BLACK STAR RISE /
MANSION ON THE HILL
Ce solo a été joué avec Black Star Rise, Arkham Noir, Muses & Oracles, Imagia, le jeu de cartes des Folies de l'Appel de Chtulhu, le Solo Investigator Handbook, Lovecraftesque, Bois-Saule, les Vertiges Logiques et 1000 Years Old Vampire.
Damon Haze, 40 ans, est reporter pour la gazette locale. Lewis
Hatecroft, 44 ans, travaille à la bibliothèque. Le 1er est
connu pour ses papiers à la plume parfois assassine. Le 2nd,
personne ne le sait, collectionne les ouvrages rares sur les sujets
les plus variés et le plus ésotériques. Haze a déjà dû faire
face aux conséquences de ses actes littéraires. Aussi, par
précaution, il laisse toujours une copie de ses notes à Dick
Hive, un détective privé. Il a aussi mené une enquête sur
Hatecroft et, ayant découvert son secret, a finalement choisi de ne
rien en dire. Ils sont même devenu amis et passent de longs moments
à discuter littératures, occultes ou non. Hatecroft a d'autres
amis, plus étranges. Ainsi, Angel Corso, qu'il n'a jamais
rencontré et ne rencontrera peut-être jamais, lui a fait don de son
exemplaire du Peuple du Monolithe.
Sturkeyville, 23 juillet 1937. un vieil homme est mort, personne ne
sait comment. C'était une figure du coin, même si on le ne voyait
plus beaucoup. Il vivait seul dans le manoir au sommet de la colline.
La rumeur dit qu'il possédait une collection de créatures étranges
conservées dans des bocaux. Il n'en faut pas plus de ces deux
mystères pour éveiller la curiosité de Haze et Hatecroft.
En
effet, Lewis reconnaît être des plus intéressé par cette histoire
de monstre en bocal. Et Damon est très curieux de savoir pourquoi le
cabinet d'architecte de Daniel Upton tient tant à acquérir
le manoir. On parla peu de littérature cet après-midi. On tenta
plutôt d'échafauder un plan pour s'introduire dans le manoir du
vieux Fieldfire.
Le
vieux vivait seul. Il n'y a donc à priori personne au manoir. Cela
ne devrait donc pas être un problème de s'introduire à
l'intérieur, surtout s'il fait nuit. En plus, le manoir est isolé.
Damon et Lewis sont donc plutôt confiants dans leur entreprise et
curieux de ce qu'ils vont bien pouvoir découvrir. Haze rêve déjà
d'un article à sensation, Hatecroft d'une nouvelle pièce à sa
collection.
C'est
donc dans la nuit du 28 juillet que les deux amis décident de se
rendre au sommet de la colline. Les nuages cachent la lune et ils n'y
voient pas grand chose. Mais pour autant, il fait plutôt bon cette
nuit. Ni l'un ni l'autre ne sont des professionnels de la cambriole,
mais Haze parvient à forcer la serrure sans trop de difficultés.
Toutefois,
à peine après avoir mis un pied dans le couloir, ils se figent. Il
y a du bruit à l'étage. Des voix ! Quelqu'un est déjà là.
Lewis reconnaît la voix de... Randolf Carter !
L'écrivain est connu pour passer parfois ses vacances à
Sturkeyville. Il y a aussi écrit certains des ses ouvrages. Mais que
fait-il ici ? Et à qui parle-t-il ? Damon fait signe à
Lewis de se taire et de ne pas bouger. Il commence à grimper les
premières marches de l'escalier mais celles-ci se mettent à
grincer. Les voix s'arrêtent aussitôt. Que faire ? Rester là
et faire face à une situation gênante, voire dangereuse, ou
s'enfuir aussi vite que possible ?
N'écoutant
que son courage... et la prudence (ils ne sont pas armés) Damon
dévale les escaliers et entraîne Lewis avec lui à l'extérieur.
Ils courent sans s'arrêter jusqu'au véhicule de Damon, garé un peu
plus à l'abri des regards. Lewis est très déçu de la tournure des
événements mais comprend la réaction de Damon. En effet,
qu'auraient-ils pu faire si Carter et son camarade avaient été
armés ? Toutefois, Damon voit le côté positif de la chose.
Ils auront au moins appris qu'il n'y a pas qu'Upton qui s'intéresse
au Manoir, Carter aussi. Et si eux l'ont reconnu, lui par contre n'a
normalement aucune idée de leur identité, ce qui est un avantage
non négligeable.
29
juillet :
Pas
la peine d'attendre. Haze n'a dormi que quelques heures mais il se
sent bien. Que faisait Randolf Carter dans ce vieux manoir en pleine
nuit ? Et avec qui parlait-il ? C'est cela qu'il veut
découvrir. Carter est un écrivain. Aussi, nul doute qu'il a dû
coucher par écrit tout ou partie de ses projet concernant le manoir.
C'est une personnalité à Sturkeyville. Tout le monde respecte sa
tranquillité mais tout le monde le connaît et sait où il loge
quand il vient dans cette petite ville. Et Haze le sait aussi. C'est
pourquoi, il a tout simplement décidé de se mettre en planque et
d'attendre le bon moment pour s'introduire chez l'écrivain.
Haze
prend ses positions en fin de matinée. Il espère que Carter sortira
déjeuner au restaurant, bénéficiant ainsi d'une heure et demie à
deux heures pour trouver quelque chose d'intéressant. Pas de chance,
il déjeune chez lui. Mais, il sort pour une promenade digestive en
début d'après-midi. Haze espère juste qu'il ne rentrera pas trop
tôt.
Dans
la rue, la vie suit son cours sans que personne ne lui prête
spécialement attention. Une fois devant la porte ; la serrure
s'avère plus difficile à forcer que celle du manoir. Toutefois, il
parvient quand même à faire les choses proprement. Carter ne
devrait se rendre compte de rien.
À
l'intérieur, il n'y a pas un bruit. Haze cherche le bureau de
l'écrivain mais quelque chose attire son attention dans le salon. Il
y a là des bougies disposées à divers endroits le long d'un cercle
tracé au sol. Les diverses lignes à l'intérieur du cercle forment
un labyrinthe compliqué auquel semble répondre une peinture au
plafond représentant un ciel étoilé. Quelque chose ne va pas dans
cette représentation du ciel. Haze n'est pas astronome mais il a
passé assez de temps à observer les étoiles pour savoir qu'elles
ne sont pas placées au bon endroit. Il y a des constellations qu'il
ne reconnaît pas. Et, soudain, une tristesse aussi infinie et
insondable que l'espace s'empare de lui. Il se sent attiré par le
centre de ce cercle mais quelque chose le retient et le fait
finalement fuir cette pièce. Mais, avant de littéralement s'enfuir,
il remarque un vieux carnet. L'espace d'un instant, il envisage de le
voler mais préfère se limiter à en lire quelques passages.
« On
m'appelle désormais le Boucher. Je ne sais déjà plus qui j'étais
avant. Avant ? Avant quoi ? Avant que ce Horla ne fasse de
moi sa proie, puis son fils. Il m'a à moitié dévoré mais ne m'a
pas tué. À la place, il m'a fait ce qu'il estime être un cadeau
mais qui est une malédiction. Maintenant, moi aussi je dois tuer
pour me nourrir. Et, est-ce à cause de cette nouvelle nature qui est
la mienne, j'ai l'impression que mes souvenirs filent plus vite que
le vent. Quel incroyable paradoxe alors même que je suis maintenant
quasiment immortel.
Plus
que jamais, je veux me rappeler. Je veux me souvenir, ne pas oublier.
C'est pur ça que je commence à écrire. Ce carnet et ceux qui le
suivront seront ma mémoire. Ils seront ma tête quand je la perdrai.
Mais je peux échapper à l'oubli. Pour cela, il suffit d'échapper à
Millevaux. Plus facile à dire qu'à faire. Comment quitter cette
forêt maudite. Comment fausser compagnie à Shub-Niggurath ?
C'est un rêve insensé ! Aussi, c'est par le rêve que je
m’enfuirai. J'ai fait la connaissance d'un serviteur de
Shub-Niggurath. Il s'appelle NoAnde et est un ancien shaman du clan
des Arbres. Il connaît les chemins secrets du rêve qui relient les
mondes. Il a accepté de m'aider. Il a ses propres buts, il ne fait
pas ça pour m'aider mais peu importe. Grâce à lui, je suis entrer
en contact avec un rêveur d'un autre monde. Il s'appelle Randolf
Carter et il va faire ce que je lui dis pour me permettre de quitter
Millevaux et le rejoindre dans son monde.
Je
sais maintenant pourquoi NoAnde a accepté de m'aider. Il voit dans
ma fuite le moyen d'ouvrir un passage vers un autre monde à offrir à
Shub-Niggurath. Il se servait de moi encore plus que je ne
l'imaginais. Mais je ne laisserai pas cette forêt me rattraper.
Aussi, quand est venue la faim, c'est NoAnde qui l'a apaisée.
Maintenant, son sang coule dans mes veines. Je fuirai Millevaux mais
la forêt ne me suivra pas. Elle n'infectera pas le monde de Randolf
Carter. »
Haze
n'en revient pas de ce qu'il vient de lire. Il hésite à en lire
plus, à dérober le carnet mais le temps passe et il ne veut pas que
Carter se doute de quoi que ce soit. Aussi, il le repose
soigneusement là où il l'a pris en se promettant de revenir dès
que possible. Mais en attendant, il doit filer avant que l'écrivain
ne rentre et le surprenne. Il doit aussi raconter tout ça à
Hatecroft. Que va en penser le bibliothécaire ? Est-ce que le
vieux possédait quelque chose dont Carter aurait besoin pour aider
cette créature d'un autre monde à rejoindre le notre ? Est-ce
que toute cette installation dans le salon doit servir de passage ?
29
juillet, en fin d'après-midi :
Lewis
Hatecroft écoutait avec attention le récit de Haze et n'en revenait
pas que son ami ne l'a pas appelé pour cette aventure. Il aurait
voulu voir tout ça de ses propres yeux. D'autant plus que certaines
des choses mentionnées lui rappelaient ses lectures occultes. Il
allait devoir passer du temps dans sa bibliothèque, une bonne partie
de la nuit voire un peu plus.
Il
remercia Haze pour toutes ses informations et il le remercia
également d'être passé mais il avait présentement du travail et
il lui promis de le tenir informé dès qu'il aurait du nouveau.
Sitôt Haze dehors, il s'empara du Peuple du Monolithe.
Effectivement, certains poèmes parlaient bien de Millevaux, nommée
aussi le Titan-Millevaux ou encore la Forêt Verticale. Il s'agissait
là d'une création autant que du domaine ou même d'un avatar de
Shub-Niggurath, une divinité du fond des âges et du cosmos que l'on
pourrait assimiler à l'élément-Terre. Mais était-il possible d'en
apprendre un peu plus ? Et surtout, quel dangers planent
désormais sur eux, sur Sturkeyville, voire sur le monde ? En
effet, que cette créature, ce Horla, ait ou non tuer ce NoAnde, il
n'empêche que totue ouverture de passage entre les deux mondes
permettra à Millevaux de s'introduire dans le notre. Et cela, il
faut à tout prix l'empêcher.
Ce
Horla, le Boucher comme on semble l'appeler, est en contact avec
Carter et a besoin de lui pour ouvrir ce passage. Aussi, peut-être
qu'il suffirait de réussir à convaincre Carter de renoncer à son
projet. Mais se laissera-t-il convaincre ? Acceptera-t-il
seulement d'écouter la voix de la raison ? Que lui a promis ce
Horla en échange de son aide ? Comment a-t-il pu faire
confiance à une chose vue dans un rêve et qui se fait appeler le
Boucher ?
Hatecroft
continuait à lire, à chercher des informations sur Millevaux, les
Horlas et Shub-Niggurath quand l'horloge sonna minuit. Il sentait la
fatigue s'abattre sur ses épaules mais ne voulait pas aller se
coucher avant d'avoir trouver quelque chose de vraiment significatif
à rapporter à Haze. Et pourtant, il dut s'assoupir car il sentit
entre ses mains le Peuple du Monolithe, le livre, palpiter au rythme
d'un cœur qui bat. L'espace d'un instant, il eut l'impression que le
livre était vivant et cela le terrifia. Ses membres étaient figés.
Impossible de lâcher le livre. Les larmes coulaient abondamment sans
qu'il ne puisse les arrêter ni même sans vraiment savoir pourquoi
il pleurait. Et le livre était animé de pulsations aux rythmes
desquelles les mots semblaient s'animer tels d'horribles vers noirs.
Il voulait jeter l'ouvrage au loin, s'en débarrasser, le brûler
mais ne pouvait bouger. Et le visage de Carter lui apparut, flou à
cause des larmes. Malgré sa peur, malgré le dégoût inspiré par
le livre, il se sentait irrésistiblement attiré par l'écrivain,
par le rêveur. Et il l'entendit clairement s'exprimer ainsi :
« Ne
résistes pas, soumets-toi, répares l’injustice que tu as
commises, la colère du Morning Man provoquera des dégâts... »
Puis
le visage de Carter disparut. Et tout disparut. Le livre, la
bibliothèque... Tout ! Hatecroft se tenait maintenant au milieu
d'une forêt de sacs plastiques. Tout était immobile. Les sacs
étaient figés. Pourtant, on voyait bien qu'ils étaient agités par
le vent mais Hatecroft ne sentait pas ce vent et tout autour de lui
était figé. Oui, il y avait du vent. Et même un vent fort car les
sacs étaient quasiment à l'horizontal. Ils n'auraient pu se
retrouver ainsi sans le vent. Et pourtant, il ne sentait rien. Le
soleil se couchait. Ou plutôt, il n'en finissait pas de se coucher.
Ce n'était pas ces sacs en plastique qui étaient figés, c'était
le temps. Et lui, Hatecroft, pouvait-il bouger ? Oui, mais au
prix d'un effort et d'une douleur considérable. Aussi, après avoir
seulement tenté de lever le bras, il renonça. Pire, il haletait car
il avait senti son os se briser. Et son cœur s'emballait... au
rythme des battements de cœur du Peuple du Monolithe ? Et il
ressentit alors une faim de loup. Simple conséquence de sa
blessure ? Non, c'était autre chose. Une autre faim. Une faim
de quoi ? Pas seulement de nourriture. Il ne pouvait tourner la
tête sans risquer de se briser le cou mais il parvint à faire
rouler ses yeux et voir ses mains se recouvrir d'écorces d'arbres.
Il sentait son cœur battre. Et il sentait aussi que, dans ses
veines, son sang cédait la place à autre chose. De la sève. Et il
vit quelque chose bouger à la périphérie de son champ de vision.
Une silhouette approchait. Et il sut qu'il s'agissait du Boucher. Son
visage était horrible, à cause des profondes cicatrices qui le
défiguraient. Mais ce n'étaient pas de simples cicatrices. C'était
des symboles. Il reconnut certains des signes qu'il avait vu
reproduits dans les ouvrages de sa collection. Le Boucher était
marqué du Signe des Anciens. Mais aussi des symboles typiques des
adorateurs de Shub-Niggurath et du Dieu-Insecte. D'autres formaient
des entrelacs dont il supposait qu'il s'agissait de pentacles
rituels, des sortilèges peut-être. Et il se pencha pour lui
chuchoter à l'oreille.
« Le
Non-Sens Électronique... Comment la retrouver ? »
Puis
Hatecroft se retrouva de nouveau chez lui.
Et
la pièce fut envahie par une nuée d'insectes.
À
son grand soulagement, tout cela n'avait été qu'une sorte de rêve
éveillé mais, son bras était bel et bien brisé.
31
juillet :
Haze
était très fier du papier qu'il a écrit à propos de Carter.
L'écrivain est une figure appréciée à Sturkeyville et il s'est
fait fort de d'égratigner son image de marque en racontant avoir
appris d'une « source sûre » et tenant à rester anonyme
que Carter s'était rendu de nuit dans le manoir sur la colline.
L'article mentionnait également ses relations avec la « pègre ».
Ainsi, faisait-il allusion au « Boucher ».
C'était
donc le sourire aux lèvres qu'il se rendit chez Hatecroft, convaincu
que suite à l'article qui était paru le matin même, Carter allait
forcément être obligé de réagir et de se dévoiler. Mais son
sourire s'effaça devant la mine du bibliothécaire. Ce dernier avait
le bras en écharpe et les traits plus que tirés. Il lui offrit
néanmoins d'entrer. Il avait des choses à lui dire.
Et
Haze tomba des nues en apprenant ce qui s'était passé. Cette forêt
maudite existait donc. Et ce Boucher aussi. Et on en avait maintenant
une description. Et tous ces délires mystiques prenaient une
dimension beaucoup plus concrète dès lors qu'on voyait l'état du
bras d'Hatecroft. Haze était un esprit rationnel mais il avait aussi
toute confiance en son ami. Celui-ci ne lui mentirait pas. Il ne lui
raconterait pas de telles histoires s'il n'en était pas convaincu.
Shub-Niggurath,
Millevaux, le Dieu-Insecte et le Boucher... Et Carter qui semble
travailler à ouvrir un passage entre nos deux mondes... Et le vieux
dans tout ça ? Qu'est-ce qu'il avait dont Carter a besoin pour
son projet ? Ça, ils vont peut-être bientôt le savoir. En
effet, Haze sait par expérience que ses articles sont pris au
sérieux par la police. Aussi, même si Carter est une personnalité,
il sera forcément convoqué au commissariat pour répondre à
quelques questions. Il faudra donc en profiter pour se rendre de
nouveau chez lui. Et Haze a placé un indicateur devant chez
l'écrivain pour être informé du moment où il se rendra à ladite
convocation qui ne manquera pas de tomber. En attendant cela,
Hatecroft reprend du poil de la bête.
En
sortant de chez Hatecroft, Haze se hâta de rejoindre son indicateur
qui lui affirma que Carter était sorti de chez lui précipitamment.
Il ajouta même que ce dernier avait l'air inquiet. Haze le remercia
et fit le tour de la maison pour forcer la porte de derrière.
L'intérieur
baignait dans la lumière agréable de l'été. Pour un peu, Haze se
serait servi un verre. Mais il avait d'autres projets en tête. Il
retourna dans le salon et chercha le vieux journal. Mais celui-ci
n'était plus là. Carter avait dû le ranger quelque part, mais où ?
Il y avait un placard dont la porte était fermée à clé. C'était
idiot. Il y avait de grandes chances que ce soit là, dans cette
pièce qui devait servir de rituel afin de communiquer avec le
Boucher, que se trouve le journal. Pour autant, cela n'aurait pas été
très prudent ni très malin de forcer cette porte. Mais après tout,
n'avait-il pas déjà forcé la porte de derrière ?
Cette
serrure ne présentait pas beaucoup plus de difficultés que l'autre
mais Haze fut interrompu par une voix à l'accent bizarre. Il se
retourna et se retrouva face à un homme d'une maigreur extrême. Il
avait les yeux d'un noir profond. Il était quasiment nu et ne
portait qu'une sorte de pagne. Tout le reste de son corps était
recouvert d'une sorte de peinture verte. L'homme riait. Il parlait
mais Haze ne comprenait pas la plupart des mots. Mais il en reconnut
certains malgré tout. Millevaux et Shub-Niggurath revenaient
plusieurs fois.
L'homme
était là, riant et délirant dans cette langue inconnue. Il ne
bougeait pas et Haze en arriva même à se demander s'il le voyait
vraiment. Puis, au delà-de cette maigreur, de ces yeux noirs et de
cette peinture verte, il reconnu Joe Mazurewicz, le voisin de Carter.
Mais que lui était-il arrivé ? Était-ce Carter qui avait fait
de lui cette épave ? Comment et pourquoi ? Était-ce lui
qui était avec carter l'autre nuit au manoir. Mazurewicz était-il
seulement en capacité de communiquer ? Haze tenta le coup.
Et
Mazurewicz reprit sa voix normale. Et il expliqua qu'il n'était pas
avec Carter cette nuit là. Oui, il avait bien conscience que Carter
lui avait fait quelque chose. Mais il n'était pas capable de dire
quoi. Il souffrait de cet état mais ne cherchait pas à fuir
l'influence de Carter car quelque chose, quelque part, l'enjoignait à
poursuivre ce qui lui apparaissait comme une quête dont il ne
saisissait ni les tenants ni les aboutissants. Oui, il allait se
passer quelque chose. Il se passait déjà quelque chose. Mais quoi ?
Joe Mazurewicz savait mais... il lui était impossible de le dire
autrement qu'en utilisant les mots de la Langue Putride. Or, c'est
mots étaient maudits. Et si Haze les entendait, il serait maudit lui
aussi.
Haze
profita de ce que Mazurewicz semblait avoir retrouver son calme et sa
raison pour s'esquiver. Il lui fit promettre de ne rien dire de sa
« visite » mais se doutait qu'il ne pourrait rien cacher
très longtemps à Carter. Plus que jamais, le temps lui était
compté.
31
juillet, chez Hatecroft
Après
le départ de son ami, Hatecroft ressentit le besoin de se reposer.
Il s'installer dans son fauteuil et chercha le sommeil. Il ne trouva
que des sombres pensées qui s'agitaient et cherchaient, finalement,
à s'assembler comme les pièces d'un puzzle qui prendrait enfin
sens. Il repensa à ce que lui avait dit cette chose scarifiée dans
son « Rêve ».
« Le
Non-Sens Électronique... Comment la retrouver ? »
Le
monstre aurait dû dire « Comment LE retrouver ? »
Mais comment trouver du non-sens ? Qu'est-ce d'ailleurs que le
non-sens ? Est-ce l'absence de sens ? Est-ce l'opposé d'un
« oui-sens » ? Hatecroft en était à se dire que le
véritable non-sens n'était pas l'absence de sens mais un sens que
l'on ne comprenait pas, soit parce qu'il nous manquait des éléments
à cette fin, soit parce que l'être humain n'était tout simplement
pas conçu pour accéder à la compréhension de tel ou tel
phénomène.
Alors,
ce monstre, ce Horla ?, avait semblait-il des problèmes de
mémoire. Était-ce sa mémoire qu'il cherchait ? Pensait-il que
retrouver ses souvenirs lui permettrait de mieux comprendre sa
situation, de faire sens ?
Hatecroft
tournait et retournait cette phrase dans sa tête. Elle l'obsédait.
Le Non-Sens Électronique... l’Électronique Non-Sens... l'E.
No-Sense... l'Innocence ! Était-ce possible que cela soit ça ?
L'innocence ! Il chercherait à retrouver son innocence ?
Sa nature d'être humain ? Peut-être pensait-il qu'il ne
laissera pas que cette forêt derrière lui mais également la
malédiction qui le frappe. Mais comment en avoir le cœur net ?
En retournant dans cette forêt, dans ce cauchemar.
Hatecroft
se dirigea vers un des rayonnages de sa bibliothèque ésotérique.
Il chercha et finit par trouve le grimoire dont il avait besoin. Là,
il y avait un sort permettant de voyager entre les mondes par le
biais du rêve. Il voulait se reposer, il allait rêver.
Il
lut et relut attentivement le texte du rituel. Il se mit en condition
et exécuta les mots en langues anciennes. Il fit aussi les gestes,
autant que son bras le lui permettait. Les bougies étaient allumées,
l'encens brûlait. Les symboles étaient tracés au sol et sur les
murs. Alors, il se rassit dans son fauteuil et attendit le sommeil et
le rêve.
Mais
autre chose se passa. Il ne dormit pas. Au contraire, il était
totalement éveillé quand de la terre émergea entre les lames du
parquet. Il vit des racines courir le long des plinthes et du lierre
grimper le long des murs. Par la fenêtre, il voyait les rues de
Sturkeyville. Mais, quand il regardait ses murs, il voyait une forêt
s'étendre. Et concrètement, elle s'étendait. Elle gagnait en
expansion. Hatecroft voyait son horizon défiler, se construire en
quelque sorte sous ses yeux. Il ne bougeait pas de son fauteuil. Il
avait l'impression que toute tentative pour se mouvoir ne lui
briserait pas les membres comme la dernière mais... il avait peur.
Et
il avait tellement peur qu'il glissa malgré tout de son fauteuil. Il
était maintenant recroquevillé sur lui-même et ne pouvait retenir
ses larmes. Et on posa une main sur son épaule. Hatecroft tourna
péniblement la tête et ne reconnu pas l'être qu'il avait déjà
vu. Juste au dessus de lui se tenait une espèce d'ombre à l'allure
seulement vaguement humaine. La chose n'avait pas de visage,
seulement des ténèbres. Une main noire était posée sur son épaule
mais Hatecroft voyait distinctement s'agiter des grappes de
tentacules dans le dos de cette ombre. La lumière était plus faible
autour d'elle, comme si elle l'aspirait. Et elle aspirait le bruit
aussi. Elle retira sa main et changea de forme pour devenir une
espèce de ver ou plutôt de mille-pattes, mais de la taille d'un
lion. Le silence régnait mais un bourdonnement se fit entendre quand
la chose « parla ». Elle ne parlait pas réellement mais
Hatecroft comprenait pourtant.
« Je
suis l'Assiminihilateur. Je détruis en assimilant. Ce que je détruis
devient une partie de moi. La matière, la lumière, le son, je me
nourris. Les sentiments, la raison, la peur, la joie, je m'en
nourris. L'Innocence, je m'en nourris. »
Cette
horreur était-elle celle qui avait maudit l'homme scarifié ?
Hatecroft réussit à balbutier sa question.
« Oui,
mais... le débarrasser de son innocence a provoqué un événement
inédit. Cela n'était pas arrivé avant. Veux-tu que j'essaye
encore ? »
Ce
monstre lui proposait-il de lui infilger la même chose ? Avec
le risque de tout simplement mourir ?
Ce
qu'il voulait un cri se révéla un geignement.
« Non... »
Et
le ver changea de nouveau de forme et prit celle d'un énorme chien
sombre qui... détala ! Et, à mesure que le chien, cet
Assiminihilateur, s'éloignait la forêt cédait la place à un
intérieur. Mais pas celui d'Hatecroft. En réalité, il était
maintenant allongé en bas d'un escalier. Parvenant à se relever, il
monta et se retrouva dans une mansarde dont les coins au niveau des
murs, du toit et du plancher formaient des angles étranges.
Il
n'y avait là personne et Hatecroft n'avait aucune idée de là où
il était. Il n'y avait là aucune fenêtre. Il aurait pu redescendre
mais quelque chose l'en empêcher. Et si cette maison n'était pas
vide ? Si on l'agressait encore ? Si ce qu'il pouvait
trouver ici disparaissait le temps qu'il revienne ? Non, il
devait comprendre le mystère de cette mansarde. Ensuite, seulement,
il se déciderait à quitter les lieux.
Il
examinait soigneusement la pièce, explorait chacun de ces angles
étranges, y cherchant une signification, un point commun avec
quelque chose qu'il aurait lu ou vu ailleurs. Rien ! Puis, il
entendit quelqu'un chanter. C'était une voix aigu dans une langue
inconnue. Cela venait d'en bas. Alors, il descendit.
Au
rez-de-chaussé, il reconnut la maison sur la colline, celle du
vieux. Il suivit le chant jusqu'à la salle de jeu. Il ouvrit la
porte et se retrouva face à un homme à demi-nu et recouvert de
peinture verte. Il était d'une extrême maigreur et s'arrêta de
chanter quand il vit Hatecroft. Il avait l'air fâché et,
spontanément, Hatecroft s'excusa de son intrusion involontaire.
L'homme ne se présenta pas mais prétendit parler au nom des
Baleines Verticales.
Verticales ?
Hatecroft pensa aussitôt à cet autre nom de Millevaux, la Forêt
Verticales. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Et qu'est-ce que
ces Baleines avaient à lui dire, à lui ?
« Une
traversée victorieuse se paie du prix du sang. Alors, le voyageur
trouvera sa place à la table du festin. »
Hatecroft
tentait de comprendre. Carter était en communication avec un être
d'un autre monde. Ce dernier, maudit par un monstre, un Horla, cet
Assiminihilateur, voulait fuir son monde. Il espérait, peut-être,
que rejoindre notre monde lui permettrait de mettre un terme à cette
malédiction qui l'affligeait. Aussi, il avait besoin de l'aide de
Carter et ce dernier semblait disposé à l'aider. Mais pourquoi ?
L'écrivain avait visiblement tenté d'ouvrir un portail chez lui
mais il y avait chez le vieux quelque chose dont il avait
manifestement besoin. Était-ce dans cette mansarde ? Était-ce
cette mansarde elle-même d'ailleurs ? Mais, ouvrir un portail
supposait le risque que la malédiction de Millevaux et de
Shub-Niggurath se répande dans le notre. Aussi, il fallait
absolument stopper Carter. Et maintenant, cet homme étrange lui
parlait de Baleines Verticales.
Le
voyageur, s'agissait-il de cet être qui voulait gagner notre monde ?
Le prix du sang ? Pour qui cette traversée serait la plus
dangereuse ? Pour lui-même ou pour nous ?
« Carter
a-t-il conscience des risques qu'il nous fait courir ? »
Hatecroft
cria cette question qui resta sans réponse. En effet, l'homme peint
en vert recula et sa silhouette devint floue pour finalement
disparaître. Et Hatecroft ne put contenir un long hurlement.
Il
resta un long moment à hurler dans cette salle de jeu. Puis, son cri
mourut mais il resta encore un long moment figé dans ce cri
silencieux. Puis, au matin, alors que s'annonçait une canicule, il
sortit et rentra chez lui. C'est en se débarrassant de sa veste
qu'il trouva dans sa poche des billets pour le ferry en direction de
l'Ancien Monde. Il y avait là tout le nécessaire afin d'effectuer
un trajet jusqu'au détroit de Béring, là où s'élève ce site
qu'on appelle l'Allée des Baleines.
Deux
billets, cela incluait Haze évidemment.
1er
août,
Haze
ne comprenait pas vraiment comment Hatecroft était entré en
possession de ces billets pour le détroit de Béring. Toutefois, le
temps pressait. Le départ était proche et il n'était pas du tout
prêt à quitter Sturkeyville, surtout pour une destination aussi
lointaine. Pourtant, il allait partir. Il ne comprenait pas les
motivations de Mazurewiecz mais l'homme en vert avait réussi à
semer le doute dans son esprit. Il n'était plus vraiment sûr qu'il
soit si mal-intentionné que ça. L'homme n'était pas clair, cela
était certain. Mais il n'était peut-être pas leur ennemi. En fait,
et Hatecroft partageait ce point de vue, il se demandait s'il n'était
pas « habité » par un esprit venant de Millevaux.
Avant
de partir, Haze aurait voulu se confronter avec Carter. Mais il
n'avait plus vraiment le temps et il ne voulait pas prévenir un
véritable ennemi potentiel de ses intentions. Aussi, il choisit
finalement de se rendre chez Mazurewiecz. Mais il ne fut pas reçu
par un homme a moitié nu et peint en vert. L'homme était habillé
et ne montrait aucune trace de peinture. Et sans le trouver d'une
très bonne constitution, il avait quand même l'impression qu'il
était moins maigre que la dernière fois où il l'avait vu. Il se
présenta et eut l'impression que Mazurewiecz ne le reconnaissait
pas. Haze le sonda du regard mais ne discerna rien tendant à montrer
qu'on cherchait à lui cacher quelque chose. L'homme le fit poliment
entrer et lui offrit du thé.
Haze
était décontenancé et ne savait pas par où commencer. Aussi, il
aborda timidement la question de Carter afin de savoir ce que cela
supposait de vivre à côté d'une personnalité. Mazurewiecz se
montrait aussi sympathique et serviable que possible. La question de
Haze le fit rire car il avoua n'être pas du tout lecteur des romans
de Carter. Aussi, il était un peu gêné quand il le croisait. Il
ajouta aussi qu'il préférerait être damné que de devoir
reconnaître devant l'auteur qu'il ne l'avait jamais lu. Haze se
demandait ce qu'il faisait là. Quand une ombre sur le mur capta son
regard. Il n'écoutait plus Mazurewiecz que d'une oreille distraite.
Cette
ombre était étrange. Elle bougeait... toute seule ? En tous
les cas, ce n'était pas naturelle. Sur le mur, derrière Mazurewiecz
qui ne semblait se rendre compte de rien, il se dessinait une île.
Des formes bougeaient. Des arrêtes s'érigeaient. Par quelle magie ?
Haze se sentait de plus en plus mal. Il n'aurait pu le prouver mais
il était convaincu qu'il s'agissait là de cette fameuse Allée des
Baleines. S'agissait-il là d'un indice ou au contraire cherchait-on
à l'effrayer et le dissuader de s'y rendre. Puis l'ombre prit la
forme d'un masque qui éclata en une multitude d'insectes sombres
rampant dans tous les sens.
Haze
tomba de son fauteuil et se roula en boule.
4
août,
Remis
de sa crise, Haze fut incapable d'expliquer comment il avait quitter
le salon de Mazurewiecz. Hatecroft tenta de rencontrer Mazurewiecz,
en vain. L'homme avait disparu. Et comme la date du départ
approchait à grands pas, il n'a pas insisté. Il a également
renoncé à rencontrer Carter. Que celui-ci tente de mener son projet
à terme. Eux, tenteraient de l'en empêcher. C'était maintenant une
course contre la montre.
L'avion
aurait certainement été plus rapide, mais c'était deux billets
pour le ferry en partance de Los Angeles qu'Hatecroft avait trouvé
dans son manteau. Aussi, le trajet allait prendre plusieurs jours.
Cela laisserait le temps à son bras de se consolider et à Haze de
se remettre de ses émotions.
La
première journée, ils parlèrent peu de tout cela et encore moins
de ce qu'ils allaient faire une fois arrivés. En fait, ils étaient
tous deux convaincu que Mazurewiecz était « habité »
par un esprit venant de Millevaux mais ils n'auraient su dire s'il
s'agissait de ce Horla soucieux de traverser les mondes ou ce fameux
NoAnde qui avait disparu. Était-il possible qu'il s'agisse d'encore
quelqu'un d'autre ?
Hatecroft
se coucha tôt. Il fût réveillé par une étrange chaleur. Mais la
température ne cessait de changer à un rythme très rapide et avec
des écarts importants. En nage et glacé, il se résolut à se
lever. Il fit quelque pas dans sa cabine mais ce sentait mal, en
danger. Il était en proie à un inexplicable sentiment d'insécurité.
Pourtant, il était seul. Il regardait autour de lui et se surprit à
chercher du regard ses livres, ses précieux ouvrages. Loin d'eux, il
se sentait mal, en danger. C'était ses livres qui le protégeaient.
Ici, en pleine mer, sans ses livres, il se sentait horriblement
vulnérable. Les encyclopédies auraient pu expliquer cet étrange
phénomène de chaud et froid. Et ses livres occultes lui auraient
fourni un moyen de combattre toute influence surnaturelle. Il
connaissait bien quelques rituels mais était-ce bien prudent d'en
user ? Non ! Non ! Il devait se raisonner, rester
calme. Il arrêta alors de faire les cents pas. Il ferma les yeux et
se contraint à respirer lentement. Une fois apaiser, il ouvrit
les yeux et vit... une caverne. Il n'aurait du dire pourquoi mais il
eut le sentiment profond qu'il s'agissait d'une métaphore, d'un
symbole. Cette caverne était nul doute la mémoire que ce Horla
voulait explorer, sa mémoire qu'il voulait retrouver. Était-ce le
but de leur voyage ?
Un
crissement le tira de ses pensées. Dans un coin de la pièce, il vit
un rat courir le long du mur et se fondre dans les ombres. Il
s'approcha du trou d'où était sorti l'animal et regarda. Il
ressentit alors une vive douleur au sommet de la tête et, tentant de
se relever, il perdit l'équilibre. La dernière chose qu'il vit fut
un marteau s'abattre sur son crane.
5
août,
Inquiet
de ne pas voir son ami pour le petit-déjeuner, Haze se rendit alors
dans la cabine d'Hatecroft. Il frappa mais n'entendit aucune réponse.
Après l'avoir cherché une peu partout et interrogé les membres de
l'équipage et les autres passagers, il obtint du capitaine qu'on
ouvre sa cabine à l'aide d'un passe. Là, il découvrit le corps
d'Hatecroft, étendu à terre, le crane et le visage fracassé,
recouvert de sang. Une pièce d'or recouvrait chacun de ses yeux. Il
se mit d'accord avec le capitaine pour garder le secret.
Officiellement, Hatecroft était souffrant et devait garder le lit.
13
août,
Haze
arriva enfin à cette fameuse Allée des Baleines et se demanda ce
qu'il faisait là. Finalement, il ne savait plus vraiment ce qu'il
était venu y chercher. Hatecroft décédé, tout ceci avait-il
encore une finalité quelconque ? Il se convainquit que oui et
arpenta ce site ancien et majestueux à la recherche d'un détail
significatif.
Qui
étaient ces gens ? Qui étaient ceux qui ont bâti cet endroit
à partir d'ossements de baleines ? Quelque chose recouvrait-il
ces cages thoraciques plantées dans le sol ou bien tout était-il
déjà comme ça ? Haze errait dans cette forêt de côtes et de
plaques osseuses. En réalité, il ne ressentait rien de particulier.
La peine et le choc consécutifs à la mort d'Hatecroft s’effaçaient
lentement. Son humeur se stabilisait, à l'inverse de la météo. Un
vent froid se levait. Heureusement, il y avait quelque endroit où se
mettre à l'abri. Ainsi, Haze se retrouva accroupi derrière une
plaque d'os, une ancienne omoplate peut-être, et soufflait dans ses
mains pour se réchauffer quand un mouvement furtif attira son
attention. Une silhouette s'approchait en rampant. De loin,
impossible de dire s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Et
puis, quelle étrange façon de se présenter à lui. Il se leva pour
aller à la rencontre de celui ou celle qui rampait ainsi et
découvrit un cadavre, de femme mais c'était difficile à dire vu
son état de putréfaction avancé, se tortiller péniblement dans sa
direction.
Haze
ne parvenait pas à s'émouvoir de cette chose. Et comme elle se
déplaçait lentement, il prit tout son temps pour choisir une
suffisamment lourde pierre qu'il laissa tomber sur le crane de la
morte. Il reprit ensuite sa place à l'abri du vent et souffla de
nouveau dans ses mains.
14
août,
Après
une nuit agitée par de sombres cauchemars, Haze revint sur les
lieux. Il se sentait mal. Il était fatigué et nerveux. Pour autant,
il n'avait pas de souvenir précis des mauvais rêves qui avaient
troublé son repos. Il ne se rappelait que de sorciers et de chiens
menaçant. Il y eut aussi dans ses cauchemars, la menace d'un combat
et la sensation d'être ballotté par le hasard, de ne rien
contrôler.
Haze
gardait en tête que ce lieu quasi désertique était lié à cette
forêt de Millevaux. En effet, il s'agissait d'empêcher Randolf
Carter de réussir à ouvrir un portail qui non seulement permettrait
à un Horla de fuir la forêt maudite, faisant ainsi entrer une sorte
de vampire dans notre monde, mais surtout à la forêt elle-même de
se répandre et contaminer notre réalité. Carter avait tenté
d'ouvrir un tel portail chez lui. Il en avait vu le pentacle tracé
au sol. Mais cela n'avait pas dû fonctionner. C'était sans doute
pour cela que, sous l'influence peut-être de l'être qui avait un
temps possédé Mazurewiecz, il s'était rendu dans l'étrange
mansarde du manoir du vieux, au sommet de la colline. Les angles peu
conventionnels de ce grenier lui permettraient-ils de réaliser son
projet ? Quoiqu'il en soit, c'était peut-être ce même être
qui avait remis à Hatecroft deux billets pour venir ici. Aussi,
d'une façon ou d'une autre, cet endroit était lié à Millevaux. Et
Haze se demanda alors si l'Allée des Baleines n'était pas un ancien
lieu de culte et de rituel. Et si, ici même, en des temps anciens,
on avait tenter d'ouvrir ou de fermer des portails vers d'autres
monde ? Et qu'attendait vraiment celui qui avait remis ces
billets à Hatecroft ? Ce lieu était-il assez puissant pour
contrer le rituel de Carter ou, au contraire, allait-il lui conférer
encore plus de pouvoir ? Et, l'espace d'un instant, Haze se
surprit à penser que ceux qui avaient bâti ce site avaient
peut-être emprunter un de ces portails. Peut-être s'étaient-ils
rendu dans cette forêt de Millevaux ?
NoAnde,
le shaman qui avait enseigné son art au Horla, semblait animé de
ses propres buts. Il semblait vouloir contaminer les autres mondes et
répandre la forêt, un avatar de Shub-Niggurath à en croire
certains ouvrages de la collection d'Hatecroft. Si c'était bien lui
qui avait remis ces billets à Hatecroft, ils n'auraient pas dû
venir ici et Hatecroft serait encore vivant. Mais, s'il s'agissait
d'un autre esprit, il y avait donc là le moyen de contrer Carter.
Haze errait entre les ossements dressés vers le ciel et
réfléchissait à ce qu'il devrait faire quand il trouverait, enfin,
un quelconque indice. En fait, il auscultait les ossements à la
recherche de glyphes, de gravures qui lui évoquerait quelque chose.
Puis,
Haze eut la subite intuition qu'il était finalement au meilleur
endroit non pas tant pour ouvrir un portail que pour en trouver un
qui serait déjà ouvert. Alors, ne devait-il pas le traverser et se
rendre dans cette forêt pour régler définitivement le problème ?
Il se rappela cet aspect de son cauchemar et se sentit de nouveau
l'objet de forces qui se servaient de lui comme, peut-être, elles
s'étaient servies de Mazurewiecz. Mais était-il venu jusqu'ici pour
faire demi-tour ? Non, quelles qu'en soient maintenant les
conséquences, il devait aller jusqu'au bout. Il devait trouver ce
passage. Et il se demanda alors si ce n'était pas précisément ce
passage qu'avait emprunté le cadavre mort-vivant dont il avait
fracassé le crane la veille.
Haze
rentra précipitamment à son hôtel. Là, il mit par écrit
l'ensemble de ses récentes réflexions. Il ajouta à ses notes
l'exposé de ses buts, sa tentative à venir de trouver un portail
vers Millevaux afin de s'y rendre, combattre ce Horla et, si
possible, revenir vivant afin de fermer définitivement ce portail.
Ensuite, il envoya tout ça son ami le détective Dick Hive. Il ne
laissait aucune consigne particulière au détective. Il ne lui
demandait pas de prendre la suite de son combat si toutefois il
devait ne pas revenir. Il ne lui demandait pas de rendre ces notes
publiques. Il se doutait qu'on le prendrait pour un fou, ce qu'il
était peut-être effectivement devenu. Non, il voulait seulement
laisser une trace, pour que quelqu'un se souvienne. Ensuite, il se
coucha.
Haze
ne s'endormit pas. Il était sur le point de s'endormir quand il
ressentit un frisson étrange, comme si un voile d'électricité le
recouvrait. Il se redressa et fut assailli par une vision des plus
étranges. Tout autour de lui semblait s’abîmer, se détériorer à
vitesse accélérée. Ses draps se tachaient d'humidité et se
trouaient, devenaient lambeaux et disparaissaient. Les murs se
lézardaient, se parcouraient de lierre qui fleurissaient, pour se
racornir et fleurir à nouveau. Le plancher se crevaient de racines
noueuses. Les murs finissaient par s'écrouler et leur ruines se
couvraient de mousses, cédaient la place à des arbres qui
grandissaient eux aussi à vitesse accélérée. Il vit des créatures
se déplacer à une vitesse vertigineuse. Il en vit naître et
mourir. Il vit de nouvelles espèces apparaître et disparaître. Il
vit des hommes et des femmes, des monstres au visage recouvert de
plaques d'os. D'autres avaient des bois de cerfs sur la tête. Au
loin, l'espace d'un instant, il crut voir Hatecroft. Puis tout
s'arrêta.
???,
Où ?
Millevaux sans doute. La forêt maudite, l'avatar et le domaine de
Shub-Niggurath.
Quand ?
Aucune idée...
Haze
errait au milieu d'un ossuaire envahi par la végétation. En
réalité, il reconnaissait clairement l'Allée des Baleines telle
qu'il l'avait déjà visité. Mais les terres froides et désolées
du détroit de Béring étaient maintenant recouvert par la forêt de
Millevaux. Il faisait nuit noire mais sa vue s'était finalement
rapidement adaptée à l'obscurité. De plus, il connaissait les
lieux.
Soudain,
le vent se mit à souffler. Une véritable tempête le contraignit à
chercher un endroit où se protéger. Pourtant, tiraillé par la
soif, il offrit sa bouche grande ouverte à la pluie dont les grosses
gouttes lui martelaient le visage. Puis, il ferma prestement la
bouche quand il se rappela être sur le territoire d'une ancienne
divinité maléfique. Tout ici était maudit. L'air et la pluie
également. Était-ce sage de boire ainsi cette eau de pluie ?
Quelle impureté allait maintenant souiller son organisme ?
Il
entraperçut une forme courir à la périphérie de son champ de
vision. Il eut peur car il reconnut la silhouette d'un sanglier.
L'animal ralentit et s'approcha de lui. Lorsqu'il fut à quelques
mètres, il se redressa sur ses pattes arrières et fit craquer ses
doigts, des doigts... humains ! Le sanglier bipède, dans un
anglais parfaitement maîtrisé et clair malgré la configuration de
sa mâchoire se présenta comme étant NoAnde, ancien shaman du Clan
des Arbres et serviteur de Shub-Niggurath. Haze vit sa dernière
heure arriver.
Quelque
chose se brisa en Haze. Il se raidit, se contracta et poussa un long
hurlement. Puis, il se mit à crier des mots dans une langue qu'il ne
connaissait pas mais qu'il savait maudite. Les mots sortaient de sa
bouche en un flot violent et incontrôlable, impur et putride. La
Langue Putride. C'est trois mots seuls avaient du sens pour lui en
cette instant. Il parlait la Langue Putride mais ne savait pas ce
qu'il disait ni quelles pouvaient être les conséquences de ces
paroles dont il craignaient qu'il ne s'agisse là d'horribles rituels
en l'honneur de la Chèvre Noire.
Toujours
figé et incapable de contrôle les mots qui sortaient de bouche, il
croisa le regard de l'homme à tête de sanglier. Ce dernier avait
l'air calme, à l'aise, joyeux. Tout semblait se passer exactement
comme il le désirait. C'était là une horrible sensation. Haze ne
voulait plus prononcer un mot mais il lui était impossible
d'endiguer ce flot. Alors, il souhaita seulement ne plus l'entendre.
Et, le son de la tempête fut remplacer par celui de la 5ème de
Beethoven... C'était impossible, et pourtant... Il n'entendait plus
rien à part cette musique. Il ferma les yeux en espérant se
réveiller de ce qui ne pouvait qu'être qu'un cauchemar. Et cela
était nécessairement un cauchemar, qu'il dorme ou non.
Les
yeux fermement clos, Haze sentit la mousse et le lichen grimper le
long de ses jambes et s'insinuer sous ses vêtements. La musique se
faisait toujours entendre. Il sentait les muscles de sa mâchoire
continuer de bouger. La mousse remontait le long de ses jambes et
recouvrait son abdomen, sa poitrine, ses bras puis son visage. Elle
s'infiltrait dans sa bouche et envahissait sa trachée et son
œsophage. Elle courait jusque dans ses poumons et son estomac. Quand
ce cauchemar cesserait-il ?
Haze
tenta alors de reprendre le contrôle de son corps. Il ouvrit les
yeux et vit NoAnde qui s'était rapproché de lui. Il lui glissait
des mots à l'oreille. Il ne les entendait pas à cause de la musique
mais en comprenait pourtant le sens. Il avait l'horrible sentiment
que sa dernière heure était proche. Pire, qu'elle était là, qu'il
était à la porte de la mort. Il voulut alors se rappeler les bons
moments de sa vie, tentant de s'y raccrocher. Il acceptait de quitter
ce monde mais il voulait partir avec de belles images en tête. Il se
rappela ces derniers jours avec Hatecroft. Une menace planait mais
c'était stimulant, intéressant. Ils avaient partagé des choses
importantes tous les deux. Il était un véritable ami. Et lui ?
Il
se revit alors sur le bateau, dans la cabine d'Hatecroft alors que ce
dernier, à quatre pattes examinait un trou dans le mur. Haze ne
savait pas ce qu'il faisait là. Il ne savait pas où il avait trouvé
ce marteau qu'il tenait fermement dans la main. Il ne savait pas non
plus où il avait trouvé ces pièces d'or qu'il déposa sur les yeux
de son ami après qu'il lui eut fracassé le crane !
Comment ?
Pourquoi ?
Puis,
par dessus le son de la musique, par dessus le bruit de la tempête,
il entendit et comprit les mots de NoAnde pourtant prononcé dans la
Langue Putride :
« Fais
pire, au nom des Abysses. »
Haze
se réveilla en même temps que le soleil se levait. Il était dans
son lit, dans cette chambre d'hôtel qui était de nouveau tout à
fait normale. Étrangement, il se sentait tout à fait bien. Il
prononça quelques mots à hautes voix et eut le plaisir devoir qu'il
parlait en anglais mais ses propres paroles lui semblaient quelque
peu lointaine, recouvertes qu'elles étaient par la 5ème de
Beethoven.
Il
regarda ses mains. Il avait du sang et de la terre sous ses ongles.
Et
maintenant, allait-il faire pire... au nom des Abysses ?
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