L'ORACLE BAROQUE
Eskil Aaronson a 25 ans.
Originaire de Copenhague, il a entrepris un long voyage dans toute
l'Europe pour y apprendre « la vie ». Mais, arrivé à
Paris, c'est peut-être d'autres secrets que lui a enseigné son
voyage...
Eskil fait donc partie
de la famille Aaronson. Celle-ci jouit d'une « certaine »
réputation mais Eskil est encore loin d'être un membre influent. Il
est même encore loin de pouvoir user de son nom afin de pouvoir user
de cette influence. C'est entre autre pour cette raison, pour se
faire un nom au sein de sa propre famille, qu'il a entrepris ce
voyage.
Ektor Aaronson est une
figure emblématique de notre famille. Il fut l'un de ceux qui ont
assis notre fortune et notre réputation. Il a fait face à biens des
revers. Il a perdu beaucoup, pour ne pas dire tout, et plusieurs
fois : argent, honneur... êtres chers. Mais il s'est toujours
relevé ! Il a su faire de chaque épreuve une force. Et de
chacune, il est revenu plus fort encore. Nous lui devons notre
fortune, notre réputation, notre caractère inflexible et notre
capacité à nous relever après chaque revers de la vie.
Lors de son voyage,
Eskil a passé quelques semaines en Moldavie. Là, il fut initié à
certains secrets. Son lien, et celui de sa famille, avec l'Esprit de
La Sans Nom lui fut révélé mais il fut aussi, lors d'un rituel
ancien, « attaché » à celui de l'Impératrice (III). Il
appris ainsi à invoquer et canaliser un Esprit afin d'affecter les
plantes et la nourriture.
XxXxX
A Paris, Eskil se rend
chez une tireuse de cartes. Quand il arrive, elle sort un autre
paquet. Il s'agit du Tarot du Monde des Ténèbres. Mais Eskil reste
confiant. La vieille femme lui fait couper le jeu avec la main gauche
et lui demande de tirer 3 cartes. Elle dit :
« Qui suis-je ?
L'Impératrice !
Qui est-il ? La
Roue de la Fortune !
Quel est le mystère de
l'âme ? Le Bateleur ! »
La vieille prend un air
très absorbé. Elle réfléchit, ou fait semblant. Puis, elle
reprend :
« Vers quoi les
choses se développent-elles ? La Tempérance !
Qu'est-ce qui fait
obstacle ? Le Pendu !
Qu'est-ce qui fait
avancer l'évolution ? Le Diable ! »
La vieille femme ne
montre aucune émotion à l'annonce de cette arcane. Elle inspire
profondément et poursuit :
« Quelle décision
dois-je prendre ? Le Soleil !
Où en suis-je avec mes
partenaires et où en sont-ils avec moi ? L'Ermite !
Alors qu'elle s'apprête
à demander à Eskil de tirer une neuvième carte, elle se retient.
Eskil sent qu'elle perd quelque peu de sa contenance. Assez
rapidement, et même brutalement, elle lui demande de s'en aller et
de revenir le lendemain.
24 heures exactement
après être entré pour la première fois dans l'échoppe de la
tireuse de cartes, Eskil est de retour en ce lieu étrangement
pittoresque. La femme l'attend. Tous deux s'installent. La tireuse de
cartes a pris des notes.
« L'Impératrice
te définit. Mais, à l'envers, elle signifie l'indécision, le
gaspillage et la perte de ressources matérielles. Tu as ensuite tiré
la Roue de la Fortune. C'est un plutôt bon présage. Qu'il s'agisse
d'un gain spécial ou d'une perte insolite, le sort en est de toute
façon jeté. Mais il y aura forcément quelque chose de positif à
en retirer. Mais fais attention car le Bateleur rappelle tes choix
erronés.
La Tempérance veut que
les choses s'harmonisent. Malgré ton indécisions et tes mauvais
choix, tu es l'objet de bonnes influences. Je vois là, ensemble, de
la modération et de bons présages. Mais le Pendu se dresse sur ta
route. Tu seras tenté par de vains sacrifices et risque d'être
tenté de manquer de dévouement, de ne te préoccuper que de ta
petite personne. Le Diable te guide. Il t'a fait croiser le chemin du
surnaturel, de l'occulte. Il t'a conduit à remettre en cause les
Grands Principes. Cela te fait avancer mais prends garde à ce que
cela ne te mène pas à la servitude et l'autodestruction. Il est
risqué de sortir des sentiers battus.
On dirait bien que ta
route sera pavée de biens des tentations obscures. Mais tu dois
choisir le Soleil. Lui et lui seul te conduira au succès et à la
vraie satisfaction de tes buts et de tes désirs. Ne perds pas le
contact avec les autres. Ne t'enfonces pas dans une voie tellement
obscure que tu n'en verrais plus tes amis, tes alliés. Malgré les
secrets que tu as acquis, tu es et reste jeune. Ne commets pas
d'imprudence. L'Ermite te met en garde contre toute immaturité,
toute imprudence. Tu as des alliés. Ne les perds pas. »
Après avoir payé la
tireuse de cartes, Eskil regagne la rue avec les notes prises par la
femme. Il s'installe à une terrasse de café et entreprends de les
lire plus attentivement. Les cartes ont bien vus ce qui s'était
passé en Moldavie, son « initiation ». Et elles l'ont
bien mis en garde contre la tentation de faire de « mauvais
choix ». Visiblement, ces tentations vont être grandes et
nombreuses. L'occulte et l'ésotérisme vont être les prochains
grands moteurs de son action mais avec le risque de basculer du côté
sombre. On dirait qu'il est bien tentant, et facile, d'user de ces
forces à des fins égoïstes. Il est facile de se laisser aller à
ses penchants premiers, les plus instinctuels, les plus... immatures.
Il a manifestement une voie à suivre mais il devra garder la tête
froide. Et on dirait bien que cela ne va pas être si facile que ça.
Quelques semaines plus
tard, Eskil a pris ses marques à Paris et a fait la connaissance de
quelques spécialistes en sciences occultes. L'un d'entre eux, un
historien du nom de Jacques Dubois, lui a donné rendez-vous dans
une... morgue. Là, il lui raconte l'histoire de ce notable parti en
voyage mais qui tarde à revenir. Ou plutôt, tardait ! En
réalité, l'homme est de retour. Mais il se fait extrêmement
discret. Quasiment personne à Paris n'est au courant de son retour.
C'est pour ça que les journaux continuent d'évoquer sa disparition.
Pourtant, un œil exercé n'aura pas manqué de remarquer une étrange
activité autour de sa demeure. Pourquoi ? Dubois explique avoir
participé récemment à une soirée « privée » dans
cette demeure. Il n'a pas vu l'hôte, Amaury de l'Adour, mais il
s'est quand même passé quelque chose d'étrange. En effet, sans que
personne n'y touche, et Dubois est affirmatif sur ce point, un
collier appartenant à la famille de l'Adour depuis des siècles est
tombé de son présentoir pour se briser en mille morceaux. Un
silence des plus étrange a suivi cet incident. Dubois précise que
personne n'a réussi à briser ce silence durant plusieurs minutes.
Chaque tentative de faire du bruit s'était alors soldé par un
échec. Toutefois, quelques jours après cet incident, on remarquait
la présence récurrente de rôdeurs autour de la demeure de de
l'Adour. Et aucune nouvelle d'Amaury dont pourtant les proches
affirment qu'il est bien de retour mais a donné des instructions
très strictes pour que le moins de personnes possibles en soi
informées.
« A votre avis,
mon cher, qu'est-ce que tout ça peut bien vouloir dire ? »
Eskil commençait à
avoir froid dans cette morgue. Dubois ne lui avait donné rendez-vous
ici que pour le côté « pittoresque » du lieu.
Néanmoins, cette affaire avait l'air étrange. Et l'étrange ne
devait-il pas guider ses pas à Paris ? Sa curiosité éveillée
par le récit de l'historien et bien décidé à mettre à l'épreuve
les dires de la tireuse de cartes, Eskil était décidé à percer le
mystère de la maison de de l'Adour. Et si le Diable devait se mettre
sur son chemin... Bah ! La figure de l'Impératrice ne le
laisserait pas tomber. Et puis, après tout, La Sans Nom n'était-elle
pas symbole de renaissance ?
Tout d'abord, il
s'agissait de vérifier les propos de Dubois. Y avait-il bien des
rôdeurs autour de la maison de de l'Adour ? C'est donc tout
innocemment qu'Eskil se rend dans ce beau quartier de Paris, se
disant au pire qu'il pourrait se mêler et se faire passer pour un de
ces fameux rôdeurs au besoin.
Personne n'attire son
attention quand il arrive. Mais, après tout, il tombe un désagréable
grésil ce matin qui aura certainement découragé les curieux. Pour
autant, Eskil fait le tour du pâté de maison et, surtout, de la
propriété de la famille de l'Adour. Qu'est-ce qui peut bien attirer
les curieux ? Peut-on voir quelque chose d'intéressant de
l'extérieur ? Et il s'avère que oui !
Est-ce ce secret que les
rôdeurs cherchent à percer ? Toutefois, Eskil assiste
présentement à un étrange spectacle. Par une fenêtre, il voit
celle qui semble être une dame de compagnie retirer une perruque. La
femme se change... mais ne change pas seulement de vêtements. C'est
en réalité toute sa physionomie qui change. Elle devient... moins
féminine, plus... androgyne. Puis, ses traits se figent et Eskil
leur trouve quelque chose d'indéfinissablement... monstrueux. Un
monstre ! Oui, cette femme est un monstre ! Est-ce elle que
cherchent les rôdeurs ? Ou alors, sont-ils attirés par elle ?
Seul dans la rue, Eskil n'est pas très discret. Aussi, troublé par
cette vision, il s'enfuit, presque en courant.
Le lendemain, Eskil
décide de ne pas retourner dans ce quartier. Cette vision l'a mis
vraiment mal à l'aise. En fait, il a plutôt dans l'idée de faire
quelques recherches concernant la famille de l'Adour. Dubois pourra
peut-être lui en apprendre plus sur cette famille. Peut-être,
aussi, qu'il pourrait lui présenter quelques « mondains »
ou un journaliste qui pourraient le renseigner sur les motifs du
voyage d'Amaury.
Mais, alors qu'il se
rend à l'université où enseigne Dubois, Eskil se rend compte qu'il
est suivi. L'homme est bronzé et chauve. C'est un colosse. Il est
monstrueux ! Eskil ne fera clairement pas le poids s'ils
devaient en venir aux mains. L'homme n'a pas l'air commode. Il ne
semble pas que ce soit la peine d'essayer de discuter avec lui. Eskil
tente donc de le « perdre » dans les rues de Paris. Mais
l'homme, s'il ne fait aucun effort pour être discret, n'en est pas
moins plus malin qu'il en a l'air. Et, au final, Eskil se retrouve
piégé au fond d'une impasse. Il risque de passer un très sale ¼
d'heure. Au moins, il se fait la promesse de ne pas mouiller Dubois
dans cette affaire.
Le colosse s'approche,
menaçant. Il fait craquer ses doigts puis ce sont les os d'Eskil qui
craque. Son adversaire ne lui fait pas de cadeau ! Eskil tombe à
terre et, alors qu'il est roué de coup, un souffle s'engouffre dans
l'impasse. Ce souffle n'a rien de naturel. L'homme arrête de frapper
Eskil et regarde tout autour de lui. Il semble paniquer. Il s'enfuit,
littéralement poussé hors de l'impasse par ce qu'Eskil reconnaît
être un esprit lié à celui de la Papesse.
Eskil se relève. Il
défroisse ses vêtements et constate qu'il n'a finalement rien de
cassé. Il est très conscient de sa chance. Cela aurait pu, aurait
dû même, très mal se terminer pour lui. Mais qui est cet homme ?
Que lui voulait-il ? Qui l'envoyait ? De l'Adour ?
Fatigué, Eskil se dit
qu'il rendra visite à Dubois le lendemain plutôt. Pour l'heure, il
a besoin de repos.
Après une bonne nuit de
repos, Eskil se rend enfin chez Dubois. Il lui narre son étrange
expérience de la veille, lui avoue s'être inquiété pour lui et se
réjouit de voir qu'il n'a en rien été inquiété par qui que ce
soit. Eskil lui fait part de sa volonté d'en savoir un peu plus sur
la famille de l'Adour en général et sur le voyage d'Amaury en
particulier. Aussi, Dubois a-t-il quelques relations pouvant lui être
utile ?
Dubois sait qu'Amaury de
l'Adour, avant d'entreprendre son dernier voyage, consultait un
psychologue. Le docteur Deurf acceptera peut-être de s'entretenir.
Toutefois, Dubois lui déconseille de parler de lui au docteur. Ils
ne sont pas spécialement en bons termes. De plus, il est plus que
probable que Deurf s'abrite derrière le secret professionnel pour
refuser de parler mais qui ne tente rien...
Le docteur Deurf se
caractérise par un visage délicatement ciselé. Il n'y a rien
d'hostile dans son regard et Eskil se demande vraiment comment Dubois
a pu avoir des mots avec un homme à l'apparence aussi affable.
Aussi, il décide de ne pas tourner autour du pot et explique mener
sa propre enquête concernant l'étrange retour d'Amaury de l'Adour.
Ses investigations l'ont me né jusqu'ici mais il a maintenant besoin
d'en savoir plus. Le docteur acceptera-t-il de l'aider ? Comme
prévu par Dubois, Deurf brandit l’étendard du secret
professionnel. Alors, Eskil tente de se faire psychologue à son tour
afin de percer ce masque d'amabilité et savoir quel levier actionner
afin de convaincre le docteur de coopérer. Mais ce masque demeure
impénétrable. Alors, tentant le tout pour le tout, Eskil propose
une forte somme d'argent qu'il dit tenir de ses « commanditaires »
qui s'inquiètent vraiment beaucoup pour Amaury.
Eskil est un peu déçu
de constater que, finalement, le docteur Deurf est sensible à la
plus basse corruption. Mais peu importe, quand bien même les
informations ne voudraient pas la somme déboursée, Eskil aura
toujours le moyen de faire chanter le docteur en le menaçant de
révéler publiquement qu'il a brisé le secret professionnel contre
de l'argent. Mais alors, qu'est-ce qu'Amaury pouvait bien révéler
au docteur Deurf ?
En fait, avant
d'entreprendre son voyage, Amaury de l'Adour était venu consulter le
docteur Deurf pour des problèmes d'insomnies. Ne dormant plus, ou
très peu, il était devenu la proie de véritable cauchemars
éveillés durant lesquels il s'est mis à entendre des gémissements.
Puis, des mots se formèrent et il entendit raconter des récits de
massacres, de chasses ou encore de conjurations. En fait, il décrivit
au docteur avoir entendu une multitude de récits évoquant la mort à
quelque occasion que ce soit. Mais, il n'a jamais eu d'hallucination
visuelle. Il n'a jamais vu ces mises à mort dont il a entendu tant
d'histoires. En fait d'image, il a vu un temple en ruine. Et c'est ce
temple ancien qu'il est parti cherché, convaincu de trouver là-bas
la solution à son mal.
« Mais, demande
Eskil, Amaury avait donc reconnu cet endroit ? Il savait où
aller ? »
Et le docteur Deurf lui
expliqua qu'effectivement, Amaury avait bel et bien reconnu cet
endroit. Il s'agissait, a-t-il dit, du Temple de Fomalhaut se
trouvant quelque part en Asie, en Thaïlande pour être plus précis.
Malheureusement, le docteur ne pouvait être plus précis justement
et la Thaïlande demeurait malgré un vaste pays, surtout quand on
est seul pour y trouver un temple en ruine.
Dans la salle d'attente,
Eskil n'en revient pas de croiser là, attendant patiemment son tour,
Marek, un Roumain ayant été initié en même temps que lui aux
mystères des Esprits lors de son étape en Moldavie. Que fait-il
ici ? Et pourquoi cette froideur ? Sans s'attendre à des
chaleureuses retrouvailles, Eskil s'étonne du comportement distant
de Marek.
Ce matin, Eskil a décidé
de retourner voir Dubois. Peut-être l'historien sait-il où trouver
ce fameux temple en Thaïlande. Au pire, se dit-il, il tentera de
s'introduire chez de l'Adour. Mais autant éviter d'en arriver là.
Chemin faisant, il s'offre un détour par le marché aux puces. Là,
un homme ayant tout l'air d'escroc a installé une table et vend des
objets vraiment bizarres. Il semble assez pressé de s'en
débarrasser. Voyant que ces objets ont un aspect asiatique, Eskil
s'arrête pour les examiner. Son attention se porte tout
particulièrement sur le moins « folklorique » de ces
articles, soit un tas de feuillets abîmés rattachés entre eux par
une simple cordelette. La première page ne porte pas de titre. Il
s'agit du début du texte. Eskil voit là de minuscules rangées de
formules complexes entouré de charabia apparent. Des mots dans une
variété de langues sont présents, la plupart dans le même script
insouciant, mais d'autres écrits semblent être des notes ajoutées
plus tard par d'autres. Quelques mots ne sont dans aucune langue
qu'il ne peut identifier, et une grande partie de l’écriture
exiguë s’entrecroise sur elle-même, rendant la lecture
fastidieuse. Ce texte n'a visiblement aucune utilité en ce qui
concerne son affaire. Toutefois, il demande au « vendeur »
s'il aurait quelque chose relatif au Temple de Fomalhaut. Ce dernier
répond par l'affirmative mais Eskil sent chez lui une certaine
réticence. Il tente de le sonder du regard mais les étranges
grimaces de cet homme ne lui révèlent rien de ses motivations.
« Pas besoin
d'aller en Thaïlande pour visiter un temple de Fomalhaut ! »
L'homme a lâché cette
phrase sur un ton hostile mais Eskil sent bien qu'il est en réalité
terrorisé. Il garde son calme et lui propose de l'aider. En échange
de sa protection, il n'aura lui raconter ce qu'il sait et qui semble
à ce point l'effrayer. Mais l'homme prend alors un air des plus
courroucés. Il ramasse rapidement ses affaires et s'apprête à
quitter les lieux. Dans la foulée, Eskil tente de s'emparer du tas
de feuillets mais l'homme lui saisit le poignet et le fixe d'un air
dédaigneux. Sans se démonter, Eskil déclare néanmoins vouloir
acquérir le manuscrit. Mais l'homme refuse et menace même d'appeler
les forces de l'ordre. Eskil répond que ce serait une mauvaise idée
puisqu'il y a fort à parier que ces objets aient été volé, chez
les de l'Adour de surcroît ! Toutefois, qu'il appelle les gens
d'armes si cela lui chante ! Mais tous deux peuvent se quitter
bons amis s'il accepte de lui céder ce manuscrit et lui indiquer où
trouver, à Paris, un temple de Fomalhaut. Et là, l'homme se met
vraiment à paniquer. Eskil comprend qu'il vient de voir quelque
chose derrière lui. Il se retourne. Une silhouette sombre se dessine
mais elle n'est l'ombre de... personne ! Et cette ombre semble
se détacher du mur sur lequel elle est apparue. Autour d'elle,
l'air, l'espace et même le temps semble se courber d'une étrange et
dérangeante manière. Une tête prend forme. On dirait une sphère
molle d'où s'échappent une douzaine d'appendices sombres se
terminant par des yeux globuleux. Ses membres rentrent et sortent de
son corps dans un rythme régulier. Et même quand il n'a plus ses
jambes pour le soutenir, cet être étrange demeure comme en
lévitation dans l'air. Et dans cette ombre flottante, Eskil croit
voir apparaître une multitude de petits points lumineux. Ces petits
points se déplacent à une très grande vitesse autour d'un axe. Ils
forment alors des bras spiralés. On dirait... des galaxies qui se
forment, s'agrègent et se désagrègent. De quel spectacle est-il le
témoin ? Le vendeur est toujours là, paralysé par la terreur.
En vérité, eux seuls voient cette chose. Eskil profite de ce que
l'homme est dans un état de stupeur pour s'emparer du manuscrit et
se met à courir.
Au bout d'un long
moment, à bout de souffle, Eskil s'arrête. Il regarde derrière
lui. Il est seul. La chose ne l'a pas suivi. Ou alors, il a réussi à
la semer. Mais, il s'est lui aussi perdu dans Paris. Il n'a
absolument aucune idée de là où ses pas l'ont mené. Comment
rejoindre son hôtel ? Comment retrouver la maison de Dubois ?
Est-il possible de héler un cocher ? Ce quartier semble bien
louche.
Et c'est dans ce
quartier de Paris où s'entassent les étrangers les plus démunis
qu'Eskil aperçoit de nouveau Marek, son co-initié en Moldavie. Ce
ne peut être un hasard. Aussi, au mépris de la plus élémentaire
discrétion, il l'interpelle. Et cette fois, contrairement à leur
précédente rencontre dans le cabinet du docteur Deurf, c'est avec
un franc sourire aux lèvres que Marek vient à la rencontre de son
ami.
Afin de lever tout
ambiguïté, Eskil lui explique tout de suite que c'est par pur
hasard qu'il se retrouve, et le retrouve, dans ce quartier. Que Marek
ne se sente pas suivi, ni espionné. Ce n'était pas le cas
évidemment mais il reconnaît que les apparences sont trompeuses.
Eskil lui explique donc ce qui vient de lui arriver au Marché aux
Puces. Il lui montre également le manuscrit dont il s'est emparé et
ne tait rien de cette étrange vision qu'ils ont partagé avec le
vendeur qu'il soupçonne d'avoir dérobé ses marchandises chez les
de l'Adour. Eskil se doute que Marek n'était pas chez Deurf par
hasard. Sa présence à Paris a forcément un lien avec de l'Adour,
n'est-ce pas ? Lui, explique-t-il pour ne rien cacher à son
ami, est tombé sur cette histoire par hasard et ne s'y intéresse
que par pure curiosité. En réalité, il n'a rien à y gagner et, au
vue de ses récentes expériences, il aurait plutôt tout à perdre.
Mais, qu'est-ce que Marek a à ajouter à tout cela ?
Marek confirme que sa
présence est bien en lien avec l'« affaire de l'Adour ».
Il savait que ce dernier s'était rendu en Thaïlande et que bien des
mystères entourent son retour, ou plutôt sa disparition
puisqu'officiellement il n'est pas à Paris. Toutefois, il ne savait
pas que le Français avait pu rechercher là-bas un Temple de
Fomalhaut. Et il ignorait également qu'il y en avait un ici. Mais
alors, pourquoi est-il sur la trace d'Amaury ? Marek évoque une
histoire de vengeance. À Eskil, il avoue le chercher pour le tuer.
En effet, il accuse Amaury de l'Adour de s'être emparé et retenir
captif un homoncule crée par Marek à l'aide de procédés
alchimiques complexes. Aussi, il veut récupérer sa créature et se
venger du vol. mais, est-il possible que cet homoncule soit la
créature androgyne aperçu l'autre jour par la fenêtre ? Non !
Marek est affirmatif. L'homoncule est un être miniature. De plus, il
n'y a aucune confusion possible quant à son sexe. L'être miniature
est de sexe féminin et ne peut survivre très longtemps hors du
flacon rempli d'aether qui lui sert de lieu de vie. Eskil, quant à
lui, explique qu'il était prêt à se rendre en Thaïlande, à la
recherche de ce fameux Temple de Fomalhaut afin de comprendre ce
qu'Amaury y cherchait. Mais, sachant qu'un tel Temple est ici, il va
peut-être commencer par-là. Mais peut-être que le vol dont le
Français s'est rendu coupable est lié à ce qu'il a trouvé, ou
cherchait, dans ce temple. D'ailleurs, cette homoncule a-t-elle
quelques capacités particulières à même de susciter la
convoitise ? Et Marek explique comment il a doté sa créature
de la capacité de lire dans les étoiles, non seulement son chemin
mais surtout le destin. Les étoiles... L'ombre de sa vision de tout
à l'heure montrait des étoiles en mouvement. Fomalhaut, quant à
elle, est l'étoile la plus brillante de la constellation du Poisson
austral. Alors, peut-être qu'effectivement Eskil n'aura pas besoin
d'aller jusqu'en Thaïlande pour en savoir davantage. Toutefois, il
semble bien que les plans d'Amaury de l'Adour soient en lien avec les
étoiles en général et Fomalhaut en particulier. Mais qu'est-ce que
ce petit homoncule pourrait bien lire là qui soit important au point
qu'on ne la dérobe à son créateur ? Eskil réfléchit.
L'ombre de sa vision montrait des étoiles en mouvement. Et s'il y
avait du mouvement au niveau de la constellation du Poisson ?
Quelles en seraient alors les conséquences ? Et il se rappelle
alors que, même si les premières pages ne mentionnent pas l'étoile
en question, le manuscrit qu'il a récupéré est une compilation de
notes à caractère mathématique. Ces mathématiques là ne
traiteraient-elles pas par hasard de la trajectoires des astres ?
Marek et lui se plongent dans les feuillets et voient tous les deux
cette hypothèses se confirmer.
Eskil décide alors que
cette conversation doit se poursuivre chez Dubois. En effet,
l'historien sait peut-être où se trouve ce fameux temple. Et il en
sait même peut-être un peu plus. Et sur le trajet, Eskil évoque
également l'idée qu'Amaury aurait pu avoir, en Thaïlande, une
vision astrale similaire à la sienne. Celle-là aurait alors motivé
son retour mais aussi le vol de l'homoncule afin de comprendre ce que
tout cela signifie.
Arrivé chez Dubois, il
s'avère que l'historien est en proie à la panique. Non, il n'a pas
eu une vision des astres (désastres...) mais ce n'est pas beaucoup
mieux. Il a reçu une très mauvaise visite. Un homme de main, et
Eskil reconnaît son agresseur, l'a malmené afin d'obtenir des
renseignements sur lui. Dubois avoue honteusement avoir dit ce qu'il
savait. Mais heureusement, cela ne signifie pas grand chose si ce
n'est qu'effectivement Eskil s'intéresse à de l'Adour.
Si Eskil est désolé de
la mésaventure de son ami, il se félicite toutefois que celui-ci ne
fut pas encore informé de son intérêt pour Fomalhaut et son temple
parisien. D'ailleurs, Dubois sait où il se trouve mais il rechigne
toutefois à révéler son emplacement, argumentant qu'il veut ainsi
protéger Eskil de tout danger. Mais, explique Eskil, c'est un danger
d'un tout autre ordre qui se profile si on ne perce pas ce mystère.
Alors ? Où est le temple ?
Dubois est plus
difficile à convaincre que prévu. Il a vraiment eu très peur et a
été très impressionné par la brute qui l'a questionné.
Toutefois, Eskil lui montre le manuscrit qu'il a récupéré aux
Puces et lui explique que, selon lui, il y a là toutes les formules
nécessaires à une bonne compréhension du mouvement actuel des
astres à proximité de Fomalhaut. À cela, si on ajoute les
révélations de l'homoncule de Marek, on devrait pouvoir vraiment
comprendre ce qui se passe. Mais, ce serait vraiment une aide
bienvenue que de révéler l'emplacement du temple car nul doute
qu'il y aura là-bas d'autres éléments de réponses qui éviterons
peut-être de devoir se résoudre à pénétrer par effraction chez
de l'Adour où les attend un danger certainement plus grand !
Dubois s'empare alors du
manuscrit et s'installe à son bureau. Eskil et Marek lisent par
dessus son épaule. Rédigées en bien des langues, dont certaines
incompréhensibles, il est impossible de véritablement saisir la
nature du mouvements des astres qui se profile. Toutefois, Fomalhaut,
étoile de la constellation du Poisson, pourrait bien être liée à
une divinité apparaissant plusieurs fois dans ces notes sous le nom
de Dagon. Alors, le Temple parisien de Fomalhaut serait-il un temple
en l'honneur de ce dieu ? Dubois, un peu honteux, le confirme.
Ils décidèrent
qu'Eskil irait seul au temple de Fomalhaut/Dagon. En effet, Dubois
était encore sous le choc de l'interrogatoire qu'il venait de subir
et Marek, quant à lui, était plus soucieux de récupérer son
homoncule. Eskil se rendit donc dans les célèbres catacombes de
Paris et là, discrètement, il força l'une des grilles cadenassées
donnant sur un couloir menant au temple.
Les parois étaient tout
du long recouvertes d'ossements savamment et élégamment empilés.
Cela conférait aux lieux une atmosphère des plus lugubres et, d'une
certaine manière, Eskil était préparé à ce qu'il allait
ressentir quand, au détour d'un couloir, il trouva enfin le temple.
Là, un grand nombre de cranes avaient été ouvert et remplis de
terre afin de permettre la croissance de plantes des plus étranges.
Non seulement elles n'avaient manifestement pas besoin de la lumière
du soleil pour grandir, mais certaines semblaient légèrement
onduler, comme sous l'effet d'une brise pourtant absente. Eskil
entendait également comme un sifflement sourd. Il venait des plantes
assurément mais semblait pourtant si loin, si profond.
Eskil fut tiré de sa
contemplation par une main se posant sur son épaule. Il sursauta et
se retourna pour reconnaître l'homme qu'il avait rencontré aux
puces. Celui-ci semblait paniqué mais pas du tout hostile envers
lui. L'homme retenait ses larmes. Il expliqua à Eskil qu'il devait
absolument fuir cet endroit. Fuir Paris même. Lui, il était maudit.
Maudit pour avoir commis un sinistre et minable larcin. Oui,
avoua-t-il, il s'était rendu coupable d'un vulgaire cambriolage.
Mais quel mal lui en a pris. S'il avait su, il aurait cambriolé le
voisin. Depuis, il est en proie à des cauchemars et des visions. Et
ce qu'il a pu comprendre de tout ça n'a fait qu’accroître sa
terreur. Il a découvert l'existence de cet endroit en jetant un œil
aux notes dérobé chez les de l'Adour. Suite à ses premiers
cauchemars, il a fait ses propres recherches et a trouvé ce temple
par lequel il se sent « attiré ». Il n'a en réalité
cherché à vendre ces objets que pour s'en débarrasser et,
espérait-il, se débarrasser de cette malédiction qui le hante.
Mais c'est bien inutilement qu'il prit ces vains risques. Les visions
ne l'ont pas quitté et ses pas l'ont ramené ici. Eskil, lui, peut
encore s'enfuir.
L'homme ne serait donc
qu'un vulgaire voleur. Il n'aurait choisi la demeure d'Amaury que
parce qu'il s'agissait de celle d'une personne réputée nantie.
Eskil n'était pas certain que l'homme lui disait toute la vérité
mais ne souhaitait pas polémiquer à ce sujet. En vérité, il
voulait surtout savoir ce qu'il avait vu chez Amaury de l'Adour.
Avait-il vu le maître des lieux ? Avait-il vu l'homoncule de
Marek ? Avait-il vu la chose étrange que lui-même avait
aperçu ? Avait-il vu... autre chose ? Mais le voleur se
murait dans le silence. Il secouait la tête et réparait à Eskil
qu'il devait s'enfuir.
Eskil commença alors à
le secouer et à le menacer de le dénoncer non seulement aux gens
d'armes mais surtout à de l'Adour lui-même. Il fallait parler
maintenant. Appeuré, l'homme balbutiait. Eskil le sentait céder
quand, tout à coup, une nuée, des dizaines et des centaines de rats
déboulèrent dans le temple, renversant les piles d'ossements. Eskil
saisit l'homme par le bras et se mit à courir en direction de la
sortie. Mais les rats furent plus rapides et les deux furent
littéralement submergés par cette vague que rien n'arrêtait. Eskil
lâcha l'homme qu'il perdit de vue. Il sentait les griffes et les
crocs des rongeurs s'enfoncer dans sa chair. Il sentait aussi tous
les autres courir sur lui, se dirigeant vers une destination
inconnue. Rien n'arrêtait les rats qui renversaient tout sur leur
passage. Ainsi, Eskil se retrouva sous un tas d'os et de cranes. Il
perdit pied. Et, comme à la mer, il fut emporté. Alors, il renonça
à tenter quoi que ce soit et se laissa porter par ce flot.
Au bout d'un trop long
moment, le flot se calma et Eskil fut « déposé » par
terre. Quand il eut de nouveau la force de se relever, il n'y avait
plus un rat dans les catacombes. Il n'y avait plus personne. Eskil
était seul sous terre, dans une partie des catacombes qu'il ne
reconnaissait absolument pas.
Les rats ont laissé
Eskil dans une partie déserte des catacombes. Mais il n'est pas
aussi seul qu'il le pensait... ou qu'il l'espérait. En fait, non
loin de lui se trouve... une jambe ! Et tout porte à croire
qu'elle a été arrachée à son propriétaire il y a peu. Eskil
examine le sol et repère des traces de pas récentes. Une piste ?
Pas vraiment. Ou alors, c'est plutôt la direction à fuir. Si la
chose qui a arraché cette jambe est parti dans une direction, Eskil
a tout intérêt à aller de l'autre côté. Mais, peut-être aussi
que cette chose connaît la sortie. Alors...
Eskil réfléchit à ce
qu'il doit faire. Son esprit vagabonde et il se demande, s'il devait
périr ici, quelle aura été la plus belle chose qu'il aura faite de
sa courte vie. Entreprendre ce voyage, évidemment ! Et
apprendre ! Apprendre tout ce qu'il lui aura été possible
d'apprendre, même et surtout ces étranges secrets qu'on lui a
enseignés en Moldavie. Mais il est tiré de ses pensées par
l'arrivée d'un être primitif à tête de crapeau. Sans prêter
attention à Eskil, il entreprend de fouiller les lieux, jetant ça
et là les ossements que des ouvriers parisiens avaient
consciencieusement empilés. Que cherche-t-il ? Eskil s'approche
discrètement et remarque que cet être ne possède pas de mains. En
fait, il possède deux moignons ensanglantés à la place. Fouiller
ainsi parmi les ossements doit être très douloureux. Il a l'air
très occupé et Eskil espère qu'il ne le remarquera pas.
Alors qu'Eskil quitte
les lieux sans faire de bruit, l'être à tête de crapeau émet un
long gémissement. Eskil se retourne, craignant d'avoir été repéré,
mais on dirait que l'autre a trouvé ce qu'il cherchait. Eskil ne
parvient pas à voir ce que c'est et ne s'attarde pas. D'ailleurs,
l'autre ne s'attarde non plus et quitte cette salle par l'autre
issue. Eskil décide donc de suivre les traces qu'il a vu au sol,
quand bien même elles devaient le précipiter dans les griffes d'une
menace plus grande.
Après avoir marché
pendant quelques minutes à peine, Eskil se retrouve dans une
nouvelle salle. Il règne ici une forte odeur de putréfaction.
Pourtant, il n'y a aucune trace de cadavre. En fait, cette salle est
couvertes de terre au sol et sur les murs. Et de nombreuses plantes
blanchâtres ont poussé là. Ces plantes semblent légèrement
luminescentes. Mais elles ne sont pas la seule source de lumière. Au
milieu de la salle, un homme translucide et brillant flotte dans le
vide, comme pendu à une potence invisible. Il a de longs cheveux
hirsutes et Eskil remarque qu'il porte un collier de facture assez
grossière taillé dans un carré d'acier sale. Soudain, il ouvre
grand les yeux et tend le bras en direction d'Eskil. Il ouvre grand
la bouche mais aucun son ne sort. Et Eskil se sent littéralement
attiré vers le pendu, non pas poussé par un fort vent mais vraiment
attiré comme par un aimant. Il tente de résister mais n'y parvient
pas. Eskil se retient de hurler. Il lutte contre cette force et
parvient finalement à reprendre la maîtrise de son corps. C'est à
reculons et avec difficulté qu'il s'éloigne qui s'éloigne du
pendu.
Et alors, le cri
silencieux se fait entendre. C'est un cri strident, horrible. Il
gagne en volume au point de devenir insupportable. Eskil plaque ses
mains sur ses oreilles et constate qu'il est de nouveau soumis à
cette force magnétique qui l'attire vers le pendu. Il décide alors
d'invoquer cet esprit qui lui est attaché via l'Impératrice. Il y a
des plantes ici et il espère que l'esprit pourra les faire croître
au point d'emprisonner le pendu.
L'esprit se manifeste
comme prévu mais... il se met à tourner autour du pendu. Il tourne
de plus en plus vite et des plantes translucides et luminescentes
commencent à bourgeonner. Elles transpercent la chair et les
vêtements du pendu qui hurle toujours plus fort. Les plantes
grandissent et deviennent des lianes qui courent, volent vers Eskil.
Lui, est paralysé par la violence de ce cri. Les mains sur les
oreilles, il résiste comme il peut à l'attraction du pendu mais il
est bien rattrapé et attrapé par les lianes qui achèvent de
l'attirer. Eskil sent alors une liane s'enrouler autour de son cou.
Il se sent ensuite soulever en l'air. La pression sur son cou devient
insupportable. L'air commence à manquer. Eskil tend un bras en
direction du pendu. Le pendu tend également le bras en direction
d'Eskil. Leurs doigts se frôlent. La vision d'Eskil se brouille.
Bientôt, le hurlement n'est plus qu'on lointain gémissement.
Tout devient noir.
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