CRASSE & MILLEVAUX
II /
S’ÉCHAPPER DES FAUBOURGS
La Nuit Noire !
Caspar le WereWorld m'a envoyé dans la Nuit Noire., le monde dont il
est le garou. Je n'y vois... rien !
Je suis aveugle !
Je suis les Étoiles !
L'ombre d'Antéros et de
l'Entropie obscurcit mon ciel !
La lumière des Yeux et
du Joueur me guide la nuit !
Les Yeux, dîtes-moi où
je suis.
Cet endroit a tout du
repaire d'une personne extrêmement antipathique. Pourtant, c'est la
sortie, l’ÉCHAPPATOIRE. La seule issue pour quitter le
monde-garou. Les Yeux me disent que du lierre court le long des murs
et qu'une pluie noire frappe l'unique fenêtre. Et cette fenêtre
donne sur un tas d'ordures, un tas de merde. Ça me rappelle mon
studio avec vue sur la Zona mais là, il y a deux portes. L'une mène
vers le vrai monde. Mais il est trop tôt pour pouvoir l'ouvrir.
Avant, me disent les Yeux, je vais devoir accomplir un rituel.
Ensuite, je pourrais revenir à l'ECHAPPATOIRE et m'enfuir. Mais pour
ça, je vais devoir emprunter l'autre porte.
De l'autre côté, c'est
la MORT. Et la mort a les traits de Yezod, la Fondation, une
émanation d'Antéros. C'est un quartier répugnant et malade. Les
trottoirs et les murs sont couverts de croûtes et de lacérations.
Les affiches publicitaires sont lamentables et mettent en scène une
population d'être difformes aux membres grêles et tordus. Ce monde
est tordu, torturé par l'Entropie. Je ne la vois pas mais je la
sens. La Pluie Noire. Par moment, je butte sur des racines qui
transpercent le bitume et je comprends que les racines millevaliennes
s'efforcent elles aussi de tordre et contraindre ce petit univers,
Caspar. Là, je me dis qu'il doit bien souffrir. Il est probable que
le monde dont il est le garou n'a pas toujours était la proie
d'Antéros, Millevaux et l'Entropie. Mais quand les Yeux me décrivent
les visages des êtres torturés qui ornent les panneaux
publicitaires, je comprends que Caspar aime ça. Il aime cette
torture. Il aime voir son monde s'écrouler sur lui-même. Il aime
souffrir. Il aime obéir aux ordres de Yezod et Antéros. Il aime sa
soumission à L'Entropie.
Et là, je comprends que
je vais mourir. Je lève les Yeux vers le Joueur et espère qu'il va
pouvoir me sortir de là. En effet, tout cela n'est qu'un jeu et
chaque jeu a ses règles. Et là, les règles veulent que je meurs,
non ? Pas forcément...
Je me rappelle la Reine.
Je l'aime, je crois. J'ai peur qu'elle ne m'aime pas. Je sais qu'elle
ne m'aime pas. Elle ne me déteste pas mais... elle ne m'aime pas.
Pas comme... Bref ! C'est le moment d'accepter en toute humilité
que je ne suis pas grand chose finalement, à peine un personnage de
fiction. Et même pour un autre personnage de fiction, je ne suis pas
grand chose. Pour autant, nous avons partagé de bons moments elle et
moi. Des moments cools, sincèrement cools, ouais ! Ça, je m'en
rappelle et même la Mort, même Yezod ne pourra l'effacer, hein ?
Je me concentre sur ces images emplies de ma Reine et de Lumière et
espère que la Mort va m'épargner. J'attends le prix. Car il y a un
prix, hein ?
Et ce prix, je dois
l'accepter si je veux vivre. Alors j'accepte que tout ça c'est du
flan. Que ces souvenirs, mes souvenirs, ne sont qu'une réécriture
du réel, de l'histoire, afin de contempler dans la glace le visage
d'un mec bien, d'un mec qui est « au-dessus de ça », un
mec modeste qui se contente de peu, un mec sincère. Mais tirer
fierté de son humilité, c'est pas un peu abusé ? Et est-ce
vraiment de l'humilité que d'accepter le constat qu'on a pas ce
qu'on veut et qu'on l'aura jamais. Y a eu des bons moments avec la
Reine, ouais, mais... Je dois accepter que leur sens véritable n'est
pas celui que j'aimerais. Il n'y a là aucune preuve que je suis un
mec bien. Ce sont juste des moments sympas en compagnie d'une nana
que, finalement, je ne connais pas, qui ne me connaît pas et que,
pourtant, je vais devoir tirer des pattes d'un Cafard géant si
j'arrive à sortir de Caspar !
Alors, est-ce que ça
suffit à sauver ma peau pour cette fois ? On dirait...
Je suis... Je suis...
J'ai une queue de cheval. Je ricane sans cesse. On me trouve
antipathique et intimidant. Je suis prêt à tout pour protéger mes
secrets. Et il y a quelqu'un ici qui menace mes secrets. Il ne doit
pas quitter ces Faubourgs. Il n'emportera pas mes secrets.
J'erre en ces lieux
qu'on nomme la Geôle. Ils sont à l'image de Yezod. Les os tordus
qui en constituent les colonnes sont battues par la Pluie Noire et
parcourus, enchaînés et contraints par les racines et les lierres
de Millevaux. C'est pourtant là qu'on trouve l'Embaumeur, celui qui
sait faire de ta chair un COSTUME DE POUVOIR. L'autre, les Étoiles
qui menacent mes secrets, va certainement vouloir un tel costume. Il
va certainement vouloir rencontrer l'Embaumeur. Je dois l'empêcher !
Alors, j'use de mes propres pouvoirs pour confiner ce quartier. Tel
sont mes pouvoirs. Les os tordus de Yezod sont aussi fait pour être
tordus et pliés. Et il aime ça le bougre. Il aime torturé et être
torturé. Il aime souffrir autant que faire souffrir. Alors, je
contrains ses os à former un barrage infranchissable. Jamais les
Étoiles n'accéderont à la Geôle !
Non, pas sûr que cela
suffise à sauver ma peau finalement. Je tombe. Je ne vois rien mais
je sens que je tombe. J'atterris dans de la boue. Mais c'est une boue
vivante. Je la sens palpiter. Je sens aussi des ossements. Des os
humains. Et non humains. Je me retrouve avec entre les mains un crâne
aux dimensions étranges. Ce truc possédait une mâchoire allongée
et des cornes. Je tâtonne encore, à quatre pattes dans ce que je
devine être une sorte de fosse commune. Il y a un cadavre plus
récent. Je palpe son visage et crois le reconnaître. Ce crâne
chauve ne m'est pas inconnu. Je la reconnais. C'est une des filles
qui bossent dans mon quartier. Elle est sympa. Elle a une tête
bizarre. C'est parce qu'elle se rase le crâne. Ça lui donne un côté
punk mais fragile aussi. Je l'aime bien. Je la connais pas. On a
jamais vraiment parlé, juste échangé des banalités, mais je
l'aime bien. Elle se fait appeler Précieuse. C'est bien trouvé. Que
fait-elle là ? Est-elle vraiment morte ? Elle ouvre les
Yeux. Puis-je la sauver ?
Je suis les Étoiles !
Ici et maintenant, je
sers Précieuse contre mon cœur pour lui donner une étincelle !
Je suis les Étoiles !
Les Yeux, dîtes-moi...
Les Yeux savent que
c'est injuste mais, pour sauver Précieuse, je dois la tuer dans son
sommeil. Les Yeux me tendent cette rapière. Je la dissimule dans mon
dos et, toujours dans la boue, je berce Précieuse pour qu'elle
s'endorme. Puis, alors qu'elle a de nouveau fermer les Yeux, je lève
l'arme au-dessus de son cœur. Et alors qu'un Cœlacanthe de trois
mètres de long glisse vers moi, dévorant tout sur son passage,
j'enfonce la pointe de la rapière dans le cœur de Précieuse et les
Yeux s'ouvrent de nouveau sur ce quartier de MORT.
LA LUMIÈRE ENFERME ET
L'OBSCURITÉ LIBÈRE, est-ce là le sens de ma cécité ?
Dois-je accepter la Nuit Noire. Dois-je accepter de m'en remettre aux
Yeux pour sortir d'ici ? Je dois trouver l'endroit où accomplir
ce rituel.
Je suis les Étoiles !
Ici et maintenant, je
m'en remets aux Yeux pour savoir où accomplir le rituel !
Je suis les Étoiles !
Et les Yeux me parlent.
Ils vont me dire où me rendre mais avant je dois accepter d'être le
vassal de la douleur. Je dois me soumettre et accepte d'offrir ma
souffrance à Yezod. Les mots sont mes alliés. Les maux sont mes
alliés ? Les Yeux sont des salauds ! Et quelle forme va
prendre cette douleur. Un archer répondent les Yeux. Et il est déjà
là, devant moi. Il pointe son arc dans ma direction et je ne dois
pas tressaillir, pas bouger, accepter. Et lui, pourquoi fait-il ça ?
Pour trouver le bonheur me disent les Yeux. L'image de
Saint-Sébastien s'imprime dans mon cerveau. Je retiens mon souffle
et attends. Ça pique ! Le COSTUME DE POUVOIR ! C'est là
que je dois me rendre. Pour ça, je dois trouver le PASSAGE. Mais où
est-il ? Et à quoi ressemble-t-il ? Les Yeux me décrivent
une grotte qu'ils qualifient de stellaire. Je ne comprends pas ce que
ça veut dire. Mais Stellaire... ce sont les étoiles. Et les
Étoiles, c'est moi. Cette grotte, ce serait moi ? Ou alors,
elle serait en moi ? Le PASSAGE serait en moi, je pourrais y
accéder de moi-même ? L'espace d'un instant, j'envisage la
structure fractale de Caspar. Le WereWorld est un monde dans un homme
qui est dans un monde. Et dans ce monde à l'intérieur d'un monde
dans un homme qui est dans un monde, il y a moi, un homme, avec
dedans... un PASSAGE, vers où ?
L'autre va venir. Je le
sais. Je dois l'empêcher de rencontrer l'Embaumeur. Je vais leur
montrer à tous ! Ma puissance et la puissance de Yezod !
Je m'offre à la Pluie Noire ! Je m'offre à la Nuit Noire !
J'offre ma souffrance à Yezod ! Je tords mes os en l'honneur
d'Antéros jusqu'à ce que mes membres déformés projettent l'ombre
d'un être difforme et monstrueux. Cette ombre voûtée aux longs
bras et aux longues jambes finissant par des griffes acérées se
détachent de moi et prend sa place dans la Nuit Noire. Là, elle
attend. Elle attend les Étoiles et les déchirera. Elle offrira
cette souffrance à Yezod et Antéros. J'en ris d'avance. Et
maintenant, je rejoins le PASSAGE. Dans un ricanement, je me fond
dans l'ombre. J'observe les Étoiles se jeter dans la gueule du loup.
Si les Étoiles
survivent, il y a fort à parier qu'elles se rendront dans LE PLAN
DANS UNE TETE. Mais qu'est-ce qui se cache sous ce chapiteau froid et
humide ? Quelle parade monstrueuse s'y terre ? Quand le
vent souffle, on dirait les voiles d'un vieux galions. Ceux qui
habitent là sont-ils des pirates ? Cachent-ils un trésor ?
Sont-ils au service ou se cachent-ils d'Antéros ? Je dois
penser à tout si je veux préserver mes secrets.
Et du COSTUME DE
POUVOIR, une ombre tordue rampe jusqu'à LA LUMIÈRE ENFERME ET
L'OBSCURITÉ QUI LIBÈRE.
De ma grotte stellaire,
du PASSAGE, les yeux me guident jusqu'au lieu du rituel. Là, dans LE
COSTUME DU POUVOIR, l'Embaumeur va m'aider. J'espère...
Je ricane, je ricane
mais... Ma créature a déserté LE COSTUME DE POUVOIR. Pourquoi ?
Quelle trahison ! Qu'à cela ne tienne, j'en créerai une autre,
plus grande, plus forte, plus docile. Pour cela, je sculpte les
ombres avec précision. Je dessine un être courbé recouvert de
plumes. Je le fais disposé à m'aider. Une aura semble émaner de
lui. Je répands sur lui la malédiction de Millevaux. Il sera mon
acolyte, mon garde du corps, envahi de mauvaise herbe. Les plumes et
l'herbe. La faune et la flore... à mon service...
Et maintenant, voles !
Voles vers les Étoiles ! Voles vers le COSTUME DE POUVOIR !
Que se passe-t-il ?
Je parlais avec les Yeux et se dessinait l'ébauche d'UN PLAN DANS
UNE TETE. Ma tête ? Les Yeux parlent toujours mais le Plan a
disparu. Ou plutôt, je ne le vois plus. Je ne le sens plus. Quelque
chose fait... obstacle.
ROHUM m'a dit où
trouver l'Embaumeur. Il m'a dit qu'il m'aiderait pour le rituel.
Mais, le PLAN DANS UNE TETE, je ne l'ai plus. Ou plutôt, il est là
mais je n'y ai plus accès. Qui l'a bloqué ?
Les Yeux me guident vers
l'Embaumeur et le COSTUME DE POUVOIR qui me permettra de rentrer chez
moi. Une fois le rituel accompli, je devrai foncer jusqu'à
l'ECHAPPATOIRE en espérant qu'aucune galère ne me tombe encore
dessus. Sur un plan purement statistique, c'est possible.
Mais, alors que
j'approche de l'antre de l'Embaumeur, je sens la température monter
de plus en plus malgré la Nuit Noire et la Pluie Noire. Et pourtant,
le vent souffle. Un véritable cyclone. N'y voyant rien, je ne sais
pas l'origine de cette météo paradoxale mais plus j'avance, plus
j'ai l'impression de danser au bord d'un volcan.
Puis, les Yeux
m'indiquent que je viens d'arriver à une espèce de campement, dans
un squat pourri. Ils me décrivent un feu de camp, un sac à dos et
un tas de couvertures. Il y a des boites de conserves vides par
terre. Il fait toujours chaud mais moins que dehors. Est-ce la
planque de l'Embaumeur ? Oui, mais il n'est pas là. Le COSTUME
DE POUVOIR est là lui par contre. Un gros scaphandre de terre et de
bois. Je passe ma main dessus et sens les symboles gravés dessus. Je
reconnais des symboles alchimiques. Je reconnais aussi certaines des
runes utilisées par Corso. Il y a d'autres symboles aussi que je ne
connais pas. Cet artefact est un melting-pot, pour ne pas dire un
pot-pourri, de toutes les magies connues et inconnues. Et de truc est
sensé me ramené chez moi.
Je découvre une
ouverture dans le dos. Je pourrais m'y faufiler. Mais j'ai
l'impression que ce ne doit pas se passer comme ça. Déjà, je ne
peux pas voler ceci à l'Embaumeur. Ce ne serait pas correct. Et
puis, pour le rituel, les Yeux vont me demander quelque chose, hein ?
Ce monde-garou est rongé par Yezod, la souffrance. Aussi, vais-je
encore offrir un peu de souffrance à ce monde pour pouvoir m'en
aller. Alors, les Yeux, que voulez-vous ?
« Repartir à
zéro ! »
Quoi ? Je ne
comprends pas. Qu'est-ce que ça veut dire, repartir à zéro ?
C'est quoi, zéro ? C'est où ? À mon arrivée dans ce
monde ? Au début de cette affaire à la con ? Quand Black
Rain m'a demandé de ramener la reine aux Soars ? Avant ? À
la création de l'univers ? À la mort de l'Hommonde ?
C'est quand zéro ? C'est où ? Zéro, c'est rien !
C'est le néant ! C'est zéro. Zéro, c'est pas le début. Le
début, c'est un. Zéro, c''est juste avant. Alors les yeux, vous
voulez retourner au néant ? Avant le début, avant de naître...
Vous voulez mourir avant d'être nés ? Pour renaître ? Ou
ne pas naître ? Naître ou ne pas naître, telle est la
question ?
Les Yeux sont nés quand
je suis arrivé dans ce monde. Avant, c'est ce quai de métro où
Caspar s'est transformé pour m'aspirer ici. Alors, c'est là que je
dois retourner. Dans le métro. L'ECHAPPATOIRE, c'est le métro !
OK, j'enfile cette armure bizarre et je fonce. Et tant pis pour
l'Embaumeur.
Une fois dans l'armure,
je sens des racines et de fines tiges s'enrouler autour de moi et
s'insérer dans ma bouche, mes narines et sous mes ongles. Ça fait
mal. L'ultime cadeau de et à Yezod. Sans même avoir l'impression de
me déplacer, je me retrouve dans la grotte stellaire de mon PASSAGE.
Et de là, je rejoins l’ÉCHAPPATOIRE.
Fenêtre avec vue sur un
tas de merde, deux portes. Je vais rentrer chez moi.
Je suis les Étoiles !
Ici et maintenant, pour
briller malgré l'obscurité !
Ici et maintenant, pour
rentrer chez moi, je dis adieu aux Yeux !
Je suis les Étoiles !
L'espace d'un instant,
je suis dans une pièce aux murs blancs. Il y a peu de meubles, des
livres sur des étagères blanches elles aussi. Une porte est
ouverte. Je vois un homme, de dos, en train de taper quelque chose
sur son ordinateur. Je n'ai pas le temps de faire un pas dans sa
direction que tout change autour de moi. Mais, dans un coin de mon
champ de vision, je vois. Je ne suis pas seul à fuir le monde-garou.
Une ombre tordue faite de plumes et d'herbes. Elle se faufile dans
les interstices que j'emprunte moi-même entre les mondes. Elle me
suit. Merde !
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