CRASSE & MILLEVAUX
VII
SYNTHESIS
POST-MORTEM FOR THE
POST-MODERN
J'ai l'impression
d'émerger d'un long délire, un trip d'anthologie. La dernière
chose à peu près nette dont je me rappelle est de m'être retrouvé
à poil dans une arène avec Corso, le Cafard et la Reine. Là, il a
fallu combattre le serpent d'ombre, de plumes et d'herbes qui me
poursuit depuis le monde intérieur de Caspar le WereWorld. On a eu
la saloperie puis j'ai passé la main à Corso. Et depuis, le flou
intégral. Je ne me rappelle de rien. Je ne sais pas ce que j'ai
fait. Je me doute que j'ai pris du temps pour lire car il me reste
des fragments de cette histoire, Lateralus.
Lateralus est à la fois
une grosse nouvelle et un jeu littéraire. Le créateur du jeu
propose un système de règles permettant de rejouer l'histoire des
protagonistes en s'inspirant des chapitres de l'histoire de base mais
en offrant aux joueurs toutes latitudes pour la mettre à leur sauce,
la réinterpréter, explorer d'autres directions etc.
Le Joueur a joué à
Lateralus. C'est cette version que j'ai lu. Et je crois que ce n'est
pas pour rien que, dedans, il a parlé de Millevaux, du serpent
d'ombre, de plumes et d'herbes et de Shub-Niggurath. Le Joueur joue
pour jouer. Alors, quand il a quelque chose à me dire, il aime bien
le faire en jouant. Il a joué à Lateralus et y a intégré tous ces
détails qui me sont connus pour bien me faire comprendre que cette
nouvelle histoire avait quelque chose à voir avec mon histoire.
Aussi, je dois me poser les bonnes questions. Qui sont Kid et
Eurydice ? C'est quoi le Golem ? Qui sont le Seigneur des
recoins et ses abeilles bizarres ? Et c'est quoi ces stations
fantômes ? Est-ce qu'elles permettent vraiment de parler aux
morts ? Est-ce que Millevaux est vraiment sous Terre ?
Je sais que le Joueur ne
m'aidera pas plus que nécessaire. Je suis une Mouche, un
investigateur. Je dois jouer le jeu. Je dois faire comme si lui, le
Joueur, l'Auteur de cette version de Lateralus était mort. Et je
dois maintenant me prendre la tête pour comprendre ce qu'il a voulu
me léguer, comprendre quel est son héritage.
Avant toute chose, que
sais-je de l'Auteur/Joueur ? Ou plutôt, que veut-il bien que je
sache ? Il est le Joueur et je suis un de ses personnages. Il
aime jouer. Il aime les histoires. Il aime les sciences humaines, les
films de Lynch et de Cronenberg. Il aime l'univers de Lovecraft mais
aussi celui de Millevaux. Bon, en vrai, on s'en fiche un peu de tout
ça. Non, ce qui est vraiment important, c'est peut-être ce qu'il ne
veut pas que je sache. Ou pas tout de suite en tout cas. Et il ne
veut pas que je sache ce que contient Cheval du Diable. Il a lu
Cheval du Diable et ça lui a fait peur. Peur à tel point qu'il ne
veut pas m'en parler. Pas encore. Il le fera mais plus tard. Il doit
encore digérer la nouvelle, prendre et classer des notes. Après, il
me dira. Mais il doit d'abord être au clair sur ce qu'il va me dire
et comment il va me le dire. Pour l'instant, je dois me débrouiller
tout seul avec Lateralus.
Et moi, qui suis-je ?
Je suis Damon Haze, une Mouche, un Éveillé bossant pour Black Rain,
l'organisation enquêtant sur le meurtre métaphysique de l'Hommonde.
Nous luttons aussi contre les agents de l'Entropie quelles que soient
leurs formes. C'est pour ça que j'ai eu à ma la coller avec des
saloperies comme Antéros et Millevaux. Si seulement ça me valait
une certaine considération de la part de ma hiérarchie... Pourtant,
j'ai vraiment l'impression qu'on me prend pour un con à Black Rain.
Et pourtant, j'ai donné. Ça, on peut pas dire que j'ai pas donné
pour la cause. J'ai même pris carrément cher. Mais pour autant, on
me prend pour un con. Enfin, pas tout le monde. Je sais que je peux
compter sur Corso. Ange Corso est médecin légiste au sein de Black
Rain. C'est plutôt une bonne place pour un mort. Corso est mort mais
il est vivant car il s'est évadé de la Plage des Cafards. Et il est
pas reparti les mains vides. Il a pris avec lui quelques runes et le
mode d'emploi pour pouvoir se balader dans ce qu'il appelle la
Dimension du Voyeur. C'est une sorte de monde entre les monde à
partir on peut espionner les gens en douce. Lui, c'est vraiment un
ami. Il m'a aidé quand j'ai eu ma mycose au bras et c'est pour ça
que je n'ai pas hésité à lui passer la main après l'histoire de
l'arène. L'arène... La Reine. Elle aussi, je peux compter sur elle.
Officiellement, elle travaille dans l’industrie du divertissement
pour adulte. Mais, je ne saurais pas encore trop dire comment ni
pourquoi, elle a un rôle à jouer dans tout ça. Elle est beaucoup
plus qu'une simple pute ou actrice porno. Elle en sait beaucoup plus
aussi. Et Dieu sait que ces filles en savent beaucoup... Et enfin,
last but not, least, mon dernier pote en date, Lewis-Maria. Je ne
sais jusqu'à quel point je peux compter sur lui mais j'ai confiance
malgré tout. Lewis-Maria est un Cafard. Mais il a pris ses cliques
et ses claques et a coupé les ponts avec les siens. Maintenant, il
vit dans une planque aménagée dans mon immeuble. On y accède par
un passage secret dans le local poubelle. Là, avec ses potes Soars,
il gère un petit zoo plus ou moins humains et prends son pied à
fouiller la mémoire de ses petits pensionnaires. C'est là que j'ai
retrouvé la Reine après que Black Rain m'ait obligé à la remettre
aux Soars. Mais c'est de l'histoire ancienne. Tout va bien
maintenant.
Se retrouver chez moi ?
Hors de question, c'est trop petit ! Je doute que Black Rain
mette à notre disposition une salle de réunion. Aussi, même si ça
ne lui rappelle pas de supers souvenirs, nous nous retrouvons chez le
Cafard. Le Joueur a fait plus que lire Lateralus, il y a joué.
Alors, même s'il n'y a que moi qui ait réellement lu son récit,
nous sommes tous au courant du contenu. Et on va tous se prendre la
tête pour savoir ce qu'il a voulu nous dire.
Je commence par dire que
ça sert à rien de tourner autour du pot en rabâchant ce qu'on sait
tous déjà. Il nous faut faire des hypothèses et essayer de
comprendre. L'air de rien, Lateralus décrit une espèce de futur
proche dans lequel le désert a envahi quasiment toute la planète.
Ça pourrait être une bonne nouvelle puisque ça voudrait dire que
Millevaux n’apparaît pas chez nous. Sauf que... Millevaux est en
réalité sous le sable ! En vrai, la Forêt est bien là mais
souterraine, au plus près du cœur de la Terre et ça, c'est pas
rassurant. Est-ce à dire que dans un futur proche Millevaux aura
finalement réussi à s'introduire dans notre monde ? En tous
les cas, j'ai l'impression qu'il faut vraiment se méfier.
Corso a l'air tourmenté.
Personne ne sait ce qui lui est arrivé après l'arène. Il ne veut
pas rentrer tout de suite dans les détails mais nous assure qu'il a
vraiment vécu du grand n'importe quoi. N'empêche que ce n'est pas
sans lien avec l'histoire du jour puisque son trip se conclut par ce
qu'il pense être la naissance du Golem, justement, dans une antique
cathédrale géante en pleine Mer du Chaos.
La Reine n'a pas l'air
dans son assiette non plus. Elle est plutôt agitée, mal à l'aise.
Elle dit qu'elle connaît Kid et Eurydice. Elle les a vu dans le
désert. Elle ne savait pas que c'était le futur. C'était juste
avant que je la retrouve pour la ramener à la RIM. Elle avait un job
à faire, avec Kid. Elle dit que le gosse avait une tête en forme de
radio. Je lui fait mon numéro, professionnelle, mais...
...he
could not make it
He
tried hard but he could not make it...
C'est peut-être à
cause de cette fille qui regardé par dessus son épaule. Ça aurait
pu faire parti du job mais ça l'a pas aidé. En fait, son job,
c'était de lui dire qu'il n'était pas un monstre. Il aurait été
un monstre s'il avait été humain. Mais comme il n'était plus
humain, il ne pouvait pas être un monstre. C'est ça qu'elle lui a
dit. Kid est ce qui vient après l'humain. Et le Golem est ce qui
vient avant. Elle lui a dit, qu'elle nous explique, que
tout est lié, les abeilles multicolorement JAUNES !! Millevaux,
l'Entropie, la Fin des Mondes et lui, le garçon à la tête-radio.
Et après ? Et après, c'est le moment où je l'ai retrouvée
pour la ramener à la RIM.
Le Cafard est sur la
défensive. Il a l'air soucieux. « Je passe mon tour »,
il dit.
Et là, c'est le moment
magique où je me dis que ça va être dur d'avancer s'il commence
comme ça. Enfin, j’enchaîne. D'après moi, le Joueur a voulu nous
faire passer un message, voire plusieurs, avec Lateralus. Et ce n'est
certainement pas un hasard si ça commence avec la naissance du
Golem. Je pense que le Joueur a voulu nous dire quelque chose
concernant Millevaux mais pas seulement. Qu'en pensez-vous ?
Corso acquiesce mais
j'ai l'impression que quelque chose le tracasse.
La Reine, par contre,
s'oppose farouchement à mon interprétation. Selon elle, Millevaux
n'est qu'un élément du décor, quelque chose de finalement très
secondaire. Ce qui compte, c'est Kid et Eurydice. Que Kid finisse les
pieds plantés dans la boue, comme le Golem, ça ça a du sens. Ça,
c'est important. C'est comme un Cycle. En finissant ainsi, Kid
retourne au début de sa propre histoire puisqu'elle débute à la
fin de celle du Golem et que leurs deux histoires finissent pareil.
Mais, on dirait quand même que la fin du Golem est plus pleine
d'espoir que celle de Kid. Quelque part, Kid a échoué. C'est pour
ça qu'il est au fond de la Terre, loin de la lumière du soleil. Il
a échoué dans sa relation avec Eurydice. Ensemble, ils sont
capables de faire des grandes choses. Kid a voulu la protéger mais,
au final, il s'y est perdu.
Le cafard se borne à
dire que malgré la pertinence de ces derniers propos il serait plus
prudent de ne pas perdre de vue que Millevaux et l'Entropie
constituent des menaces très concrètes en ce qui le concerne.
Corso ne néglige pas
Millevaux et l'Entropie mais il tient quand même même à nous
rappeler que son trip « post-arène » se termine avec la
naissance du Golem justement. Ce n'est pas un hasard. Il y a quelque
chose à comprendre dans cette dialectique du Golem et de Kid, de
même que dans la relation entre Kid et Eurydice. Tout est lié.
C'est évident.
La Reine pense que le
trip de Corso doit être une sorte de vision pré-cyclique. Il a
parlé de la Mer du Chaos. Ce serait donc un vaste bordel, une sorte
de bouillonnement duquel naîtra ou naîtrait l'ordre du monde
symbolisé par le Golem, humain en devenir et destiné à évoluer
lui aussi. Pour autant, le Golem naît au chœur/cœur d'une ruine du
monde d'avant celui du trip de Corso. Donc, si ce monde qu'il a vu
est celui qui a vu naître notre réalité, il a été lui aussi
précédé d'une autre réalité, d'un autre ordre, des ruines duquel
est naît le Golem. Des ruines d'un ordre passé est donc naît
l'être qui symbolise un nouvel ordre à venir. Et là, elle
s'arrête soudain de parler. Je crois qu'elle non plus n'a pas
vraiment compris ce qu'elle voulait dire.
Je me tourne vers
Lewis-Maria, espérant un commentaire. Le Cafard s'enfonce dans son
fauteuil et attire notre attention sur les abeilles multicolorement
JAUNES. Celles-ci viennent d'ailleurs et obéissent au Seigneur des
Recoins. Mais quels recoins ? Un amateur de Lovecraft penserait
à une variante des chiens de Tindalos mais le Joueur évoque le fait
qu'il s'agirait des recoins de l'âme de Kid. Ces abeilles sont des
ennemis mais, pourtant, le Joueur les associent souvent à
l'humanité. Doit-on comprendre par-là que l'homme est son propre
ennemi ?
Là, j’avoue que le
Cafard me scotche. Je rebondis. OK, l'homme est son propre ennemi
parce qu'en se développant il détruit son propre environnement. Il
a d'ailleurs fait un désert. C'est aussi un paradoxe que ces ennemis
prennent la forme d'abeilles alors que ces insectes sont une
nécessité vitale au maintien de la vie. Le Joueur veut-il par-là
nous mettre en garde contre une sorte de retournement des choses.
Genre : ce qui était bon jusqu'à présent va se révéler
dangereux ? Les abeilles, c'est la nature. Millevaux, c'est la
Forêt, c'est la nature... et elle est dangereuse. Mais les abeilles,
c'est aussi une organisation sociale bien particulière et en cela
très humaine finalement. Cette métaphore joue sur plusieurs
tableaux brouillent les pistes. En tout cas, j'ai l'impression que
notre véritable, c'est nous-mêmes ou en tout cas que la menace va
venir de l'intérieur.
Corso acquiesce. Merci
mon ami ! Mais la Reine pense que je m'égare complètement et
que j'oublie le rôle d'Eurydice dans l'histoire. Ses visions guident
Kid. De même que Kid alimente et génère ses visions. Tant qu'ils
sont ensemble, ça va. Mais le sort de Kid, et à travers lui de
l'humanité en devenir, est scellé à partir du moment où, croyant
la protéger, il se met en tête de nettoyer seul les enfers. Or,
Eurydice, c'est la fille qui est déjà en enfer et que son copain
vient chercher. C'est pas la fille qu'on conduit en enfer après en
avoir fait un petit nid douillet !
C'est dans ces moment là
que je me dis que la Reine n'est pas la Reine pour rien mais...
j'aimerais bien qu'elle puisse aller au bout de ses idées des fois.
Là, j'ai quand même l'impression qu'il manque un bout. En tout cas,
j'ai pas tout compris. Enfin, j'arrive pas à tout relier et ça
m'énerve. Alors, est-ce que mon Cafard préféré a un avis sur la
question ? Lui se fout complètement d'Eurydice. Il considère
que la menace viendra effectivement de l'intérieur et qu'elle
prendra une forme familière, la forme de quelque chose qui nous est
bénéfique. À nous d'être vigilant.
Corso est un peu
hésitant mais finit par prendre la parole. Il souhaite revenir un
peu sur son trip. Là, il était un clone immortel. Il a visité un
endroit étrange qui semble être un lieu où on « cuisinait »
des Soars, une sorte de grosse boucherie porcine avec des passages
ouverts sur d'autres dimension. Là, il a combattu diverses créatures
dont un faucon de feu mais aussi des petites créatures volantes et
multicolores qui préfiguraient peut-être ces fameuses abeilles.
Quoi qu'il en soit, dans la mesure où son trip s'achève avec la
naissance du Golem, il a tendance à penser que tout ça se situe
dans le passé. Mais il y a un vrai parallèle entre le récit du
Golem et celui du Kid. Et, s'il s'agit bien d'un Cycle, ça voudrait
dire qu'il est amené à ce répéter. Aussi, a-t-il tripé dans le
passé ou... le futur ? Et cette cathédrale, elle doit bien
être quelque part. Où elle devra bien être quelque part à un
moment donné. Et le Cafard note que cela pourrait effectivement être
intéressant que de localiser un tel édifice.
La Reine ne fait pas
signe de vouloir prendre la parole. L'espace d'un instant, j'ai peur
qu'elle ne tire la gueule mais non. Elle me sourit même.
Lewis-Maria rebondit sur
la cathédrale. Aussi bien, selon lui, il ne s'agit là que d'une
métaphore. En effet, le Joueur a insisté sur l'homonymie entre les
mots chœur et cœur. En fait, il faut peut-être plutôt comprendre
que le Golem, en quête d'humanité, est en réalité un produit de
l'homme, une création humaine. Aussi, cette cathédrale que Corso a
vu dans son trip serait peut-être plus aujourd'hui un laboratoire
d'ingénierie biologique et génétique qu'un véritable édifice
religieux.
Je tourne la tête vers
Corso et le voit opiner du chef. J'ai l'impression que, dans cette
histoire, son trip est plus important qu'il en a l'air. Peut-être
qu'il faudrait creuser ça aussi. Et surtout, ne pas oublier non plus
le rôle joué par Eurydice dans tout ça. Est-ce que Corso a un avis
sur la question ?
Le légiste avoue ne
pouvoir que se perdre en conjecture et avoir du mal à raccrocher les
wagons. Évidemment, il est d'accord avec la Reine pour ne pas
négliger ce personnage d'Eurydice. Pour autant, il ne sait pas trop
comment l'appréhender. Si l'histoire du Kid se passe dans un futur
proche, peut-être qu'il n'est pas si lointain que ça et que, dans
ce cas, on peut mettre la main sur cette fameuse Eurydice.
Et si la cathédrale de
son trip doit se révéler être un laboratoire pharmaceutique ou
quelque chose du même ordre, est-ce que la RIM n'est pas une terre
bénie pour des activités aussi douteuse que la création d'un être
artificiel ?
Récapitulons, il existe
peut-être déjà sur le territoire de la RIM un laboratoire à même
de créer un être artificiel tel que le Golem. D'ailleurs, est-ce
qu'on utiliserait pas là-bas la même technologie étrangère que
celle sur laquelle j'ai enquêté ? Mais bon, bref...
Tout ça s’intégrerait
dans un cycle beaucoup plus vaste qui prendrait naissance dans le
monde du trip de Corso et, au final, il nous faudrait faire un choix
et ne pas nous planter car, au mieux ça finit pas trop mal comme
pour le Golem, au pire, on finit dans la boue et le noir comme Kid.
On dirait bien aussi que
l'Entropie a de nouveaux agents sous la forme des abeilles et du
Seigneur des Recoins. Or, ce nouvel ennemi semble très lié à
l'humain. Aussi, il y a fort à parier que la menace vienne de
l'intérieur, voire même qu'elle soit déjà là, souterraine, comme
le Millevaux du Kid.
En vérité, je suis un
peu perdu face à tout ça. Je n'ai absolument aucun ordre de mission
émanant de Black Rain à ce sujet et, je ne sais pas pourquoi, je
n'ai pas l'impression que ce soit une très bonne idée. Et Corso est
assez d'accord avec moi. Là, on est un peu à la périphérie des
missions de l'organisation. Il est conscient lui aussi que tout est
lié mais d'une façon trop bizarre et protéiforme pour faire
comprendre ça à Black Rain. Et puis, selon lui, c'est aussi bien de
bosser comme ça, avec Lewis-Maria et la Reine.
Ça me plaît ça, de
bosser avec la Reine. Donc, pour la suite, voilà ce que je propose :
1-trouver cette Eurydice
(et le Kid qui va avec si c'est possible).
2-trouver l'endroit
susceptible d'être le lieu de création du Golem, quitte à tenter
de retourner dans le trip de Corso.
3-traquer les
manifestations de l'Entropie, les plus souterraines qu'elles puissent
être, notamment sous la forme de Millevaux et d'Antéros mais aussi
sous la forme des abeilles.
J'ai certainement oublié
un truc hyper important. Ça me reviendra.
POST-POPCORN
La Reine s'est invitée
chez moi pour mater un film. Franchement, j'étais bien content. Je
l'étais un peu moins quand elle est arrivée avec Corso et
Lewis-Maria.
« On a du
boulot », elle a dit.
« Tant pis »,
j'ai pensé. Et j'ai quand même sorti les bières et les chips que
j'avais acheté.
Elle est tombée sur un
film sur Internet. Aussitôt, elle l'a gravé sur un DVD et nous a
appelés. « Faut absolument que vous voyiez ça ! »,
elle a dit. Et l'espace d'un instant je me suis demandé s'il
s'agissait d'un des films dans lesquels elle a tourné. Mais non,
impossible ! Elle se serait pas pointé chez moi. Et encore
moins avec les deux autres ! Enfin, j'espère...
C'est un film d'horreur
coréen plutôt récent. A priori, ce n'est pas une adaptation, ni
d'un livre, d'un manhwa ou d'un jeu vidéo. Et, d'après elle, c'est
d'autant plus chelou que c'est une œuvre « originale ».
Le réalisateur est un certain Park Ha-Joon, inconnu au palmarès.
« Et pourquoi on
doit absolument voir ce film ? », demande Lewis-Maria,
cinéphile patenté si on considère comme des films les mémoires de
ses pensionnaires qu'il viole allégrement.
« Parce que ça
plus que parle de notre affaire ! », lui répond la Reine.
Corso penche la tête
dans sa direction, attentif.
Alors, on s'installe
tous dans ce qui me sert de salon et je lance le film. On boit des
bières. On mange des chips. Au bout d'un moment, assez vite en fait,
on ne fait plus ni l'un ni l'autre. On regarde le film et on est
scotché !
Générique de fin.
Corso se penche. Il pose
ses coudes sur ses genoux et se prend la tête dans les mains. Il dit
« Je n'arrête pas de penser aux motivations du personnage
principal ! Mourir sans regret ! En vrai, il pourrait
chercher à éviter sa mort. Mais ça, il l'a accepté. Il a accepté
que sa mort soit inéluctable. Par contre, il ne veut rien regretter.
Alors bon, oui, je sais, c'est facile pour moi de remettre la mort en
question puisque... je suis déjà mort et que tout va bien. Mais...
quand même ! À sa place, j'aurais quand même tenter de
contrer le destin plutôt que... tout ça, quoi. »
« Et ça ne te
rappelle rien ? », dit la Reine. Et elle parle de Kid et
Eurydice. Kid est descendu en enfer et, d'une certaine façon, il y
est mort puisqu'il a les pieds plantés dans la boue et qu'il ne
reçoit plus les ondes. Et il est d'autant plus mort qu'il est séparé
d'Eurydice. Selon elle, Kid aurait dû accepter sa mort sans regret
et son destin aurait été tout autre. Mais là, comme Œdipe, il
s'est finalement précipité droit vers son destin dans ce qu'il
avait de plus funeste précisément en tentant d'y échapper. « Et
nous, qu'est-ce qu'on est en train de faire ? », elle
demande.
Et je lui demande si
elle ne serait pas en train de sous-entendre qu'on devrait tout
simplement se laisser guider tranquillement vers la mort et que
l'accepter en toute sérénité serait finalement le meilleur moyen
de lutter contre Millevaux, les Abeilles et l'Entropie ? Elle me
rend mon regard circonspect.
Pour ma part, j'ai adoré
les effets spéciaux. C'est vrai, c'est sanglant à souhait et c'est
très bien fait. J'ai adoré le coup du serpent végétarien. Le
rendu des explosions est parfait. Rien à redire, on dirait du
Michael Bay. Et quand le personnage principal se livre à cette scène
de cannibalisme. J'avoue, j'y ai cru ! Je ne peux alors contenir
une mimique carnassière qui fait bien rigoler Lewis-Maria et Corso.
La Reine, elle, ne rigole pas.
Il y a un truc que le
Cafard n'a pas bien compris concernant un personnage secondaire,
l'automate à la voix nasillarde. Lewis-Maria reprend son sérieux
et, par courtoisie ou diplomatie, je ne sais pas trop, reprend à son
compte l'idée de la Reine, à savoir que ce film est en lien avec
notre histoire. Ainsi, cet automate est par définition un être
artificiel, une création humaine. Mais, dans ce cas, si le film est
une sorte de métaphore ou de parallèle à notre affaire,
symbolise-t-il le Golem ou Kid ? Et comment comprendre qu'il
finisse en pièce et non planté quelque part ?
Pour Corso, si c'est le
personnage principal qui symbolise Kid, ça ne peut pas être
l'automate en même temps. Aussi, il doit symboliser le Golem. Or,
dans notre histoire, le Golem et Kid on une fin similaire. Pas dans
le film. Dans le film, l'équivalent de Kid accepte son destin. Il
accepte le point d'arrivée, c'est le trajet qu'il cherche à
modifier, sans même chercher à le retarder. Et c'est cette
acceptation qui le distingue de l'automate, si vraiment on veut faire
un parallèle. Alors, est-ce à dire que Kid aurait dû avoir une
autre fin que le Golem ? Et si Lateralus comme ce film étaient
des sortes de mises en garde nous disant ce qu'il ne fallait surtout
pas faire si on ne veut pas finir les deux pieds dans la boue et la
tête dans le noir ?
Ça, je le vois bien, ça
plaît à la Reine. Mais, je ne peux pas accepter que la solution à
notre problème soit précisément d'en accepter la fin inéluctable.
Il y a un truc qui m'échappe et j'aime pas ça du tout !
La Reine me regarde avec
un air méfiant. Je crois qu'elle voudrait que je sois de son côté.
J'aimerais bien l'être aussi mais là, je peux pas. Y a un truc dans
sa vision des choses qui ne me convient pas, même si j'arrive pas
vraiment à faire mieux. Mais elle, de son côté, a adoré la scène
de flashback, celle dans le phare pendant l'ouragan. Coincé là
pendant des heures, le personnage principal n'a pas réussi à sortir
de cette tristesse qui s'était alors emparé de lui quand il a
compris qu'il ne pourrait jamais rembourser sa dette.
« Et c'est quoi le
rapport avec notre histoire ? », je demande.
« Parce que tu ne
dois rien à personne ? Parce que tu n'es pas pris dans la
tourmente ? Parce que tout ça ne te rend pas triste ? »,
elle répond.
Comment calmer le jeu en
restant diplomate ? Alors je lui dis « En vrai, je pense
qu'il n'y a aucun rapport objectif entre ce film et notre affaire.
Mais, je vois quand même que ça t'a bien fait cogiter et que le
résultat est plus qu'intéressant. Tu vois, je ne suis sûr de rien
mais j'ai l'impression que cette affaire est vraiment plus complexe
qu'elle en a l'air et qu'on y est tous les quatre impliqués d'une
façon beaucoup plus profonde, intime même, que je ne le pensais au
départ. Et ça, c'est toi qui m'y a fait penser. En vrai, je crois
que tout ça me dépasse parce que ce n'est pas une simple enquête.
C'est ça que veulent dire Lateralus et ton film. Ce n'est pas une
simple investigation. Il ne s'agit pas seulement de contrecarrer les
plans de l'Entropie, empêcher que notre monde soit envahi par
Millevaux et rentrer chez nous peinards. On est tous impliqué à un
tout autre niveau. Et ça, je n'arrive pas encore à bien le
comprendre. Mais cette histoire aura des conséquences pour nous. Pas
seulement parce qu'elle aura des conséquences sur le monde et qu'on
est dedans... Peut-être que... Et si, au contraire, cette affaire
devait avoir des conséquences sur le monde précisément parce
qu'elle aura des conséquences sur nous ? »
Et cette question sonna
le glas de la soirée. Un silence un peu trop long s'ensuivit puis
chacun est finalement rentré chez lui. J'aurais voulu être sûr
d'être rentré dans les bonnes grâces de la Reine mais je devrais
m'endormir avec un doute sur la question.
FITTING IN/GREY CELLS
Aujourd'hui, je fais le
trottoir. La Reine m'a convaincu qu'Eurydice n'était pas un
personnage secondaire dans toute cette histoire. Et elle m'a aussi
convaincu que si Lateralus se déroule bien dans le futur alors cette
fille est peut-être déjà là. Et si, comme elle en est convaincue,
cette affaire nous concerne vraiment intimement alors ce ne sera pas
un hasard si je trouve la trace de cette Eurydice ici, dans mon rajon
pourri de Mertvecgorod. Et si je ne la trouve pas... La Reine pourra
toujours dire que ça ne prouve rien, si ce n'est que je suis un
tocard.
Eurydice n'est pas bien
vieille dans Lateralus. Elle doit donc être plutôt jeune dans la
RIM. Une adolescente ? Une lycéenne ? Vais-je devoir faire
la sortie des écoles ? Elle a des visions. Elle est à moitié
folle. Elle doit être en décrochage. J'aurais plus de chance de là
trouver là où les gamins qui sèchent les cours se retrouvent pour
picoler et fumer des pétards.
J'erre apparemment sans
but dans mon quartier, traquant la moindre trace d'une bande de
jeunes qui se seraient réfugiés dans un sous-sol pour y passer une
bonne journée loin de leurs profs et de leurs parents alcooliques ou
psychotiques. En vrai, ça, ce sera l'étape facile.
Sur un trottoir,
j'aperçois quatre gamins.
Trois filles et un
garçon. Je les reconnais.
Je me dirige vers eux.
On commence à discuter.
Je leur demande des
nouvelles du quartier.
Alors, quoi de neuf,
depuis que je suis parti ? ce genre de connerie.
Les trois filles
m’envoient un regard vitreux, comme si elles ne m’avaient jamais
vu.
Le gars, en revanche, a
les yeux qui pétillent.
Ils n’ont pas dû
prendre les mêmes drogues.
OK, va pour le gars.
Qu'a-t-il à me dire ? Il me regarde. Il sait que je sais qu'il
est défoncé. Il attend que je me positionne. Il veut voir si je
vais le juger, lui faire la morale. Mais je reste cool. Pas la peine
de le braquer. Alors je lui dis que je vois bien qu'il est défoncé
au lieu d'être à l'école. Mais je lui dis aussi que je suis pas là
pour le juger, pour lui faire la morale. Je suis pas son père, ni
son oncle, ni un prof. Je suis pas son pote non plus, je lui dis. Et
je lui dis aussi qu'en vrai je suis pas là pour parler de la pluie
et du beau temps. En vrai, je suis pas flic, ni détective privé. Je
ne suis pas un vieux tox en galère de matos. Par contre, je cherche
quelqu'un qui, comme lui, se défonce peut-être avec un truc pas
courant. Je cherche une fille qui s'appelle Eurydice. Le gamins roule
de grands yeux et dit :
Tu sais que Caspar
rentre le 29
Là, j'ai envie de lui
foutre mon poing dans la gueule. Mais je me retiens. Je fourre mes
deux poings dans mes poches et me casse de là.
Les heures passent et je
ne vois rien d'intéressant. Peut-être que je ne devrais pas me
limiter à cette fille mais aussi chercher ce qui pourrait servir de
laboratoire clandestin dans la quartier. En vrai, un tel laboratoire
pourrait se trouver n'importe où. La preuve ? Lewis-Maria a
bien réussi à planquer son zoo humain dans mon immeuble. Le
problème, c'est qu'il est super bien planqué et ce sera la même
chose pour ce labo.
Croyez-le ou non,
l'échec est parfois la clé de la réussite. Et ouais, c'est vrai
qu'à errer comme ça comme un abruti je ne trouve rien mais... Je
suis une Mouche, une Mouche à merde et j'attire les emmerdes. Et les
emmerdes, c'est toujours un début de pistes, non. Et là, les
emmerdes finissent par arriver sous la forme d'un groupe
d'intervention des services de santé. C'est délire ! Des
hommes en combinaison NBC jaillissent d'un camion pas banalisé du
tout. Ils donnent des ordres à la population. Ils en éloignent
certains, en poussent d'autres dans leur camion. Ça beuglent mais je
ne comprends pas bien ce qu'ils disent, entre la distance et leurs
masques. J'entends parler de survie. J'en vois un poser des petits
panneaux avec le symbole biohazard. Je crois que je comprends. On est
tout près de la Zona ici. Et il est tout à fait possible qu'un ou
plusieurs bidons remplis de produits foireux se soient mis en devoir
d'avoir une fuite. Ou alors, il y a dans le coin un laboratoire
secret et quelque chose s'est pas passé comme prévu. Il est aussi
tout à fait possible qu'il s'agisse d'une grosse opération d'intox
pour cacher autre chose de plus énorme encore. Dans tous les cas,
c'est en les suivant que je saurai.
Des fois, on a de la
chance. Et c'est bien. C'est pour toutes les fois où on en a pas.
Les types ont balisé leur petite zone sans que je ne vois là un
réel intérêt. Mais ils se sont quand même tirés avec une poignée
de citoyens pris au hasard. Et je les suis jusqu'à un croisement.
Là, ils passent sous une arche et se dirigent vers des abattoirs. Et
je repense à un article paru dans le journal il y a quelques temps
déjà. Ça parlait de disparitions. Est-il possible que... ?
Pas de conclusions hâtives, on va bien voir.
Et c'est tout vu !
Je serai bien incapable de dire si tout ça a à voir avec Eurydice
mais je vois là une bande de Soars récupérer la cargaison. Parce
que, vu comment ils les traitent, c'est vraiment du bétail. Je
compte neuf personnes qui se sont faites avoir et aucune d'elle ne
tente quoi que ce soit. Et franchement, je peux comprendre. Déjà,
la mise en scène a de quoi surprendre. Plus c'est énorme, plus ça
passe on dit. Et c'est vrai. Et là, être accueilli par des mecs à
tête de porcs et armés jusqu'aux dents. Y a de quoi en refroidir
plus d'un. Mais j'ai un doute tout d'un coup. J'utilise la Vision et
mes doutes sont aussitôt levés. Il y a des Cafards parmi eux. J'ai
lu des trucs dans les dossiers de Black Rain. Une secte Soar bosse
avec des Cafards. La secte Laash, je crois, collecte des cadavres
pour fabriquer une drogue permettant le voyage astral, d'avoir des
visions de l'avenir, voire même de contrôler mentalement les
autres. C'est la drogue des élites humaines. Ils en prennent tous
dans les hautes sphères. C'est comme ça qu'on reste le meilleur,
qu'on reste au sommet. Enfin, il paraît.
Et je tilte ! Des
visions ! Cette drogue permet d'avoir des visions !
Eurydice a des visions. Est-elle accro à cette drogue ? Si oui,
comment l'a-t-elle obtenue ? Ça voudrait dire qu'elle est de la
haute ou au moins qu'elle connaît des gens de la haute. De la très
haute même. Eurydice serait « une fille de... » ?
Mais c'est carrément possible en plus ! Et dans ce cas,
peut-être que ce laboratoire n'est pas secret du tout. Peut-être
qu'il s'agit même d'une grande entreprise ayant pignon sur rue !
Ce serait pas la première fois qu'on verrait une grosse boite mener
ses petits projets parallèles en douce, d'autant plus qu'ils sont
douteux sur le plan éthique.
Si j'ai raison, il est
fort probable que cette entreprise possède des bureaux du côté de
l'Ultramarin. Les Laash ne sont pas des Soars en situation
irrégulière ici. Eux aussi, à leurs façons, ont pignon sur rue.
Aussi, il ne serait pas si étonnant que ça qu'ils traitent
directement avec leurs clients. La question est maintenant de savoir
si ces Soars et ces Cafards vont vraiment buter ces braves gens pour
fabriquer leur drogue et s'ils vont vraiment se rendre à
l'Ultramarin pour la remettre à leurs clients. Et là, ce serait
juste super si je pouvais récupérer la piste d'Eurydice.
Je vérifie que mon
portable est bien en mode vibreur. Ce serait juste une catastrophe si
je me faisais repérer à cause d'un appel. Maintenant, en planque et
voyons ce qui se passe. C'est dans ces moments là que je suis jaloux
du Joueur. Et ouais, lui aussi est en planque. Lui aussi veut savoir
ce qui va se passer. Mais lui, il peut aller se faire un café. Et
d'ailleurs, l'enfoiré, il y va ! Mais bon, au moins je sais
qu'il pense à moi.
Oh mais qui débarque ?
Elle, je la connais. May Bai Sa tête est mise à prix dans les
dossiers de Black Rain. C'est humaine sauf qu'elle est morte, comme
Corso. Et comme lui, elle s'est tirée du Tas de Merde. Elle n'est
pas recherchée par les Cafards parce qu'elle serait un passeur.
Pourtant, et c'est ce qu'il y a dans son dossier, elle en possède
les connaissances. C'est bizarre. Je croyais que tout ceux qui
pouvaient être des passeurs le devenaient. Mais pas elle. Elle, elle
a fait appel à quelqu'un d'autre pour se tirer. Bon, c'est le moment
de se creuser la cervelle et de se rappeler ce que Black Rain lui
veut. Le Joueur boit une gorgée de café. Il est encore un peu trop
chaud. Il tire une carte « Muses & Oracles » et
regarde quel est son secret et... Il y a vraiment des hasards qui ne
peuvent pas en être ! Elle communique avec les morts !
Bon, ça peut vouloir tout et rien dire. Est-elle spirite, médium ?
Est-ce que ça veut juste dire qu'elle a plein de potes morts, comme
Corso ? Ou est-ce que ça veut dire qu'elle a quelque chose à
voir avec ces stations fantômes dont Kid pensait qu'elles permettent
de parler aux morts ?
Par contre, autant elle
est capable de parler aux morts, autant elle voit vachement bien les
vivants ! Et là, faut que je me tire fissa !
Gérer la poursuite
avec...
ALL ROADS TRAVELED
May Bai ! Elle m'a
repéré et attire déjà l'attention des Soars et des cafards sur
moi. Sait-elle que je bosse pour Black Rain ? Je ne vais pas
l'attendre pour lui poser la question. Je cours comme un dératé et
fonce dans la première station de métro qui se présente. Le long
des quais, c'est la cohue. Je joue des coudes et tente de me faufiler
dans une rame. Mais un main se pose lourdement sur mon épaule et me
tire en arrière. Je me retourne et fixe le gars droit dans les yeux.
J'utilise la Vision et apprends que c'est un cafard. Je vais pour lui
placer un coup de genou dans les parties sensibles de son hôte mais
il a vu le coup venir. Alors, sans prendre plus de précaution que
ça, je fais volte face et met à courir en hurlant à l'attaque
terroriste. La foule s'agite dans tous les sens. Ça commence à
hurler et la foule se dirige vers la sortie la plus proche. Pour ma
part, je vais à contre courant et espère pouvoir me glisser dans la
prochaine rame.
C'est le bordel.
Certains passagers veulent descendre, d'autres veulent monter. C'est
la panique suite à ma... diversion. Je jette un œil autour de moi
en espérant que le cafard ne m'a pas suivi. Mais il m'a suivi. Et
mieux que ça, il a son téléphone vissé à l'oreille. Là, je
crains qu'on ne m'attende de pieds fermes à la prochaine sortie.
Espérant que le cafard
croira que je vais filer à la prochaine station, je ne quitte pas
mon wagon. Je descendrai dans deux ou trois stations. Quand le métro
repart, je jette un œil dans la direction où j'avais vu le cafard.
Il est toujours là, au téléphone, mais j'ai l'impression qu'il ne
m'a pas vu. Il faudrait au moins que je puisse changer de rame à la
prochaine station.
On dirait que ma petite
magouille a fonctionné. Je respire et m'affale sur un siège. Je
descendrai à la prochaine station. De là, j'aimerais rejoindre
Corso. Lui, avec ses runes, devrait pouvoir me trouver une planque
dans un petit monde tranquille. Il est juste hors de question que je
prenne le risque de rentrer chez moi. Et puis, je ne veux pas non
plus prendre le risque d'exposer la Reine. En fait, j'ai surtout peur
que cette May Bai sache pertinemment qui je suis. Elle parle aux
morts. Elle trafique avec les Soars et les Cafards. Si tout est lié
comme je le crains, elle a quelque chose à voir avec ces Stations
Fantômes. Et je commence même à me demander si ces stations ne
fonctionnent pas avec la came des Soars. Après tout, ce truc permet
bien d'avoir des visions et compagnie, pourquoi ça servirait pas de
carburant pour une machine à parler avec les morts ? Et les
morts, on sait jamais trop ce qu'ils peuvent raconter.
Je quitte le métro et
me retrouve dans le quartier des facs. Il y a une bonne et une
mauvaise nouvelle. La mauvaise nouvelle, c'est qu'une voiture de luxe
aux vitres teintées semble m'attendre. La portière arrière
s'ouvre. May Bai descend. La bonne nouvelle, c'est qu'un type avec
des dents en or est en plein négoce avec son dealer. Ou plutôt, sa
dealeuse. Et elle, avec sa toque en fourrure, je la connais bien.
Elle aussi est un avatar du Joueur. Mais elle est un peu plus que ça.
Moi, la Mouche, je suis un personnage joué par le Joueur mais
elle... elle est l'avatar du Joueur en tant que Maître du Jeu.
Alors, il y a peut-être un moyen que je m'en sorte pas trop mal. Ce
sera certainement pas gratuit, mais je peux me tirer de ce mauvais
pas.
Est-ce que May Bai m'a
vu ? Avec un peu de chance, je peux arriver jusqu'à la
Magicienne avant qu'elle ne se rendre compte que je suis sorti du
métro. Et on dirait que la chance me sourit enfin. Je contourne un
groupe d'étudiant arrive à hauteur de la Magicienne alors même
qu'elle vient de conclure son affaire. Elle se tourne vers moi et
affiche un air entendu. Nous ne nous sommes jamais vu mais nous nous
connaissons, par l'intermédiaire du Joueur évidemment. Pas la peine
de perdre mon temps à lui faire mon baratin. Elle sait pourquoi je
suis là et comment j'en suis arrivé là. Elle sait que Black Rain
m'a missionné pour remettre la Reine aux Soars. Et elle sait que les
Soars l'ont offerte à Lewis-Maria. Elle sait que Black Rain veut
mettre la main sur cette technologie que les Soars ont introduite
chez nous il y a quelques années. Et elle est aussi au courant de
cette rumeur concernant une hypothétique opération militaire de
Black Rain contre l'Entropie. Elle sait aussi comment tout est partie
en sucette à partir du moment où j'ai croisé la route de Caspar le
WereWorld. Elle est au courant de nos glissements entre les mondes,
du trip de Corso, de la naissance du Golem et de Lateralus. Alors,
avant même que je ne lui dise quoi que ce soit, elle me tend une
Noix et elle me dit « Glisse ! »
Je regarde par dessus
mon épaule. May Bai s'approche. Elle me cherche. Elle ne m'a pas
encore vu mais elle me cherche. Elle a son téléphone vissé à
l'oreille et a l'air préoccupé.
Dans ma main, la Noix
ressemble à un petit cerveau. Je la croque...
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