MANTRA & MILLEVAUX
Salut,
Il y a quelques semaines
maintenant, j'ai lu Cheval du Diable, le dernier chapitre de la
Trilogie de la Crasse (Tétralogie désormais), le jeu de rôle de
Christophe Siebert et Batronoban. Et plus je lisais, plus une voix
dans ma tête (la mienne) disait « Oh, putain !... Oh,
putain !... »
Je n'ai nulle intention
de spoiler le contenu de ce texte mais je dois dire que les
révélations contenues dans Cheval du Diable ont fait plus que
s'interroger le rôliste solitaire que je suis. Je me suis posé pas
mal de questions après avoir lu Cheval du Diable. Mais j'ai aussi eu
vachement la trouille ! Ça, je dois bien le reconnaître.
Histoire de me changer
les idées (ou de me voiler la face) je me suis lancé dans quelques
parties en solo mais sans finalement jamais réussir à trop
m'éloigner des univers de la Crasse et de Millevaux. Il me fallait
quelque chose de plus fort. Alors, j'ai ressorti Mantra. Pour des
raisons finalement assez évidente, je m'étais jeté dessus pour le
lire au plus vite mais, plus ou moins consciemment, repoussais le
moment de passer à l'acte et créer un personnage. Mais au bout d'un
moment, je n'avais plus vraiment le choix.
Rôliste solitaire, il
m'est plus facile qu'à d'autres de trouver la Magicienne. En plus,
je la connaissais déjà depuis l'affaire des Coelacanthes. Aussi,
j'ai pu obtenir sans problème mes premières doses de Billes et de
Noix, dont je sais aujourd'hui qu'elles sont en parties composées de
Pétrol'Magie. Grâce à la Bille, j'ai eu une double illumination.
Une bonne et une mauvaise nouvelle en quelque sorte.
La bonne nouvelle,
c'était que j'allais de nouveau incarner le Kraken. Et pour ça, je
n'ai même pas eu besoin de me jeter dans le Puis des Âmes. La
mauvaise, c'était que j'avais désormais le Bureau des Narcotiques
aux fesses. Et oui, j'ai beau être rôliste solitaire, il y a quand
même des choses que même la double casquette de MJ/PJ ne peut
permettre d'éviter. En ce moment, je n'ai pas de boulot donc ce
n'est pas grave si je suis aux abonnés absents. Aussi, j'ai décidé
de m'enfuir !
J'ai filé aussi vite
que j'ai pu. J'ai juste pris avec moi mes dés, ma réserves de
Billes, un rêve d'Anton Vandenberg et une photo d'Olav. J'ai fermé
les yeux et, comme dans Fight Club, j'ai commencé à explorer ma
caverne intérieure jusqu'à ce qu'un pingouin me dise « Glisse ! ».
Et j'ai émergé dans
cette espèce de cave, au pied d'un escalier. En haut, une porte. La
peinture s'écaillait. Ça avait l'air dégueulasse. Tout avait l'air
dégueulasse. C'était humide et sale. J'ai d'abord cru m'être
retrouvé à Silent Hill. Mais non ! Heureusement ! J'ai
fixé cette porte un moment. Plusieurs choses, j'avoue, me fichaient
la trouille. Déjà, l'obscurité de cette cave. Non pas que j'ai
peur du noir mais je n'avais alors aucune idée de ce qui pouvait se
tapir dans les ténèbres. Et c'est pas comme si, la seule chose dont
j'étais sûr, c'est que partout autour de moi ça grouillait de
Horlas. Et puis j'avais les pieds dans la flotte, ce qui est très
désagréable. Et puis, il y avait ces runes sur la porte. Elles
aussi ne m'inspiraient pas confiance, loin de là. Puis, enfin, la
lumière derrière la porte. C'était une lumière éclatante. Un
truc aveuglant. Un flash de fin du monde. Ou plutôt un flash de
création du monde. Je n'avais aucune idée de ce qu'il pouvait y
avoir derrière cette porte. Ma seule certitude concernait
l'existence de Horlas. Voilà où j'en étais. Derrière moi, le
Bureau des Narcotiques dont les agents étaient sûrement déjà à
mes basques. Et devant, en haut des marches, un Nouveau Monde où
tout était à découvrir, à construire. Et pour ça, je n'avais en
poche que mes dés, le Rêve 18 d'Anton Vandenberg et les photos
d'Olav. Mais heureusement, grâce à Christophe BJ Breysse, je reste
Connecté.
XxXxX
Je monte les marches.
Plus j'approche de la porte couverte de runes, plus la lumière est
aveuglante. Derrière, il n'y a rien que le blanc. Tout est à créer.
Et pour cela, je n'ai qu'un rêve d'Anton Vandenberg, le n°18.
Je ferme les yeux.
J'ouvre la porte. Je fais quelques pas. J'ouvre les yeux. Je suis
dans le salon miteux d'une petite maison en bois. En fait, c'est plus
que miteux, c'est carrément à l'abandon. À travers la fenêtre
perce un rayon de la Lune A, celle qui précède la Lune B, qui
éclaire un pistolet, un Beretta, qui traîne sur la table basse. Je
vais en avoir besoin. Dehors, j'entends hurler les Voix Mortes. Je
savais qu'il y avait des Horlas ici.
Je monte à l'étage.
Les escaliers grincent mais tiennent bon. J'entre dans une pièce
vide. Une porte fenêtre s'ouvre sur un balcon. Là, je vois la forêt
s'étendre à perte de vue. De tous les mondes maudits où je pouvais
atterrir il fallait que ce soit celui-là ! Millevaux !
Au loin, je vois des
immeubles abandonnés et envahit par la végétation. On dit qu'une
tribu de tarés y vit. On les appelle les Natifs de l'Abattage. Tout
un programme. Je vois aussi les ruines d'un théâtre antique. Je
sais. C'est là que se trouve le prochain rêve d'Anton Vandenberg.
Pour l'instant, avec ce
qui me reste du rêve n°18, je fais en sorte que trois ouvriers
retapent un peu cette maison qui est désormais la mienne. Par le
balcon, je vois qu'Olav a peint des runes un peu partout. Elles me
protègent des Voix Mortes. Avec un nouveau rêve d'Anton, je
pourrais améliorer tout ça.
Le rôliste solitaire
est tout autant PJ que MJ. En cela, il est un peu Omniscient. Cela
fait de moi, au moins de dans ce Nouveau Monde, ce nouveau Millevaux,
un Connecté. Ainsi, je sais comment l'avènement de la Chèvre
Noire, la Mauvaise Mère, a précipité la fin de l'humanité. Mais
pour ce qui est de dire ce qui s'est vraiment passé à l'époque, je
crois bien qu'il n'en existe plus aucune trace. Je crois que les
survivants ont fait de leur mieux pour écrire leur histoire puis la
transmettre oralement mais... l'Emprise, l’Égrégore et l'oubli.
Bref, il ne reste plus rien aujourd'hui. Que des ruines. Des
immeubles en ruine. Des ruines humaines à la mémoire rongée par la
forêt. Et les Horlas et autres Coelacanthes qui hantent les bois.
Il y a encore des zones
saines bien sûr. Où ? Je ne sais pas encore mais il y en a.
tous les survivants n'ont pas fini comme les Natifs de l'Abattage.
Certains ont rafistolé comme ils ont pu les ruines dans lesquelles
ils se sont installés et y vivent aussi paisiblement que possible.
Les Horlas et les
malades comme les Natifs ne sont pas les seules menaces auxquelles il
faut faire face. L'ennemi est parfois plus insidieux quand il prend
la forme de la corruption. Corruption de l'âme mais aussi des corps.
La corruption frappe tout le monde, humain, animal, végétal,
minéral. Tout ce qui est, sous l'influence de la Mauvaise Mère,
peut devenir un ennemi mortel. C'est peut-être une des façons qu'a
la nature de reprendre ses droits. Mais heureusement, il y a encore
moyen de trouver de la nourriture saine et de l'eau potable. L'eau de
pluie, quand elle n'est pas noire, peut être récolté. Pour peu
qu'on la fasse bouillir, l'eau des lacs est potable aussi.
Pour l'instant, la seule
communauté que je connais est celle des Natifs de l'Abattage. Elle
est à quelques kilomètres d'ici, dans les immeubles abandonnés.
Là-bas, c'est la loi du plus fort et du plus fous. En ce moment, je
crois que leur chef s'appelle Kainen. J'aimerais être sûr qu'ils
sont comme ça à cause de Millevaux. Mais je crois que non. À ma
connaissance, ils n'ont aucun lien avec les Horlas. Je crois même
qu'ils les craignent. C'est leur choix de vivre ainsi, c'est tout. Il
va vraiment falloir que je me protège car s'ils se rendent compte
que je suis là, je ne donne pas cher de ma peau.
Et là, vient le moment
où Christophe Breysse m'interroge à propos des Connectés. Comment
ils sont perçus, s'ils sont l'objet de luttes d'influence etc. ?
Sauf que, à ma connaissance, je suis le seul Connecté ici.
Peut-être que j'en rencontrerais d'autres. Mais pour l'instant, je
suis le seul.
Et la résistance ?
Contre qui ? Millevaux ? La Chèvre Noire ? Les
Horlas ? Je ne pense pas qu'on puisse dire que les Natifs de
l'Abattage constituent un mouvement de résistance contre quoi que ce
soit. Et comme pour les Connectés, s'il y a une résistance, je n'en
ai vu aucune trace. En fait, j'ai l'impression que si quelqu'un fait
office de résistance, c'est moi. Et là, on est vraiment mal barré.
Mes trois ouvriers, mes
trois techies que j'ai appelé Haze, Corso et Lewis-Maria ont, entre
autres petits travaux, restauré l'électricité. J'ai ainsi fait la
découverte, à la cave, d'une Forge d'Encre. Ça tombe très bien.
Grâce à elle, je vais pouvoir en apprendre un peu plus sur ce
théâtre antique où se trouve le prochain rêve d'Anton Vandenberg.
Une fois seul, je
m'installe et réfléchis à ce théâtre. Que sait-on à son sujet ?
Que sais-je à son sujet ? Tout d'abord il s'agit d'une ruine
datant de l'Antiquité gréco-romaine. Avant l'avènement de la
Mauvaise Mère, c'était déjà une ruine. Mais des archéologues
l'avaient extirpé de la terre. Ils avaient remis en état tout ce
qui pouvait l'être et avaient reconstitué une partie de son
histoire afin que le public se rappelle comment on vivait à l'époque
et à quoi ce genre de lieu servait. À l'époque, cette découverte
a stoppé net la construction de nouvelles barres d'immeubles. En
effet, c'est en creusant les fondations d'un futur HLM que ces
vestiges furent découverts. Aussi, pour des raisons historiques,
culturelles etc. le projet d'agrandissement de la ZUP locale fut
abandonné. Au contraire même, les édiles de l'époque se
félicitaient de la proximité de ces précieuses ruines avec les
barres déjà existantes. Ainsi, la culture et l'histoire se
trouvaient à quelques pas des populations les plus défavorisées.
Avec le temps, la forêt a détruit les bâtiments les plus proches
du théâtre. C'est pour ça que le quartier général des Natifs de
l'Abattage semble plus éloigné.
De mon balcon, le
théâtre ne paraît pas si décrépi que ça, comparé aux
immeubles. En fait, il semble faire corps avec la forêt. C'est un
peu comme s'il n'avait pas été envahi et rongé par Millevaux mais
plutôt comme s'il en était une partie. D'ailleurs, on raconte des
choses sur cet endroit. On dit que ceux qui en reviennent sont
porteurs d'une maladie mortelle et contagieuse. Avec le temps, ce
lieu s'est entouré d'une aura de mystère et de secret. Mais, en
réalité, de secret il n'y en a point. C'est juste que cet endroit
est le cœur du territoire d'un de ces Horlas qu'on appelle
Manducateur. C'est lui le vecteur de la maladie. Les Manducateurs ne
sont pas seulement des porteurs de maladies, ils se nourrissent aussi
de cadavres. Et, quand ils n'en trouvent pas, ils tuent ! Une
fois là-bas, je devrais être très prudent. Surtout que je n'ai
qu'un Beretta pour me défendre.
Maintenant que j'en sais
un peu plus sur ce qui m'attend, je me concentre. Grâce à
Christophe BJ Breysse, même ici je reste Connecté. Aussi, je peux
avoir une vision de ce qui m'attend. Je ne sais pas si me concentrer
permet de la générer. Aussi bien, ces visions sont spontanées mais
j'essaye quand même.
Est-ce un pur hasard ?
Je vois ! Le théâtre bien sûr. Je suis dans la fosse.
Étrangement, à l'intérieur, la végétation est moins
envahissante. Je vois le rêve d'Anton Vandenberg. Il est gravé sur
une plaque de pierre perché au sommet d'une colonne. Comment mettre
la main dessus ? J'ai tout le trajet pour y réfléchir.
XxXxX
Et me voilà parti pour
ce théâtre en ruine. Je pars seul. J'aurais pu emmener Haze, Corso
et Lewis-Maria avec moi mais cette quête de rêve est la mienne. À
moi, à moi tout seul ! Ça m'apprendra à ne jamais me rappeler
de mes rêves. Je n'aurais pas besoin de piquer ceux des autres si je
m'en rappelais.
Dans l'état actuel des
choses, il n'est pas compliqué d'éviter les immeubles des Natifs de
l'Abattage. Par contre, je vais quand même devoir me dépatouiller
des Voix Mortes qui entourent la cabane (j'ai du mal à dire « ma
maison »). Plus je m'éloigne de la cabane, plus je m'approche
de la sphère d'influence de cet étrange Horla que sont les Voix
Mortes. La cabane se situe dans une petite clairière et au moment de
m'enfoncer réellement dans la forêt, je sens l'influence du Horla,
quelque chose dans l'air, comme un filet, un réseau d’Égrégore.
J'ai la sensation très nette que continuer ma route me serait plus
que néfaste. Pour autant, je n'ai pas vraiment le choix. Je regarde
autour de moi. Je cherche un autre chemin, sans trop y croire. Et je
vois cette espèce se stèle qui se dresse un peu plus loin sur ma
droite. Je m'approche. Le caillou fait environ un mètre de haut. Il
n'a rien de particulier si ce n'est cette série d'encoches taillées
au sommet. À cet endroit, la roche est particulièrement polie. Il
ne faut pas être un génie pour comprendre que ces encoches sont une
sorte d'interrupteur. Je vois bien qu'il faut que j'y pose la main,
sauf que ce n'est pas vraiment configuré pour une main humaine. À
la limite, je peux passer mes doigts dans chaque entaille, mais dans
quel ordre ? Qu'est-ce qui va se passer si je le fais ?
Qu'est-ce qui va se passer si je le fais mal ? Est-ce que ce
truc va désactiver le Horla ou au contraire m'attirer la colère des
Voix Mortes ? Je passe un doigt dans chaque encoche, l'une après
l'autre, de gauche à droite. Maintenant, il arrivera ce qui doit
arriver.
Et merde ! C'est ce
que je craignais. J'ai attiré les Voix Mortes. Je les entends avant
de les voir. En fait, je les sens dans ma tête. C'est un
bourdonnement désagréable, les prémices d'une sacrée migraine. Le
truc dont je n'ai pas besoin maintenant. Évidemment, aucun dealer de
Relpax ou d'Ibuprofène dans le coin ! Je ne bouge pas. Je reste
près de la stèle. Je penche la tête. J'essaye de voir les Voix
Mortes mais je ne vois rien. Pourtant, je les sens. Elles approchent.
Pourquoi je ne peux pas les voir ? Elles sont tout près. Je
m'empare du Beretta, même si je sens bien que ça ne sert pas à
grand chose. J'ai pris mes Billes avec moi. J'espérais ne pas avoir
à m'en servir avant de tomber sur le Manducateur.
Une voix dans ma tête.
Plusieurs voix dans ma tête, qui se superposent. Des hommes et des
femmes, des adultes et des enfants, dans plusieurs langues.
« Prends le masque
du Toxique ! »
De quoi ça parle ?
Quel masque ? Involontairement, mon regard se porte sur la
stème. Et il y a un masque. Un mélange de masque à gaz et de
cagoule SM. Je prends le masque.
« Mets le masque
du Toxique ! »
Bizarrement, je ne sens
aucune agressivité dans ces Voix. Normalement, les Voix Mortes
devraient vouloir me tuer et me manger. Mais je ne le sens pas comme
ça. Je mets le masque. Et je les vois. Les Voix. Les Voix Mortes.
Des dizaines de silhouettes. Elles sont là, partout devant moi, si
proches et immobiles. On dirait des statues de glaises. Elles sont
orangées et décrépites. Elles ne portent pas de vêtement mais ne
possèdent aucun organe génital visible. On ne peut pas faire la
différence entre les hommes et les femmes. Ils n'ont pas de visage,
juste deux trous pour les yeux et un pour la bouche. Pas de nez. Pas
de dent. Pas de cheveux. Autour d'eux, l'air est trouble. Comme quand
il fait très chaud. Je n'ose pas bouger. Je dis juste que, selon
moi, elles étaient sensées me sauter dessus pour me tuer et me
manger. Les Voix rient.
« Non, nous ne
souhaitons pas te tuer, ni te manger. Mais tu as raison. C'est dans
la logique des choses. Nous devrions avoir envie de te tuer et te
manger. »
Je suis presque rassuré
et je leur demande si leur changement de comportement est lié à mon
projet de me rendre au théâtre. Évidemment ! qu'elles me
disent. Je les crois solidaires du Horla qui vit là-bas. Alors, je
leur explique ne pas spécialement vouloir tuer le Manducateur. Je
veux juste le rêve d'Anton Vandenberg qui est au sommet d'une
vieille colonne. Si le Manducateur me laisse le prendre et m'en
aller, il ne se passera rien. Comme j'ai tendance à parfois trop
parler, je leur explique aussi qu'à l'origine j'avais pour projet de
« discuter » avec le Horla afin de savoir s'il y avait un
moyen de s'allier contre les Natifs de l'Abattage. Mais je me suis
rappelé que ce type de Horla ne communiquait pas. Ils ne font que
tuer et répandre la pestilence. D'ailleurs, je note que ce masque
est le bienvenu. Et maintenant, je leur pose la question qui me brûle
les lèvres depuis hier. Les Voix Mortes pensent-elles qu'il est
possible d'« apprivoiser » le Manducateur si je lui
fournis de la nourriture ? C'est un non catégorique ! Il
me tuera. Ça a le mérite d 'être clair.
Je ne comprends pas
pourquoi elles m'ont donné ce masque. Est-ce seulement parce que
j'ai touché la stèle avant de m'enfoncer dans la forêt ? Je
n'ose pas leur demander. En fait, je me borne juste à les remercier
pour le masque et leur mise en garde. Puis, le plus poliment
possible, je leur explique devoir prendre congés. Un rêve m'attend.
Les Voix Mortes ne bougent toujours pas. Elles me laisseront passer,
elles disent, mais... Mais quoi, bordel ? Que veulent-elles ?
Et elles m'expliquent.
Elles ont un ennemi. Elles me laisseront passer si j'utilise une
partie du rêve à faire échouer ses plans. Je reste prudent et
explique ne pas pouvoir promettre de réussir du premier coup.
Peut-être qu'il me faudra plusieurs rêve pour ça. Et puis, j'ai
besoin de savoir qui est cet ennemi. Il faudra m'en dire le plus
possible. Partant de là, pourquoi pas, oui ! J'étais prêt à
m'allier au Manducateur, pourquoi ne pas m'allier aux Voix Mortes ?
Qu'elles me laissent aller à ma guise dans la forêt et moi, avec
les rêves que je trouverai, je combattrai leur ennemi.
Les choses n'ont pas
vraiment pris la tournure à laquelle je m'attendais mais soit !
Alors, avant que je ne parte pour le théâtre, qui est cet ennemi ?
On l'appelle Euphorie ! OK, est-ce un chef de guerre, un
sorcier, un solitaire ou est-il à la tête d'une armée, d'une
bande ? Euphorie est un guerrier solitaire. Un véritable
colosse. Je devine qu'il s'agit d'un redoutable chasseur de Horlas.
Mais non ! Pas du tout ! En fait, Euphorie est un vieil
ami. Je comprends pas. En quoi est-il un ennemi alors ? Parce
que c'est un menteur ? Je ne comprends vraiment rien. Et les
Voix Mortes m'expliquent que ce vieil ami s'est mis à colporter des
mensonges à leur sujet. Aussi, il faut le faire taire. Bon, je sens
bien qu'il va falloir faire avec ça dans l'immédiat. De plus, la
journée avance et je dois encore récupérer le rêve d'Anton. Nous
aurons de nouveau l'occasion de parler avec les Voix Mortes mais,
avant de partir, je veux encore connaître un détail sur Euphorie
qui me permettra de le reconnaître. Il a les yeux violets et de
vilaines cicatrices.
Le moment était venu de
prendre congés. Les Voix Mortes s'écartaient sur mon passage. Je
gardais le masque du Toxique sur la tête jusqu'à ce que je sois sûr
qu'elles étaient toutes loin derrière moi. Je le remettrai en
arrivant au théâtre. Il me protégera de la pestilence du
Manducateur.
XxXxX
Arrivé au théâtre,
j'enfile le Masque du Toxique. Je regarde autour de moi, au cas où
les Voix Mortes seraient là. Je ne vois personne mais je sens quand
même leurs présences, à moins qu'il ne s'agisse du Manducateur. Je
descends dans la fosse et commence à errer au milieu des colonnes
recouvertes de lierre et autres plantes grimpantes. En vérité,
c'est beau. Le marbre de certaines colonne est encore lisse malgré
les siècles. Je lève la tête. Je cherche celles de ces colonnes au
sommet de laquelle se trouve le rêve d'Anton. Je finis par la
trouver. Pas de bol, c'est haut. Un peu de bol, quand même, on
dirait que le Manducateur n'est pas décidé à se montrer. Peut-être
qu'il n'a pas faim.
J'ai pratiqué
l'escalade en salle pendant quelques années. Sur le plan purement
théorique, j'ai des restes. Maintenant, il faut voir si mes jambes
et mes bras suivront. Ça fait presque deux ans que je n'ai pas
touché une prise mais je continue à faire de l'exercice très
fréquemment. Sans battre des records, je reste quand même assez
endurant. J'espère que ça suffira pour arriver en haut.
J'ai encore de beaux
restes en escalade, pour peu que les prises soient bonnes. Arrivé au
sommet, je m'empare de la tablette sur laquelle est gravé le rêve.
Être un Connecté me permet d'avoir sur moi de la corde et un petit
sac à dos. C'est un peu casse-gueule mais j'arrive à ranger la
tablette dans le sac et à redescendre sans rien me casser.
Une fois en bas, je
regarde partout autour de moi. Aucune trace du Manducateur !
Limite, ça m'inquiète. À moins qu'il ne soit parti chasser, je ne
sais pas. Autant en profiter un peu pour explorer les lieux. Je
n'aurais peut-être pas l'occasion de le refaire. Errant d'abord au
milieu des colonnes, je monte ensuite sur les gradins. Je regarde la
scène. C'est vraiment bien fichu. Je me rappelle qu'on m'a aussi dit
que ces théâtres antiques étaient une merveille d'acoustique.
Aussi, je prête l'oreille. Le silence... absolu ! Ça, par
contre, c'est vraiment bizarre. À moins que la pestilence du
Manducateur ait fait fuir tous les animaux du coin ? En vrai,
c'est très possible. Je renonce à l'idée de chercher la tanière
du Horla. Ce serait vraiment un risque inutile. Par contre, je
m'emplis une dernière les yeux de ce magnifique décor. Et je vois
quelque chose qui brille en bas. Je redescends pour voir. C'est un
diamant. Pas un truc énorme mais quand même, d'où je viens ça
vaut une fortune. Je l'embarque et quitte les lieux. Rester plus
longtemps, c'est s'exposer au retour du Manducateur.
Plus je m'éloigne du
théâtre, plus je marche vite. Au bout d'un moment, je me rends
compte que je me suis mis à courir. J'ai gardé le Masque du Toxique
et j'ai bien fait. Il est là, soudain, dressé devant moi, le
Manducateur ! Là, ça craint ! Ce truc ressemble à un
cadavre momifié enveloppé dans un suaire dégueulasse. Le Masque du
Toxique me permet en plus de voir l'aura de pestilence qui l'entoure.
Plantée devant, elle avance la tête dans ma direction et ouvre
grand sa bouche dans un feulement silencieux. Ce truc est doté d'une
force prodigieuse et est quasiment indestructible. Et moi, je n'ai
qu'un pauvre petit flingue. Il me faudrait un lance-flamme plutôt.
Merde ! Je suis le Kraken, je peux le faire ! J'ai gobé de
la Bille ! Du Pétrol'Magie coule dans mes veines alors... je
peux le faire ! La drogue me permet de dépasser mes capacités
de Connecté. Aussi, le flingue devient la lance relié au réservoir
d'essence qu'est devenu mon sac-à-dos. Et je dis :
« Je suis le
Kraken !
Ici et maintenant, pour
te renvoyer dans les ténèbres que tu n'aurais jamais dû quitter,
je te crames la gueule !
Je suis le Kraken ! »
Et j’envoie la sauce !
Et je pries pour que les Yeux de la Forêts me soient favorables.
Alors, les Yeux, que dois-je faire de plus pour en finir avec ce
truc ?
Et malgré le Masque,
j'entends « … rétablir le Colosse... » Je comprends
pas mais j'accepte. C'est promis, les Yeux, je rétablirai le
Colosse !
Le vent se met alors à
souffler. Le Manducateur s'enfuit en hurlant. Cette fois, je
l'entends. Mais un retour de flamme me fait lâcher mon arme. Ça
chauffe dur. Ça me brûle les mains. Heureusement, le Masque me
protège le visage.
C'est pas la méga forme
mais je finis par rejoindre la cabane, ma maison. Mes trois techos
s'occupent de moi. Ils me passent de la crème sur les mains. Je vais
avoir mal pendant un petit moment mais ça va finir par passer. Au
moins, même si c'est douloureux, je peux me servir de mes mains. Je
descends à la cave et dépose la tablette sur la plateau de la Forge
d'Encre. Je commence la lecture du Rêve n°14.
XxXxX
Je commence à
décortiquer le Rêve n°14. J'ai besoin d'une source d'information.
L'air de rien, mes ennemis commencent à être nombreux : le
Bureau des Narcotiques, le Manducateur, les Natifs de l'Abattage...
et je ne sais pas trop ce que je dois penser des Voix Mortes et
d'Euphorie.
Dans le rêve, il y a un
micro et tout un matériel de sono. Avec ça, et mes souvenirs de la
tête de Kid, je me bricole une radio. Le Bureau des Narcotiques
travaille sous l'autorité directe du Président. Pas celui de la
soi-disant République, non ! Ses agents travaillent pour le
vrai Président, celui de mon signe astral, le Lion ! Liés que
nous sommes par l'astrologie, je me mets au diapason de sa fréquence
et écoute. Alors ? Savent-ils où je suis ? Non, mais...
ils se rapprochent. Je vais devoir être vigilant.
Je change de fréquence
et tente de capter les Natifs de l'Abattage. Hey ! Je ne m'y
attendais pas mais ces barbares émettent. C'est plein de parasites
mais je comprends quelques mots. Ils parlent d'étrangers et d'en
finir. Parlent-ils de moi ? Je ne suis pas sûr qu'ils soient au
courant de ma présence ici mais on ne sait jamais.
Je change encore de
fréquence. Là, je capte une conversation. De qui s'agit-il ?
De quoi parlent-ils ?
« ...il l'a tué
et il a des remords !, dit une femme à la voix plutôt jeune.
C'est pour rompre la
malédiction, répond un jeune homme.
C'est un rebelle...
… qui a la bougeotte !
Le Colosse, Euphorie ?
Oui, et ?
Il en a dans les
boyaux ! Il sait se défendre !
Il a de bons outils. Tu
as vu ces plaques rouges qu'il a sur tout le corps ? »
Ils parlent d'Euphorie.
Ce Colosse aurait tué ? Pour rompre une malédiction ? On
dirait qu'il s'en veut. Ces deux là le perçoivent comme un rebelle,
quelqu'un qu'il ne faut pas chercher. Mais, à les entendre, j'ai du
mal à croire que ce soit vraiment un homme mauvais. J'ai quand même
de plus en plus l'impression que les Voix Mortes ont essayé de
m'entourlouper sur ce coup là.
Mais bon, c'est pas tout
ça mais... j'ai un rêve qui m'attend sur ma Forge d'Encre. J'ai du
boulot ! À l'origine, je comptais utiliser les rêves d'Anton
pour améliorer un peu le confort de ma cabane. Mais là, le rêve
n°14 rend d'autres projets possibles. Enfin, surtout un. Aussi, je
commence par demander à Haze, Corso et Lewis-Maria de remplir tous
ces sacs de terre et de les empiler afin de faire de cette petite
clairière un camp aussi fortifié qu'une banque suisse. À
l'intérieur, j'installe plusieurs gibets et guillotines. Je
m'inspire d'ailleurs de ces instruments pour protéger mon territoire
de quelques pièges bien cachés. Je veux évidemment me protéger
des Voix Mortes comme des Natifs de l'Abattage qui pourraient venir
fouiner par ici. Et je ne veux absolument pas qu'on fouine car...
j'ai un plan !
J'ai lu Cheval du
Diable ! Et je sais quel rôle y jouent les camps de la mort.
J'ai d'ailleurs une toute nouvelle théorie expliquant pourquoi les
nazis les ont construit. Je ne rentrerai pas dans les détails car :
1-je ne veux pas spoiler.
2-je ne veux pas
d'emmerdes ! Je ne me sens pas l'âme d'un Dieudonné... qui est
pourtant parfois, voire souvent, très drôle quand même. Bref...
3-notez bien que ma
volonté de ne pas spoiler (et donc vous inciter à lire Cheval du
Diable en particulier et tout Christophe Siebert en général)
l'emporte largement sur mon désir de ne pas finir devant un juge.
Bref, grâce à ma Forge
d'Encre et au rêve n°14, ma cabane se retrouve au centre d'un camp
retranché qui n'attend plus que d'être peuplé. Et là, comme objet
et fruit de mes futures expériences, j'invoque une foule d'éclopés,
d'éborgnés et d'édentés grâce au Rituel de la Charogne que
j'accomplis en plongeant le Kriss de Vill dans le cœur d'un serval.
Et me voilà maintenant
à la tête de mon petit camp. Haze, Corso et Lewis-Maria sont mes
kapos. J'ai de hauts murs en sacs remplis de terre. Il y a des
gibets, des guillotines et des pièges à l'intérieur comme à
l'extérieur. Je n'oublies pas que je dois aussi m'occuper du Colosse
Euphorie mais j'ai le sentiment que les choses vont bientôt
commencer.
Pour fêter ça, je fais
le plein de Billes puisque Anton a eu le bon goût de remplir son
rêve n°14 de drogue !
Ça va être la fête !
Ça je vous le dis ! La fête à la charogne ! On va
s'éclater un peu plus qu'à la kermesse d'un parti politique !
XxXxX
Je
ne sais pas si c'est à cause de la drogue contenue dans le rêve
d'Anton mais... j'ai eu deux visions cette fois.
Dans
la première, je suis dans la forêt. Je cours ! Derrière moi,
les agents du Bureau des Narcotiques. Ils m'ont retrouvé. Je dois
les semer. Je dois sauver ma peau et surtout, surtout, faire en sorte
qu'ils ne trouvent pas ma cabane.
Dans
la seconde, je crois que c'est pire. Je suis chez les Natifs de
l'Abattage. Comment me suis-je retrouvé sur leur territoire ?
Ils forment un cercle autour de moi. Non, autour de nous ! Il
est là, le Colosse Euphorie. On ne m'a pas menti. Il est énorme. Je
lis des sentiments contradictoires dans ses yeux violets. Son corps
est parcouru de cicatrices et, par endroits, recouverts de plaques
rouges dont je ne sais si c'est de l'écorce ou de la pierre. Je me
rappelle qu'il n'est pas seulement un guerrier puissant. Il est aussi
connu pour être un sorcier. Est-ce que ces plaques sont le résultat
de sa magie qu'il aurait utilisé sur lui-même ? C'est
possible. Mais pour l'instant, il va falloir que je me sorte de là
car, au milieu des Natifs, on dirait bien que je vais devoir
affronter le Colosse. On dirait qu'il va se battre à mains nues.
Moi, j'ai mon Beretta mais je ne suis pas sûr que cela lui fasse
grand chose...
XxXxX
La
drogue, c'est pas bien. Certes, j'ai eu deux visions mais ce sont
vraiment des visions de merde. Dans chacune, je suis dans la merde
jusqu'au cou et je n'ai aucun indice pour ce qui est de trouver le
prochain rêve d'Anton.
De
mon balcon, je regarde Haze, Corso et Lewis-Maria maltraiter les
éclopés que j'ai invoqués. J'espère que ce camp deviendra vite un
vrai camp de la mort. Je veux savoir si ce que Siebert a écrit est
vrai. Mais pour ça, pour aller plus loin, il me faut un rêve.
Je
lève la tête et regarde la forêt. Grâce au Masque du Toxique, je
vois les Voix Mortes. Je vois les Voix, c'est drôle ça ! Bref,
elles sont toujours là. Elles attendent que je règle leur problème
avec Euphorie. Je vois les Voix et j'entends les Yeux. Les Yeux de la
forêt qui ont, eux, d'autres projets pour le Colosse. D'habitude, je
suis plutôt un observateur discret. Mais là, il va falloir que je
me lance. Je regarde mes mains et constate que j'ai complètement
oublié de m'en occuper. Les brûlures sont vilaines mais moins
douloureuses.
Et
là, j'ai une idée. Une putain d'idée de génie ! Je ne suis
pas un génie, évidemment mais... je suis pas non plus un parfait
abruti. J'ai le minium syndical de culture et je sais ce qu'est un
haruspice. Et je possède un Kriss. Et, du haut de mon balcon,
j'ordonne qu'on m'amène un éclopé, un édenté, n'importe lequel !
Dans ces entrailles, je trouverai un indice. Alors, je saurai où
chercher le rêve d'Anton.
Je
fais monter un autel entre une guillotine et un gibet. Je le fais
construire entre autre par celui-là même qui va y passer. Ça ne
m'amuse pas spécialement mais je dois être cruel si je veux que mon
camp de la mort attire ceux que j'espère attirer. C'est à ce prix
seul que je percerai les secrets de Cheval du Diable et que je saurai
si, finalement, je suis bien réel ou si je ne suis qu'un personnage
de fiction, moi aussi.
Il
faut un minimum de mise en scène et de décorum pour impressionner
mes prisonniers. Mais je ne veux pas trop en faire non plus. Je veux
que ça reste « froid » et « mécanique »,
utilitaire. Je fais ça car c'est utile et eux, dans tout ça, ne
sont plus humains. Ils ne sont plus sujets. Je veux qu'ils sentent
qu'ils ne sont que de la matière. Pas même des objets. Ils sont ce
qui sert à fabriquer les objets. Ils sont encore en dessous. C'est
ma petite touche de cruauté mentale. J'espère que ce sera
suffisant.
Allez,
à peine un ou deux Ia Ia Shub-Niggurath pour le folklore et
j'éventre l'éclopé. J'en fous partout et étale ses tripes en
espérant vraiment y voir quelque chose. Et je vois ! Là où le
temps s'écoule différemment. Là où le bois rejoint l'acier.
Putain mais qu'est-ce que ça veut dire ? Je farfouille encore.
Je vois de l'or. Je vois des cavernes. Des mines ! Ce sont des
mines. Sous terre, dans le noir, on ne perçoit pas le temps de la
même façon qu'en plein jour. Et dans ces mines, il y a du fer. Sous
les bois, il y a de l'acier. Et entre cet acier serpentent les
racines des arbres. Le bois rejoint le fer. Le rêve d'Anton serait
donc dans des mines de fer ou d'acier. Mais où trouver ces mines
dans le coin ?
J'ordonne
à d'autres prisonniers de disposer du cadavre. Dans mon infinie
bonté, je les autorise à le manger. Ça les changera de l'infâme
brouet qu'on leur distribue et l'apport en protéines leur redonnera
un peu de force. Moi, je rentre dans la cabane et m'enferme au
sous-sol, face à ma Forge d'Encre. Où sont ces mines ? Merde !
Je n'ai plus assez du dernier rêve pour les créer. Mais, d'un autre
côté, ce rêve m'a permis de faire le plein de Billes. Et avec une
Bille, je peux créer une carte.
De
retour dans le salon, je convoque mes trois kapos et leur explique
que je vais devoir m'absenter. Je leur fais un topo de la situation.
Je leur montre les mines et leur explique le contenu de mes visions.
Pas de panique, je suis le Kraken ! Je m'en sortirai ! En
vérité, je suis moins sûr de moi que je ne le montre mais bon...
Et
les emmerdes arrivent plus tôt que prévu. Dehors, ce sont des cris
et des hurlements. J'en vois mes kapos voir ce qu'il se passe et
monte jusqu'au balcon. Merde ! On est attaqué ! Je
reconnais ces costumes, le Bureau des Narcotiques. Heureusement, ils
ne sont que trois. Je dois réfléchir vite, très vite. C'est moi
qu'ils veulent. Et moi, je ne veux surtout pas qu'ils parlent de mon
petit camp à leurs supérieurs. Alors, j'attire leur attention en
gueulant un bon coup et quitte le camp en courant à en perdre
haleine. Heureusement que je cours sur de l'herbe et de la terre. Les
vibrations qui remontent jusqu'à mon épaule sont moins
douloureuses. Les kapos savent ce qu'ils ont à faire. De toutes
façons, je suis le Kraken et nous sommes Connectés. Pour l'heure,
je veux juste entraîner ces trois andouilles loin du camp et les
abattre avant qu'elles n'en communiquent les coordonnées à leurs
chefs. Ça peut marcher !
XxXxX
Et
voilà ! Comme dans ma vision, je suis dans la forêt et je
cours. Et derrière moi, les agents du Bureau des Narcotiques. Il ne
s'agit pas seulement de les éloigner de mon petit camp de la mort.
Je dois surtout m'assurer qu'ils n'ont transmis aucune information me
concernant au Bureau. Aussi, maintenir la pression pour qu'ils
n'aient pas le temps de le faire. Les tuer. En gardant un vivant pour
le faire parler. Je cours et tire quelques coups de feu pour
maintenir la pression. Je ne suis pas un très bon tireur. En plus,
le poids de l'arme me fait mal à l'épaule. Que j'en touche un
serait vraiment un coup de bol. Coup de bol que je n'ai pas bien sûr.
Mais ça suffit à leur mettre la pression. Maintenant, je dois
trouver un lieu favorable à une embuscade. Je peux les conduire
jusqu'à l'antre du Manducateur. C'est loin mais je suis endurant et
je peux tenir. Je ne m'inquiète pas pour mes poursuivants, ils sont
entraînés.
Le
théâtre en ruine ! Est-ce que le Horla est chez lui ?
Oui, et il a l'air particulièrement agressif. Tant mieux ! Je
lui tire dessus. Pas pour le blesser car je sais qu'il est quasiment
indestructible, mais pour l'énerver encore un peu plus. Les agents
du Bureau sont juste derrière moi. Et moi, j'utilise ce don du
Kraken pour passer en mode « camouflage » et me fondre
dans le décor. Je peux le faire car...
« Je
suis le Kraken !
Ici
et maintenant, pour disparaître de la vue de mes ennemis, j'accepte
de répondre sans réserve aux questions des Yeux.
Je
suis le Kraken ! »
Et
l'obscurité se répand, comme un nuage d'encre noire, dans tout le
théâtre. J'entends le Manducateur hurler. J'entends les agents du
Bureau aussi. Ils ne tirent pas mais crient. Ils tentent de
comprendre ce qui est en train de se passer. Ils tentent de se
localiser les uns les autres. Et moi, je réponds à la question des
Yeux. Les Yeux de la forêt me demandent :
« Gardes-tu
un bon souvenir de votre relation intime avec Oriente ? »
Quoi ?!
Mais de quoi ils parlent ? Il me faut un petit moment pour
comprendre. Les Yeux font référence à la partie d'Oriente que je
joue avec Thomas Munier. Sauf que, ni moi ni mon personnage n'avons
eu de relation intime avec Oriente. Ou alors, qu'entend-on par intime
au juste?en fait, mon personnage est convaincu qu'Oriente est affilié
aux Horlas et à Shub-Niggurtah. Il craint fort que ce dernier ne
nous guide tous à la mort, un peu comme le joueur de flûte. Mon
personnage et moi croyons que nous sommes, pour Oriente, les éléments
à sacrifier dans le cadre d'un rituel dédié à la Mauvaise Mère
mais, comme nous ne pouvons rien prouver, une curiosité malsaine
nous force à le le suivre. Mais peut-on vraiment parler d'intimité ?
Je ne sais pas. Je ne crois pas. Ou alors, les Yeux feraient allusion
à une intimité à venir ? Quelque chose qui va avoir lieu mais
dont je ne suis pas encore au courant ? Oh, les Yeux ! Je
ne suis pas sûr d'avoir répondu à votre question mais c'est ma
réponse. Mais j'y pense, je devrais m'enfuir, non ? Il est plus
que probable que le Manducateur ne va faire qu'une bouchée des trois
agents du Bureau des Narcotiques. Il est dans ce cas plus que
probable que je n'ai personne à interroger. Alors, pourquoi je
reste ? Pour voir l'état des corps ? Par curiosité ?
Comme mon personnage d'Oriente ? L'intimité, la proximité...
Mon personnage est quasiment certain que sa curiosité va le mener à
la mort. Et la mienne ? Je crois que j'ai saisi le message, je
m'en vais. Je saurai bien assez tôt si les agents ont survécu et
s'ils ont prévenu leurs chefs.
Je
m'éloigne du théâtre. Je ne sais toujours pas où se trouve cette
mine, là où je devrais trouver le prochain rêve d'Anton. Mais je
sais qu'à un moment ou un autre je vais me retrouver chez les
Natifs, face à Euphorie. Alors, et si je me jetais dans la gueule du
loup ? Histoire de pouvoir dire « ça, c'est fait ! »
Et puis, il n'est pas exclu que le Colosse ou un de ces barbares
puissent me dire, justement, où est cette mine.
J'arrive
sur le territoire des Natifs de l'Abattage. Une demi-douzaine
d'immeuble en ruine envahis par la forêt. Il n'y a plus une seule
vitre aux fenêtres. Des pans entier de bétons se sont écroulés.
Par endroit, les caves sont à ciel ouvert. Comme des mines ?
Des mines à ciel ouvert ? Non, non ! Ça ne peut pas être
là. Dans les entrailles de l'éclopé, j'ai vu une vraie mine.
Je
m'approche et suis surpris par le silence qui règne là. Je ne sais
pas pourquoi mais je m'attendais à tomber sur une bande de brutasses
et une orgie permanente. Je crois que je m'attendais à une sorte de
teuf tek, des « boum-boums » etc. Mais rien de tout ça.
Je suis d'autant plus sur mes gardes. Ça sent le piège.
Soudain,
une lance se fiche dans le sol, juste devant moi. Les emmerdes, c'est
maintenant que ça commence. Je m'empare de l'arme et essaye de
localiser celui ou celle qui l'a lancée. Un peu plus loin, sur ma
gauche. Une jeune femme. Une jeune fille plutôt, elle doit avoir
dans les 14 ou 15 ans à peine. Elle me regarde avec beaucoup
d'attention mais son calme n'est qu'apparent. Il y a de la colère
dans ses yeux. Ses yeux. Les Yeux. Je pourrais accepter de répondre
à une autre de leurs questions pour me tirer de se mauvais pas
mais... au contraire ! J'attends précisément de cette fille
qu'elle me conduise là où je dois rencontrer le Colosse Euphorie à
qui j'ai tant de chose à dire. Histoire de faire bonne impression,
je retire le Masque du Toxique et je lui explique venir en paix.
« Je
ne cherche pas les emmerdes ! J'en ai assez comme ça. Je veux
parler à Euphorie. Je sais qu'il est ici. Peux-tu me mener à lui ?
Non,
Euphorie n'est pas chez nous. Mais tu es bien renseigné. Il doit
effectivement arriver sous peu. »
Elle
ne pose pas la question mais je sens qu'elle a envie de savoir qui je
suis. Alors, je dis la vérité, tout simplement, ou je me la raconte
à mort en inventant un personnage de dingue ?
« Je
m'appelle Damien. Mais on m'appelle aussi, ça dépend, Demian ou le
Joueur. Je suis aussi le Kraken. Et toi ? »
A
voir son air suspicieux, je ne suis pas sûr d'avoir marqué des
points.
« Je
m'appelle Barrette...
…
parce que tu portes une barrette ? »
Elle
porte effectivement une grosse barrette en bois. Je ne saurais dire
si c'est joli ou non. Disons que c'est... spécial. En tout cas, on
la reconnaît de loin.
Je
fais un pas dans sa direction. Je tiens sa lance pointe baissée.
Grâce à ma vision, je sais que les choses vont mal tourner mais
autant retarder ce moment.
« Je
ne suis pas si bien renseigné que ça. Je croyais que le Colosse
était déjà là. Ça t'embête si je l'attends ? »
Et
je continues d'avancer dans sa direction. J'espère qu'elle est seule
même si je suis convaincu que plusieurs paires d'yeux nous épient.
Je respire lentement. Je veux paraître le plus sûr de moi possible.
Allez, je suis le Kraken et rien ne peut m'arriver.
XxXxX
À
tout moment, je m'attends à ce qu'une bande de barbares me tombent
dessus. À chaque pas, je sens la pression sur mes épaules devenir
de plus en plus lourde. Mais il ne se passe rien. J'arrive face à
Barrette. Elle me fixe du regard, menaçante. Je crois qu'elle a
oublié que c'est moi qui ai sa lance. D'ailleurs, en signe de bonne
volonté, je la lui rends. Alors, va-t-elle me conduire jusque chez
eux pour y attendre le Colosse ? Non ! Comment ça, non ?
Elle m'explique que je suis assez grand pour y arriver tout seul.
Elle m'indique le chemin. Je n'ai pas le GPS intégré mais je
devrais m'en sortir.
En
vérité, même si le chemin n'est pas une ligne droite, trouver le
repaire des Natifs de l'Abattage n'est pas très difficile. En effet,
les hautes ruines sont toujours dans mon champ de vision et me
permettent de me repérer. J'arrive donc dans ce qui reste d'un hall.
Une grande partie du mur est effondré. Aussi, l'endroit est plutôt
bien éclairé. À l'intérieur, le plafond menant au 1er étage est
crevé et la végétation s'y est infiltrée. Certaines des branches
et racines sont si épaisses qu'on doit pouvoir les escalader. Mais
je m'amuserai à ça plus tard. En fait, il y a du monde et comme je
n'ai rien fait pour que mon arrivée soit discrète...
Tous
les regards se tournent évidemment vers moi. À ma grande surprise,
il n'y a pas tant d'hostilité que ça. Ce n'est pas le grand amour,
faut pas exagérer, mais ils ne tirent pas à vue. Aussi, je me
présente, Demian, le Kraken ! Je viens ici pour rencontrer le
Colosse. Je sais qu'il est attendu pour bientôt, Barrette me l'a
dit.
« L'invasion
avance un minimum à l'Ouest ! me dit un gars avec une longue
barbe.
C'est
possible, je réponds. En réalité, je n'ai aucune idée de quoi il
parle.
Ceux
qui sont contre nous veulent atteindre le minerai. »
Et
là, je tilte ! La mine !
« Je
sais ! Je dis alors qu'en vrai je n'en sais rien du tout. Je
sais ! Vos ennemis en veulent au minerai. Ils veulent accéder à
la mine. Moi aussi, mais pas pour les mêmes raisons. C'est pour ça
que je dois voir Euphorie. Le Colosse, vous lui avez demandé de
venir pour vous aider contre vos ennemis. Moi, ce sont les Yeux de la
forêt qui m'envoient. Je dois rencontrer le Colosse ici. Je dois
aller à la mine. Une fois fait, je m'en irai et je n'aurai pris
aucun minerai. C'est promis. Mais si vous êtes menacé, je peux vous
aider. Je suis Demian. Je suis le Kraken. Je peux le faire ! »
Les
Natifs ont l'air dubitatif, même si je suis sûr qu'ils seraient
incapable d'écrire ce mot sans faire une faute. Mais, l'air de rien,
je sens que ça cogite. J'enchaîne.
« Je
ne sais pas ce que vous demande le Colosse en échange de son aide.
Moi, je ne vous demande qu'un accès à la mine. C'est tout. Les Yeux
m'ont dit d'y aller. Alors, j'y vais. Puis je m'en vais. »
Je
ne sais pas trop ce qui se passe. C'est moitié conscient, moitié
seulement... Je gobe une Bille et sens le contenu voyager dans mon
corps. Je sens le liquide traverser ma gorge, traverser la paroi de
mes intestins pour se mêler à mon sang. Je sens une partie remonter
jusqu'à mon cerveau. Et là, je ne saurais dire si c'est de la
prescience ou si j'ai provoqué cet événement mais...
Le
barbu veut savoir qui est le plus à même de les aider entre le
Colosse et moi. Il veut que nous nous battions. Ils engageront le
plus fort. C'est complètement débile car, objectivement je ne leur
demande vraiment rien. Ils pourraient avoir deux protecteurs pour le
prix d'un. Mais ce doit être à cause du mélange de Bille et de ma
vision de Connecté ou un truc comme ça. Je n'aurais peut-être pas
du prendre cette Bille. Mais bon, c'est comme ça. Maintenant, je
n'ai plus qu'à attendre l'arrivée du Colosse.
Que
fout Euphorie ? Ça fait plusieurs jours que je suis là. On
l'attend, comme des cons ! J'ai soigné mes mains et je n'ai
presque plus de Billes. Ce n'est pas qu'on me retient prisonnier mais
j'ai bien compris que je ne gagnerai rien à proposer de rentrer chez
moi pour revenir plus tard. Alors, j'attends... comme un con !
Et le lendemain, enfin, le Colosse débarque. Avec ses yeux violets
et ses plaques rouges. Il a pour seul arme un carreau d'arbalète.
Pas l'arbalète, juste le carreau. Ça doit lui suffire et c'est pas
rassurant.
Le
barbu l'accueille. Ils discutent. Je suis trop loin pour entendre ce
qui se dit et, en vrai, je m'en fous car je sais déjà comment ça
va se finir. Ça ne traîne pas. Les Natifs forment un cercle autour
d'Euphorie et moi. Le barbu explique la règle du jeu, l'enjeu. Le
Colosse se saisit de son carreau et le projette dans ma direction. Il
vise volontairement largement au-dessus de moi. Je me retourne et
voit le carreau planté dans le béton. Ça promet ! Je me
remémore ma vision. Euphorie est énorme. Je lis des sentiments
contradictoires dans ses yeux violets. Son corps est parcouru de
cicatrices et, par endroits, recouverts de plaques rouges dont je ne
sais si c'est de l'écorce ou de la pierre. Je me rappelle qu'il
n'est pas seulement un guerrier puissant. Il est aussi connu pour
être un sorcier. Est-ce que ces plaques sont le résultat de sa
magie qu'il aurait utilisé sur lui-même ? Il va se battre à
mains nues. Moi, j'ai mon Beretta mais je ne suis pas sûr que cela
lui fasse grand chose.
En
vérité, je n'ai aucune intention ni même aucun intérêt à me
battre avec lui. Alors, je m'assois en tailleur au milieu du cercle
et je dis :
« Salut,
Euphorie ! Je suis Demian, le Kraken. Je ne viens pas pour me
battre contre toi. Je ne viens pas pour prendre ta place ou ton job.
J'ai proposé mon aide aux Natifs, mais pas dans l'idée de te
remplacer. Je pensais qu'on pourrait travailler ensemble. En fait,
j'ai quelque chose à faire dans la mine. Ce n'est pas long. Mais je
voulais aussi te parler. J'ai un souci car les Yeux de la forêt et
les Voix Mortes m'ont parlé de toi. Les Yeux m'ont demandé de
t'aider mais les Voix Mortes m'ont demandé l'inverse. Spontanément,
j'aurais plutôt tendance à écouter les Yeux. Mais les Voix Mortes
ont dit que tu étais un ancien ami, Mais que tu avais dit des
mensonges sur elles. Et les Yeux, au contraire, ont dit que tu avais
besoin de mon aide pour te rétablir. Es-tu malade ? »
Le
Colosse est vraiment plein de contradiction. Je vois bien dans son
regard qu'il est irrité par mes propos. Pour autant, je sens qu'il
prend sur lui pour rester conciliant. En vérité, il n'est pas du
tout une brute sans cervelle ne pensant qu'à se battre. Il a un
cerveau et il s'en sert. Mais pour autant, il demeure silencieux. Je
crois savoir à quoi il joue. Il veut certainement laisser
s'instaurer un silence gênant. Le premier à le rompre sera en
quelque sorte le perdant car parler reviendra d'une façon ou d'une
autre à livrer quelque chose de soi à l'adversaire. Bon,
réfléchissons. Le concernant, j'ai deux sons de cloches différents.
Celui des Yeux de la Forêt, qui sont bizarres mais plutôt
bienveillant. Celui des Voix Mortes, des Horlas ! Ai-je vraiment
besoin de réfléchir plus longtemps ? Je me relève et
m'approche du Colosse.
« Écoutes,
ce serait ridicule de ma part d'accorder du crédit aux dires des
Voix Mortes. Quoi que a pu dire sur elles, que ce soit vrai ou non,
cela ne me concerne pas et, surtout, je ne suis pas vraiment l'ami
des Horlas. Par contre, les Yeux, c'est différent. Ils ne sont pas
toujours très clairs dans leurs propos mais ils ont quand même eu
l'air de dire que tu avais besoin d'aide. Alors, en quoi puis-je
t'aider ? »
Et
je me rappelle ces mots que j'ai entendu dans la Forge d'Encre. Une
malédiction. Il a tué pour se débarrasser d'une malédiction.
Peut-être que ça n'a pas marché, que ce n'était pas ça qu'il
fallait faire. Je lui propose de continuer en privé mais il refuse.
Bon, OK ! Alors je lui expose ma théorie selon laquelle il
aurait effectivement été maudit. Il est un sorcier aussi connaît-il
certains rituel. Peut-être est-ce pour accomplir un rituel de
désenvoûtement qu'il a tué quelqu'un, comme l'ont dit les voix
dans la Forge d'Encre. En tout cas, ça n'a pas marché. Je lui
explique donc posséder une telle Forge. Je lui dis aussi qu'avec un
rêve d'Anton je dois pouvoir lever cette malédiction. Mais, le rêve
se trouve dans la mine. Alors, me laissera-t-il accéder à la mine ?
C'est
pratique et bizarre d'être « dissocié », « clivé »,
je ne sais pas comment on dit. Mais alors que, au beau milieu des
Natifs de l'Abattage qui s'attendaient à une boucherie en règle, je
négocie avec le Colosse Euphorie, je suis également face à mon PC.
Je tire une carte Muses & Oracles du paquet situé sur ma gauche.
Je regarde le Colosse en souriant. Je retourne la carte en espérant
ne pas tirer un « Non ! » et... Je tire un « Oui,
et... » Et c'est pas tout ! Le picto représente une
poignée de main. Mon sourire grandit. Et le Colosse se met à
sourire aussi. Sur la carte, je lis des mots et des expressions comme
« Fou de joie », « Relation : sauveur/sauvé »,
« Breuvage » et « paroxysme ». Je ne sais pas
qui sont les ennemis des Natifs mais je sais que ce n'est pas moi qui
les combattrais. Moi, je viens de me faire un ami pour la vie. On va
fêter ça ici avec les Natifs et un flot de boisson. Ensuite, j'irai
chercher le rêve d'Anton.
Je
ne bois pas d'alcool. Jusqu'à ce que je me mette à la Bille, ma
seule drogue était le glucose. Bon, ce soir je ne picole toujours
pas et je n'ai pas assez de Billes pour me permettre de les
gaspiller. Pour autant, je passe un bon moment. Même si les Natifs
ne m'appréciaient pas au départ, Euphorie a fait en sorte qu'ils me
fichent la paix. Je crois surtout qu'ils n'ont rien compris à ce
qu'ils s'étaient passé. Toutefois, le Colosse s'est en quelque
sorte porté garant pour moi donc tout va bien. Je n'irai pas jusqu'à
dire qu'avec les Natifs on se tape dans le dos mais je crois au moins
pouvoir dire qu'ils ne me créeront pas d'ennuis.
En
réalité, Euphorie m'a vraiment l'air d'un type bien. Ce n'est pas
qu'une force de la nature. Il a aussi un cerveau. Je ne lui ai rien
demandé de ses secrets mais je pense que cette réputation de
sorcellerie lui vient entre autre de son intelligence à laquelle on
ne s'attend chez un type comme ça. En fait, je ne lui demande rien
car, et je le lui ai dit, je veux avoir le champ libre quand je serai
devant ma Forge d'Encre. Tout ce qu'il pourrait me dire serait autant
de contrainte. Si je ne sais rien, face à la Forge, je serai libre
de tout inventer. Cela me sera alors encore plus facile de régler
son problème de malédiction. De même, je me fiche de savoir ce
qu'il a pu dire sur les Voix Mortes. Et même, j'en fais mon affaire.
Avec ce prochain rêve d'Anton, je trouverais sûrement dedans de
quoi fortifier un peu plus mon camp. Il y aura peut-être des armes
dedans ou au moins de quoi en faire. Ce serait bien. Un moment, j'ai
pensé offrir le Masque du Toxique à Euphorie. Mais en vrai, c'est
plus prudent que je le garde. D'ailleurs... Non, aucune Voix Mortes à
l'horizon ! Par contre, quand je regarde le Colosse à travers
les yeux du Masque, je vois une sorte d'aura arc-en-ciel. Je pense
bien sûr au Rainbow Flag et me demande si Euphorie est gay. En vrai,
on s'en fout complètement !
Et
c'est alors que je suis en plein je m'en foutisme concernant la vie
privée de mon nouvel ami que j'entends, dans ma tête, les Yeux.
D'habitude, ils me demandent quelque chose quand je leur demande
quelque chose. Sauf que là, j'ai rien demandé. Pourtant...
« Crois
tu ce qu'on raconte sur Atlanta ? Si non, pourquoi pas ? »
Atlanta ?
Merde ! De quoi ils parlent ? De la ville ? C'est
quelqu'un ? À quoi ils jouent ? Ils savent très bien que
je ne peux pas répondre à cette question sans gober une Bille. Ou
alors, il faut que j'y consacre une part du rêve d'Anton. Mais dans
ce cas, ce sera une part de rêve en moins pour aider Euphorie ou
améliorer mon camp. J'ai l'impression que ces salauds veulent me
forcer à gober une Bille. Ou alors, je peux m'en remettre au hasard
mais avec le risque de tomber sur quelque chose de vraiment
dégueulasse. Je n'ai plus que deux Billes. En claquer une juste pour
m'assurer qu'Atlanta n'est pas une emmerde de plus... Est-ce que ça
vaut vraiment le coup ? En plus, le temps file et le taux de
Pétrol'Magie dans mon sang diminue. Bientôt, bientôt... Je serai
en manque ! C'est ça, bordel ! Les Yeux veulent que je
sois en manque ! Je dois absolument garder au moins une Bille
alors je tire une carte ! Atlanta, c'est une personne ?
« Oui,
mais...
Mais
quoi ? Il est pas... humain ?
Si,
mais...
Putain !
C'est une espèce de mutant dégueulasse ? C'est ça ? »
Soudain...
« Kraken,
le chemin le plus long est parfois le meilleur : emprunte le ! »
Je
me lève. Je me sens pas bien du tout ! J'explique comme je peux
aux Natifs que je dois aller à la mine immédiatement. À part,
j'explique à Euphorie que les Yeux viennent de me parler et que
c'est louche. Lui, il ne doit pas s'inquiéter. Ça ne concerne que
moi. Mais on dirait qu'un long chemin m'attend. Sauf qu'avant, je
dois me préparer. Et il me faut le rêve d'Anton.
Je
suis seul dans la mine. Je cherche. Je fouille. Je finis par trouver
le rêve d'Anton. C'est le rêve n°7. Je rentre au camp. J'ai du
boulot. Avec ce rêve je dois lever la malédiction qui pèse sur
Euphorie, améliorer mon petit camp de la mort, me protéger des Voix
Mortes et du Bureau des Narcotiques et me préparer à un long voyage
pour savoir ce qu'on raconte sur ce mutant degueulasse qu'a l'air
d'être ce fameux Atlanta. C'est une bonne liste de course, ça !
XxXxX
OK,
je m'attelle à ma Forge d'Encre avec sous les yeux le rêve n°7. La
Forge me demande la biographie d'un personnage imaginaire. Ça tombe
bien, je dois m'occuper du mutant Atlanta. Mais avant, je dois lever
la malédiction pesant sur Euphorie.
J'ai
fait en sorte d'avoir au maximum le champ libre pour aider le
Colosse. Il ne m'a rien dit. Aussi, rien n'est fixé. Rien n'est
vrai. Tout est permis. Je pioche dans le rêve n°7 d'Anton :
«Dernières heures », « soleil », « accélérer »
et « angoisse ». Ainsi, la malédiction qui le frappe lui
fait revivre, à chaque levé et couché du soleil, ses dernières
heures en accéléré. Il voit sa mort à venir deux fois par jour.
Et la vitesse du film est telle qu'elle le frappe comme un rocher
dans la figure, le laissant rempli d'angoisse. Euphorie fait bonne
figure mais il en réalité rongé par cette peur que ces visions
deviennent réalité. Mais que puis-je lui apporter ? Dois-je
simplement le délivrer de ces visions en sachant qu'elles pourront
malgré tout se réaliser ou dois-je encore consacrer une part du
rêve à lui écrire une nouvelle histoire ? Je ne sais pas si
c'est le meilleur des cadeaux que je lui fais là mais je décortique
le rêve n°7 et en tire un « jardin », un « chien »,
un « chat » et le sentiment d'être « à l'aise ».
Nous
mourrons tous. Que je le délivre de ses visions ne résoudra pas ce
problème. Alors, deux fois par jour, il aura toujours une vision de
ses dernières heures mais il les vivra dans un jardin, à l'aise,
avec son chien et son chat !
Et
maintenant, Atlanta ! Tu es un mutant... artificiel ! Tu es
un mélange de boue, de peinture et de plastique fondu. Tu as été
crée à Berlin, dans un atelier caché sous un lac. Tu devais être
une sorte de super Golem pour la plus grande gloire du Reich. Le
premier d'une longue série de gardiens du nouvel Empire. Mais il
s'est passé quelque chose d'inattendu. Un imprévu. Et tu n'es
qu'une chose déclinante dont il a fallu se débarrasser. Voilà ce
qu'on raconte sur toi. Et pour répondre à la question des Yeux,
est-ce que je crois qu'on raconte sur toi ? Évidemment !
Et j'irai même plus loin que ça. Ce n'est pas pour rien que les
Yeux m'ont parlé de toi, Atlanta, le mutant artificiel, le Golem
raté ! Tu as été crée par des savants fous nazis, à
Berlin ! Les nazis, ceux-là même qui ont crée tous ces camps
de la mort. On dit que c'était pour se débarrasser de leurs
ennemis, mais pas seulement. J'ai lu Cheval du Diable. Et je sais. Ou
du moins, je crois savoir que les nazis voulaient surtout, en créant
ces camps, attirés des Exilés afin de leur soutirer leurs secrets.
C'est d'ailleurs ce que j'essaye de faire avec mon petit camp de la
mort dans la forêt. Mais pour autant, le rêve d'Anton ravive une
idée qui me trotte dans la tête depuis un moment. J'ai fabriqué
mon petit camp mais je n'arriverai jamais à reproduire ce que les
nazis ont fait. Si j'ajoute à ça que le Bureau des Narcotiques sait
que je me réfugié à Millevaux et que, par conséquent, je n'y suis
plus vraiment en sécurité (autant qu'on puisse être en sécurité
à Millevaux), c'est peut-être tout simplement le moment de me tirer
d'ici ! Et Berlin pourrait être la destination idéale. Pas le
Berlin de la guerre, ce serait trop risqué. Le Berlin de
l'après-guerre, du début des années 1950. La ville en ruine est
aux mains des alliés. La plupart des nazis se sont enfuis en
laissant tout en plan. Il reste certainement dans les décombres de
leurs laboratoires les plus secrets des rapports concernant leurs
expériences les plus barrées. C'est sûr, il reste des choses pour
moi à Berlin. Les nazis n'ont pu ni tout emporter, ni tout détruire.
Et en 1950, en tant qu'agent de la RPA, je pourrais mener ma petite
enquête sans être trop ennuyé. Enfin, tant que le Bureau des
Narcotiques ne me retrouve pas. Bon assez tourné autour du pot, mes
trois kapos ne m'en voudront pas de les laisser là.
Par
contre, j'ai un problème. Je pourrais gober deux Billes pour
remonter le temps jusque dans les années 1950. Sauf que je n'en ai
pus qu'une ! Mais, je suis le Kraken et dans d'autres vies j'ai
su ouvrir des Portes entre les mondes. J'ai fait ça, notamment,
quand j'étais Corso. Je saurai le refaire. Alors, « Geh nach
Berlin ! »
Et
là, je me revois, dans mon petit camp, en train de découper
l'éclopé pour lire dans ses entrailles. Et j'entends, dans ma tête,
les Yeux me demander :
« Qui
connaît un secret te concernant ? Quel risque s'il le
révèle ? »
En
vrai, je n'en sais rien. De quel secret ils parlent ? Du fait
que je sois un Ancien ? D'une certaine façon, tout ceux qui
lisent mes posts sur facebook sont au courant. Mais tout le monde
s'en fout puisque tout le monde pense que c'est un jeu de rôle. Ça
n'a même pas besoin d'être un secret. Ce serait plus gênant si le
Bureau des Narcotiques tombait là-dessus.
Et
je n'ai pas fini de penser cette phrase que tout change autour de
moi. C'est comme si tout était de l'eau mais que soudain tout se
figeait. Je suis maintenant dans un bureau. Le bureau de Don
Vincente. Qu'est-ce que je fous là ? Tout le monde est
immobile. Moi aussi, je ne peux pas bouger. En fait, on vient de me
faire une proposition. Don Vincente vient de me proposer de
travailler pour lui mais... cela voudrait dire que je trahirai ceux
pour qui je travaille actuellement. Qui je suis dans cette réalité ?
J'en ai aucune idée mais la situation a l'air des plus tendue. Je
sens de la sueur perler au ralenti le long de ma nuque. Je ne peux
absolument pas bouger. C'est même difficile de faire rouler mes yeux
dans leurs orbites. Les Yeux, à quoi ils jouent bordel ?!
« Où
trouvez-vous régulièrement des des éclats de bois et des épines
chez votre amant dryade ? Lors de vos rapports sexuels, comment
vous protégez-vous contre ces petites douleurs ? »
Je
crois que les Yeux ont complètement craqués ! Qu'est-ce que
c'est que cette histoire ? Je n'ai aucune relation de quelque
nature que ce soit avec un... dryade ! Et c'est quoi d'abord ?
Une espèce d'arbre vivant ? Si c'était le cas, l'endroit
privilégié pour ça aurait été... Millevaux ! Pile l'endroit
dont je viens de me tirer. Est-ce une sorte de métaphore ?
Est-ce la façon qu'ont les Yeux de me dire qu'en construisant mon
petit camp de la mort, j'ai fait quelque chose de pas très joli-joli
et que, d'une certaine manière, cela veut dire que je serais
finalement un peu pourri comme le sont tout ceux qui sont contaminés
par Millevaux ? C'est ça la « relation sexuelle » ?
L'esprit de Millevaux vu comme une maladie sexuellement transmissible
parce que, au final, on tire un certain plaisir à faire du mal à
autrui ? Pour être clair, je n'ai pas crée mon petit camp de
la mort par sadisme. Je l'ai fait car, après avoir lu Cheval du
Diable, je suis convaincu que c'est le seul moyen pour moi de percer
le secret des Exilés et savoir, enfin, si je suis un être réel ou
un être de fiction, le personnage d'un jeu. Suis-je le Joueur ou le
personnage joué ? C'est uniquement pour ça que j'ai crée ce
camp. Et d'ailleurs, maintenant que j'ai peut-être l'opportunité de
trouver la réponse dans les archives des nazis à Berlin, je
n'insiste pas et abandonne le petit camp. Comme quoi, je ne suis pas
un sadique fou-furieux ! Ai-je réellement réussi à convaincre
qui que ce soit alors que je ne suis même pas certain de m'être
convaincu moi-même ?
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