bordant la Miskatonic, où n’importe quel autre endroit qui te semblera le plus propice, nous réaliserons ensemble ce rituel et perceront ces secrets qui ne furent que frôlés par Durand. Toi comme moi ne pouvons que saisir cette incroyable opportunité. Rejoins-moi à Arkham. Je te montrerai le livre. Je te raconterai mes rêves. Nous verrons Millevaux.



Paul »



            La troisième, écrite par un certain Hatecroft, était adressée à Paul :

                                                                                                                                  « Paul, mon ami…

            J’ai besoin de ton aide. Je suis actuellement à Arkham. Venu là à la demande d’une amie, je ne pouvais un seul instant ce qui m’attendait. Et pourtant, j’aurais peut-être pu m’en douter. Tu le sais, en tant que linguiste, il m’arrive de faire profiter de mes lumières quelques-unes de mes connaissances férues de livres rares, anciens et traitant le plus souvent de phénomènes occultes. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de celle qui allait devenir une grande amie : Jemima Carter. Mais, je le répète, comment aurai-je pu prévoir ce qui m’attendais. Paul, par avance je t’en conjure, pardonnes-moi.

            Jemima s’était rendue à Arkham à la demande d’un de ses amis. Celui-ci prétendait être en possession d’un ouvrage rare et il avait éveillé sa curiosité. Toutefois, Jemima m’a également fait part de ses inquiétudes quant à la santé de son ami. En effet, ce dernier était littéralement obsédé par sa lecture, ce qui visiblement ne lui ressemblait pas. L’essentiel de ses propos tournaient donc autour de la réalisation d’un sort et c’est pour cela qu’il avait besoin de l’aide de mon amie.

            Face à l’inquiétude de Jemima, je me décidais donc à me rendre à Arkham. Mais j’arrivais trop tard. Au lieu de Jemima et de son ami, je trouvais deux corps horriblement mutilés. Mais, plus étrange encore est la « mise en scène ». Tous deux étaient en effet recouvert de cicatrices et de plaies reproduisant en grande partie les symboles étranges dessinés sur les murs de la pièce où je les ai découvert. Ces mêmes symboles se trouvaient dans diverses notes éparpillées autour des cadavres. Evidemment, j’ai tout de suite prévenu la police qui a conclu à un suicide particulièrement macabre.

            Pour ma part, je ne pouvais croire à un suicide. Non ! Il s’était passé autre chose. J’ai alors entrepris d’interroger les plus proches voisins et j’ai appris quelques faits étranges, questionnant en tout cas. Ainsi, ils m’ont raconté avoir entendu une véritable cacophonie en provenance des bois cette fameuse et terrible nuit. Et pour ce que j’ai pu saisir des notes avant que la police ne les mette sous scellés, il semble bien que la forêt joue un rôle important dans toute cette histoire.

            Ce n’est pas tout. On m’a aussi rapporté avoir vu d’étranges lumières cette nuit-là, toujours dans les bois alentours. En vérité, je suis convaincu que Jemima et son ami se sont rendus dans la forêt cette nuit-là. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont vu mais je suis prêt à parier que cela les a suivi jusqu’à cette pièce où je les ai trouvés. Je ne suis pas superstitieux. D’une manière générale, j’essaye et j’espère être un homme à l’esprit ouvert mais, toutefois, sans être crédule. Pourtant, après ce que j’ai vu dans cette pièce et avoir entendu le récit des voisins, je me demande vraiment si Jemima n’a pas véritablement participé à quelque chose de magique. Et si c’est vraiment le cas, elle en a payé le prix fort. La police va très certainement classer l’affaire. Pour ma part, cette affaire ne sera jamais classée tant que je ne saurai pas ce qui s’est réellement passé dans les bois cette nuit-là. Et pour cela, j’ai besoin de ton aide. Puis-je compter sur toi ?



Patrick Hatecroft »



            L’auteur de la quatrième lettre, par contre, ne me disait rien :

                                                                                                                      « Je vis près de ces bois depuis maintenant près de dix ans. Je les connais bien. Je m’y promène souvent avec mon chien. Ce sont des lieux tranquilles, des lieu de paix. Mais ce n’est plus le cas depuis maintenant un mois. Il se passe des choses étranges dans nos bois. Etranges et tragiques, criminels.

            Vous vous rappelez sûrement la découverte de ces deux corps horriblement mutilés, recouverts de coupures et autres plaies. Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Loin s’en faut. Un de mes plus proches amis s’est intéressé à cette affaire.

            Charlie, mon ami, a vu les corps. Il a également vue la scène de crime. Il a vu ces étranges scarifications et les notes, le livres qui les ont inspirées. Cela l‘a traumatisé. Depuis ce jour, il ne fut plus le même, littéralement obsédé par ce qu’il avait vu. Obsédé au point de les… reproduire. Je ne sais pas comment cela est arrivé mais, à la faveur d’une promenade, c’est moi qui est retrouvé le corps de Charlie dans les bois, marqués de la même façon que ces deux autres corps. Je n’en croyais pas mes yeux. J’ai encore du mal à y croire.

            Je n’ai pas l’âme d’un flic. Pourtant, je me devais d’agir. Surtout face à l’inertie des forces de l’ordre. Alors, je me suis rendu, de nuit, dans les bois. Car, cette nuit encore, on y entendait d’étranges clameurs. Et, sans réellement comprendre ce dont j’étais témoin, je ne peux que vous rapporter cette horrible scène qui, si elle n’explique rien, aura au moins le mérite de vous faire saisir l’ampleur de ce qui se trame.

            Ainsi, me guidant dans la nuit au son de ces chants, j’arrivais bientôt à l’orée d’une clairière. Là, j’ai vu, une dizaine de personnes, nues et aux corps recouverts de ces cicatrices mystérieuses, danser autour d’un homme, que dis-je, un géant ! richement vêtu. Le géant ricanait devant les contorsions des danseurs. Il émanait de lui quelque chose de monstrueux. Je ne sais pas dans quelle langue ils chantaient mais je me rappellerai pourtant toute ma vie ces mots : « Ie, ie Nyarlathotep, thusai cul nubula Nyarlathotep ! » Je ne sais pas qui sont ces gens, mais je serais pas surpris si nous découvrions bientôt de nouveaux corps scarifiés dans les bois. La police ne semble pas très prompte à agir. Pourtant, il faut que cela cesse. Aussi, je m’en remets à vous et à votre bon sens civique.



                                                                                                                      Lewis Johnson »



            Et la dernière me laissa on ne peut plus perplexe :

                                                                                               «          Qu’est-ce qui m’a pris ? Pourquoi j’ai voulu me mêler de cette histoire ? Lewis ! Aurais-je vraiment pu laisser un autre se confronter à… ça ?! Oui, non ! Je ne sais plus. Je ne sais plus par où commencer. Le commencement ? La lettre de Lewis au journal ? pourquoi écrire au journal et non pas me contacter directement ? A-t-il cherché à me protéger tout en tentant de prévenir les gens ? Il a vu, lui aussi, il a vu ça ! Je le sais, j’en suis sûr ! Est-ce pour ça qu’il s’est… dissipé dans la nature ? Et Betsy, pauvre bête ! Non, jamais Lewis n’aurait abandonné Betsy. Que lui est-il arrivé ? Que m’est-il arrivé ? Rien ! Rien, tout cela n’est qu’un rêve, une fiction, un horrible cauchemar !

            Mais qu’ai-je vu en réalité ? Ou, qu’ai-je cru voir ? Quel tour m’a joué mon esprit ? Dans les bois, une trentaine de personnes, nues, écorchées et scarifiées autour d’un homme, cet homme, un géant ! Ils dansaient au son d’une horrible symphonie. Et le géant riait ! Puis, un autre son a remplacé la musique. Je crois que c’était là depuis le début mais… mon esprit refusait de le voir.

            Les danseurs ne dansaient plus. Ils étaient à terre, corps ruinés, tordus et… dévorés ! En train d’être dévorés par des… des créatures indescriptibles ! Des ombres grises recouvertes de… pustules et dotées d’ailes membraneuses se repaissaient des viscères des danseurs. Les hurlements de douleurs se mêlaient aux rires et aux chants. Et aux horribles bruits de mastications.

            Je pose ces mots sur le papier pour faire sortir ces visions de moi. Il y a quelque chose dans les bois. Quelque chose qui provoque ces hallucinations. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, des hallucinations ! Tout cela n’est que le fruit de mon imagination, stimulée par ou à cause de la lettre de Lewis. Je couche ces visions sur le papier. Je les transforme en mots pour les faire sortir de moi. Ensuite, je mettrai cette lettre dans une enveloppe et je ne l’ouvrirai plus jamais !



            IL Y AVAIT DE LA JOIE DANS LE REGARD DE CETTE HOMME ! PLUS QUE DE LA JOIE. DE L’EXTASE ! IL PLEURAIT ET RIAIT EN MEME TEMPS ! ET IL ME REGARDAIT ALORS QUE CES CHOSES LUI AVAIENT DEJA DEVORE LES JAMBES ! C’EST AU-DELA DE TOUT CE QUE L’ESPRIT HUMAIN PEUT CONCEVOIR. ET IL A DIT "NYARLATHOTEP NOUS A APPORTE LE PARADIS, QU’IL EN SOIT BENI !" »



            De retour dans l’Interzone, je me mets face à ma machine à écrire. Je vérifie que le réservoir de Pétrol’magie est plein et je fais une place dans ma cervelle de porc pour le Joueur. Je reprends les journaux et lettres que j’ai trouvé et les relis tout en tapant quelques notes à propos de divers éléments récurrents et de leurs potentiels liens.

            Ainsi, je pense que ce livre, le Vis Stellas, est peut-être bien écrit, au moins en partie, en Langue Putride. Cela expliquerait que les auteurs des lettres aient eu tant de mal à le déchiffrer tout autant qu’ils furent les objets de visions millevaliennes. Et ces mêmes visions auraient entre eux comme conséquences, voire comme but, de les inciter à se livrer à ce rituel d’invocation de Nyarlathotep.

            Ce rituel, qui est peut-être le Troisième Rituel Aklo, suppose des pratiques automutilatoires. Et n’est-ce pas l’automutilation ultime que de ce laisser dévorer par des créatures qui sont, peut-être, des Horlas émissaires de Shub-Niggurath ? En fait, je me demande si le rituel contenu dans le Vir Stellas n’a pas pour but d’obtenir de Nyarlathotep qu’il intercède avec la Chèvre Noire en faveur des invocateurs. Peut-être que ces derniers ne savaient comment s’adresser directement à la Chèvre Noire ? Mais, qu’attendaient-ils vraiment d’elle ? Le paradis ? Vraiment ?

            Il est un fait connu que les Sumériens sont adeptes des tatouages et autres scarifications. Est-il possible que le Sumérien mentionné dans les journaux est eu le Vir Stellas entre les mains. A-t-il eu lui aussi des visions ? D’ailleurs, est-il possible de trouver cette tête géante dont parle l’auteur de la première lettre ?

            Il apparait également que ces lettres viennent d’ailleurs. Un monde, une dimension qui ne connait pas « concrètement » Millevaux. Ont-ils tenté d’attirer l’attention de Shub-Niggurath de leur propre chef ou s’agit-il d’un plan de la Chèvre Noire pour se répandre dans d’autres mondes ? Compte-t-elle trahir Azathoth ?

            Mais les journaux parlent aussi de « batterie » et donc d’énergie, d’électricité comme celle qui a foudroyé la première victime. Ils parlent aussi d’artefacts voyvodes et de Cyborgs, certainement alimentés eux-aussi par de l’électricité. Alors, quel est leur lien avec la Chèvre Noire ? Comment comprendre ce malaise que ressent l’auteur du journal par rapport à la Langue Putride ? Y a-t-il une sorte d’incompatibilité entre l’électricité, ou n’importe quelle énergie alimentant les Voyvodes et les Cyborgs, et Shub-Niggurath ? Et si, bien que les influences d’Azathoth et Shub-Niggurath puissent cohabiter, il n’en était pas de mêmes pour les Cyborgs et les Voyvodes ?

            Je tiens peut-être là un début de piste. Maintenant, je dois tout de même comprendre en quoi tout cela concerne les Chevalier d’Or exilés. Je devrais peut-être aussi me renseigner sur ces Graga et Yargalac.



            Qu’est-ce que je fous là ? La tête me tourne à cause de la gravité inversée. Cette antique sphère voyvode paraissait abandonnée. Et pourtant, les Millevaliens vivant là l’ont reconvertie en arène. Je ne sais même pas comment ils me sont tombés dessus. En attendant, je fais face à un Soar, comme moi ? Pas vraiment. Son groin s’est transformé en ce bec caractéristique des Pétrol’head. Le cochon doit être défoncé comme pas permis. il n’a pas d’arme. Je ne sais pas si je dois être rassuré ou d’autant plus inquiet. Quant à moi, on m’a évidemment délesté de mon flingue et de mon armure d’or. Je réfléchis. Je tente d’évaluer la situation. Je ne devrais pas. Le Soar me saute dessus ! Mais j’ai quand même des restes de mon passé de chevalier d’or. J’esquive d’un bond, roule sur le côté, me redresse et lui saute dessus à mon tour. Le porc est résistant. Je me heurte à un mur. Il vacille à peine. Mais j’ai de la chance. Complétement défoncé qu’il est, ses attaques sont complètement chaotiques et finalement assez faciles à éviter, pour l’instant. Je me jette à nouveau sur lui. Mais, cette fois, je vise à hauteur des genoux et parviens à le faire tomber. Je le tourne sur le ventre, m’assois sur son dos et m’empare de son bras pour lui infliger une sévère clé. Je ne souhaite pas spécialement le tuer. J’espère qu’il va abandonner et qu’on va en rester là. Je ne sais pas s’il comprend un traitre mot de ce que je raconte mais je lui demande d’abandonner. Et il doit être finalement moins fracassé du crane que je ne le pensais. Il lève son bras libre et frappe plusieurs fois le sol en signe d’abandon. L’espace d’un instant, j’ai eu peur que la foule n’exige sa mise à mort mais, au contraire, elle se montre étonnamment clémente.


            J’ai gagné et on me permet de quitter l’arène. On me rend même mes affaires. Je demande à rencontrer le ou les maîtres des lieux. Les gardes ne sont pas contre mais… Ils échangent un regard un peu gêné. Je leur demande ce qu’il y a. veulent-ils un Baquechiche ? Ils sourient. Le Joueur a de la chance et doit être d’humeur taquine. Il a mis dans mes poches une poignée de Noix et de Billes qui les emmèneront très très loin… au pays des Cœlacanthes, peut-être ? Mais je en devrais pas parler d’eux, ça risquerait de les attirer.


            On me conduit dans le bureau d’un des responsable de cette arène : un Voyvode ! Je ne comprends pas. Je croyais cette arène construite dans un artefact abandonné par les Voyvodes. Il me le confirme. La sphère a été abandonné, conquise par Millevaux puis plus ou moins reconquise par les Voyvodes qui en ont fait ce lieu festif. Bon, OK, pourquoi pas…


            Je plonge mon regard dans ce qui pourrait être l’équivalent chez ce Voyvode. En réalité, il me fait plutôt bonne impression et je pense pouvoir lui parler franchement. Aussi, je lui explique m’être retrouvé sur deux scènes de crimes. Tout ça part un peu dans tous les sens mais il y aurait un lien entre Azathoth, Shub-Niggurath mais aussi l’électricité, les Cyborgs, d’anciens chevaliers d’or et… les Voyvodes. Je lui fait part de mon hypothèse selon laquelle si l’alliance entre Azathoth et la Chèvre Noire fonctionne plutôt bien, ce n’est peut-être pas le cas vis-à-vis des Cyborgs, Voyvodes et tout ce qui fonctionnerait avec de l’électricité. Et puis, je soupçonne également la Chèvre Noire d’avoir des projets d’expansion incluant des Sumériens. C’est pas facile d’interpréter l’attitude d’un Voyvode mais je lui trouve l’air… circonspect. Alors, a-t-il un avis sur la question ? Les Voyvodes ont-ils sentis des « problèmes » de « compatibilité » entre l’électricité et l’Egrégore ? Et le Voyvode, qui me donne l’impression d’être étonné par tout ce que je lui raconte, me répond par l’affirmative. Alors, d’après lui, est-il possible que, dans le dos d’Azathoth, Shub-Niggurath est ourdie quelques plans contre les eux et les Cyborgs ? Et là encore, j’obtiens une réponse affirmative.


            Les livres d’histoire nous enseignent que les Voyvodes et les Sumériens sont tous deux ennemis Royaume qu’ils étaient sensés servir. Pour autant, à choisir, il n’est guère étonnant que la Chèvre Noire ait jeté son dévolu sur les Sumériens plutôt que sur les Voyvodes. Aussi, il est très possible qu’elle ait corrompu certains Sumériens afin qu’ils servent ses intérêts. Mais ça ne me dit rien quant au lien avec les chevaliers d’or en exil. Le Voyvode a bien une idée mais… ce n’est qu’une idée…



            Et sur les bons conseils du Voyvodes, je me retrouve de nouveau sous terre, en pleine forêt. D’après lui, ce n’est pas un hasard si je me suis retrouvé sous terre après la découverte de ces crimes. Et ce n’est pas un hasard si moi, un ancien chevalier d’or, j’ai été mis en face du symbole du Troisième Rituel Aklo. Le Voyvade n’a pas voulu s’avancer mais m’a tout de même laissé entendre que, pourquoi pas ?, certains chevaliers d’or auraient eu entre les mains de quoi réaliser ce rituel. Et là, je pensais au Vir Stellas. Mais je pensais aussi à ce mur de hiéroglyphes. Je devais le retrouver. Mais force me fut de constater que j’étais bel et bien perdu. Perdu mais… pas seul pour autant. On me suivait. Je me cachais et reconnus la silhouette d’un Mantoïde. En fait, il s’agissait de plusieurs Mantoïdes. Non, d’un seul ! Alors, un ou plein ? En vérité, il s’agissait d’un Mille-pattes humain, ou plutôt d’un Mille-pattes Mantoïde. Je ne savais pas que ces trucs là pouvaient exister. Je ne savais pas non plus qu’ils avaient une bonne vue car il m’avait manifestement repéré et me demandait de sortir de l’ombre. Mon flingue à la main, je m’approchais du monstre. Je sentais en lui comme une animosité contenu. Je crois qu’il aurait bien voulu me sauter dessus mais il avait manifestement quelque chose à me dire. Il se présenta comme étant un certain Korium. Il vivait dans l’Interzone, il y a longtemps. Puis, il est devenu ce que j’avais sous les yeux et se cachait sous terre. Il ne cacha pas ni son envie ni la facilité avec laquelle il pourrait me découper en tranches de bacon mais il y avait plus important. Je devais le suivre.



            Je ne sais plus où j’en suis après les révélations de Korium. Ce dernier m’a conduit jusqu’au fond de son repaire souterrain et m’a raconté une bien étrange histoire, son histoire… celle d’avant qu’il ne devienne un mille-pattes Mantoïde.


Korium est plus vieux qu’il en a l’air et, reconnait-il, sa mémoire lui joue des tours. Mais, il sait que sa « mort » est lié à l’histoire d’un de ses proches, un certain Trashalak. Je me demandais si j’avais vraiment du temps à perdre avec cette histoire et sus que oui dès que Korium mentionna que Trashalak était un Cyborg chasseur de reliques Voyvodes, accompagné dans cette tâche par un certain… Yargalac, passionné lui aussi de reliques Voyvodes et… chevalier d’or en exil !


            Korium m’expliqua comment Trashalak était revenu « différent » d’une de ses chasses dans la forêt. Yargalac l’avait informé de l’existence d’une sphère voyvode abandonnée mais il s’était passé quelque chose là-bas. Trashalak avait changé. Physiquement et mentalement ! Il avait expliqué cela par son intérêt nouveau pour la magie du Chaos mais il y avait autre chose. Sinon, comment expliquer que, peu à peu, tous soient mort, Yargalak, Graga et lui-même ? Lui avait eu la chance que ses mille-pattes esclaves sexuels le ressuscitent sous cette forme pleine de potentiels mais les autres… Même Trashalak avait fini par disparaitre entre temps. Pourtant, Korium avait entendu des rumeurs comme quoi quelqu’un lui ressemblant avait été aperçu dans l’Interzone. Il était facilement reconnaissable à sa peau écailleuse mais aussi parce que, parfois, il portait encore le chapeau « magique » qu’il lui avait offert autrefois. Attention toutefois, ce chapeau est un vecteur de maladies contagieuses.


            Voilà ce qu’avait pu me dire Korium. Et tout prenait semblant de sens. Des Cyborgs, des reliques voyvodes, les chevaliers d’or, Millevaux… Tous ces éléments étaient déjà liés dans une autre histoire. Et il semblait que ce fameux Trashalak erre dans l’Interzone. Etait-il lié aux meurtres actuels ? Je devais le trouver pour m’en assurer et aussi savoir en quoi les chevaliers d’or d’aujourd’hui étaient liée à cette vieille histoire.



            Et me voilà zonant dans l’Interzone à la recherche de ce fameux Trashalak, Cyborg à la peau de serpent. Mais, alors que je déambule, posant des questions à travers des glory holes et n’ayant pas souvent une réponse intéressante, je me rends compte que je suis moi-même suivi. Je tourne et vire dans les ruelles sombres et étroites de cette partie de l’Interzone. Je fais une boucle. Je ne tente pas tant de semer mon poursuivant que d’inverser les rôles. Et quand je parviens à m’approcher assez près, sa peau ! Des écailles !

            « Trashalak ? »

            Le Cyborg-serpent se fige, demeure immobile et ne me répond pas.

            « Trashalak. Tu es Trashalak, c’est ça ? J’ai à te parler. Retournes-toi lentement, j’ai un flingue. »

            Mais celui dont je quasiment certain qu’il s’agit de celui que je cherche se met soudain à courir tout droit. Je vise les jambes. Je tire. Mais il est rapide le con ! Je me mets à courir. Mais il zigzague à toute vitesse et je le perds rapidement. Je me retrouve au milieu d’une petite place. Au-dessus de moi flotte un rocher. Et sur ce rocher, un portail d’une dizaine de mètres de haut irradie d’énergie technomagique. Tout autour flotte de petits objets et de petites créatures fusionnant les uns avec les autres. Trashalak a-t-il emprunté ce portail ? Dois-je le suivre ? Je sens que je suis en train de prendre la décision la plus conne de toute ma vie mais… je m’élance et traverse le portail. Je verrais bien ce qu’il y a de l’autre côté.


            L’atterrissage est rude. J’ai l’impression que mes os ont tenu bon mais je m’inquiète pour mes organes internes. Je me palpe et constate qu’on dirait bien, malgré la douleur, que tout est resté à sa place. Je ne peux en rendre grâce qu’à mon armure d’or. Mais, alors que je m’ausculte, je remarque que mon corps est désormais couvert de tatouages qui changent de formes en permanence et évoquent tour à tour des scarifications et des symboles chaotiques. Et parmi eux, je reconnais les symboles du Troisième Rituel Aklo !

            Mais, maintenant, la question à 1000 litres de Pétrol’magie. Où suis-je ?


            Une forêt… Je reconnais Millevaux à son Emprise. Mais il y a quelque chose de différent. Ce n’est pas la Millevaux que je connais, d’où je viens. Ce n’est pas la Millevaux de chez moi. Non loin, il y a un vieux manoir envahi par la forêt. Prudemment, l’arme au poing, je m’approche. Aussi discrètement que possible, je me colle à une fenêtre et entends du bruit. Il y a quelqu’un, qui parle tout seul. Non, c’est à moi qu’il parle. Il me dit de me tirer. Il y a quelque chose de menaçant dans sa voix mais pas seulement. Quelque chose me dit que ce serait même plutôt pour mon bien qu’il m’enjoindrait à ne pas rester là. Je raffermis ma prise sur mon flingue et me montre à la fenêtre. Là, je fais face à la Mort. Pas LA Mort, mais la Mort. Enfin, une Mort. Quand elle me voit, elle a l’air agacé. Je remarque qu’elle tient une liasse de feuilles à la main.

            Comme je n’ai pas l’impression que cette mort soit vraiment un ennemi, je rentre dans cette ruine et me présente. La Mort a l’air surpris. Elle jette un œil sur les feuilles puis sur moi. Elle hoche la tête et me les tend. Elle m’explique ne pas être la maîtresse des lieux. Elle n’est venu là que pour rendre visite à l’auteur de ces lettres. Mais il est introuvable. Toutefois, maintenant que je suis là, ce n’est plus son affaire. C’est la mienne. D’un geste du menton, elle montre les lettres que j’ai maintenant dans la main et s’en va. Je ne cherche pas à la retenir. Je m’assois sur une vieille chaise et commence à lire.



            « LETTRE 1 :



            Hey,

            Comment va ?

            Un petit mot car il m’est arrivé un truc bizarre. J’ai eu une âme à faire passer de l’autre côté. En soi, rien d’étrange là-dedans mais… ce sont les circonstances de sa venue qui m’ont étonné. Le type s’appelle Raymond Guts. Il est, ou était journaliste. Il enquêtait sur des faits bizarres et potentiellement criminels ayant lieu dans la forêt autour de la ville où il vivait. En fait, il est convaincu d’être mort… mais AVANT d’être arrivé jusqu’à mon manoir !

            As-tu déjà eu une expérience similaire ? Normalement, les âmes dont nous avons la charge viennent directement de là où elles vivaient. Il n’y a pas d’étape, ou de « plan », intermédiaire. La personne meurt et arrive directement chez nous. C’est nous, l’étape intermédiaire, non ?

            Comme à mon habitude, j’ai invité mon âme en peine à ma table. Je fais ainsi d’une pierre deux coups. Je favorise le passage d’une âme vers l’autre monde et je prends soin de cette vieille bâtisse dont j’ai également la responsabilité. Ces dîners sont plutôt agréable finalement. Ça met un peu de vie dans ces murs. Et mes âmes semblent apprécier un dernier repas. C’est aussi l’occasion de discuter, d’en apprendre plus sur eux.

            Sur Raymond, je n’aurais pas appris grand-chose finalement tant il était obsédé par les circonstances de sa mort. Il m’a raconté avoir été témoin d’un sabbat dans les bois en l’honneur d’une divinité nommée Nyarlathotep. Tu connais ? Et, en fait, il pense être mort là-bas. Il m’a ainsi raconté s’être certes réveillé dans sa chambre d’hôtel mais l’établissement, toute la ville était vide ! Et c’est là que les créatures monstrueuses qu’il a vu dans les bois lui ont sauté dessus pour le dévorer. Mais, il est convaincu que c’est créature l’avaient déjà dévoré la nuit précédente.

            Tu imagines bien que j’ai tenté de le rassurer. Je lui ai expliqué la procédure et qu’il n’avait finalement rien à craindre de ce qui l‘attendait de l’autre côté. Mais cela n’a pas été facile tant il était en proie à la panique après ce… rêve ? Je ne sais pas trop comment appeler cette expérience.

            A la fin du repas, Raymond avait retrouvé un peu de son calme. Il semblait apaisé et j’ai donc pu le conduire de l’autre côté, le véritable autre côté cette fois. Mais, alors que je faisais un peu de rangement, j’ai remarqué quelque chose, au niveau du manoir. Tu me prendras pour un imbécile mais je te jure que j’ai vu de la mauvaises herbe et quelques racines s’infiltrer entre les pierres, en bas du mur. Et je te jure aussi qu’il n’a pas été facile de s’en débarrasser. Est-ce que tu crois que ça a un lien avec son histoire de sabbat forestier ? Ou alors, ce ne serait qu’une coïncidence ?



            Et toi, que deviens-tu ?



LETTRE 2 :



            M’as-tu porté la poisse ?!

            Pour être franc, que tu ne te moque pas de moi après ma dernière lettre m’avait fait plaisir mais je ne pensais pas susciter une telle réaction. Mais bon, je comprends bien, surtout après ce que tu m’as raconté à propos de cette femme venant de Millevaux, c’est ça ?

            Bon, il faut moi aussi que je te raconte. On ne va pas jouer à celui qui aura eu l’âme la plus dingue à faire passer mais… j’ai reçu une espèce de mouche humaine ! Je te jure. Cette chose pouvait prendre forme humaine mais, en dessous, elle a des yeux d’insecte, des ailes de mouches et une espèce de bec en ferraille qui a fusionné avec la moitié de son visage. C’est horrible. Et je ne te raconte même pas comment il se nourrit quand il a cette forme-là.

            Bref, tout ça pour dire que ce Corso m’a raconté son histoire et que c’était complètement dingue. Il dit venir de l’Océan du Chaos, le domaine d’Azathoth. Il prétend avoir fui sur la planète du dieu de la glace après qu’il fut chassé par Azathoth et… Shub-Niggurath. Ce dernier serait, si j’ai bien compris le nom compliqué de… je te laisse deviner… Millevaux ! Cela ne te rappelle rien ?

            J’ai interrogé Corso à ce sujet. D’après lui, c’est finalement assez simple. Un certain Y’mo-Thog a déclenché une énorme glaciation qui a recouvert le domaine d’Azathoth. Aussi, les habitants ont dû fuir et certains se rendus chez Shub-Niggurath, à Millevaux donc. Mais la glace continuait de se répandre, de même que la forêt à elle aussi une certaine propension à se répandre. Alors, Azathoth et Shub-Niggurath se sont rendus sur la planète d’Y’mo-Thog pour en finir avec lui. Ensuite, ils se sont partagés les lieux. Mais, Corso n’est plus sûr de rien car il m’a avoué être dépendant au Pétrol’magie et il se demande si une partie de son histoire n’est pas juste un horrible délire dû au manque.

            Tu te doutes bien que je n’ai pas fait traîner le dîner et que ça a été fromage OU dessert mais certainement pas les deux. De toutes façons, Corso n’était pas vraiment inquiet par ce qui l’attendait de l’autre. Il était certain de se réincarner très bientôt car il n’en avait pas fini avec toute cette histoire.

            Et moi non plus, c’est bien le problème ! En vérité je te le dis, je crois que mon manoir a été contaminé par… Millevaux ! Tu sais, je t’ai dit, déjà, que de la mauvaise herbe s’était infiltré entre les murs. Et bien c’est allé crescendo après le départ de Corso. Je ne sais pas ce que ce truc à fait à mon manoir mais en à peine une nuit tout le rez-de-chaussé était envahi par la végétation. Et dehors ! Les murs étaient recouvert de lierre. Même le jardin entourant le manoir était méconnaissable. Autant te dire que je ne pouvais plus rien faire à ce stade-là. Si j’en crois le récit de Corso, cela voudrait dire que Shub-Niggurath s’est mis en tête de s’approprier ma demeure.

            Je n’étais pas fier quand j’ai annoncé la nouvelle à qui tu sais. Mais, à ma grande surprise, elle a fait preuve d’une certaine compréhension et m’a même proposé une nouvelle charge. Mais, j’aime mon manoir, même s’il est en proie à une folie végétale. Alors, j’ai demandé à rester. Et elle a accepté. Je continuerai donc de recevoir ici mes âmes trépassées et j’essaierai, sinon d’endiguer le phénomène, au moins de le comprendre.

            Mais bon, si de ton côté tu as des choses à m’apprendre, surtout n’hésites pas.



            En espérant que les choses soient plus simple de ton côté.



LETTRE 3 :



            Salut,

            Je suis bien content d’apprendre que tu as de la visite. Ici, rien ! Personne ! Je ne peux pas croire qu’il n’y a plus assez de morts pour qu’on m’en envoie quelques-uns. Ou alors, c’est le revers de la médaille. Elle m’a laissé le manoir mais me prive de compagnie ? Tu crois qu’elle ferait un truc pareil ?

            Je dois t’avouer quelque chose. Sa demande n’était pas explicite mais je crois qu’elle aurait voulu que je « nettoies » le manoir de la présence de cette « Millevaux ». Mais, en vérité, je n’en ai rien fait. Je n’ai même pas essayé. Déjà, je te jure, c’est une entreprise titanesque. Impossible pour une seule personne ! Je ne peux que constater l’étendue des dégâts et essayer de comprendre. Mais, un moment, j’ai pensé que si mon manoir était envahi par la forêt, je recevrais les âmes de ceux qui y vivaient. J’aurais alors eu l’occasion d’en apprendre plus. Mais si personne ne vient ! Est-ce que ça veut dire que personne ne meurt là-bas ? Je sais bien que c’est impossible.

            Alors, je me suis inventé un nouveau boulot. Oui, je laisse le manoir tomber en décrépitude, en proie à Millevaux. Et moi, et bien j’en profite pour explorer cette étrange forêt. Il y a plein d’endroits bizarres qui sont apparus avec elle. Mais tous ont en commun d’être envahi par la végétation. J’ai visité de vieux bunkers, des camps nomades, des lieux de cultes, des tanières de monstres. J’ai vu des monstres ! Et j’ai vu, de loin, des sorciers manipuler cette matière bizarre dans laquelle baigne Millevaux pour remodeler la réalité selon leurs fantasmes. Cette forêt est tout à la fois effrayante et fascinante. Je crois que je n’en ferai jamais le tour.

            J’achève ici cette lettre car le soleil se couche et je n’aurai bientôt plus de lumière.

            A bientôt…



LETTRE 4 :



            Un homme à tête de porc ! Tu m’entends ! Et plus que ça même. C’est un porc, un vrai porc sur deux pattes mais avec des pieds et des mains comme nous ! Et lui aussi dit s’appeler Corso ! Il dit se souvenir être déjà venu, quand il était une mouche ! Et il m’a raconté notre précédent dîner. Comment peut-il savoir ? comment ce porc peut savoir ? Il a même fait des commentaires sur l’état du manoir.

            Tu veux que je te dise quelque chose ? Cela reste entre nous mais… c’est lui qui m’a rasséréné. Il m’a expliqué que tout était normal. Il s’est même excusé car il n’exclut pas que ce soit un peu sa faute si Millevaux a envahi le manoir. Il souriait, il a vraiment tout fait pour être rassurant. Les rôles étaient complétement inversés.

            Ce Corso m’a raconté vivre dans un endroit qu’il appelle l’Interzone. Là, il fait office, en quelque sorte, de détective. Pour l’instant, il est mort, il ne l’a jamais nié mais il m’a aussi juré qu’il devait retourner dans l’Interzone car une nouvelle affaire l’attendait et que tout cela sevrait normalement être lié à Millevaux. Mais pas seulement. Il a aussi parlé de Nyarlathotep. Tu te rappelles de ce nom ? Ce truc serait le messager des dieux. De certains dieux en tous les cas. D’après lui, il s’est passé des choses aux alentours d’une ville nommée Arkham et des gens ont attiré l’attention de ce Nyarlathotep. Et ce dernier a répondu à l’appel. Et il aurait à son tour appelé Shub-Niggurath à venir se repaître de ce nouveau monde.

            Corso le porc n’a pas pu m’en dire plus. Il a reconnu que, dans cette histoire, tout était à découvrir. Et il a même regretté que le « passage » suppose d’oublier une partie de tout ce qu’il m’a déjà raconté. Il espère juste que, quelque part, il restera une trace de tout ça. Lui, est convaincu de se réincarner une nouvelle en cochon et de mener une nouvelle enquête dans l’Interzone.

            Alors, chose étonnante, il m’a ensuite ris dans ses bras et m’a juré que tout allait bien se passer.

            Et toi, tu crois que tout va bien se passer ? Tu crois que tout ça va bien finir ?



LETTRE 5 :



            J’abandonne… Mais en réalité, est-ce moi qui abandonne ou m’a-t-on abandonné ? Quelle erreur ai-je commis pour en arriver là ? Franchement, dis-moi, est-ce qu’il y avait vraiment un moyen de préserver le manoir de Millevaux. Tu crois vraiment que j’aurais pu faire quelque chose ? Tu crois vraiment que, tout seul, j’aurais pu freiner l’influence de… Shub-Niggurath ?

            Elle ne me répond plus. Plus personne ne me répond. Réponds-moi, s’il te plait…



            J’espère que Corso va résoudre son enquête… »


            C’est dingue ! Cela n’a aucun sens ! Ces lettres parlent non seulement de toute cette histoire mais elles parlent aussi… de moi ! L’auteur de ces lettres affirment me connaitre, m’avoir vu. Deux fois ! Une fois sous forme de Mouchoïde et une autre sous ma forme actuelle. Et là encore, il est question d’un rituel concernant Nyarlathotep, Shub-Niggurath et Millevaux. En réalité, j’ai l’impression que l’auteur de ces lettres a également reçu ceux des autres lettres que j’ai déjà trouvées.

            J’ai des doutes quant au fait que la Millevaux qui a envahi ces lieux soit la même que celle qui entoure l’Interzone. Pourtant, ce doit être là que je trouverai Trashalak, voire même peut-être l’auteur de ces nouvelles lettres. Alors…



            Je m’enfonce dans cette nouvelle Millevaux, cette forêt que je ne connais. Il fait presque nuit et une tempête s’est levée. J’ai marché trop longtemps pour faire demi-tour et me mettre à l’abris dans cette étrange demeure d’où je viens. Alors, je marche encore. Mon armure d’or dégouline de pluie. Elle me protège de bien des choses mais pas du vent. Et c’est en vain que je cherche une trace du passage de Trashalak.


            Au bout d’un moment, je distingue une faible lueur dans l’obscurité. J’approche et déboule dans une clairière. Là, s’élèvent les restes d’une demeure semblable à celle que j’ai quitté. Il n’y a aucune lumière, sauf cette lueur à l’étage qui, déjà, montre des signes de faiblesse. Je fais le tour et ne trouve aucune entrée praticable. Soit elles ont été condamnée, cimentées, soit elles sont tellement envahies par la végétation qu’il est impossible de se frayer un chemin. Je tente d’escalader un mur mais la pluie l’a rendu trop glissant. Je reviens sous la fenêtre où il y avait de la lumière. J’ai l’impression qu’elle s’est encore affaiblie. J’appelle. Aucune réponse. Je n’entends aucun bruit venant de l’intérieur. Et là encore, impossible de trouver une bonne prise pour grimper. Vais-je devoir rester sous la pluie ? Je ramasse une pierre et vise la fenêtre éclairée. ma pierre entre, elle, et moi… je glisse sur l’herbe mouillée. Je me retrouve le cul dans la boue à espérer avoir attirer l’attention de quelqu’un. Mais il ne se passe rien et la lumière finit par s’éteindre.


            Alors, la terre tremble ! La terre s’ouvre juste devant moi et un mur d’eau s’élève, menaçant de s’abattre sur moi. Apparait alors, surgi de je ne sais où, un homme, nu, dont la tête est comme une espèce de sculpture de chair malhabile représentant une tête de lion. Il semble recouvert d’un énorme masse de chair rougeâtre et presque liquide, palpitante. Il tend la main dans ma direction et promet de me sauver de ce tsunami en échange de mon âme. Je dois venir avec lui pour être sauvé. Et mon âme, je la récupèrerai plus tard. Le mur tremble au-dessus de ma tête mais ne s’abat toujours pas sur nous. Et l’être étrange, cette espèce de boursouflure se fait encore plus pressante. Ça sent le piège à plein nez. Ça sent le Horla aussi.

            Calmement, je retire une des protections de mon armure et observe les tatouages mouvant sur mon avant-bras. Quand ceux-ci prennent la forme du symbole du Troisième Rituel Aklo, je l’exhibe à cette chose. Et elle se met alors à paniquer. Le masque de chair se liquéfie et toute cette chair superflue glisse le long du corps de l’homme pour se réfugier dans les bois. Il ne reste plus là qu’un homme, nu et transi de froid, au regard aussi explosé que s’il s’était gavé d’hallucinogènes. Je retire l’imperméable qui recouvre mon armure et le donne à l’homme qui, peu à peu, sort de son hébétude. Je me présente.

            Il s’appelle Mîm. Il est sorcier. Il est tombé, il y a fort longtemps, sous la coupe de ce Horla qui l’a, en quelque sorte, parasité et contraint à utiliser ses talents afin de piéger d’autres victimes pour se nourrir. En fait, ce Horla ne peut parler. Aussi, il avait surtout besoin d’une voix. Il aurait pu user de la force mais il n’était pas encore assez développé pour cela. Mîm me remercie de l’avoir sorti de là mais je le sens bien amer après cette expérience. Evidemment, le mur d’eau a disparu avec le Horla mais… la tempête souffle toujours et nous devons trouver un abris. Mîm n’a aucune idée de là où nous pourrions aller. Le Horla s’est enfui avec ses connaissances de la forêt. Quand je lui pose la question, il lui semble reconnaitre cette demeure devant laquelle nous sommes mais ses souvenirs sont très flous. Il me semblait que le Horla se servait peut-être de cette lueur à l’étage pour attirer des proies mais Mîm est incapable de me le confirmer. En tout cas, la créature s’est enfuie dans les bois. On peut donc espérer que le manoir est vide et que, pour peu qu’on puisse entrer, nous y seront à l’abris.

            Mîm ne prend pas le risque d’escalader la façade mais il trouve quand même une sorte de soupirail par lequel nous gagnons les sous-sols du manoir. Il ne fait pas chaud mais au moins nous sommes à l’abris de la tempête. J’observe le sorcier. je lui trouve un air préoccupé malgré l’impassibilité qu’il affiche. J’hésite à lui poser des questions, à lui demander ce qui ne va pas. Mais je ne dois pas oublier ce que je fais là. Je cherche Trashalak. Je dois savoir en quoi les chevalier d’or sont mêlés à cette histoire entre Azathoth, l’électricité et Millevaux. Je ne dois pas me laisser distraire. Je vais attendre la fin de cette tempête puis je reprendrai ma route. Mais, peut-être que ce sorcier pourrait quand même m’aider…



            J’explique au sorcier les raisons de ma présence en ces lieux. Je veux en savoir plus sur les plans de la Chèvre Noire et les liens avec l’électricité et les Cyborgs, Voyvodes et chevaliers d’or en exil. Peut-il m’aider ? Sait-il quelque chose ? A-t-il déjà entendu parlé d’artefacts voyvodes, ou même du Vir Stellas ?


            Mîm affirme ne rien entendre à ce que je lui raconte. Et il me demande même, assez brutalement, de ne plus aborder ce sujet. Cette réponse ne me convient pas. Aussi, je me saisis de mon flingue par le canon et fracasse la tête du sorcier à coups de crosse en répétant mes questions. Quand j’en ai fini, mon arme est inutilisable mais, la gueule en sang, Mîm gargouille qu’il peut peut-être quelque chose pour moi mais…

            « Mais quoi, Bordel ?! »

            Mîm m’explique qu’il ne sait rien. Il me rappelle que moi non plus, je ne sais rien. Mais, il y a ici des gens, des choses, qui savent. Il suffit de devenir ces gens, ces choses et… je saurai. Mais que dois-je devenir ? Un arbre ! Un noyer, dont les racines auront baigné dans l’Egrégore et le Pétrol’Magie, dont les Noix ouvrent les portes de la connaissance. Et comment devient-on un tel arbre ? Là, Mîm dit pouvoir faire quelque chose pour moi.

            La tempête est passée. La nuit est tombée et devenue brune. Mîm et moi quittons cette étrange ruine et nous enfonçons dans les bois. Ils sont de plus en plus touffus, denses. Nous devons nous frayer un passage en repoussant les branches dont je soupçonne certaines de ne vraiment pas vouloir que nous atteignons notre but. Pourtant, nous y parvenons. Je m’attendais à un clairière mais ce n’est pas le cas. Au-dessus de nous, dans les branches, sont (sus)pendues des petites poupées faites de branches et de boue. Mîm m’indique un endroit, entre deux arbres, et me demande d’y prendre place. Il s’agenouille devant moi et recouvre mes pieds, jusqu’aux chevilles de terre et de mousses. Il me demande ensuite de lever les bras. Je m’exécute. Autour de moi, il dispose des bougies, des poupées, des soucoupes remplies de liquides odoriférant. Je n’ai aucune idée d’où il a sorti tout ça puisque, à part mon imperméable, il n’a rien sur le dos. Pourtant…

            Mîm se fige devant moi. Il ouvre la bouche mais aucun son ne sort. Alors, il fait honneur à son nom et se lance sous mes yeux à une étrange et quelque peu dérangeante pantomime. Il tourne sur lui-même. Il tourne autour de moi, toujours silencieux. Et je sens. Je sens les tatouages qui me recouvrent s’agiter. Je sens ma peau de porc changer de texture, durcir. Je sens mon sang se transformer lui aussi. Je sens mes pieds s’allonger, se fondre dans la terre. Mes bras s’allongent et se couvrent de feuilles. Mes pieds s’enfoncent dans la terre et deviennent des racines. Ils traversent la terre et se gorgent d’Egrégore. Et l’Egrégore se mêle à la sève qui coure dans mes veines et remonte jusqu’au bout de mes branches. Mes racines s’enfoncent et creusent la terre jusqu’à… Une grotte !

            Quel étrange endroit. Je suis toujours un arbre figé dans le sol. Pourtant, mon regard se porte partout où mon esprit le veut. J’erre dans cet endroit. C’est bizarre. Ce n’est pas mon regard qui obéit à ma volonté, c’est ma volonté qui obéit à mon regard, à son besoin maintenant obsessionnel de se poser partout où il le peut. Mais une autre pulsion me pousse pourtant à m’enfuir. Cet endroit est malsain. Il est… sale, pollué et corrompu. Il y a ici quelque chose qui, si je reste trop longtemps, va me contaminer. Qu’est-ce ? Il ne s’agit pas d’Egrégore, ni de Pétrol’magie. Je tente de reprendre le contrôle de mon regard. En vain ! La sanction est même immédiate. Je sens des centaines, des milliers de cafards et autres insectes surgir de partout dans cette grotte. Ils courent vers mes racines et remonte jusqu’à mon tronc. Là, ils gravissent mes branches et s’infiltrent en moi. Ils rampent dans mes veines et se gorgent de l’Egrégore qui s’est mêlé à ma sève, à mon sang. Tout à ma douleur, je laisse mon regard errer, voler jusqu’à… la Mort !

            La Mort est là !, dans cette grotte. Et quand elle tombe sous le poids de mon regard, elle se retourne et « me » fixe de ses orbites vides. Que fait-elle là ? je tente de lui parler, de lui communiquer mes pensées. Mais là encore, la sanction est immédiate, sous la forme d’une pluie acide qui ronge mes feuilles et mes branches. Malgré tout, j’espère que cette mort a saisi. Saisi quoi ? Que j’étais là, que je voulais savoir…

            Mais la mort demeure impassible. Ses orbites vides fixent un espace vide. Je ne sais pas, je ne pense pas qu’elle a perçu ma présence. Mais, que fait-elle ici ? J’attends, j’espère qu’elle va reprendre sa tâche et que j’apprendrais quand même quelque chose. La mort détourne son regard du mien, qu’elle ne semble toujours pas avoir perçu. Par-dessus son épaule, je vois là un livre : le Vir Stellas ! La Mort a mis la main sur le Vir Stellas ! Elle tient l’ouvrage à deux mains. Elle est fébrile, euphorique. Puis elle s’en va en courant.

            Je redeviens un homme-porc dans le silence le plus total. Mîm en a fini avec son étrange magie mais on dirait que tout autour de nous s’est mis à la page de son art et a décidé de vivre, encore un peu, dans le silence. Silence que je n’ose troubler. Mîm demeure imperturbable. Quand j’entends de nouveaux les bruit de la forêt, je prononce enfin quelques mots. J’informe le sorcier que je vais retourner dans la maison de la Mort. Il est toujours muet. Il parait heureux. Nous prenons la route ensemble.





            Et nous parvenons en vue de ce manoir. C’est une ruine envahie par la végétation. Il n’y a aucune lumière mais un étrange comité d’accueil. Près de l’entrée, il y a une huitaine de silhouettes qui se dressent tant bien que mal et s’approchent de nous en claudiquant. Ils sont tous vêtus de capes crasseuses et exhibent devant nous les moignons de leurs bras et jambes amputés. Ils ne parlent pas. On leur a aussi coupé la langue. Ils ricanent seulement. Ils nous frôlent de leurs moignons mais ne nous empêchent pas d’avancer. Au moment d’entrée, je me tourne vers Mîm. Toujours silencieux, il me fait un signe éloquent de la tête. Je vais devoir entrer seul.

            A l’intérieur, tout est sombre. J’éprouve une sensation bizarre à la surface de tout mon corps. J’ai l’impression que, l’espace d’un instant fugace, ma peau se durcit, redevient écorce. Mais quand je palpe mes avant-bras, ils sont normaux, seulement recouvert d’une substance un peu collante rappelant de la sève. Je tends l’oreille mais n’entends rien. J’appelle. Personne ne me répond. J’avise un escalier. Je monte. Je fais attention à là où je mets les pieds mais pas de pièges ou des racines malignes. Enfin, on dirait…

            Soudain, un zazamon surgit de nulle part. Dans le noir, je crois reconnaitre un Bur’kwek à son gros cerveau gélatineux. Il me braque avec cette technologie à vapeur qui va cracher de l’acide si je ne fais rien. Je saute de côté et évite de justesse le flot d’acide. Je n’ai plus de flingue mais un bon coup de poing en plein dans sa masse cérébrale spongieuse me libère le passage. J’appelle de nouveau. Mais toujours rien. Et j’ai beau tendre l’oreille, je n’entends rien non plus. Pourtant, je suis certain de ne pas être seul ici. Ce Bur’kwek n’est pas apparu tout seul. Quelqu’un l’a invoqué. Et je soupçonne cette mort de l’avoir fait à l’aide du Vir Stellas. Le problème est que, à ma connaissance, le Vir Stellas contient des rituels bien plus dangereux que l’invocation d’un zazamon et comme je n’ai aucune idée ni des projets ni des compétences en sorcellerie de cette mort…

            En haut des marches, je suis accueilli par un hibou. Il déploie ses ailes. Il a l’air… heureux. Mais… les hiboux ne sont pas ce qu’ils paraissent. Dans une vie antérieure, je possédais des clés « magiques » permettant d’altérer le réel. Est-il-possible de puiser dans cette réminiscence de quoi rendre sa véritable apparence à cet oiseau ? Je n’ai pas de clé mais, pourtant, l’image du hibou se met à onduler, à se tordre. Il devient flou. Et cette tache de flou dans le vide se compresse pour devenir… un cadenas qui tombe lourdement au sol. Maintenant, il me faut une clé.

            Deux idées me viennent à l’esprit. Et si je pouvais ouvrir ce cadenas à l’aide du symbole-clé du Troisième Rituel Aklo ? Ou s’il s’agissait plutôt de la foudre ? Si je brandissais ce cadenas et attirais un éclair, que se passerait-il ? Mais avant tout, je veux trouver cette mort et le Vis Stellas. Et je réagis ! Je suis dans un manoir en ruine, sombre et envahi par la forêt de Millevaux, domaine et avatar de Shub-Niggurath. Et, je cherche la mort… Est-ce vraiment une bonne idée. Et d’où me vient cette image fugace d’une… chaise électrique ? J’ai le cadenas. Ai-je besoin de plus ?

            Je redescends les marches en courant. Je me précipite vers la sortie. En vérité, rien ne s’oppose à ma fuite mais j’entends derrière moi une voix grave avec quelque chose d’à la fois racoleur et mesquin dans le ton. C’est ironique, sarcastique mais, l’air de rien, cette voix me met en garde quant au fait de réunir des objets défectueux. S’agit-il du cadenas ? Juste avant de sortir, je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, il y a bien quelqu’un dans les escaliers mais je ne parviens pas à l’identifier nettement. Je sors !

            Dehors, les éclopés ne sont plus là. Mîm non plus. Le brouillard s’est levé. Je sens que je suis en danger. Il souffle un vent sec. Je m’enfonce dans la forêt pour mettre une distance de sécurité entre cet endroit et moi. Puis, j’examine le cadenas. Je remarque qu’il porte quelques inscriptions dont je ne connais pas le sens. Je soulève une partie de mon armure et compare ces symboles avec ceux que prennent mes tatouages mouvant. Mais il n’y a aucun rapport. Alors, si mes tatouages ne semblent pas destinés à l’ouvrir, il me reste la foudre. Vais-je devoir attendre qu’un orage éclate ou puis-je compter sur les réserves d’énergie d’un vieil artefact cyborg ou voyvode ? Mais vais-je en trouver dans cette Millevaux là ou vais-je devoir trouver un moyen de rentrer chez moi ?

            J’erre dans la forêt. Je n’ai aucune idée de comment regagner l’Interzone. J’aurais dû mettre la main sur le Vir Stellas. Il y a peut-être une formule, un rituel dedans. Je marche pendant des heures. Mes pensées, comme moi, vagabondent et se posent de nouveau sur cette image de chaise électrique. Dans le manoir, j’ai cherché après une mort. Dans les bois, je cherche une source d’électricité. Avec une chaise électrique, j’ai les deux, non ? Mourir sur une chaise électrique ouvrirait ce cadenas ? Trouverais-je une telle chaise au fond d’un vieux vaisseau voyvode ?

            Et j’arrive en bordure d’un cours d’eau. Il fait presque nuit et une tempête se lève. Je ne sais plus trop ce que je fais là. Je sers le cadenas dans ma main mais, est-ce sous l’effet de la forêt, des pans de ma mémoire se sont déjà échappés. En fait, je crois qu’une partie de moi a déjà quitté les lieux. Je retrouverais peut-être la mémoire quand je serai de retour dans l’Interzone. Mon histoire m’attend peut-être déjà là-bas. Mais en attendant, j’ai besoin de souvenir pour avancer. Alors, je me replonge dans ces lettres et ces journaux. Je me rappelle la chasse aux artefacts voyvodes avec Yargalac. Je me rappelle aussi de la tombe de ce Soar Cyborg et de cette épitaphe : « L’électricité garantit la réforme biscornue. » Et je me souviens m’être fait cette réflexion comme quoi biscornue pouvait signifier tordu mais aussi évoquer « deux cornes ». Qu’est-ce qui a deux cornes tordues ? Qu’est-ce que l’électricité pourrait tordre ? Est-ce que l’électricité pourrait tordre un être à deux cornes ? Mais un bruit me tire de mes pensées. Sans faire attention, je me suis aventuré sur le territoire d’un Horla.

            Et une silhouette reptilienne sort de l’eau. Je ne suis pas certain qu’il s’agisse vraiment d‘un Horla. C’est un cyborg. Je le vois à son implant lanceur de vinyles et à sa batterie. Il y a quelque chose d’à la fois vif et vide dans son regard. Il a un étrange chapeau sur la tête, trop grand. Dans une main, il tient un livre – un exemplaire du Vir Stellas ? – et dans l’autre, un petit conteneur en verre. A l’intérieur, il y a un cœur.

            Et je réagis ! La batterie ! Elle contient forcément de l’électricité ou une énergie du même genre qui ouvrira le cadenas. Je ne sais pas si ce cyborg reptilien acceptera de m’aider, ni même s’il comprend quand on lui parle mais je lui demande quand même. Après tout, on ne sait jamais. A ma grande surprise, il accepte mais, car il y a un mais, il dit vouloir se souvenir de certaines choses. De quoi ? De sa vie d’avant. Je lui demande de patienter un peu car je crois pouvoir faire quelque chose.

            Je prends les deux journaux attribués à Trashalak. Je les relis. Quelque chose me dit que ce cyborg pourrait bien être celui que je cherche mais j’ai un doute. Alors, je me fies à cette réminiscence d’une autre vie, celle où j’avais les clés qui permettaient de changer le monde, et j’espère pouvoir changer les choses. Sous le coup d’une intense fatigue, je tombe à genoux. Mais, quand mon regard se porte sur l’un des journaux, je lis :

                                                                                                                      « Je m’appelle Trashalak. Je suis, ou plutôt j’étais, un clone cyborg qui admire les Voyvodes. Mon plaisir dans la vie : détruire ! Enfin ça, c’était avant… Cela fait maintenant plusieurs année que j’erre ainsi. J’ai réussi à cacher ma nouvelle nature à mes proches. La nuit, quand je suis seul, je m’exerce avec ces nouvelles facultés qui sont les miennes. C’est étrange, bizarre et fascinant de ne pas mourir… Mais, même si cela m’apporte beaucoup, ce n’est gratuit. Je ne sais pas si c’est l’influence de mon immortalité ou du chapeau mais, parfois, je ressens une subite envie de mourir. Cela passe vite mais cela revient souvent… En tout cas, je ne sais pas si c’est à cause ou grâce à cette nouvelle nature, mais les sorts contenu dans le livres sont désormais miens et je peux les utiliser sans même avoir besoin du livre. Dans la foulée, je me suis initié à quelques mystères et mes recherches mont permis de mettre la main sur un éclat d’épée magique brisée lors d’une bataille. Cette éclat me permettra de créer de nouveaux sorts ou d’améliorer ceux que je maîtrise déjà. Là encore, est-ce un effet de la magie d’Azathtoth (en tout cas, c’est que j’ai dit à tout le monde) ou une conséquence de mon immortalité, mais me voilà recouvert d’écailles reptiliennes qui renforcent ma longévité et ma résistance. Il m’a retrouvé ! Le Sumérien ! Il est venu chez moi et je n’ai pu que m’incliner face à sa puissance. Nous ne nous sommes pas affrontés, pas la peine. Je sais qu’il est plus fort que moi. Il vient d’arriver en ville avec un plan dont il ne veut rien me dire mais je dois le servir. Cela ne me plait guère mais je ne peux qu’accepter, d’autant plus qu’il fait montre d’une étonnante générosité à mon égard. Mais qu'attend-il vraiment de moi ? Et quels sont ses buts ? Je ne sais pas qui est cet homme et je veux l’oublier. Aussi, certes je consigne ici cet évènement étrange mais je m’en vais aussitôt perdre ces notes. Pour oublier. Peut-être que cela fera sens pour celui ou celle qui lira ces lignes. Mais pour moi, cela n’en a aucun. Cet homme m’a sauté dessus, dans les bois. Il m’a menacé de son couteau en exigeant que je lui explique ce que, selon moi, valait la vie. Comment répondre à cette question quand, comme moi, on ne meurt plus ? Alors, je lui ai expliqué que pour moi la vie ne valait rien. Que peut-elle valoir pour celui qui se nourrit de sang humain et d’insectes. Et j’ai profité d’un moment d’hésitation de sa part pour me repaitre de son sang. Son sang était écœurant, Putride ! »

            Je tends le journal au cyborg reptile. Il lit. Il a l’air heureux.


            Trashalak me conduit dans un sous-sol de béton suintant l’humidité. Il règne un silence qui me plait assez. Trashalak m’explique qu’il partage cet endroit avec un Horla qui se nourrit du son. Aussi, autant ne pas attirer son attention en faisant trop de bruit. Sur le trajet, il ramasse quelques poignées de lichen et des racines. Nous arrivons dans une salle dont les murs, le sol et le plafond grouillent de larves et de vers. Trashalak, avalant une grosse poignée d’asticot, m’explique qu’après sa transformation par le Sumérien il ne pouvait plus se nourrir que de sang et d’insecte. Mais, avec le temps, il a réussit à varier un peu son alimentation. Nous sommes donc ici dans son… garde-manger.

            Trashalak ouvre son gros livre. J’essaye de lire le titre mais n’y parviens pas. Il me tend la main. Je lui donne le cadenas. Il m’explique ensuite que même si sa batterie est pleine, il n’a qu’un nombre limité de tentative pour ouvrir le cadenas. Il va donc certes utiliser cette électricité mais doit également recourir à la technomagie d’Azathoth. Et là, il me prévient, tout peut arriver. Je suis sous terre, dans une salle grouillante de vers dégueulasse, en compagnie d’un cyborg reptilien adepte de technomagie. Je ne suis plus à ça près.

            « Quand faut y aller… »

            Trashalak lance une incantation. Il ne se passe rien mais il me demande de retirer mon armure. Je m’exécute et il parcourt du doigt mes tatouages polymorphes. Je ne comprends rien à ces symboles. Lui, au contraire, semblent les connaitre. Il marmonne des mots que je ne saisis pas. Il tourne quelques pages de son livre et récite une formule. Une flaque de Pétrol’magie apparait. Il s’agit en réalité d’un Buggarzak pustulant qui s’approche de moi avec un air concupiscent. Trashalak lâche le livre et se tord les mains jusqu’à s’arracher les ongles en hurlant. Une fois fait, il ramasse le livre du bouts de ses doigts ensanglantés et, maladroitement, tourne encore quelques pages. Je fais un pas dans sa direction, pour l’aider. Mais je n’arrive plus à bouger. Je suis littéralement paralysé. Pas par la peur ou le dégout, mais par la technomagie. Et quand je parviens de nouveau à bouger, c’est pour me retrouver plier en deux en train de vomir un flot d’excréments. Quand les vomissements cessent, ils sont remplacés par une crise de tremblements incontrôlable. Je regarde Trashalak. A quoi joue-t-il ?

            Trashalak lève les yeux vers moi. Si j’ai des questions à poser à Azathoth, c’est maintenant !

            « Azathoth, vais-je rentrer chez moi ?

            NON !, me répond-il par la bouche de Trashalak.

            Vais-je mourir ici ?

            OUI, ET TU VAS SOUFFRIR !

            Connais-tu les plans secrets de la Chèvre Noire ?

            OUI !

            Les Chevaliers d’Or ont-ils un rôle à jouer dans tout ça ?

       NON, ET ILS N’ONT JAMAIS EU UNE QUELCONQUE IMPORTANCE DANS TOUT CELA ! »

            Trashalak reste immobile. Je crois que, cette fois, il attend mon assentiment avant de tourner les pages et lancer un autre sort. Au point où j’en suis, je lui fais signe d’y aller. Un gros œil se met à flotter en l’air. C’est un Bur’kwek aux dents pointus. Pour l’instant, il dort. Même en sommeil, son œil reste ouvert. Et d’ouvert, tout vert, moi je deviens… violet ! Et alors que ma peau change de couleur, mes tatouages eux aussi changent de couleur et deviennent dorés. Puis, les couleurs changent et alternent à toute vitesse. On dirait que je… clignote. Et mes tatouages changent eux aussi de forme et de couleur. Je ne comprends rien mais Azathoth l’a dit, je vais crever !

            Trashalak ne me demande pas mon avis et se lance dans une nouvelle formule. Il sourit. Un Portail Dimensionnel s’ouvre enfin. Derrière, je reconnais les Forêts Limbiques. Alors, le Bur’kwek se réveille et me saute dessus pendant que Trashalak emprunte le Portail qui se referme derrière lui. Et moi…

            Moi, je me vide de mon sang. Le Bur’kwek m’a sauté à la gorge et arraché un bon bout de bidoche. Je suis par terre, au milieu des vers et des asticots et un zazamon est en train de se repaître de mon sang.

            Et voila comment ça se termine pour moi. Je voulais tout savoir mais Azathoth savait déjà et… on dirait bien qu’il s’en fout complètement…



            Trashalak a traversé les Forêts Limbiques et a pu regagner l’Interzone. Depuis, on raconte qu’un tueur en série découpe des jeunes hommes de 15 ans en 12 morceaux avec une scie de bûcheron. On dit qu’il pratique des rituels sanglants au nom d’Azathoth qui laisse faire…

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