LA
TOUR:
Un
petit scenar solo joué avec le jeu de Matthieu Bé dispo ici:
https://www.cestpasdujdr.fr/tour/#regles
La
Tour est en réalité une de ces pyramides inversées qu'on trouve au
centre du désert de verre. Comme ses sœurs, ce sont les entrelacs
de racines sombres et fossilisées qui la retiennent quelques mètres
au dessus du sol brûlant qu'elles tentent toutes de fuir.
A
quoi servait-elle ? Nul ne le sait. S'il s'agissait d'un
tombeau, aucun explorateur ou pillard n'en a jamais percé le
mystère. S'il s'agissait d'un temple, on a trouvé aucune trace de
quelques rites ou sacrements rendus à quelque divinité que ce soit.
Mais,
quand on l'observe, quand on les observe, on ne peut qu'être fasciné
par ces dizaines de pyramides tentant vainement de s'arracher à ce
sol brûlant et tranchant, géantes sombres au milieu d'un désert
éblouissant.
Je
m'appelle Aspic. Je suis de ceux qu'on appelle les Hommes-serpents.
Mes écailles sont blanches, quelques-unes noires. Mes membres, comme
mon torse et mon crane, sont fins et allongés, plus que ceux des
humains. Des mes épaules et mon dos tombent des plumes de paon,
vestiges de ce que furent les ailes de nos ancêtres draconiques.
Que
suis-je venu chercher ici ? La connaissance et la gloire que
m'apporteront les réponses aux questions que tous se posent au sujet
de ces pyramides.
Je
risque là ma vie, certes, car nul n'est jamais revenu pour témoigner
des dangers que recèlent ces lieux. Mais je risque surtout la honte
si je devais revenir sans avoir percer ces secrets. D'ici on revient
avec des réponses ou on ne revient pas. Et si je devais revenir sans
réponses, personne ne croirait que je suis vraiment parvenu
jusqu'ici. On me prendrait pour un menteur et un lâche, ce que je ne
saurai accepter.
Il
me faut encore quelques heures pour parvenir au niveau de la première
de ces pyramides. Ensuite, il me faut encore des heures pour
escalader les racines de pierre et accéder à une ouverture. Le
soleil, reflété par les lames du désert de verre, est brûlant,
même pour un être de mon espèce. L'ombre, finalement, est
agréable. Mais l'odeur infestant ce sombre couloir l'est beaucoup
moins. Je ne saurais dire pour l'heure ce que cela évoque pour moi
mais ce n'est pas désagréable, loin de là. Je ressens une sorte de
haut le cœur, de dégoût. quelque chose me dit, au fond de mes
entrailles que j'ai peut-être eu tort de venir jusqu'ici. mais je ne
peux pas reculer. Je ne peux pas revenir sur mes pas maintenant. Mais
je dois dès à présent demeurer des plus vigilant car cet endroit
ne me veut pas de bien. Je sens même qu'il ne veut pas de moi et
fera tout pour se débarrasser de moi.
Alors
que je m'enfonce dans ce couloir, j'ai la désagréable sensation de
me mouvoir dans un gigantesque intestin qui s'apprête à me digérer.
Au
détour d'un couloir, je trouve un vieux bouclier. Il est brisé,
rouillé et recouvert de poussière. Pourtant, je reconnais l’emblème
de la famille d'un peuple voisin. Un oiseau et une étoile. l'un des
leurs est donc parvenu jusqu'ici, mais il n'est pas revenu pour
autant. on l'aurait su. Je regarde autour de moi mais je ne vois
pourtant aucune trace du corps du propriétaire de ce bouclier.
Pourquoi l'a-t-il abandonné ici ? Quelle l'a contraint à le
laisser ici ? Qu'a-t-il eu à fuir urgemment pour négliger
cette indispensable protection ? J'espère ne pas être
contraint à une telle extrémité.
Je
finis par arriver dans une salle plus grande. Tout est en ruine ici.
De gros blocs de pierre jonchent le sol. Tout est renversé, sans
dessus-dessous. On dirait que cette pièce a été secoué dans tous
les sens. Alors que j'erre entre les blocs, je tombe sur un coffre en
métal. Il a été fermé mais sous quelques chocs, son couvercle est
brisé. A l'intérieur, sur un coussin fait d'une étoffe qui a
certainement été précieuse git une lame de pierre finement taillée
et légèrement phosphorescente. La lueur est faible mais rassurante.
Je m'empare de cette lame. Je ne sais pas si elle saura me protéger
face à un éventuel gardien de ces lieux mais elle constituera une
preuve que je suis bien arrivé jusqu'ici.
Après
avoir traversé de nombreux sombres couloirs, je parviens à une
nouvelle salle, légèrement éclairée. De faibles lueurs
parviennent de fentes situées au ras du sol. En fait, quand je
regarde, ces fentes ne donnent pas sur l'extérieur. On dirait que
ces fentes donnent en réalité sur ce qui doit être un réseau de
couloir permettant à la lumière extérieure de venir jusqu'ici.
Mais, en réalité, je n'en sais rien du tout.
Rapidement
je me détourne de cette source de lumière car mon regard est attiré
par quelque chose que je n'ose reconnaître. La lance maudite des
Aleks. Que fait-elle ici ? Je n'ose pas approcher cette artefact
que je n'ai jamais vu que sur les glyphes et bas-reliefs ornant nos
temples. Les Aleks, la famille honnie, honteuse et maudite chassée
pour avoir trahi les dieux, pour les avoir frappés dans le dos avec
cette lance reconnaissable entre mille à sa pointe d'opale fichée
dans un bois sombre. Comment est-elle arrivée ici ? Dois-je la
prendre ? Ne risquai-je pas d'être moi-même maudit si je la
prenais avec moi ? C'est pourtant si tentant. Mais non !
Cette lance et la honte des Aleks doivent rester dans les ténèbres
et l'oubli.
Je
fuis cette salle et la honte des Aleks. Mais, dans la salle suivante,
je me sens comme oppressé par une force invisible. Je sens une
présence. Je la cherche du regard et finis par percevoir une forme,
comme des vibrations dans l'ombre. Cette silhouette est longue, fine
et élancée. Je devine un long cou au bout duquel me scrute des
petits yeux perçant enfoncés dans une tête étroite munie d'un
long bec. Dans le dos de cet être, je distingue la forme de ce qui
semble être une paire d'ailes. Un éclat de lumière. Cet être
semi-visible est armé d'une épée à trois lames. Je me rappelle
des légendes et des contes au sujet d'êtres ailés qui n'étaient
pas nos ancêtres draconiques. Ceux-ci sont-ils les gardiens de ces
pyramides ? Dans les légendes, ces êtres sont doux et
pacifiques. Là, il demeure immobile, seul l'éclat de son arme dans
l'obscurité esquisse quelques mouvements. Je n'attends pas qu'il
m'attaque et m'enfonce rapidement dans un nouveau couloir. Je ne fuis
pas, non ! Je suis en quête de nouveaux secrets.
Au
bout d'un moment, je ralentis ma course et constate que je ne suis
pas suivi. En réalité, j'en viens à me demander s'il s'agissait
vraiment d'un être vivant. Peut-être ne s'agissait-il que d'une
sorte de phénomène optique destiné à effrayer les importuns ?
Force m'est de constater que c'est efficace. Je reprends mon souffle
et mon errance dans ces sombres couloirs. Je n'ai aucune idée quant
à savoir si j'ai gravi quelques étages ou non. Mes questions
cessent dès que j'entre dans cette nouvelle salle. Là, sur un socle
renversé, se trouve un arc. Mais ce n'est pas un simple arc. Il
s'agit là véritablement d'une relique d'une grande importance. Ou,
en tout cas, elle pourrait bien m'apporter sinon la gloire la
richesse puisque sertie de nombreuses pierres précieuses. Je me
faufile entre les décombres mais me fige dès que j'entends un
sifflement. J'esquive de justesse une imposante lame jaillisant du
sol. Celle-ci alterne les vas-et-viens à un rythme effréné, me
rendant l'arc et ses joyaux inaccessibles. Je pourrais tenter ma
chance mais... ce serait dommage de perdre la vie si bêtement, non ?
Ce
bloc attire mon attention car, contrairement à tous les autres, il
ne semble pas avoir été renversé. Non, il a bien été déposé là
volontairement. Je m'approche et sens un mince filet d'air. Ce bloc
est là pour masquer une issue. Nécessairement celle que je
recherche...
Je
regarde autour de moi à la recherche de quoi que ce soit qui
pourrait me servir de levier. Oh, il bien cette barre de fer oui,
mais elle est coincée sous un reste de colonne. J'ai beau tirer mais
rien ne se passe. Enfin si, quelque chose se passe...
J'entends
comme un roulement de tonnerre sous mes pieds. Je ne comprends pas
tout de suite mais la pyramide s'écroule et, contre ce qui me semble
la plus élémentaire logique, c'est le sol qui commence à
s'écrouler. Et bientôt, c'est le sol sur lequel je repose qui
commence à s'effondrer alors même que les tremblements font se
lézarder les murs autour de moi. Puis, le plafond...
Je
tente, dans une course désespérée de battre l”effondrement de
vitesse et je saute sur les divers blocs qui s'écroulent autour de
moi. Mais cette course était perdue d'avance, n'est-ce pas?
Peut-être,
un jour, dans quelques mois, quelques années ou quelques siècles,
un homme-serpent traversera de nouveau le désert de verre. Là, il
verra cette multitude de pyramides inversées et retenues par un
entrelacs de racines de pierre. Mais il en verra aussi une à terre,
détruite. Et peut-être qu'entre deux blocs il trouvera le squelette
aux os blanchis de celui qui fut, peut-être, son ancêtre...
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