MANTOID vs LA CRASSE
La
règle n°2 du Fight Club : il est interdit de parler du Fight Club.
Et
je colle une patate en pleine poire de mon adversaire. Mais ça ne m’empêche pas
d’en prendre une au passage. J’ai du sang dans la bouche mais je m’en fous. Je
montre les dents, en crache une et balance un coup de pied dans l’estomac du
type qui me fait face. Les autres hurlent autour de nous. Je comprends rien à
ce qu’ils disent. Mon adversaire a le teint pâle et ça fait ressortir ses
scarifications. Il a les traits tirés aussi, après le coup que je viens de lui
flanquer. Objectivement, il est plus fort que moi mais… il est moins…
brutal ! Alors qu’il tente de se relever, je vais pour lui balancer un
nouveau shoot dans les côtes. Ça l’achève ! Le gars s’écroule au sol et
fait signe qu’il abandonne. Peut-être que lui il abandonne mais pas moi !
Je
sens le chaos bouillir dans mes veines. Ça envahit mon cerveau. Ça me défonce
la gueule. Ça me déchire la gueule au sens propre alors qu’une espèce de trompe
mécano-insectoïde remplace mon nez et tout le bas de mon visage. Mes
yeux ? Mes yeux ! Je vois… partout ! les types autour de moi
continuent à gueuler. Je ne sais pas s’ils se rendent compte de ce qui est en
train de m’arriver. Mon dos me fait mal et ma peau se déchire pour laisser
apparaitre des ailes translucides. Mes jambes se tordent et me font mal. Les
autres hurlent toujours mais j’entends aussi dans leurs têtes. Et ils ne
remarquent rien. Ils ne voient qu’un type à la gueule en sang qui vient d’en
éclater un autre. Un samedi soir comme un autre.
Je
m’appelle Tad-Angel Corso. Mais, je ne sais pas pourquoi, les autres crient le
nom de Roormi. Je regarde autour de moi. Je suis… Je suis une Mouchoïde
Pétrol’head qui torture ses ennemis ! Je veux savoir ! Tout
savoir ! Les secrets de l’univers & d’Azathoth ! Mais aussi ses
liens avec Millevaux et Shub-Niggurath ! Et l’origine de cette étrange vision
aussi… Celle d’un autre moi, dans une forêt, en train de trancher en deux un
géant mécanique.
Je
n’ai pas besoin de faire un tour sur moi-même pour avoir une vision
périphérique de ce qui m’entoure. Je n’ai pas besoin d’écouter ce que disent
les autres pour savoir ce qu’ils pensent. Ils voient très bien ce que je suis
devenu. Mais ils refusent de l’accepter car c’est trop dégueulasse. Alors, ils
voient seulement le type que j’étais il y a quelques instants à peine. Les noms
d’Azathoth, Shub-Niggurath et Millevaux tournent en boucle dans mon crane. Je
ne peux pas rester là ! Je suis encerclé par tous les membres du Fight
Club. Je saute au plafond et cours jusqu’à la sortie.
Je
suis une Mouchoïde, un Mouche. Je le sais parce qu’l’« Autre », le « Joueur »,
dont je suis l‘avatar le sait. Je ne sais que ce qu’il veut bien que je sache
car, autrement, il n’y aurait plus de jeu et… le Joueur est… joueur.
Les
Mouches appartiennent généralement à cette organisation secrète nommée Black
Rain. Mais ce n’est pas mon cas. Mes investigations ne vont pas concerner le
Meurtre Métaphysique de l’Hommonde. Non, moi, je veux utiliser mes nouvelles
facultés pour percer d’autres mystères. Les mystères de l’univers ! Les
mystères d’Azathtoth et de Millevaux !
Je
ne pars pas de rien ni de nulle part. Grâce aux connaissances du Joueur, je
connais l’existence de ce marché noir aux mains d’un underground composé de morts-vivants,
d’hommes-porcs et de cafards géants. Alors, je m’y rends. On y accède par un
cimetière et ce n’est même pas une blague. Par contre, c’est plutôt joli car il
neige. Mais ça reste étrange car ce n’est pas tout à fait la saison. Bref, je m’enfonce
dans cette ville souterraine et suis plus qu’étonné parce que j’y découvre.
Ce
marché ressemble à un village traditionnelle du Japon médiéval. Il y a ces
petites maisons à pagode, des petits ponts qui enjambent les égouts. En vrai,
toute l’architecture et l’esthétique du coin emprunte aux clichés du japon. Et même
quelques marchands et visiteurs portent le kimono traditionnel, ou caricatural,
au choix.
Il
n’y a pas beaucoup de monde ce soir. Aussi, je repère assez facilement cette
femme à l’air nerveux, toute excitée. Elle a le teint pâle et, drapée dans son
imperméable noir, on dirait un vampire. Mais ce n’est pas le cas. Elle n’est
pas un vampire. Elle est un mort-vivant, en fuite du Tas de Merdes des Cafards.
Je m’approche, l’air le plus cool possible. Je lui demande si elle a besoin d’aide.
Je sais déjà que c’est le cas. Le Joueur me dit qu’elle s’est effectivement
enfuie du Tas de Merdes mais que ce n’est pas tout. Par la bouche de cette
fille, il me dit que le Passeur l’a faite transité par une forêt, Millevaux, et
que là, on lui a volé son cœur. Elle avait réussi à tromper le passeur et
conserver son organe mais, une fois dans la forêt, un Horla le lui a volé. Elle
ouvre son imperméable et mon montre la tâche de sang qui imprègne sa chemise au
niveau de sa poitrine, côté gauche. Elle me demande si je peux lui rapporter
son cœur. Elle me dit qu’elle a de l’argent. Ça tombe bien, très bien même. Je veux
me rendre à Millevaux. Mais, même si en tant que Mouchoïde je peux voyager
entre les mondes, il me faut quand même des coordonnées. Elle les a mais… Et
elle prend un air suspicieux. Comment s’assurer que je vais revenir ? Elle
n’a qu’à venir avec moi, je lui propose. Mais non ! c’est exclu !
Elle ne veut pas retourner là-bas. Alors, elle va devoir me faire confiance. Je
lui demande les coordonnées de Millevaux, des informations sur l’endroit où
elle a atterrie et une description du Horla qui lui a volé son cœur. Je lui
propose aussi de nous donner rendez-vous où elle veut en ville, quand elle
veut. Je lui promets d’être là, que j’ai trouvé son cœur ou non, au moins pour
lui dire où j’en suis. Cela semble lui convenir. Elle me donne rendez-vous dans
quatre jours, dans une brasserie. Mais avant cela, je devrais, dans la forêt,
me rendre près d’une falaise. Je reconnaîtrai l’endroit car il y pleut beaucoup
et l’eau de pluie transforme les choses. Il faudra aussi faire attention aux
parasites végétaux. Ils sont une des conséquences de la pluie. Ensuite, au
nord-ouest, se trouve un palais-mille-pattes fait de milliers, voire de
millions, de corps humains collés les uns aux autres. Le palais semble en ruine
mais, en réalité, l’intérieur est « comme neuf ». Une lumière rouge
palpite en permanence et, là, on peut attirer les fantômes et les Horlas. Celui
qu’elle a appelé était scarifié mais malgré cela très beau. Ses cicatrices
étaient… artistiques et bouleversantes. Il lui a promis de la délivrer de ses
peurs les plus profondes. Là, elle raconte s’être transformé en un chien
solitaire et apeuré, terrifié à l’idée d’être seul mais aussi à l’idée de n’être
qu’un membre anonyme d’une meute. Elle m’explique être tiraillée par ce
paradoxe angoissant : peur de la solitude mais peur de se perdre dans un
groupe. Puis, quand elle a retrouvé forme humaine, le fantôme, ou le Horla, s’était
enfui avec son cœur qu’elle s’était donné tant de mal à conserver.
En
vérité, je me fous complètement des histoires de cœur de cette femme. Pourtant,
son histoire m’intéresse car ce palais-mille-pattes est bien le signe d’une
présence manifeste d’Azathoth sur le territoire de Shub-Niggurath. Pour l’heure,
ce n’est pas très clair mais on dirait qu’il y a eu des fuites entre les
domaines des deux divinités et je veux en savoir plus. Et je veux savoir en quoi
ça me concerne. Et ça, pas de bol, je sais que le Joueur n’en a pour l’instant
aucune idée.
Millevaux !
J’ai l’impression d’atterrir dans la cave inondée du Multivers. Je regarde
autour de moi. Je suis inquiet par ces parasites végétaux qui semblent trainer
dans le coin. L’endroit est de plus humides et plus que propice au
développement de champignons en tous genres. En fait, l’air est tellement
chargé d’humidité que cela lui donne des reflets multicolores, comme plein de
petits nuages arc-en-ciel. Mouchoïde Pétrol’head, je me défais de ma forme
humain. Mon bec de gaz devrait me protéger des spores. J’espère. Maintenant, je
dois trouver la falaise et le palais des mille-pattes. En vérité, je cherche
n’importe quelle manifestation de la présence d’Azathoth. Et je suis
servi !
Je
ne sais pas si j’approche de cette fameuse falaise mais, quoi qu’il en soit,
j’arrive en vue du palais-mille-pattes. Mais la situation est des plus chaotiques
puisque le palais est assiégé par une horde de Sumériens. Les mille-pattes leur
répondent avec un bataillon de Sodomiseurs semant le trouble parmi les
éclaireurs. Les Sumériens ne doivent pas être habitués à ce genre de
traitement. D’ailleurs, ils perdent du terrain.
Je
profite du bordel ambiant pour tenter de m’introduire dans le palais. Quel
talent ! Quel brio ! Je vole jusqu’à une ouverture puis,
discrètement, marche au plafond jusqu’à gagner cette fameuse pièce éclairée
d’un rouge palpitant. Je ne sais pas trop ce que je cherche là. Le Horla ayant
volé le cœur de la fille ? Autant je me fiche de mon cœur, autant il aura
peut-être des réponses à mes questions. Et puis, que fout-il dans un
palais-mille-pattes ? Et surtout, que fout un palais-mille-pattes
ici ?
Me
baladant au plafond, je constate une intense activité mille-pattes. Pourtant,
ces saloperies ne paraissent pas du tout intéressées par la bataille qui se
joue dehors. J’en suis un au hasard qui me conduit à l’entrée de la forteresse.
Là, plusieurs sont en train de s’amuser en torturant un cavalier sumérien
arraché à son dinomutant et tiré, dans tous les sens du terme, à l’intérieur.
En les observant, il s’avère qu’ils considèrent le Sumérien comme une sorte de
casse-tête amusant à résoudre. Aussi, ils l’étirent et le plient dans tous les
sens jusqu’à ce que, à défaut de trouver une solution acceptable à cette
énigme, les os du Sumériens ne finissent par céder.
Alors,
j’utilise ma vision de Mouche afin de savoir si, par hasard, il y aurait ici
quelques Cafards ou Soars invisibles. Rien, si ce n’est quelques Porcoïdes
entiers, et encore vivants pour certains, en train de rôtir, empaler sur une
broche. Les mille-pattes ont le sens de la fête. Mais ça ne me dit pas où se
trouvent cette fichue salle et ce Horla.
Ça
n’avance pas. Et plus je traine, plus je risque de me faire repérer. Alors, je
m’en remets à ROHUM. Il y a des humains dans ce palais, des Millevaliens. Et
ils connaissent l’existence de la salle que je cherche. Je capte leurs pensées
et me laisse guider jusqu’à la salle rouge palpitante.
Cette
fille ne m’avait pas tout dit sur cette salle. Peut-être n’avait-elle-même pas
compris où elle était. Cette salle est en réalité une gigantesque cathédrale
construite sur le squelette métallique d’un void-dragon. Et c’est de son cœur
que vient cette lumière rouge palpitante. Chaque membre et organe interne,
chaque vaisseau sanguin, sont autant de pièces et de couloirs menant jusqu’à ce
cœur. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que je n’ai pas d’autre choix que de
tout tenter pour atteindre ce cœur ! Aussi, alors que plusieurs fantômes
semblent m’avoir pris pour cible, je fonce jusqu’à l’entrée de cette forteresse
dans la forteresse. Et évidemment, c’est pas le cul que je rentre !
Je
remonte aussi vite que possible le colon technodracoïde et me retrouve dans une
sorte d’abris où il fait très chaud. Dans un coin, il y a un trousseau de clés.
C’est louche mais j’approche. Je demande à ROHUM si je dois craindre un piège.
Evidemment que oui ! S’il y a un piège, c’est que ces clés ont de la
valeur. Alors, il me les faut ! Je tourne autour, prudemment. Je regarde
partout autour de moi, près à réagir à la moindre menace. Rien à l’horizon,
j’attrape les clés et, littéralement, les bras m’en tombent !
Et
je suis là, comme un con, à regarder mes bras et ce trousseau de clés par
terre. ROHUM me rassure, tout rentrera dans l’ordre dans quelques heures. Mais
d’ici là, j’espère que personne ne me cherchera d’ennui. Dans le doute, je vole
jusqu’au plafond et me colle dans un coin sombre. Prenant mon mal en patience,
je réfléchis à l’utilité de ces clés quand mon regard se porte sur une
silhouette monstrueusement dégueulasse sculptée dans un recoin de la salle. Et,
juste en dessous, je reconnais la rune gravée : Hshl !
Au
bout de 4 heures, mes bras me reviennent et je peux enfin examiner ces clés. Elles
ne sont pas normales. En fait, ce ne sont pas vraiment des clés. C’est… de la
magie condensée. Chacune est un concentré d’énergie d’Egrégore que je dois
pouvoir libérer et utiliser. Et la rune ? Je me méfies de cette sculpture
et préfère m‘esquiver.
J’arpente
un couloir qui me mène rapidement à une grande salle évoquant des thermes
antiques. Et je constate qu’ils fonctionnent toujours. Il y a de l’eau, de la
vapeur. Il y a aussi du monde. A travers la vapeur, je distingue quelques silhouettes
mais j’ai du mal à définir ce qui est en train de se passer. Je distingue deux « personnes »
et une au moins s’exprime dans ce que je reconnais être la Langue Putride. Le ton
est plutôt doux, même si, malgré cela, je perçois une vrai tension. Celui qui
parle évoque une liaison. Il demande à l’autre d’atténuer sa douleur. L’autre
lui répond dans la Langue Putride également. Il évoque des souvenirs. Il crache
au visage du premier qu’étant un espion, il ne peut rien pour lui. L’autre entame
alors une logorrhée mêlant sentiment de culpabilité et satisfaction malsaine à
l’exhibition de ses souffrances. Caché dans la vapeur, je suis en train de me
dire que je fous littéralement de ces histoires quand je percute. Ce sont là
des histoires de cœurs ! Y a-t-il un lien avec le cœur de cette fille ?
Et si l’un des deux était le Horla que je cherche. Je m’approche discrètement…
ou plutôt, j’essaye. Toujours dissimulé, je fais pourtant un faux mouvement et
libère l’Egrégore contenu dans l’une des clés. L’Egrégore se combine alors aux
dernières paroles prononcées : « Le champion rectifie le labyrinthe ! »
Sous
l’effet de l’Egrégore, la vapeur s’épaissit encore. Mais je distingue malgré
tout de nombreuses silhouettes et des cliquetis ainsi que des bruissements d’ailes.
Des Cafards ! Moitié insecte humanoïde, moitié machine biomécanique, cette
nuée de créatures à taille humaine se répand dans les bains. Ils grouillent
partout, envahissent l’espace. Ils se grimpent les uns sur les autres et tapent
les têtes-Clarck Nova les uns des autres. Ces prophètes du Chaos annoncent la
venue du champion et la fin du Labyrinthe. Je vois des rayons de lumière verte
fluorescente. Ils ont lâché des « Araignées à accélérer le temps » !
C’est ainsi qu’ils vont en finir avec ce labyrinthe. Ils vont hâter le temps et
le mener jusqu’au moment où il tombera en ruine. Paniqué, je regarde partout
autour de moi et ne vois pas ce fameux champion. Peut-être ne s’agit-il pas d’un
être dans le sens où je l’entends. Peut-être que le champion n’est rien d’autre
que le bordel ambiant, la nuée de Cafards ou ces Araignées. En tout cas, je
dois me mettre à l’abris car si les Cafards accélèrent le temps jusqu’à
provoquer la ruine des lieux, ça veut dire qu’ls vont juste me tomber sur la
gueule. L’avantage, si je survis, c’est qu’il sera sûrement plus facile de
trouver là le cœur palpitant du void-dragon. Je m’envole, espérant qu’être le
plus haut possible m’évitera de me prendre des coups. Et alors que le squelette
du void-dragon s’écroule sur lui-même et ceux qui le peuplaient, je file par
une fenêtre et arrive à me coller dans un recoin du palais-mille-pattes pour
observer la chute du labyrinthe.
J’attends
un moment et constate avec étonnement mais satisfaction que cette catastrophe n’a
finalement attiré l’attention de personne. J’attends encore un peu et voit des
survivants émerger de ce qui reste du labyrinthe. Je ne distingue aucun Cafards
mais voir des Araignées filer dans l’ombre en courant. Je ne vois personne
mais, pourtant, j’entends des voix. Exactement les mêmes que celles que j’ai entendues
dans les thermes. Malgré la chute du squelette et le temps qui passe, ces deux
là ne sont pas mort ? Ou alors, si je les entends sans les voir, c’est
peut-être parce que ce sont… des fantômes, des… Horlas ?
Toutefois,
et c’est plus gênant, aucune trace du cœur rouge palpitant du void-dragon !
Je
veux voir ces Horlas. Alors, je m’empare d’une des clés magiques et use de cet
Egrégore pour les rendre visibles. L’un d’entre eux se révèle n’être rien d’autre
qu’un… gigantesque tas de boue ! De là, se forment des visages grossièrement
humains qui se parlent entre eux. Et je comprends qu’il n’y a jamais eu là qu’un
seul Horla, un Liéju qu’on appelle aussi Labyrinthe. Ce serait lui que les
Cafards sont venus détruire et non le void-dragon ?
Je
fixe successivement plusieurs visages et l’un d’entre eux révèlent des
scarifications. Est-ce à lui que je dois m’adresser ? Qu’a-t-il fait du cœur
de la fille ? Sait-il quelque chose au sujet du cœur du void-dragon ?
Pourquoi les Cafards ont tenté de le tuer ?
Le
Horla m’a repéré et tourne une de ses têtes de boue, celle qui parlait avec la
tête scarifié, vers moi. Elle me demande d’approcher. Je connais ce genre de
créatures. Ça ne pense qu’à se nourrir. Si cette chose s’est bien emparée du cœur
de la fille, il est possible qu’elle soit sous son emprise et qu’il se soit
servi d’elle pour rabattre des proies, comme moi. Confiant dans mes capacités
de Mouchoïde, je m’approche prudemment en lui demandant ce qu’il me veut. Il ne
répond pas mais me fait signe d’approcher encore. Il veut m’attraper, c’est
certain ! j’arrête d’avancer et lui demande simplement de me raconter son
histoire. Que fait-il ici ? Que fait cette citadelle mille-pattes dans la
forêt de Millevaux ? Quel est le secret du cœur palpitant du void-dragon ?
Il promet de tout me dire mais… je dois approcher encore. Si ce truc me touche,
je risque de le payer très cher. Pourtant, j’approche, prêt à m’envoler au
moindre geste brusque de sa part. alors, a-t-il quelque chose d’intéressant à
me dire ?
Le
Horla commence par rire et m’explique qu’il a plusieurs relations amoureuses en
même temps. J’en déduis que cette fille n’est pas la seule à qui il a volé son cœur.
Mais ce n’est pas cela qui m’intéresse. Je veux savoir pourquoi Millevaux se
retrouve à abriter tant d’éléments issus de la Mer du Chaos d’Azathoth. Le Labyrinthe
soupire. La température baisse brutalement. Il avoue ne rien pouvoir me dire à
ce sujet. Lui aussi, évidemment, à constater l’arrivée, il y a longtemps
maintenant, d’habitants de la Mer du Chaos mais il ne sait ni comment, ni
pourquoi. Ce qu’il sait, c’est que la Chèvre Noire, la Forêt, les tolère. Aussi,
il les tolère. Les Mille-Pattes ont construit ce palais autour du cadavre d’un
void-dragon et il y a trouvé refuge. Le Labyrinthe s’est caché dans le
labyrinthe. Il refuse de me dire pourquoi il doit se cacher mais je devine qu’il
a perdu de sa puissance. On dirait qu’il est… blessé, affaibli en tout cas. Je peux
peut-être en tirer avantage.
Je
me lance. Je lui fais part de ma théorie. J’ai bien compris qu’il s’était caché
ici pour reprendre des forces. Ses « liaisons amoureuses » sont en
réalités des pantins qu’il manipule afin de lui servir de rabatteur. Ainsi,
cette fille ne m’a pas demandé de lui ramener son cœur, elle m’a envoyé dans un
piège pour me faire bouffer. Toutefois, en tant que Mouche, je ne suis pas un
met de choix (et j’espère qu’il me croira quand je lui dis ça). Je lui explique
être ici suite à une vision d’un « autre-moi » tranchant un Voïvode. Je
ne connaissais pas l’existence de cette forêt avant. Je suis donc venu pour connaître
l’origine de cette vision. Et puisqu’on dirait bien que c’est cette vision,
cette révélation, qui a fait de moi une Mouche, je veux aussi comprendre
comment ça se fait que les domaines de Shub-Niggurath et Azathoth se retrouvent
aussi intimement liés. Je sens le Horla quelque peu déboussolé. Je ne sais pas
si c’est vraiment à moi qu’il s’adresse ou s’il parle tout seul mais il se
rappelle que les Mille-Pattes craignaient le froid. Lui, bien sûr, ça ne le
dérange pas. Je m’en remets à ROHUM pour avoir quelques précisions. Il apparait
comme fort probable que tous ces ressortissants de la Mer du Chaos se soient en
réalité réfugiés à Millevaux. Mais pourquoi fuir la Mer du Chaos ? A cause
du froid justement ? Un froid intense les aurait contraint à s’enfuir ?
Et puis, est-il possible que certains aient choisi une autre destination que
Millevaux ?
Je
m’envole et m’éloigne du Horla. Je réfléchis. On dirait qu’une intense vague de
froid a chassé les habitants de la Mer du Chaos. Certains se sont réfugiés à
Millevaux mais il est très possible que d’autres aient choisi d’autres
destinations. Il est également plus que probable que ces réfugiés foutent la
merde à peu près partout où ils arrivent. Mais il est également plus que
probable que la plupart, sinon tous, ne souhaitent que rentrer chez eux. Alors…
comment rendre la Mer du Chaos de nouveau habitable ?
Corso
la Mouche s’efface et laisse un peu plus de place au Joueur. Il existe diverses
divinités du froid, notamment Ithaqua ou encore Rlim Shaikorth. L’un d’eux ou
encore une autre serait-elle à l’origine de la vague de froid ayant envahi la
Mer du Chaos et contraint ses habitants à l’exil. Et est-ce que le cœur palpitant
du void-dragon a quelque rôle à jouer là-dedans ? Dis-moi, ROHUM ! ROHUM
me dit que non mais… ce serait quand même bien de mettre la main dessus !
Je
laisse le Horla dans les ruines du squelette du void-dragon et poursuis ma quête
du cœur palpitant. Ensuite, il faudra que je trouve un moyen de mettre fin à
cette vague de froid qui s’est répandue sur la Mer du Chaos. Ainsi, si le
royaume d’Azathoth est de nouveau vivable, on peut espérer que ses habitants y
retourneront spontanément…
Je
laisse là le Liéju, me disant que c’est peut-être une connerie et que je
devrais profiter de sa faiblesse pour l’abattre. Mais bon, force m’est de
reconnaitre que je ne suis pas vraiment un guerrier. Je n’ai rien d’un
Sumérien, ni même d’un Mille-Pattes. Alors je me fonds dans l’ombre et repars
en quête du Cœur Palpitant.
Je
déboule dans une salle aux dimensions nettement plus réduites que celle abritant
le Labyrinthe. Pourtant, il s’en dégage quelque chose de… mythique ! Au
sol, une mosaïque de pierres précieuses dessine un astrolabe au centre duquel
se trouve un puit. Les murs, eux, semblent fait de roches nues. Par contre, pas
de bol, il y a du monde. Un tel endroit aurait pu être le théâtre d’une
quelconque cérémonie mais on dirait bien que ce qui se passe ici n’a rien de
spirituel. Au contraire même. Trois personnes, deux Millevaliens pure souche et
une Mouche s’en prennent au puit central.
Et
ils ont bon espoir d’y parvenir puisque l’un des Millevaliens est manifestement
un Horla, une sorte de gargouille. L’autre est un humain corrompu par l’Egrégore,
ou le Pétrol’magie. Pour ce que j’en vois, son corps semble parcouru de
cicatrices et autres boursouflures verdâtres et palpitantes. Je me colle au
plafond et scrute la Mouche à la recherche de la rune Hshl sur sa nuque. Je veux
savoir s’il s’agit d’un agent de Black Rain. Evidemment, je ne parviens pas à
trouver un bon point de vue. En plus, il se met soudain à tomber une pluie
acide ! A l’intérieur ?
Non !
Nous ne sommes plus à l’intérieur. Je ne sais sous quel effet, le toit s’est
ouvert. Et non seulement il pleut de l’acide, mais en plus nous pouvons voir
dans le ciel une titanesque cité de métal dont je ne me rappelle pas qu’elle était
là à mon arrivée. Est-ce une citadelle Voyvode ? J’espère que non. Mais je
me poserai la question plus tard car, effet de la pluie ou de la citadelle, je
tombe du plafond, sujet à une terrible crise de vomissement. Au moins, je ne
suis pas une cible facile pour les autres puisqu’ils se mettent eux aussi à
vomir. Je tente de ramper jusqu’au puit. En vain. Je ne peux plus que me tordre
de douleur sur place.
A
travers le voile des larmes que la douleur m’arrache, je vois, venant de la
citadelle volante, déferler une horde de Cyborgs bardés de technologie Voyvode.
Certains n’ont plus grand-chose d’humain, hérissés qu’ils sont de lanceurs de
vinyles de void-métal ou autre tuyau d’éjection de viande d’homme-porc. Celui qui
semble être le chef agite une énorme pince métallique projetant de la lumière
noire. Je sens que je suis en train de sombrer dans l’inconscience et c’est pas
bon du tout. Il m’en coûte mais j’arrive à puiser dans mes dernières réserves
pour ramper jusqu’au puit. Mais le mutant aux boursouflures verdâtres tentent
de se saisir de ma cheville au passage. Je me dégage mais ça fait mal.
Arrivé
au bord du puit, je vois au fond de l’eau tourbillonner. Ça sent la magie. Une magie
mortelle. Ce n’est pas de l’eau qu’il y a au fond. Est-ce de l’Egrégore ou du
Pétrol’Magie ? Et puis, y a-t-il vraiment une différence entre ces deux
substances. Ce n’est même pas sûr. Mais j’ai soudain l’horrible sentiment de ne
plus m’appartenir, de n’être qu’une marionnette. Je serai moins inquiet si j’avais
la certitude que c’est le Joueur qui tire les ficelles mais je sais que ce n’est
pas le cas. C’est le Joueur qui tape ces mots mais ce n’est pas lui qui a décidé
cette pulsion, ce vertige qui me pousse à me jeter dans ce puit. Est-ce que
cela mène quelque part ou vais-je seulement me noyer ? Et si ça mène
quelque part, où ? Serai-je toujours dans le palais-mille-pattes ?
Serai-je toujours à Millevaux ? Et qui est ce sorcier qui s’est substitué
au Joueur pour me pousser à me laisser glisser au fond du puit ?
Où
suis-je ? Des marais. Je ne suis plus dans le palais-mille-pattes. Quand je
lève les yeux, je vois le ciel étoilé. Il fait nuit et j’ai les pieds dans la
boue. Autour de moi, aucune trace du palais, ni du puit qui m’a recraché ici. Sur
ma gauche, une petite construction en ruine. Les vestiges d’une tour. Quand je
m’approche, je vois que des squelettes émergent des marais. Il y a eu une
bataille ici et on a pas pris la peine de rendre plus d’hommages que ça aux
défunts. S’agit-il des cadavres de ceux qui ont tenté de prendre cette bâtisse ou
de ceux qui ont voulu la défendre ?
Les
ruines n’ont plus de porte. Mais elles n’en n’ont pas besoin car des pans de
murs se sont écroulés et remplacent ce qui, à l’époque, a fait office de porte.
Pas de problèmes, je vole par-dessus. Et derrière, un gouffre ! Le
plancher ne s’est pas seulement écroulé, il s’est enfoncé sur plusieurs
dizaines de mètres. Plusieurs centaines peut-être. Je ne vois pas le fond. De l’autre
côté, toutefois, des pierres tombales émergent de la boue du marais. Cette même
boue se déverse lentement dans le gouffre mais je n’entends aucun bruit me
laissant penser qu’elle touche le fond. Une tombe attire néanmoins mon
attention et je vole jusqu’à elle. Plusieurs mains squelettiques sont sculptées
dessus, comme si elles devaient courir le long de la pierre. Mais, une de ses
mains tient un livre. Un vrai livre. Je dois pouvoir le prendre. Les doigts
squelettiques masquent en partie le titre mais je parviens à lire le mot « Manifeste ».
Je tente de dégager l’ouvrage mais ça résiste. Impossible de bouger ce truc. Merde !
J’ai perdu fendu un Voyvode en deux ! C’est pas un caillou qui va me résister !
J’utilise
une des clés magiques, non pur son effet mais pour faire une sorte de levier. Il
y a un peu de jeu entre les doigts du squelette mais… la clé se brise et libère
son Egrégore. Et, une fois encore, mes bras tombent. Et pas seulement mes bras.
Tout autour de moi, tout ce qui vit ou a vécu perd ses membres. Les arbres
perdent leurs branches. Les animaux perdent une ou plusieurs pattes et se
mettent à hurler alors qu’ils s’effondrent dans la boue. Puis, l’inanimé
lui-même devient la proie de cette vague d’amputation. Les pierres se brisent. Le
ciel aussi. Les étoiles se fracturent. C’est… la fin du monde ?
Mes
yeux se posent de nouveau, plein d’effroi, sur la tombe et je lis. Il s’agit de
la tombe d’un sorcier connu sous le nom de Iben-Ohrer. Et on dirait qu’il est l’auteur
du Manifeste. Mais, je dois avant tout me calmer. Je tente de me convaincre que
tout ceci n’est qu’une hallucination, que mon bec est défectueux et que je suis
victime d’une remontée de Pétrol’magie d’autant plus violente que la clé brisée
vient de décharger une bonne dose d’Egrégrore.
Ainsi,
je me ressaisis et tout redevient normal. Je regarde les deux clés qui me
restent et décide d’en briser une afin de libérer ce tome étrange. Je veux en
savoir plus sur ce sorcier, cet endroit et ce que je fous là ! Sous l’action
de l’Egrégore, les doigts s’ouvrent et je m’empare du livre dont le titre complet
est « Le Manifeste de Thuggon ». Qu’est-ce que c’est que ça ?
Soudain, je me demande si ce sorcier, même mort, pourrait être celui qui s’est
substitué au Joueur pour me faire tomber au fond du puit. Je parcours
rapidement les premières pages du livre et comprends que Thuggon est une
planète. Et cette planète est le domaine d’un Grand Ancien nommé « Y’mo-Thog ».
Est-ce une divinité du froid ? Y’mo-Thog est-il responsable de la
glaciation qui s’est abattue sur la Mer du Chaos ?
Après
avoir volé jusque dans les ruines du petit donjon, je m’installe afin d’en lire
plus. Iben-Ohrer semble avoir voyagé jusqu’à cette planète. Malgré ses craintes,
il n’a pu résister à l’appel de la divinité. L’Ancien est décrit comme une
sorte de colosse à la peau bleuté. Il ne semble pas posséder de tête, ou
seulement une ébauche ou un vestige. Deux yeux posés sur une boursouflure de
chair entre ses épaules. De là, part un tentacule se terminant par une bouche
aux crocs acérés. Le sorcier a trouvé un moyen de se rendre physiquement sur Thuggon.
Il décrit une planète gelée, morte. Tellement morte que rien n’y vit, excepté Y’mo-Thog.
Iben-Ohrer raconte avoir traversé une jungle pétrifiée dans la glace. Puis, au
milieu de la forêt de glace, il a vu une statue de l’Ancien. La pierre s’était
fendue sous l’effet du froid et révélait un passage. Mais, à sa grande
surprise, le passage bien que descendant, ne conduisait pas sous terre.
Iben-Ohrer s’est ainsi retrouvé dans un petit temple aménagé au fond d’un
cratère, peut-être un ancien volcan. Là, il eut une vision. Il allait perdre
ses mains, les offrir à Y’mo-Thog. Je saute quelques chapitres. Je veux savoir
si ce que raconte le sorcier est en lien avec ce qui s’est passé dans la Mer du
Chaos. Et puis, je veux aussi les coordonnées de cette planète !
Oui !
Oui et oui ! La vague de froid qui a ravagé la Mer du Chaos et conduit
celui que j’ai vu en rêve à Millevaux vient bien de Thuggon ! Et le
sorcier a même noté les coordonnées de ce monde. Ce n’est pas par hasard que, même
mort, Iben-Ohrer a fait en sorte que je lise son Manifeste. Il veut que je me
rende sur cette planète. Mais pourquoi ? Y a-t-il quelque chose à ce sujet
à la fin du livre ? Oui, le sorcier achève son Manifeste en émettant le
désir de retourner sur Thuggon mais il n’explique pas pourquoi. Voulait-il
rendre un ultime hommage à Y’mo-Thog ? Voulait-il au contraire se venger
de l’Ancien qui lui a volé ses mains ? Regrettait-il d’avoir participé au
déclenchement de cette terrible glaciation ou, au contraire, souhaitait-il
aller encore plus loin ? Quoi qu’il en soit, il a fait en sorte de me
désigner pour lui succéder dans la tâche qu’il s’était imposé de remplir. J’irai
donc sur Thuggon. Mais j’y ferai bien ce que je veux !
Le
voyage se déroule sans encombre et je débarque sur cette terre gelée. Autour de
moi s’élèvent les ruines d’une antique cité figée dans la glace. Iben-Ohrer
parlait d’une forêt, tant pis. Mais, si cette planète est bien le domaine
d’Y’mo-Thog, il doit bien y avoir ici un lieu qui lui est dédié.
J’erre
dans cet espace désert jusqu’à ce qui a peut-être été une sorte de parc. Sous
la glace, je vois des rosiers. Est-ce que la vie rependrait son cours si la
glace s’en allait ? Mes pas me mènent jusqu’à une statue. Elle est brisée.
Je n’en vois que le piédestal et les jambes de celui ou celle qu’elle
représentait. S’agissait-il de l’Ancien ? Nulle inscription sur le
piédestal mais des petites gravures rappelant celle que j’ai vu dans le
palais-mille-pattes, accompagnant la rune Hshl. Et maintenant, je me rappelle
que cette gravure représentait bien Y’mo-Thog.
Iben-Ohrer
raconte dans son manifeste que le passage vers le temple de l’Ancien se
trouvait dans une statue brisée par le froid. Est-ce le cas ici aussi ?
Non, mais les gravures sur un des côtés du piédestal semblent être une sorte de
carte de la planète et de son ciel mettant un endroit précis en évidence. Ça me
prend un long moment et je dois lutter contre le froid mais je finis par
réussir à me localiser, ainsi que ce fameux temple, sur ce semblant de carte.
Apparemment, ce n’est pas très loin mais, avec ce froid, qui peut savoir
combien de temps ça va me prendre. Je peux essayer de gagner du temps en
volant. Heureusement, le froid ne cause aucun dommage à mes ailes.
Cherchant
des repères dans le ciel et au sol avec ce que j’ai pu « lire » sur
cette « carte », je finis par sortir de cette cité et par atterrir à
proximité d’une tombe. Au vue des symboles gravés dessus, elle est consacrée à
Y’mo-Thog. Si je me fies au Manifeste du sorcier, ce sont des monuments brisés
qui conduisent au temple de l’Ancien. Mais cette tombe est en bonne état.
Alors, dois-je la briser ? Est-ce que ce sera suffisant ou la
« porte » doit-elle forcément être ouverte par une cassure due au
froid ? Le « moi » de ma vision a dégommé un Voyvode, je devrais
donc pouvoir venir à bout d’un bout de caillou gelé. Un bon coup d’épaule
suffit à faire basculer la pierre tombale qui se brise, fragilisée par le gel.
Toutefois, je tombe à genoux sous l’effet d’une nouvelle vision. La forêt,
l’autre moi, de nouveau…
Cela
fait maintenant trois jours que nous marchons en direction de ce château qui
est apparu au loin et… alors que l’air résonne de guitares saturées et autres
sonorités électroniques, il est toujours aussi loin ! Nous marchons et
nous marchons et ne nous rapprochons jamais de ce château. Pourtant, je suis
quasiment certain que ses murs renferment l’usine de poupées sumériennes. Je
veux démolir ce château. Mais comment l’atteindre ? Nous verrons ça plus
tard. La nuit tombe. Nous approchons d’une zone marécageuse et le vent est
dense en Egrégore. Il y a de la magie dans l’air et elle est pourrie. Et elle
vient de ce maudit château !
Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que cela
signifie que le temple d’Y’mo-Thog m’est à jamais inaccessible ?
Non ! Impossible ! Je ne peux me résoudre à ça. Je fouille les restes
de la pierre tombale. Il doit bien y avoir un passage quelque part au milieu de
ces cailloux ! Mais il n’y a rien ! Rien à part cette Araignée à
accélérer le temps, produit de la technologie Cafaroïde. Elle ne fonctionne
plus, sans doute à cause du froid mais je dois pouvoir la remettre en état.
J’utilise l’Egrégore contenu dans la dernière de mes clés magiques pour
« réchauffer » l’Araignée. J’espère que ça va suffire et que ça ne va
pas me péter à la gueule.
Le
temps file à la vitesse d’une araignée à la toile verte et gluante. La glace
fond et laisse place, de nouveau, à de la végétation. Et mon voyage dans le
temps prend fin, me laissant dans une clairière, juste à côté d’une petite
cabane. Là, un type à la carrure gigantesque vaque à ses occupations.
Manifestement, il ne s’attendait pas à me voir mais parait pourtant heureux de
ma venue.
Mon
apparence de Mouchoïde ne l’effraie pas. Il m’invite même à entrer et me propose
à boire et à manger. J’accepte volontiers et, quand il m’y invite, lui raconte
mon histoire. Cette planète n’est manifestement plus sous le joug d’Y’mo-Thog.
D’ailleurs, ce type, Colborn Heartcreek, n’en a jamais entendu parler. Il n’a
même jamais entendu parler d’une période de glaciation. Était-ce il y a si
longtemps ? Y a-t-il quelque part des gens ou des sources que je pourrais
consulter au sujet de l’histoire de cette planète ? Colborn me conseille
de me rendre à la cité la plus proche. Là, les prêtres d’Azathoth pourront me
renseigner.
Les
prêtres d’Azathoth ? Qu’est donc devenue cette planète ?
Cette
cité est… étrange. J’y sens bien l’influence d’Azathoth mais pas d’une manière
aussi prégnante et chaotique quand dans la Mer du Chaos. Il y a quelque chose
de médiéval dans l’architecture mais rien qui rappelle les coins les plus
glauques de l’Interzone par exemple. En fait, cette cité porte l’empreinte de
la forêt qui l’entoure. Et, écoutant les conversations autour de moi, j’entends
plusieurs fois le nom de Millevaux, énoncé non sans une certaine crainte dans
la voix.
Errant
dans les rues, j’en déduis qu’Y’mo-Thog a été chassé et remplacé par une sorte
d’alliance de circonstance entre Azathoth et hub’Niggurath. Le premier étendra
son influence sur les villes, le second sur… le reste ? En vérité, je n’en
sais rien.
Sur
un des murs d’une toute petite place, un groupe d’hommes et de femmes (et d’autres
choses aussi) se pressent autour d’affiches. Ce sont des avis de recherches. Les
rumeurs vont bon train concernant un barde, un conteur, accusé de contrefaçon. L’affichette
explique que le criminel voyage de cité en cité et qu’il a été vu ici
récemment. Les prêtres d’Azathtoth offrent une prime de 250 pièces d’or pour sa
capture.
Je
pourrais demander un audience aux prêtres d’Azathtoth pour savoir ce qui s’est réellement
passé sur cette planète, mais j’obtiendrai plus facilement gain de cause, et
250 pièces d’or, si je n’arrive pas les mains vides. De plus, ce barde faussaire
étant aussi un voyageur, il aura certainement des choses à me dire sur la forêt
de Millevaux.
Grâce
à ROHUM, je peux avoir une longueur d’avance sur les autres chasseurs de
primes. Ainsi, ma nouvelle cible semble s’être réfugiée dans les égouts. Le nommé
Erlan Sarfiel est visiblement un humain, même pas un clone. Par contre, il
semble doué pour le maniement de la lame. Méfiance donc tout de même.
Dans
les égouts, je sens un peu plus l’influence d’Azathtoth. Ou plutôt, on dirait
que les eaux usées charrient aussi du Pétrol’Magie. Si la forêt qui entoure
toutes ces cités et bien Millevaux, elle doit regorger d’Egrégore. Entre ces
deux sources de magie, les sorciers doivent s’en donner à cœur joie.
Azathoth
soit loué ! A peine ai-je mis un pied dans les égouts qu’un zazamon
apparait, manifestement à mon service. Ainsi, ce Gazzolon
est une sorte de plante carnivore dont on ne distingue pas bien l’avant de l’arrière
mais qui hurle, qui hurle ! Je le flatte en tapotant ce que j’espère
être sa tête et commençons notre périple souterrain.
Rapidement,
quelque chose ne va pas. Un brouillard épais envahit les égouts et je n’y vois
rien du tout. Puis, alors que je sors de ce nuage, il s’avère que nous ne
sommes plus dans les égouts mais dans ls bois. Et, au loin, un château. Et je
reconnais ce château. C’est celui de ma vision, celui que mon « autre moi »
n’a jamais réussi à atteindre. Est-ce que moi aussi je vais devoir marcher
pendant des jours sans jamais parvenir jusqu’à cette forteresse ? Ses murs
abritent-ils vraiment une usine de poupées sumériennes ? Est-ce vraiment
une bonne idée de vouloir en savoir plus ?
Je
me fige. Inutile de continuer à avancer si ça ne sert à rien. Mais je me pose
quand même des questions. Cette apparition ne peut pas être une simple
coïncidence, un simple fruit du hasard (et pourtant…). De deux choses l’une :
1-cette hallucination est le
fruit de l’Egrégore ambiant, si je suis bien dans la forêt, ou du Pétrol’Magie
si je suis toujours dans les égouts. Dans ce cas, ce château est une projection
de mon inconscient ou quelque chose comme ça.
2-cette hallucination est le
fruit d’un sort ou d’un rituel. Dans ce cas, qui est derrière ça ? Quelqu’un
qui me connaît, qui m’en veut ? Quelqu’un qui a accès à certaines de mes
pensées puisqu’il peut reproduire cette vision du château. Et puis, pourquoi ?
Un serviteur d’Y’mo-Thog ? Iben-Ohrer ? Est-ce que ça a vraiment du
sens ?
3-et si ce barde était aussi un
mage et que, ayant vu que j’étais à ses trousses, il m’aurait envouté ?
Après tout, c’est possible.
Mais,
avant toute chose, je dois déjà m’assurer d’où je suis. Toujours dans les
égouts ou dans ls bois. Et puis, en vue de ce château, suis-je toujours sur la
planète Thuggon ou est-ce que ce brouillard m’a renvoyé dans le Millevaux de
mon « autre moi » ?
L’espace d’un instant, j’ai peur qu’ils me demandent de mettre fin à cette menace mais pas du tout. En réalité, ils ont d’autres projets pour la misérable Mouche à Merde que je suis. Une légende locale parle du gardien secret d’un objet sacré se livrant à divers trafic. Ses trafics ne les intéressent guère mais ils veulent cet objet sacré ! Il s’agirait des restes brisés d’un masque recouvert de fines écritures, autant de sortilèges anciens et oubliés sur lesquels ils aimeraient bien mettre la main.
Ce
château au loin ne m’apparait pas du tout comme un bon présage. Aussi, je
décide tout simplement de m’en détourner ! Que ce qu’a vécu mon « autre
moi » me serve de leçon. Et puis, si ce château abrite vraiment une sorte
d’usine à Sumériens, pas la peine que je me jette dans leurs pattes. Pour autant,
est-ce que rebrousser chemin va me faire sortir de cette… illusion ?
Et
oui ! Je fais demi-tour pour me retrouver dans les égouts. Et quand je me
retourne, le brouillard a disparu. Mais, quand j’y retourne, le brouillard
revient. Et quand je m’y enfonce à nouveau, je ressors en vue de ce château. Mais,
quelque chose a changé. Le château est en partie en ruine et recouvert de gel. Gelé,
est-il toujours inaccessible ? On dirait bien que non. J’approche et… il
ne recule pas ! Vais-je réussir là où mon autre moi a échoué ?
Peut-être bien.
J’avance
et suis à l’affut du moindre bruit, du moindre mouvement. Mais tout à l’air
désert. La porte est figée par la glace et il est impossible de la faire
tourner sur ses gonds. Pour autant, le gel l’a fragilisé et un bon coup bien
placé devrait suffire. Pourtant, la glace résiste plus que je ne l’avais
imaginé. Non, ça va plus loin que ça. J’entends dans mon crane résonner le rire
d’Ymo-Thog. L’Ancien exerce toujours une certaine influence sur cette planète et
je suis… maudit ! Et bien, si j’en suis là, autant aller jusqu’au bout. Par
contre, je cherche un autre accès et m’infiltre à l’intérieur via une brèche
dans un mur.
A
l’intérieur, l’agencement de cette petite pièce ressemble à celle d’un bateau. Il
n’y a rien en état sauf une petite statuette en forme de corbeau. A priori, elle
n’a rien de particulier. Pourtant, elle semble avoir été mise en évidence. Un peu
comme si cette pièce lui été dédiée. Aussi, je cherche dans tout ce qui traine
quelque chose pouvant m’en dire un peu plus. Mais, alors même que je farfouille
dans les décombre, un éclair frappe mon zazamon qui est instantanément réduit
en cendres !
Soyons
lucide, on m’en veut ! J’ai vraiment l’impression d’être seul en ces murs.
Pourtant, à chacun de mes pas ou presque il arrive une catastrophe. C’est comme
si on m’observait et me mettait des bâtons dans les roues dès que possible. S’agit-il
de ce barde faussaire ? S’agit-il plutôt de serviteur d’Y’mo-Thog qui n’auraient
pas apprécié qu’on mette un terme au règne de glace de leur divinité sur
Thuggon ? Je vole jusqu’à un coin de plafond et me colle dans l’ombre, le
temps de poser quelques questions à ROHUM.
Oui,
on me surveille mais il ne s’agit pas de celui ou ceux que je soupçonne. Mais,
s’il ne s’agit ni du barde, ni de serviteurs d’Y’mo-Thog, s’agirait-il des
Sumériens ? Oui ! Les Sumériens sont sur Thuggon. Et ils comptent bien
poursuivre ici leur guerre contre Azathtoth et son royaume. Ce château-usine n’est
plus en état mais il sert de « portail » aux Sumériens entre la forêt
de Millevaux de mon « autre-moi » et Thuggon.
En
vérité, tout ça commence à me dépasser et je ne sais plus si c’est une si bonne
idée que ça de courir après ce barde. Avec la menace des Sumériens qui planent,
peut-être que je devrais juste courir au premier temple d’Azathoth pour prévenir
les prêtres de ce qui est en train de se tramer. Mais me croiront-ils sans
preuve ? Je ne sais pas si cette statuette est typique de l’art sumérien
mais, au cas où, je la prends. Si c’est le cas, elle sera la preuve d’une
présence sumérienne sur Thuggon. Et sinon… je verrais bien !
Evidemment,
le retour ne pouvait s’effectuer sans embrouille ! Sorti des égouts, je
constate que la ville est en proie à la panique. En effet, les rues sont
envahies par un épais brouillard et, haut dans le ciel, se dessine la
silhouette d’un dragon. Et déjà, les citadins craignent qu’il ne s’agissent de
Candiolanth, le légendaire dragon rouge destructeur de cité. A mon avis, il s’agit
d’une illusion du même genre que celle dont j’ai été la cible dans les égouts. Mais
bon, les prêtres d’Azathoth, je l’espère, en sauront plus.
Arrivé
au temple construit en os de void-dragon, enfin, je demande audience de toute
urgence. Pour appuyer ma demande, je brandis la statuette, preuve à mes yeux de
la menace sumérienne. On va me recevoir, oui, mais pas tout de suite. Les prêtres
sont occupés. Mais à quoi bordel ? Et je n’ai pas fini de poser ma
question qu’une vague de Pétrol’magie déferle dans tout le temple et se répand
dans les rues, infligeant d’horribles mutations à toute personne présente dans
les parages. Heureusement, ma nature de Mouchoïde me préserve. Une fois la
vague dissipée, j’accède enfin à un concile de prêtres auxquels, fort de ma
statuette, je raconte toutes mes aventures et les préviens de la menace
sumérienne. Manifestement, ils se fichent royalement de ce que je raconte. Je tente
malgré tout de les convaincre et, va savoir pourquoi mais je sens là l‘influence
du Joueur qui, s’il ne tire pas sur les cordelettes de la marionnette que je
suis tape néanmoins les mots qui sont ls miens sur son PC, fracasse la
statuette au sol. Elle se brise dans un sorte de vent d’illusion et révèle un
crane aux canines plus longues que nécessaires. Un crane de vampire ! L’un
des prêtres s’en saisit et entame le descriptif d’un artefact à la magie plus
ou moins puissante.
Alors,
face à toutes ces illusions, face à toute cette magie, prennent-ils enfin la
menace sumérienne au sérieux ? Pas du tout ! Selon eux, les Sumériens
n’ont rien à voir là-dedans. Il n’y a aucune présence sumérienne sur Thuggon. Il
n’y a aucune crainte à avoir non plus de la part d’éventuels serviteurs d’Y’mo-Thog
car ils ont tous été tué il y a maintenant très longtemps. Toutefois, ils
consentent à reconnaitre l’existence d’une menace qu’ils mettent sur le compte d’un
mage, d’un sorcier ou n’importe quoi du même genre.
L’espace d’un instant, j’ai peur qu’ils me demandent de mettre fin à cette menace mais pas du tout. En réalité, ils ont d’autres projets pour la misérable Mouche à Merde que je suis. Une légende locale parle du gardien secret d’un objet sacré se livrant à divers trafic. Ses trafics ne les intéressent guère mais ils veulent cet objet sacré ! Il s’agirait des restes brisés d’un masque recouvert de fines écritures, autant de sortilèges anciens et oubliés sur lesquels ils aimeraient bien mettre la main.
A
toute fin utile, il semblerait que le gardien de cet artefact se soit
spécialisé dans le trafic d’être humain. Il s’appelle
Kohgn mais, dans le milieu, on l’appelle le Hiérarque !
Le
Hiérarque ! Quel nom ! Si ça c’est pas se la raconter… Bref, je dois
lui mettre la main dessus. Dans les rues, tout le monde est hébété, sous l’emprise
de cette vision d’un dragon émergeant du brouillard. Mais j’ai peut-être là une
carte à jouer. Je peux en effet profiter de cet état de stupeur ambiant pour
poser mes questions tout simplement. J’espère que, sous l’emprise de la peur,
les gens seront moins vigilants, moins méfiants et répondront à ma questions concernant
le Hiérarque.
Dans
la foule, mon attention se porte sur un homme aux traits bouffis. Il a le teint
jaunâtre et sa peau grasse brille, lui donnant un air visqueux. Il a malgré
cela un air hautain mais aussi… mystérieux. Aussi, je l’aborde le plus
tranquillement du monde alors que la foule rassemblée là à les yeux levés vers
l’ombre du dragon.
Je
commence par lui dire que, selon moi, il n’y a aucun véritable dragon derrière
tout ça. A mon avis, et je ne suis pas loin de le penser réellement, tout cela
n’est qu’une illusion due à une concentration excessive d’Egrégore ou de Pétrol’Magie.
D’ailleurs, n’est-ce pas là une occasion inespérée pour des trafiquants de
faire main basse sur une grosse quantité d’hallucinogène qu’ils pourraient
revendre plus tard. Et puis, cette hallucination collective persistante peut
aussi se révéler une formidable publicité pour un tel produit, non ? Mais
l’homme n’adhère pas du tout à mon discours. Au contraire même. D‘après lui, je
ne devrais pas plaisanter avec ça car cela ne fera qu’accroitre la colère du
dragon rouge. Je fais un pas en arrière en reconnaissant que des trafiquants
auraient effectivement plus à gagner à rester discret. Mais, à son avis,
pourquoi Candiolanth agit ainsi, lui ? L’homme n’est sûr de rien mais il
pense que le dragon n’est peut-être pas au mieux de sa forme. Ce serait ça,
finalement, qui l’aurait poussé à sortir de sa retraite. Il a besoin de
reprendre des forces. Il ferait donc monter la pression avec ce brouillard,
attendant le moment propice pour fondre sur la ville et s’emparer de ce dont il
a besoin. J’acquiesce et lui demande s’il ne craint que d’autres profitent de
la situation. Il ne pense pas ais me demande malgré tout à quoi je fais
allusion. Aussi, j’enchaine avec le Hiérarque. Je sais, par les prêtres d’Azathoth,
qu’il se livre au trafic d’êtres humains. Aussi, j’émets l‘hypothèse qu’un tel
personnage pourrait profiter de la panique générale pour procéder à des
enlèvements par exemple.
Mon
homme connait le Hiérarque. Et il le connait bien visiblement. Heureusement pour
moi, il semble même le détester cordialement. Non, l n’a pas été lui-même
victime de ses agissements mais il trouve ces procédés répugnants. Ainsi, j’apprends
que le Hiérarque se livre au trafic d’êtres humains pour en faire des esclaves
sexuels. Selon lui, c’est tout simplement révoltant car on ne devrait pas avoir
à passer par ce genre d’intermédiaire pour accéder à des tels esclaves. Dans une
utopie telle qu’il la conçoit, nous devrions tous être les esclaves sexuels les
uns des autres sans que quiconque doive payer un trafiquant. J’opine
vigoureusement du chef et affirme avec autant de conviction que possible que ce
Hiérarque mérite mille sanctions. Et, innocemment, je lui demande si, selon
lui, l’agitation ambiante n’est pas une bonne opportunité pour, justement,
faire payer à ce Hiérarque l’infâme prix de son commerce. Mais l’homme me
rembarre aussitôt. Il n’a nulle envie de s’en mêler ni d’y être mêlé et il met fin
à la conversation en s’enfonçant dans la foule qui ne cesse de fixer l’ombre de
Candiolanth.
Au
moins, j’en sais un peu plus sur le Hiérarque et j’ai une petite idée de là où
le trouver et je file vers ce qui fait office d’Interzone dans cette cité. J’erre
dans ce dédale obscur à la recherche de quelques Mantoïds, Cafaroïdes ou autres
Pétrol’heads les plus louches possibles. Je jette finalement mon dévolu sur un
Cyborg à l’implant génital démesuré, pour ne pas dire cauchemardesque. Nul doute
qu’il ne peut qu’avoir recours aux services de profesionnel(le)s plus ou moins
consentant(e)s. Je le trouve là s’adonnant à une activité témoignant de sa
frustration. Présentement, il agite son implant, éjectant ce qui semble être
des saucisses de viande d’Homme-porcs. Je m’approche en prenant bien soin de
rester dans l’ombre et invoque ROHUM afin de savoir si cette boite de conserve connait
mon Hiérarque. C’est le cas, mais alors même que je m’apprêtais à m’en aller,
le cyborg m’interpelle. Bien que s’astiquant en pleine rue, il ne semble pas
apprécier qu’on l’observe et me demande des comptes. Clairement, il veut se
battre. Je peux comprendre, c’est effectivement un autre moyen de se débarrasser
de ses frustrations.
Mes
yeux de Mouchoïde me permettent de le voir venir et éviter ainsi sa première
attaque. Je vole dans un coin d’ombre, me collant en hauteur, espérant être
ainsi plus dur à atteindre. Autant pour moi, je me prends une saucisse en
pleine tête. C’est d’autant plus humiliant quand on sait d’où elle a été tiré. Mais
j’ai quand même de la chance dans mon malheur car, à la lumière qui émane et s’affaiblit
aussitôt autour du cyborg, je comprends que le générateur alimentant une partie
de son blindage vient de tomber en rade. C’est maintenant à moi de jouer.
Mon
« autre moi » a dézingué un Voyvode, je devrais donc pouvoir venir à
bout d’un Cyborg en manque de compagnie. ROHUM ou Azathoth, je ne sais pas qui
je dois remercier mais sous l’impact du formiddable coup de boule en piqué que
je viens de lui asséner, le Cyborg tombe à genoux ! Mais déjà il se relève
et empoigne son projecteur de saucisses qu’il pointe dans ma direction. Il vise
bien le saligaud ! Mais je l’aurai ! Je vole dans son dos pour le
frapper sur le sommet de la tête. J’espère l’assommer, au moins. Et c’est même
mieux que ça ! Le Cyborg s’écroule. Certains de ses implants devaient
vraiment être de mauvaise qualité car il tombe littéralement en pièces à mes
pieds.
Je
n’en tirerai pas plus de lui, et pour cause, mais au moins, je sais où trouver
le Hiérarque maintenant. De plus, It’s time for loot ! Je récupère
son implant lanceur de saucisses ainsi que sa batterie. Je ne sais pas trop à
quoi ça peut me servir. Je sais encore moins si j’oserais me les faire poser
par un charcudoc local. Au pire, je les revendrai. Mais pour l’heure, je file
vers ce quartier où je devrais trouver le Hiérarque et qui porte le doux nom d’Oubliettes
Spectrales.
Les
Oubliettes Spectrales ont bien mal choisi leur nom. Ce coin de la cité n’a rien
d’une oubliette, ni rien de spectral. En vérité, il s’agit d’une sorte de baie
s’ouvrant su une mer verte, un vaste pâturage sur lequel voguent quelques barcasses.
Une sorte de petite mer intérieure verte, donc et un semblant de port de
plaisance. Toutefois, et malgré ces apparences idylliques, qui dit port dit
tavernes, auberges et filles de joie. Aussi, il doit bien y avoir là quelques
traces du commerce du Hiérarque. Pourtant, aucune fille (ou autre) en vue. Je cherche
une taverne mais on dirait qu’il n’y en a pas. Ce n’est vraiment qu’une sorte
de port de plaisance pour ceux des notables qui voudraient s’offrir une petite
virée sur ce lac vert. Je n’arrive pas à concevoir qu’un tel endroit existe
ici. Néanmoins, s’il n’y a pas de taverne, il y a malgré tout une sorte de « country
club ».
Je
pensais devoir montrer patte blanche et une carte de membre mais on me laisse
rentrer sans aucun problème. L’intérieur est confortable, très confortable. Une
sorte de luxe discret qui a le bon gout de ne pas en faire trop. A cette heure
de la journée, les lieux sont déserts. Je m’approche du bar et commande un
cocktail au hasard parmi les noms étranges présents sur la carte. On me sert
donc une Médecine Soudaine à l’odeur infecte… et au gout infecte
également. Je profite de ce que le serveur regarde ailleurs pour vider mon
verre dans une plante verte. Les feuilles se fendent alors chacune en une
bouche qui, se tournant vers moi, murmurent que je vais bientôt mourir. Je sens
comme une pointe au cœur. Je rappelle le serveur et commande, cette fois, une Idée
Diurne. Alors, il me regarde bizarrement, hésitant à me servir. ROHUM m’indique
que ce cocktail est en réalité plus qu’une boisson, c’est un mot de passe. Je souris
et enchaine, expliquant désirer m’entretenir avec le Hiérarque. Le serveur
semble inquiet et je le rassure. Je ne suis qu’un humble client, certainement
pas un représentant des forces de l’ordre ou du désordre. Malgré l’heure un peu
inhabituelle pour ce genre de prestation, le serveur déclare pouvoir me
conduire au Hiérarque.
Le
serveur me fait passer derrière le bar. Là, nous empruntons une petite porte
donnant sur les « coulisses » de l’établissement. Fini le confort,
les quartiers réservés au personnel tiennent plutôt de la caserne. Les couloirs
sont déserts mais je sens, partout, la présence de ceux qui occupent les lieux aux
heures de plus hautes fréquentations. Finalement, ce n’est pas plus mal que je
sois venu maintenant. Au moins, je serai tranquille. Nous arrivons devant une
porte en acier et peinte en blanc. C’est une botte fixée là par un gros clou
qui fait office de marteau. Le serveur frappe plusieurs fois selon un rythme
tenant là encore du code secret. La porte s’ouvre. Derrière, un nain avec d’horribles
plaques rouges sur le visage. Muet, il parle avec les main. Il doit être sourd
aussi car le serveur lui répond en utilisant le langage des signes. Toutefois,
il ne doit pas le parler couramment car il s’y reprend plusieurs fois face aux multiples froncements
de sourcils du nain. Finalement, nous entrons.
Je
suis ennuyé car on ne me conduit pas au Hiérarque. En fait, on m’amène
directement dans un boudoir ou attendent divers esclaves sexuels de tous sexes ;
toutes tailles mais aussi toutes espèces. Je me plante là, joues le client hésitant
et demande à parler au maître des lieux. Accepterait-il un entretien afin que
je lui expose une demande un peu… particulière. Le serveur traduit pour le nain
qui se retire après avoir acquiescé. Il revient quelques instants plus tard. Le
Hiérarque veut bien me recevoir mais il me propose un rendez-vous un peu plus
tard dans la journée. Je voyais les choses autrement mais, ne voulant pas faire
de vagues, j’accepte de revenir le lendemain, environ aux mêmes heures.
Je
quitte donc le Country Club en prenant bien garde à ne pas être suivi. En vérité,
je suis convaincu que le Hiérarque n’a différé notre entrevue que pour pouvoir
mener sa petite enquête. A moi donc de paraître le plus « banal »
possible pour n’éveiller aucun soupçon. Aussi, je passe les heures suivantes à
trainer dans les rues, donnant mon avis sur le brouillard et la menace du
dragon rouge. Je jette aussi discrètement possible des regards par-dessus mon
épaule. Si le Hiérarque m’a fait suivre, ses sbires sont bons !
Je
me présente donc au Country Club le lendemain, à l’heure dite. Je commande une Idée
Soudaine. Le serveur me reconnait mais reste neutre et discret en me
faisant passer de l’autre côté. De nouveaux coups de bottes sur la porte
blanche. Cette fois, c’est un Cafaroïde à la face bien amochée par une sale
blessure qui nous ouvre. Je repère une araignée à accélérer le temps sur son
épaule. Méfiance…
Je
m’attends à ce qu’il me conduise au Hiérarque et.. j’ai tort. En fait, il me
fait patienter dans une sorte de couloir ou d’antichambre donnant l’impression
d’être dans une mine. Il y a même des rails au sol. Le Hiérarque se montre
enfin. Je lâche un soupir, un peu lassé par toute cette mise en scène. Je suis
frappé par son long nez. Comme moi, il possède un bec de Pétrol’head. Est-il en
lien avec le Crabe ? Celui-ci a-t-il étendu son influence jusqu’ici. Je n’ose
lui poser la question. J’attends. Lui aussi. Le silence est un peu pesant et je
finis par le rompre. Je sors de mon sac l’implant lance-saucisse que j’ai
récupéré sur le Cyborg et entame mon baratin comme quoi je voudrais quelque
chose sur quoi m‘en servir. Mais le Hiérarque n’est pas dupe. D’une façon ou d’une
autre, il sait que je ne suis pas un client. Il demeure silencieux. Il ne fait
que hocher la tête. Je regarde autour de moi, craignant que nous ne soyons pas
seuls.
Mes
yeux de Mouchoïdes me permettent d’avoir une vision à 360° sans avoir à tourner
la tête. Aussi, le Hiérarque ne peut savoir que je suis en train de checker les
lieux. Pour autant, cela ne me met à l’abris de rien et surtout pas de ce doigt
d’honneur surgissant des cieux (et pourtant nous ne sommes pas dehors) et fonçant
sur moi pour m’écraser. Mais, va savoir pourquoi, alors que je porte mes bras
en croix devant mon visage, protection inutile contre le destin, le doigt dévie
de sa trajectoire et écrabouille le Hiérarque ! Je regarde autour de moi. Je
ne comprends rien et j’espère que rien ni personne ne va maintenant me sauter
dessus. Il ne se passe rien, si ce n’est que j’entends, venant du fond de cet
étrange endroit, monter quelques grondements abjects. Mieux vaut ne pas
trainer. En toute hâte, je fouille le cadavre. Je n’y croyais pas mais,
pourtant, il a sur lui un morceau du masque que veulent récupérer les Prêtres d’Azathoth.
Par contre, il n’y a qu’un seul morceau. Où sont les autres. Les grondements se
font de nouveaux entendre. Je m’empare d’une clé que le Hiérarque avait dans sa
poche et quitte les lieux.
J’essaye
d’être discret mais j’ai certainement échoué quelque part car je ressens une
vive douleur au niveau du bras droit. Normal, je viens de recevoir un carreau d’arbalète.
Ma vision mouchoïde aurait dû me prévenir de la présence d’un ennemi. S’agit-il
d’un tireur invisible, d’un magicien quelconque ? Je ne vois rien. Après,
ce tunnel n’est pas des mieux éclairé. Mais, ne voyant personne, je préfère quand
même m’enfuir en courant. Mais, déjà, j’entends le sifflement d’un autre
carreau. Je me jette à terre pour l’éviter mais je me retrouve secoué de
spasmes alors même qu’un tsunami de vers blancs décident de se frayer un chemin
de je ne sais où dans mon anatomie vers l’extérieur. Je me roule par terre et
tente de comprendre où mon tireur s’est caché. Ma peau se met alors à me
démanger. Je sens des excroissances se frayer un chemin, une fois de plus, de l’intérieur
de mon organisme vers sa surface mais, heureusement, ma constitution de Mouche
vient rapidement à bout de cette
tentative de cancer. Mais cela n’empêche pas mon tireur de remettre le couvert
et j’encaisse un second carreau. D’un bond, je me relève et reprends ma course
vers la sortie.
Je
trébuche alors même que mon cerveau éclate sous l’effet de la vision d’un
gigantesque tsunami s’abattant sur la cité. Ce n’est pas une simple
hallucination. C’est une vision. Un présage. C’est le futur. Et cela est prévu
pour… demain ! Les prêtres d’Azathoth sont-ils au courant ? Est-ce
que cela à quelque chose à voir avec le brouillard et le dragon rouge ? Est-ce
que je vais juste finir ici, comme un con, transpercé par des carreaux d’arbalète
dont je ne sais même pas qui les tire, ni d’où ? Je ne veux pas finir
comme un vulgaire hérisson ! Je dois prévenir les prêtres d’Azathoth et,
surtout, je dois sauver ma peau.
Ce
masque, même si je n’en possède qu’un bout, est couvert d’écriture magique. Ce doit
être un artefact puissant si les prêtres le veulent. Et même si j’en ai qu’un
bout, je peux peut-être profiter d’un de ses effets. Alors, je porte le masque devant
mon visage et lis quelques-unes des inscriptions gravées là en Langue Putride. Jaillit
alors un flash psychédélique qui illumine le couloir. Et je vois, enfin, à qui
j’ai à faire. A en juger par sa panoplie, ce doit être un chasseur de prime. Il
a l’air extrêmement tendu, fermé même. Je remarque surtout ses yeux violets. Sa
tenue est très soignée, presque trop. Est-ce à cause de ses yeux, il ne parait
pas du tout embêté par ce flash. Je roule sur moi-même et parviens, quand même,
à éviter un carreau. Je dois absolument reprendre l’initiative. Je réfléchis à
toute vitesse et, grâce à ROHUM, comprends que ce masque est un artefact en
lien avec la technomagie d’Azathtoth. C’est donc une magie chaotique et
hasardeuse. Et avec un peu de chance, je dois pouvoir trouver dans ce bout de
masque un sort qui viendra à bout de ce type.
Je
lis donc ces mots en Langue Putride et me voilà revêtu d’une cape. On va dire
que c’est toujours ça de gagné. Je tourne le dos à l’arbalétrier et cours vers
la sortie. Et je sens un carreau ricochet sur la cape. Elle est peut-être
magique…
J’arrive
finalement à la sortie. Mais j’ai toujours mon chasseur de prime aux trousses. Je
cherche donc à me perdre, et surtout le perdre, dans les ruelles de l’Interzone
avant de regagner le temple d’Azathoth. Mais il me suit toujours. Au moins, il
ne tire pas en courant.
Je
demande asile aux prêtres d’Azathoth alors même que l’arbalétrier et toujours
sur mes talons. D’ailleurs, le caractère sacré des lieux ne l’arrête pas et il
fait irruption dans le temple. Reprenant son souffle, il pointe déjà son arme
vers moi. Je vole jusque dans un coin d’ombre tout en hurlant aux prêtres
présent qu’ils doivent me protéger. J’esquive deux carreaux avant de pouvoir me
coller au plafond. Pendant ce temps, les prêtres restent impassibles. Pourtant,
quelque chose se passe. Des clameurs viennent de l’extérieur, attirant l’attention
des prêtres et du chasseur de primes. Tout le monde se précipitent dehors, même
si je sens que le tireur me garde dans son champ de vision.
Sans
quitter ma cachette, je me connecte à la foule grâce à ROHUM. Dehors, un énorme
vaisseau-bouche vient d’apparaitre. Il peut venir de n’importe où et n’importe
quand puisque sa corne frontale lui permet de traverser les vortex
spatio-temporels. Le pilote apparait, sorte d’homme-ver à la peau très très
pâle. Il a une révélation à faire à la foule. La cité va bientôt être
engloutie. Dans moins d’une journée. Je le savais ! Mais, ce que je ne
savais pas, c’est qu’il y a un moyen de nous sauver tous.
Et ce moyen, c’est…
Alors
qu’une partie de la foule reste suspendue aux lèvres de cet étrange pilote de
vaisseau-bouche, une autre partie s’en est déjà détournée pour aller prier le
dragon rouge des les épargner. Le pilote se mettre quelque peu déconfis par
cette attitude mais cela ne l’empêche pas de poursuivre.
Oui,
nous pouvons tous être sauvé de cette vague à venir. Pour cela, nous avons donc
une journée pour rompre une malédiction. Laquelle ? Celle lancée par les
membres de l’Eglise du Serpent Innombrable ! Je regarde autour de moi. Ce noms
ne semble pas totalement inconnu aux membres de la foule mais provoque quand
même un certain étonnement. Visiblement, ce n’est certainement pas le
groupuscule le plus influent du coin. A moins, comme je ne peux m’empêcher de
le souffler à mon voisin, qu’ils ne préparent leur coup en secret depuis
longtemps.
Pour
autant, cette déclaration suscite le doute. En effet, cette Eglise est minoritaire
mais, pour autant qu’on le sache, ses membres ne font l’objet d’aucune persécution
qui justifierait la destruction de la ville. Je ne me sens pas l’âme d’un
leader mais je ne peux m’empêcher de faire courir le bruit que le meilleur
moyen d’en être certain serait peut-être bien d’aller leur demander directement.
Et
voila que cette suggestion se répand et que la foule se met en marche vers le
temple du Serpent Innombrable. Nous arrivons devant une petite bâtisse austère
et sale. La façade est envahie par l’humidité et il se dégage des lieux quelque
chose de sinistre. Quelqu’un dans la foule prend alors la parole et exige qu’un
membre de l’Eglise sorte s’exprimer sur la question. Personne ne sort
évidemment, certainement par peur d’un lynchage. Toutefois, une voix retentit
et interroge la foule sur le motif de sa présence. Une fois la clameur retombée,
la voix nie en bloc être à l’origine d’une quelconque malédiction et nous prie
tous de rentrer chez nous. Alors, je m’envole au-dessus de la foule et demande
s’il me serait possible d’entrer pour discuter, seul bien sûr. Une fenêtre s’ouvre
et on me fait signe d’entrer.
A
l’intérieur, l’église est à peine moins miteuse que sa façade. Je suis
accueilli par un Mantoïd. Il a l’air nerveux. Il n’arrête pas de triturer sa
bague. Je lui dis venir en paix. Contrairement à la foule, je ne pense pas que
le Serpent Innombrable soit à l’origine de cette malédiction. Toutefois, l’Eglise
a été accusée et, malgré cela, elle a peut-être un rôle à jouer dans le
sauvetage de la cité. Je n’ai pas l‘impression de l’avoir vraiment convaincu
mais, quand même, il me laisse poursuivre. En vérité, je n’ai aucune hypothèse
ni théorie sur la question et j’improvise totalement mon baratin. Aussi, je lui
explique que, selon moi, il est plus probable de voir là les conséquences des
manigances de serviteurs d’Y’mo-Thog, l’ancienne divinité régnante sur cette
planète. Je pense en effet que ce serait plutôt qui, dans un esprit de
vengeance et afin de restaurer un nouvel âge de glace, auraient provoquer l’apparition
de ce brouillard et de cette ombre du dragon pour créer un certaine panique. De
même, ils auraient impliqué l’Eglise du Serpent Innombrable uniquement pour
semer plus de trouble et se laisser encore un peu plus de temps pour finaliser
leur plan. Là, je sens le Mantoïd un peu plus intéressé. Alors, a-t-il des
informations concernant une résurgence du culte d’Y’mo-Thog ou d’une quelconque
divinité liée au froid et à la glace. Non, mais… peut-être que le Serpent a une
réponse, lui.
Le
Mantoïd me conduit alors dans une autre pièce, trois étages plus haut. Là, il s’arrête
devant une porte. Je l’interroge quant à ce qu’il y a derrière et il m’explique
que personne ne le sait. En réalité, personne n’a jamais ouvert cette porte. Pas
depuis qu’il est membre de l’Eglise en tous les cas. En fait, cette porte est
magique. Pas dans le sens où elle s’ouvrirait sur d’autres endroits mais dans
le sens où elle est chargée d’un mélange d’Egrégore et de Pétrol’Magie qui
permet de faire voyager… l’esprit. C’est un peu, me dit-il, comme si une porte
s’ouvrait dans l’esprit et que le Serpent Innombrable en profiter pour y
déverser une vision, une révélation. Il pose alors les mains sur la porte,
ferme les yeux et nous attendons tous les deux.
Le
Mantoïd est un peu ennuyé quand il se retourne vers moi. Le serpent n’a pas été
très bavard. Tout ce qu’il a pu voir concerne… Une tête de femme titanesque en
pierre taillée, à moitié recouverte de mousse. Elle porte une sorte de casque d’astronaute
et, d’après le Mantoïd, elle parle dans une langue inconnue. Il me prévient
également que ses yeux émettent des rayons mortels. Super ! Et maintenant,
où je trouve cette tête géante ? Dans la forêt j’imagine. Le Mantoïd hausse
les épaules. Il ne peut m’en dire plus.
Heureusement
pour moi, les prêtres d’Azathtoth connaissent l’existence de cette tête et s’empressent
de me faire un plan détaillé pour y parvenir. Tant que je suis là, je leur
remets le bout du masque du Hiérarque que j’ai récupéré, leur promettant de
leur ramener le reste si nous survivons à la prochaine journée. Je sens bien
que ma réponse ne leur convient pas et je me félicite d’être immunisé aux mutations
car je reconnais dans l’invocation qu’il vient de lancer dans ma direction
quelques expressions évoquant un blob.
Pas
la peine de m’attarder. Je quitte les lieux et fonce dans la forêt jusqu’à
cette fameuse tête. Je verrai bien ce qu’elle a à me dire.
Et
je me retrouve dans cette forêt. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression
de la connaître sans pourtant jamais y avoir mis les pieds. En réalité, je ne
me souviens pas d’y être allé, ni même de n’y être jamais allé. Je suis sûr de
ne pas savoir et pourtant… cette forêt me rappelle quelque chose. Est-ce que
cela a à voir avec mon « autre moi » ou le Joueur ? Le Joueur,
lui, connait bien cette forêt. Il l’a visité bien des fois à bien des époques
et sous bien des formes. Pourtant, s’il la connait, il avoue volontiers que,
pour lui aussi, elle demeure bien mystérieuse. Il est bien loin d’en avoir fait
le tour.
Cela
fait un petit moment maintenant que j’erre dans ces bois et je ne peux qu’être
frappé par l’exubérance de cette végétation. Ce n’est pas une simple forêt, je
le sais bien. C’est le domaine autant qu’un avatar de Shub’Niggurath mais… Il y
a quelque chose… d’agressif dans la façon dont ces bois se développe. Cette végétation
est un prédateur. On dirait que ces bois se dévorent eux-mêmes mais que, malgré
cela, ils en ressortent toujours plus fort. Ils se nourrissent d’eux-mêmes, se
renforcent. Ça fait peur. Mais, d’un autre côté, se dévorant elle-même, la
forêt semble renaître en permanence. Elle est un perpétuelle nouveau-né, sans
mémoire, qui doit tout redécouvrir, tout réapprendre. Ça aussi, ça me met mal à
l’aise.
J’arrive
finalement au pied d’un arbre. J’entends le hululement d’un hibou, plus haut dans
son feuillage. Je lève les yeux et distingue une silhouette taillée dans une
sorte de feu translucide. Cet oiseau serait-il une manifestation de l’Emprise,
une sorte de forme modelée dans l’Egrégore selon des règles que je ne connais
pas ? Essaie-t-il de me dire quelque chose ? Autant le lui demander. Je
grimpe. Enfin, j’essaye…
Le
Joueur a pratiqué l’escalade pendant plusieurs années mais on dirait qu’l ne m’en
a rien transmis. Aussi, finalement, je m’en remets à mes ailes et vole jusqu’à
cet étrange hibou. Une fois en face de lui, je le vois fixer sur moi son regard
attentif. Et dans ce regard, je lis de la colère. Dans ma tête, des mots et des
images apparaissent, explosent même ! Ce n’est pas formulé dans un langage
qu’on pourrait qualifier d’« humain » mais l’idée générale est une
association des notions de livres et de poison. Alors, est-ce que cela veut
dire que les livres, les mots, sont un poison, qu’ils sont dangereux ? Cette
idée n’est pas nouvelle. Pourtant, elle fait écho à mes pensées concernant
cette forêt sans mémoire. D’une certaine façon, les livres sont nos 1er
disques durs externes, non ? Des sortes de mémoires… et ces mémoires
seraient un poison ? Mémoire, savoir… l’ignorance serait-elle préférable ?
Vivre finalement dans un état de perpétuel présent, sans passé ni avenir ?
Je secoues la tête. Ce hibou est en train de jouer avec ma propension, et celle
du Joueur, à me prendre la tête. Il me fait réfléchir à toutes ces
considérations pour mieux me faire oublier pourquoi je suis ici. Est-ce là la
ruse de la forêt pour me détourner de mon but ? Me remplir la tête de
considérations plus ou moins et moins que plus philosophiques pour me détourner
de mon but ?
Les
livres sont un poison, mais pour qui ? Pas pour moi ! Pour moi, au
contraire, ils sont un remède ou alors, comme l’écrivait Sloterdijk, il s’agit
d’un procès d’intoxication volontaire. Ainsi, la lecture devient pour moi une
sorte de mithridatisation. Je m’immunise au poison. Je suis immunisé, déjà, car
je suis une Mouchoïde ! Alors, sans détourner mon regard des yeux du hibou
d’Egrégore, je me décide à l’« ouvrir » pour lire en lui. Dans cet
être d’Egrégore et d’Emprise, je vais trouver ce que je cherche, l’endroit où
se trouve cette tête en pierre.
Le
hibou résiste mais finit par céder. J’ai trouvé ce que je cherchais. Ainsi, je
vole maintenant vers mon but, ma cible, la tête géante. Elle a été sculpté au
sommet d’un tertre. Derrière, il y a une cascade. L’endroit est beau, d’autant
plus que la nuit tombe. Le vent souffle, prémisse du tsunami à venir ? J’avance
prudemment afin de ne pas tomber sous le coup de ses rayons mortels contre lesquels
on m’a mis en garde. Et là, je me rappelle de la carte que m’ont donné les
prêtres d’Azathtoth. La forêt a été maline et me l’a faite oublier. J’aurais pu
arriver plus tôt. J’ai maintenant moins de temps pour trouver une parade à
cette vague qui va détruire la cité.
Je
vole selon une trajectoire qui me permet de m’approcher de la tête dans déclencher
ses rayons. Maintenant que je suis tout proche d’elle, je reste silencieux et
attends un peu au cas où elle prendrait spontanément la parole. Effectivement,
je n’attends pas longtemps avant qu’elle ne s’adresse directement à moi. C’est
bizarre. Je pensais qu’elle userait d’une sorte de télépathie mais je vois
distinctement bouger ses lèvres de pierre recouvertes de mousses. Son haleine
est putride, comme la Langue dans laquelle elle s’exprime.
La
tête me rassure. Elle ne me veut pas de mal. Il y a quelque chose de désenchanté
dans sa voix. En fait, elle ne me veut pas de mal car cela ne sert plus à rien.
Elle affirme que, depuis le début ou presque, je ne cours pas après les bonnes
cibles, je ne cherche pas du bon côté. Et maintenant, il est trop tard. Je lui
demande s’il n’y a vraiment aucun moyen d’éviter ce tsunami. Il y en a un mais…
il est trop tard maintenant. Dans le doute, je lui demande quel est ce moyen. Après
tout, ce n’est pas parce qu’elle semble convaincue qu’il est trop tard que c’est
effectivement le cas. Et puis, peut-être me ment-elle ? Et la tête, j’ai l’impression
qu’elle se tourne vers moi-même si c’est faux parce que c’est impossible, me
demande :
« Ne
t’est-il pas venu à l’idée que tu avais été drogué et que tout cela n’était qu’une
illusion, une hallucination ? »
Pétrol’head
que je suis… Je n’ai rien pris depuis… depuis… ?
Suis-je
en manque ? Ai-je fais une overdose ?
Je
me rappelle ces mots de Nietzsche qu’on attribue aussi à Burrough : « Rien
n’est vrai, tout est permis. »
Merde !
Cette
vague, ce tsunami, ce brouillard, cette fumée, ce dragon rouge…
Tout
cet Egrégore et ce Pétrol’magie.
Suis-je
vraiment ici ? Ne suis-pas tout simplement en train d’ultra-planer ou de
me tordre de douleur à cause du manque ?
Tout
ça…
…
ne serait finalement…
…
qu’une hallucination ?
C’est…
trop tard ?
Vraiment ?
Quelque
part, le Joueur se ronge les ongles. Même lui ne sait plus. Alors, qu’est-ce qu’on
fait ?
La
mémoire est un poison. Les livres sont un poison. Et même si je suis immunisé,
le mieux que j’ai à faire est peut-être de faire comme cette forêt :
repartir à zéro !
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