MANTRA & COLD CITY
La suite de Mantra & Millevaux... dans le Berlin de Cold City!
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Et
me voilà à Berlin, le 11 juillet 1951. Je prends mes marques dans
le petit bureau qu'on m'a attribué au 1er étage du Kammergericht,
le QG de la Reserve Police Agency. Officiellement, je suis l'agent
Demian Hesse, originaire d'Innsbruck. Je suis chargé de tâches
administratives plutôt ennuyeuses mais nécessaires au bon
fonctionnement de la RPA. Il en était de même durant la guerre.
Trop âgé pour être envoyé au front, Demian Hesse se vit confier
des tâches administratives ennuyeuses mais nécessaires.
Heureusement, rien en rapport avec la machine de mort nazie. Aucun
des dossiers qu'il a traité n'auraient pu lui valoir d'être traduit
devant le tribunal de Nuremberg. Sa morale et son honneur sont sans
tâche.
Pour
autant, on atterrit pas à la RPA entièrement par hasard. Aussi,
Hesse a eu l'occasion, pendant la guerre, de soupçonner les
activités occultes menées par les pontes du parti. Il a ainsi vu
passer un exemplaire des Unausprechlichen Kulten, dont il n'a su que
plus tard ce que contenaient réellement ces pages. De même, il a pu
jeter un œil à une « brochure » relative à un
« traité » concernant les changements de comportement
observés chez les lecteurs de certains ouvrages. Déjà que j'aime
lire, il était un peu normal que Demian aime lire aussi, non ?
Et tout amateur de Lovecraft qui se respecte se doit d'avoir jeter un
œil à quelques ouvrages du mythe.
Officiellement,
Demian Hesse est perçu comme un homme discret, cultivé mais
certainement pas un homme d'action. C'est pourquoi on lui confie à
la RPA des tâches avant tout administratives. Mais les représentants
du gouvernement allemand lui ont bien fait comprendre qu'il serait
bien vu qu'il participe également à la grande entreprise de
« nettoyage » des ruines de Berlin. En effet, les nazis,
en partant, ont pris soin de laisser sur place les fruits de leurs
expériences occultes plus ou moins réussies et celles-ci hantent
toujours la cité. L'Allemagne a plus que besoin de se racheter une
vertu aux yeux des vainqueurs. Aussi, Hesse, comme les autres agents
allemands, est encouragé à faire preuve du plus grand zèle face à
de telles manifestations. Toutefois, j'ai aussi mes propres objectifs
en intégrant la RPA. En effet, j'espère bien que cette couverture
d'agent m'ouvrira des portes et me donnera accès aux archives
nazies. Je veux en effet savoir si, comme me l'a suggéré la lecture
de Cheval du Diable, les nazis n'avaient pas pour seul but, en créant
les camps de concentration et d’extermination, de se débarrasser
de leurs ennemis mais également d'y attirer des Exilés afin de leur
soutirer leurs secrets quant à l'existence du Méta-monde.
Et
c'est là, alors que je m'installais dans ce petit bureau qui allait
être le mien et que je pleurais intérieurement en voyant la seule
et unique Bille qui me restait que je fus l'objet d'une double
vision.
Dans
la première, je suis dans un ancien bunker souterrain nazi. Ici ont
eu lieu des expériences à caractère occultes. Je ne sais pas
comment j'ai atterri là mais j'y suis seul. Enfin, pas tout à
fait... Je suis le seul agent mais peut-être pas la seule personne
présente en ces lieux. Je n'en sais rien. J'ai un doute. En tout
cas, dans cette pièce, il reste des dossiers. Plein de dossiers. Et
parmi eux, il y en a peut-être quelques-uns susceptibles de
m'intéresser.
Dans
la seconde, mes pas m'ont conduit dans le secteur soviétique. Je ne
sais pas pourquoi je m'y suis rendu. Mais, soudain, il se passe
quelque chose. Je ne sais pas quoi. Je n'ai pas le temps de voir
quoi. Mais un mot s'impose à mon esprit pour décrire le phénomène
dont je vais être le témoin : Schizarchitecture !
Qu'est-ce que ça veut dire ?
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Ainsi
commence ce que j'appellerai dorénavant ma période berlinoise, en
pleine émeute ! C'est complètement dingue. Je ne m'attendais
pas à ça. Nous sommes, avec d'autres agents de la RPA, dans le
secteur anglais, dans le quartier de Spandau. On ne sait pas vraiment
comment les choses ont commencé. Il semblerait que des représentants
des forces ont été un peu trop tatillons envers des gens faisant la
queue pour de la nourriture. Je ne pensais pas que les choses
pouvaient se passer ainsi ici. Pourtant...
Le
ton est monté, quelqu'un a jeté un caillou, les forces de l'ordre
n'auraient peut-être pas dû montrer leurs armes. Toujours est-il
qu'on nous a appelé en renfort. Il s'agit dans l'immédiat de former
un cordon de sécurité entre civils et forces de l'ordre. Notre
présence a été requise car jugée plus « neutre » que
celle des militaires qui n'auraient peut-être pas eu, par ailleurs,
notre flegme. Nous sommes des civils nous aussi et donc peut-être
plus à même de nous montrer compréhensifs mais fermes. Enfin,
c'est ce que j'ai compris quand on nous a briefé. Autant dire que ça
a été rapide.
Les
choses semblaient se calmer un peu. Je ne suis pas le seul allemand
parmi les agents de la RPA et notre présence semblai calmer un peu
la foule. Mais, alors que tout semblait s'apaiser, il y eu un soudain
mouvement de foule. Je serai incapable d'en discerner l'origine mais
une sorte de vague humaine nous a emportés et séparés mes
collègues et moi. Pendant un moment, je n'ai clairement plus été
maître de mes mouvements. Tout s'est mis à tourner autour de moi.
J'avais envie de vomir. Les murs et la foule n'étaient plus qu'une
espèce de magma indistinct de chair et de pierre, de boue et de
plastique. Je cherchais dans mon champ de vision un point fixe auquel
j'aurais pu m'ancrer. Rien ! Rien ! Du tout ! Et
j'entendais cette voix dans ma tête. On aurait dit celle des Yeux
mais déformée par ce mouvement incessant. Et ça disait « Qu'est-ce
que tu voudrais changer en toi ? Pourquoi ? » Et je
ne savais pas quoi répondre si ce n'est que je voulais changer cette
nausée, ce tourbillon qui me filait la gerbe ! Et quand les
choses se calmèrent enfin, j'étais... dans le quartier de Marzhan,
en plein secteur soviétique. J'étais seul, à l'endroit même où
l'une de mes visions m'avait mis en garde contre une
Schizarchitecture.
Je
prends de longues et profondes inspirations. J'expire. J'essaye de
retrouver mon calme mais je ne me sens pas bien du tout. J'ai la
nausée, toujours. J'ai mal au ventre et j'ai envie de vomir. Je
n'ai plus qu'une Bille et je me demande si ce ne sont pas là les
premiers effets du manque. Mais où trouver de la Bille ici. Est-ce
qu'il y a une Magicienne ? Oui, il y a forcément une
Magicienne. Mais bon, j'ai beau assumer la double casquette de MJ/PJ,
il y a quand même des règles du jeu et même si je peux tordre un
peu les choses pour la trouver, ce ne sera pas gratuit pour autant de
refaire le plein de Billes. Et puis, tant qu'on est dans le méta-,
je peux bien sûr la faire apparaître mais elle posera certaines
conditions qui seront issues de jets de dés et de tirages de cartes.
Et là, comme avec les Yeux, ça peut finalement très mal se mettre
pour moi.
Je
décide alors d'accorder un peu plus d'attention à ce qui m'entoure.
Je suis seul, toujours. Il fait nuit. Je ne m'en étais même pas
aperçu. Le vent se lève et l'air de rien, ça me fait du bien. Mais
il va quand même falloir que je me mette à l'abri et que je rentre.
Et que je trouve une explication rationnelle à donner à la RPA. Le
vent devient de plus en plus fort et se charge d'humidité. Je
déteste ça. Alors que j'avance dans la nuit en direction du
Kammergericht, je vois deux silhouettes dessiner devant moi. Grandes,
plus de deux mètres. Drapées dans des haillons. Je les reconnais.
Ce sont peut-être mes plus anciens ennemis. Ça date de ma toute
première rencontre avec la Magicienne. C'était il y a très
longtemps maintenant, dans une autre vie, un autre jeu, elle me
mettait en garde contre eux, les Coelacanthes.
Je
stoppe net et cherche une échappatoire. Rien, évidemment !
Impossible de m'esquiver. D'après ma vision, une schizarchitecture
doit se produire. Demian le Kraken ne sait pas de quoi il s'agit mais
Damien le Joueur le sait très bien. Ces deux Coelacanthes sont
peut-être d'ailleurs les prémices de cette fracture à venir dans
la réalité. D'ailleurs, ils sont même peut-être là spécialement
pour faire en sorte que je ne quitte pas l'aire de la
schizarchitecture. Et si c'est le cas, je crains de savoir où je
vais me retrouver. Mais en attendant, je reste le Kraken et comme mon
totem, je peux me camoufler à peu près n'importe où. Cela me
permet, si ce n'est de m'enfuir, au moins de mettre à l'abri des
deux Coelacanthes et d'attendre qu'ils se lassent... ou que la
schizarchitecture fracasse la réalité.
Et
il se passe ce que je n'aurais pu prévoir à l'origine et que je me
suis mis à redouter depuis que j'ai atterri à Marzhan. Je suis dans
le monde de cauchemar des Coelacanthes. Est-ce lié au fait d'avoir
pensé à la Magicienne ? Peut-être, peut-être pas. Je ne suis
jamais venu ici mais je reconnais cet arbre. À ces branches, un
pendu. Son abdomen est largement ouvert et ses viscères pendent.
C'est dégueulasse. Dans mon petit camp de la mort, j'ai lu l'avenir
dans les entrailles d'un éclopé. Et si...
Je
m'approche et commence à tripatouiller les viscères du pendu à la
recherche d'une image, d'une vision. Rien ! J'ai les mains
pleines de sang. Je les essuies sur mon pantalon et j'enfile me
Masque du Toxique. Ça m'aidera peut-être. Je sens alors le début
d'un mal de crane. J'ai l'habitude. Chez moi, ce serait le moment de
gober deux Ibuprofènes. Ici, j'essaye juste de me concentrer pour
faire le tri entre les pensées qui envahissent ma tête. Le Masque
du Toxique me permet de voir les Voix Mortes. Il me permet de les
entendre aussi. Il y a eu beaucoup de morts ici. Et pour cause...
L'un d'eux me parle d'un de ses partenaires en affaire. Un autre
évoque un « Souverän » en fuite. Que dois-je
comprendre ? Parle-t-il d'un ponte du parti nazi. Je me
concentre sur celui-là. Oui, il me dit qu'il s'agit bien d'un des
ponte du parti. Mais pas n'importe lequel, le Souverän ! Mais
c'est quoi, le Souverän ? Der Meister der Zeit, me répond la
Voix Morte. Le Maître du Temps. Pas la peine de chercher midi à
quatorze heure, cette Voix Mortes me parle certainement d'un leader
d'un des groupuscules occultes crées et financés par les nazis. Et
où ces types là se réunissaient ? Mais la Voix Mortes n'en
sait rien. Elle sait juste que le Souverän est en fuite. Il serait
encore à Berlin ? Non, me dit la Voix. Merde ! J'ai
l'impression qu'elle me sert à rien ! Pourtant, pourtant... si
ce Maître du Temps a fui Berlin, c'est que leur quartier général,
laboratoire ou autre lieu de culte était ici. D'une façon ou d'une
autre, je dois pouvoir trouver cet endroit.
Je
retire mes mains du ventre du pendu. Je retire le Masque du Toxique.
Je suis dans le quartier de Marzhan. Il fait toujours nuit. Le vent
est tombé. Les silhouettes des deux Coelacanthes ont disparu.
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De
retour dans mon bureau au Kammergericht, je me replonge dans ma
première vision. Un bunker abandonné par les nazis leur servait de
laboratoire pour leurs expérimentations occultes. Là, je trouvais,
ou plutôt je trouverais, des dossiers peut-être en rapport avec la
motivation occulte de la création des camps de la mort telle que je
la postule depuis ma lecture de Cheval du Diable. Je me rappelle
aussi qu'il y a du bruit. Je ne suis pas certain d'être seul en ces
lieux. Mais cer autrui n'est pas forcément un ennemi. Je me demande
même s'il ne s'agirait pas de ce fameux Mutant Atlanta dont m'ont
parlé les Yeux. Peut-être ont-ils une façon bien à eux de me
donner des indices ? Après tout, il suffit de voir comment ils
ont évoqué le Colosse Euphorie.
Maintenant,
LA question ! Comment trouver ce bunker ? Il me reste une
seule et unique Bille. Je peux m'en servir et trouver mention de ce
laboratoire dans un dossier de la RPA qui serait miraculeusement
arrivé dans ma bannette. OK, c'est parti !
Merde !
Qu'est-ce qui se passe ? Encore une schizarchitecture ? Je
suis de retour dans Millevaux ! Je regarde autour de moi. Pas de
Coelacanthes ! C'est toujours ça de gagné. Par contre, les
Voix Mortes sont après moi. Non ! C'est l'inverse ! Je
suis les Voix Mortes et j'ai 5mn pour... me rattraper et me dévorer.
C'est ça le prix à payer ! Le problème, c'est que je me
défends plutôt bien ! Mais, en jouant une certaine prudence,
je gagne du terrain. C'est dingue de me dire que je dois me bouffer
pour m'en sortir ! Plus que 2mn ! Yes !!!!! Je me
rattrape et je me jette sur moi et me dévore ! J'en fous
partout et je pourrais lire l'avenir dans mes propres entrailles !
D'ailleurs...
D'ailleurs,
je cligne des Yeux et suis de nouveau dans mon bureau. Je tire un
dossier de ma bannette. Je suis en nage. Je tire le dossier et le
pose sur le bureau. Je farfouille dans ma poche, celle où il y avait
la Bille. À la place... une Noix ! Je respire lentement, à
fond. Je réfléchis à ce qui vient de se passer. Ma dernière
Bille... une épreuve... était-ce une Réminiscence d'une vie
parallèle qui n'a pas eu lieu ? C'est trop bizarre. En tout
cas, il me reste encore une seule et unique Bille/Noix et il va
vraiment falloir que je fasse le plein. Je ne vais pas pouvoir faire
l'économie d'un rendez-vous avec la Magicienne et ce, quel qu'en
soit le prix !
Je
feuillette le dossier à la recherche de l'information dont j'ai
besoin et je réfléchis. Pourquoi hésiter à rencontrer la
Magicienne. En réalité, j'ai un peu peur que, comme les Yeux, elle
me demande n'importe quoi en échange de Billes ou de Noix. Mais, je
me rends compte qu'il y a quelque chose que j'ai occulté dans tout
ça. Je repense à la Trilogie de la Crasse. Les Mouches comme Haze
savent qu'elles sont des personnages de fiction. Elles savent qu'il y
a quelqu'un d'autre derrière elles. Mais elles l'acceptent car
donner foi et corps à cette fiction leur permet de remplir leur job
de Mouche. C'est à ce prix qu'elles peuvent utiliser leurs pouvoir
et aller enquêter de mondes en mondes. Et moi ? Suis-je un
personnage réel ou un personnage de fiction. Suis le Joueur ou un
personnage-joueur ? C'est ça que je cherche à déterminer
depuis que j'ai lu Cheval du Diable. Demian le Kraken, celui qui se
balade de mondes en mondes est un personnage-joueur, assurément
mais... le Joueur derrière lui, le Joueur derrière son écran...
est-il réel ou n'est-il lui aussi qu'un personnage de fiction ?
Et dans ce cas, qui le joue ? C'est ça que je veux savoir. Et
au moins un début de réponse se trouve dans cette expérience des
camps de la mort que décrit Siebert dans Cheval du Diable.
Je
prends mon manteau et quitte le Kammergericht. Direction, le fameux
bunker ! En chemin, je continues de réfléchir. Pourquoi Cheval
du Diable m'a à ce point interrogé ? Parce que je suis un
joueur solo ! La question ne se serait pas posée si j'avais été
seulement maître du jeu ou joueur. Là, c'est cette double casquette
qui rend la situation problématique. Et c'est alors que je profite
d'un des rares bus pour me rendre dans Charlottenburg que je me
rappelle ce fait que j'ai tendance à refouler. Je suis MJ et PJ. À
ce titre, le personnage réel ou fictif que je suis sait des choses.
Et pourtant, je feins le plus souvent de ne pas les savoirs. Or, dans
un jeu traditionnel, le MJ est au fait de certains secrets concernant
l'univers du jeu. Son job consiste alors à amener les personnages
des joueurs à découvrir ces secrets. Ces secrets sont les points
d'arrivée. Mais pour moi, rôliste solitaire, ces secrets... ce sont
mon point de départ ! C'est cette réalité que je dois
accepter. Je dois cesser de refouler ces secrets. Je dois cesser de
me mettre des bâtons dans les roues pour essayer de réapprendre des
choses que je sais déjà. Je dois au contraire assumer cela et me
servir de mes pouvoirs de Kraken et de Connecté pour aller plus
loin ! Je dois aussi accepter profiter de ce que la Magicienne
est le personnage du MJ et en tant que MJ/PJ, je suis aussi la
Magicienne. Je possède donc ses pouvoirs. Je ne dois pas m'imposer
de limites mais au contraire jouer à fond de ces possibilités que
ne possèdent pas les autres joueurs pour aller aussi loin que
possible. Son objet fétiche est un pot plein de Billes. Alors... je
fais le plein !
XxXxX
Je
suis devant l'entrée du bunker. Il y a de la brume ce matin. Je
relève le cl de mon manteau et entre dans le tunnel. À mesure que
je progresse, il fait de plus en plus sombre. Mais bon, l'air de
rien, j'ai bien lu le dossier de la RPA concernant cet endroit et je
sais à peu près à quoi m'attendre. Officiellement, tous ce qui
pouvait être intéressant a déjà été récupéré. Mais ma vision
a été très clair quant au fait qu'il restait des dossiers. Alors,
est-ce un oubli ? Ou alors, les agents de divers services qui se
sont succédés là ne les ont juste pas trouvé ? J'ai une
bonne représentation de la pièce où je les ai trouvé mais... en
vérité, je ne sais pas vraiment où elle se trouve dans le bunker.
Peut-être que personne ne l'a trouvée si son entrée était
dissimulée. Si c'est le cas, il va falloir que je sois malin. Mais
j'ai une idée.
Je
suis le Kraken et mon totem est le roi du camouflage. Il sait se
cacher mais il sait aussi repérer ce qui est caché. S'il y a une
entrée dissimulée, je la trouverai. Ce n'est qu'une question de
temps. J'erre ainsi pendant une bonne heure, scrutant les murs à la
recherche de la moindre tâche, du moindre interstice montrant la
présence d'une porte dérobée. Et je finis pas trouver. J'actionne
un mécanisme qui se trouve en haut du mur, sur la droite, et un pan
massif de la cloison se met à coulisser. Et là, je reconnais
l'endroit de ma vision. La pièce fait environ 30m². Il y a quelques
rayonnages avec de vieux dossiers et livres poussiéreux et abîmés
par l’humidité ambiante. Il y a aussi quelques caisses par terre
contre les murs latéraux. Je repère l'étagère, celle où se
trouve le dossier que je lisais dans ma vision. Mais alors que je
fais quelques pas dans la pièce, la porte se referme ! OK !
Je verrai ça plus tard. Pour l'instant, le dossier.
Je
ne sais pas si je dois rire ou pleurer mais ce document n'a
strictement rien à voir avec les camps de la mort. J'avoue être
déçu. Pour autant, il est forcément intéressant pour moi d'une
manière ou d'une autre. Alors, de quoi parle-t-il ? J'ai dans
la main l'un des volumes de tout une collection conservée ici. Ça
va être coton de tout déplacer. On dirait qu'il s'agit d'une
monographie ou d'une compilation de monographies sur des sujets
divers. C'est écrit en anglais. Et pas le plus récent. Je vais
trimer pour traduire ça. En tout cas, je comprends que cela traite
du « Temps ». Ce n'est pas spécialement étonnant vu le
titre ronflant que s'était donné le chef de ce groupuscule. Je
survole quelques pages et parviens à comprendre qu'il s'agit de
voyager dans l'espace et le temps. Peut-être effectivement que ce
fameux Meister der Zeit ne s'est pas enfui an Argentine. Lire en
anglais est difficile pour moi. Je ne suis pas très doué pour les
langues. En tant qu'agent de la RPA je parle Allemand, d'autant que
je suis sensé être Allemand. Mais en réalité, le Joueur, l'Ancien
que je suis est Français. Aussi, histoire de me reposer un peu les
yeux, je regarde les illustrations et autres schémas. Les Angles...
Il y a un truc avec les Angles.
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Je
me concentre pour comprendre ces schémas qui sont pour moi à peine
plus clairs que l'anglais. Et je repense à un passage d'un roman
d'Alan Moore qui relie le nom d'Angleterre à Terre des Angles et
extrapole jusqu'à en faire la Terre des Anges. Je repense aussi à
ce que j'ai lu dans le Chtulhu Alphabet. Ce n'est qu'une aide de jeu
pour un jeu de rôle mais il était intéressant de voir mis en
rapport l'usage fait par Lovecraft de la notion d'angle dans l'espace
alors même que la science a communément admis l'idée
d'espace-temps courbe, donc sans angle. Me rappelant de ma vision, je
prête aussi attention au bruit qui m'entoure. Il n'y avait personne
dans cette pièce quand je suis rentré. Et personne n'est entré
après moi. Maintenant que la porte s'est refermé, il est évident
que je ne peux qu'être seul ici. Pourtant, dans ma vision, il y
avait du bruit. Non, pas du bruit. C'était plutôt l'intuition que
malgré les apparences je n'étais pas seul.
Au
bout d'un moment, j'entends vraiment du bruit, comme un marmonnement.
Je lève la tête du dossier et regarde autour de moi. Je prête une
attention toute particulière aux coins de la pièce. Et je me rends
compte que c'est moi qui marmonne. Je me replonge dans le dossier. Je
répète en boucle depuis quelques minutes une suite de chiffres.
Cela n'a en apparence aucun sens. Il y a divers schémas sur cette
page. J'en suis un du bout du doigt tout en continuant de réciter
ces chiffres. Et je finis par le voir. Le Mutant Atlanta. Il est tel
qu'on me l'a décrit. Une sorte de blob fait de boue et de plastique
sur lequel on aurait jeté plusieurs seaux de peinture. Il y a plein
de choses qu'on ne comprend pas dans les expériences qu'ont mené
les nazis. Mais celle-là !!!
Atlanta,
dont je ne sais toujours pas vraiment pourquoi on l'appelle comme ça,
émerge de je ne sais où. Pas d'un coin de la pièce en tout cas. Il
doit y avoir d'autres sortes d'angles. Je me rappelle alors de
l'existence des espaces de Calabi-Yau. Est-il possible que les angles
de ces espaces lui aient permis d’apparaître. Entre ça et ma
récitation involontaire... Mais il se passe autre chose. On dirait
que le mutant se dévêt de sa peau de boue et de plastique. Dessous,
un homme. Ou une femme, je ne sais pas trop. Il ou elle porte un
manteau de cuir et tire une toque en peau de loup d'une de ses
poches. La Magicienne ! Je ne m'attendais pas à la trouver là !
Elle sourit. On dirait qu'elle n'a pas apprécié que je lui force la
main à grand coup de méta-jeu pour remplir ma réserve de Billes.
Même en solo, même en méta-jeu, tout a un prix on dirait. Question
de Karma. Elle peut me faire sortir d'ici, assurément. Elle fouille
dans sa poche et en sort... une Bille ? Une Noix ? Non, une
espèce de... truc hexadimensionnel. Je comprends. Elle veut que je
gobe cet espace de Calabi-Yau. Elle veut que je gobe les Angles. Je
ne lui demande pas où je vais atterrir. Je me doute qu'elle ne me
répondra pas.
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