THE NAME OF
GOD - MILLEVAUX
(un mix de Bois-Saule et The Name Of God)
Ma
vie n'est qu'une longue errance à travers la forêt. Des fois, je
reste seul pendant des mois. Des fois, je me joins à un groupe de
nomade. Des fois, comme maintenant, je reste quelque temps au sein
d'un groupe sédentaire. Ils s'appellent le Clan des Arbres. J'ai
écouté les paroles de leurs sages et de leurs shamans. Ils
connaissent le Dieu qui est en moi. Ils savent qu'il existe. Ils
savent qu'il est un Dieu. Un petit Dieu mais un Dieu quand même. Ils
m'ont expliqué par quel rituel je peux retrouver son nom.
« Je
suis le Glitch !
D'un
seul coup d’œil, on voit que je suis différent, même si on ne
peut pas dire pourquoi.
L'Envie
se cache en moi.
Mais
la Justice se cache elle aussi en moi.
«Je
suis le Glitch ! »
XxXxX
Il
n'existe pas de trace écrite de ce rituel. Aussi, j'ai pris en note
ce que m'a raconté un des shamans du Clan des Arbres. NoAnde m'a
expliqué qu'afin que soit révélé le nom du Dieu qui m'habite, je
devais me rendre en trois lieux importants à Ses yeux. Une fois là,
à trois états différents de la lune, je devais demander aux Yeux
de la Forêts ce qu'ils attendaient de moi. NoAnde affirme que ce
n'est que quand j'aurais accepté par trois fois, en trois lieux et
en trois états de la lune de me soumettre à leur volonté que les
Yeux de la Forêt me révéleront le nom du Glitch.
Je
dois donc me rendre en trois lieux consacrés. Le
premier, quand la lune est pleine, est le Tombeau des Corso. Le
second, quand la lune est absente, est la Capitale de la Douleur. Le
troisième, quand la lune est rouge, est Celui que je n'ai pas vu
depuis si longtemps...
XxXxX
Nous sommes
le 20 Merdier,
« Mes
enfants...
Vous êtes
nés pour porter le fardeau de la corruption sur votre visage.
Et ils vous
chassent ?
Triste
hommes. »
J'en ai
pour trois jours avant d'atteindre le Tombeau des Corso. NoAnde m'a
raconté que cette famille était connue, et réputée, pour
combattre les Horlas. On dit aussi que le fondateur de cette lignée,
Tad Edes Corso était un ange aux ailes de bois et de sang. On
raconte qu'il a traqué les Horlacanthes jusque dans leur monde de
cauchemars. Et on dit aussi qu'il est mort en combattant le
Titan-Millevaux, un avatar de Shub-Niggurath. Ce dernier point est
peut-être vrai, puisque l'histoire dit qu'il en est mort.
J'étais
perdu dans mes pensées quand j'ai été surpris par une effroyable
tempête. Impossible de continuer dans ces conditions. Pourtant, nous
sommes encore le matin et je m'en voudrais de perdre une journée de
marche. J'avance du mieux que je peux et finis par me réfugier dans
ce qui semble être une usine abandonnée.
Je suis
tiraillé par la soif. J'explore un peu cet endroit et découvre de
larges cuves remplies d'eau. Pourtant, les racines qui s'y sont
plongées ont des formes étranges, torturées. Je remarque alors que
ces racines courent justement des cuves jusqu'aux murs. Là,
certaines s'enfoncent dans la terre et d'autres grimpent jusqu'au
plafond. Je prends du recul et observe les murs. J'ai l'impression
que ces racines dessinent un motif. On dirait une toile d'araignée.
J'ai un très mauvais pressentiment. Suis-je tombé dans le repaire
d'une horrible créature ? Quel genre d'araignée pourrait
tisser une toile de bois ? Quel est le rôle de cette eau dans
tout ça.
Toujours
sur mes gardes, je réfléchis. Je tourne sur moi même à la
recherche de quelqu'un ou quelque chose qui me surveillerait, qui
serait prêt à me sauter dessus. Ce ne peut être une araignée qui
a tissé cette toile puisqu'elle sort de l'eau. Ou alors, l'araignée
aurait tissé sa toile qui aurait ensuite gagné l'eau par ses
propres moyens ? Peut-être ? Mais je pense plutôt que
cela vient de l'eau. C'est elle qui a inspiré ce motif aux racines.
Et si c'était l'eau qui possédait quelques caractéristiques
arachnides ? Peut-être une araignée mutante y est-elle morte ?
Et si elle n'était pas morte ? La solution est au fond de ces
cuves.
Je dois
savoir car je dois être certain d'être en sécurité. Mais surtout
je dois savoir car j'en ai Envie ! Cette Envie me ronge. C'est
plus que de la curiosité. C'est plus que la simple nécessité de me
mettre en sécurité. Je dois savoir parce que, peut-être, d'autres
savent. Et si personne ne sait, alors je serai l'unique détenteur de
ce savoir. Je dois savoir !
Je
m'approche de la cuve. Peut-être y a-t-il à l'intérieur le cadavre
d'une araignée mutante ? Peut-être qu'un montre ou même un
Horla va se jeter sur moi ? Peut-être qu'autre chose est tapi
dans l'ombre et attend de me noyer dans cette cuve ? Je dois
percer ce mystère ! Je dois savoir !
Cette eau,
c'est l'enfer ! Ce sont les eaux du Léthé, ce sont les eaux de
l'oubli ! Cette cuve est vide, désespérément vide !
Comme... ma... mémoire...
NoAnde me
l'a dit. Pour connaître le nom du Glitch, je dois m'adresser aux
Yeux de la Forêt en trois lieux et en trois moment de lune. L'un de
ces lieux est Celui
que je n'ai pas vu depuis si longtemps, mais, de quoi s'agit-il ?
Je ne sais... plus...
Moi qui
croyait lever le voile sur un mystère, la Brume s'est invitée dans
mon crane ! L'oubli ! Je regarde en moi et je ne vois que
le vide, le vide sidéral ! La nuit ! Et je comprends que
ce vide, ce néant, n'est que mon reflet à la surface de cette eau
stagnante dans cette cuve rouillée.
Je me sens
mal. Je suis en nage. Je songe un instant à me laver de cette sueur
sous la pluie. Mais je remarque alors que la tempête s'est calmée.
Le ciel est maintenant dégagé. Je vais pouvoir reprendre ma marche.
Si je me dépêche, je devrais pouvoir rattraper mon retard. Et
aussi, j'espère pouvoir creuser la distance qui me sépare des
Antigens. Ils m'ont laissé en paix tant que j'étais au sein du Clan
des Arbres mais, maintenant, je sais qu'ils sont de nouveau après
moi. J'espère aussi qu'une fois au Tombeau des Corso, les Yeux de la
Forêt voudront bien me rendre cette partie de ma mémoire dont j'ai
besoin...
XxXxX
Je/Nous
sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Je/Nous
traque/traquons celui qui se fait appeler le Glitch.
Pourquoi ?
Je/Nous ne
le sais/savons pas.
Je/Nous
ai/avons faim.
Je/Nous
ai/avons vu ces gentils gens.
Je/Nous
cours/courons après la fille et le garçon.
La fille et
le garçon s'enfuient.
Quelqu'un
Me/Nous tire dessus.
Deux
Antigens sont tombés.
La fille et
le garçon s'enfuient.
Je/Nous
arrête/arrêtons de courir.
Je/Nous
veux/voulons le Glitch.
C'est lui
mon/notre véritable but.
Pourquoi ?
XxXxX
Nous sommes
le 21 Merdier,
« Ce
qui me dégoûte le plus ?
Ces êtres
qui s'accrochent à leur humanité comme un clochard à ses
guenilles. »
Je marche
de nuit. J'ai dû rester caché une partie de la journée car j'ai
cru déceler la présence des Antigens. Je ne veux pas qu'ils me
mangent. J'ai faim. Je n'ai pas pu chasser et mes modestes provisions
ne suffisent pas à apaiser cette faim qui me tiraille. Je marche de
nuit, poussé par un vent violent. J'entends une série de
claquements. Je m'approche et un rayon de lune éclaire une forêt de
sac en plastiques accrochés à dieu sait quelles ruines. Ce sont les
sacs secoués par le vent que j'ai entendu. Je m'approche prudemment.
Je regarde autour de moi. Je ne vois ni n'entends rien. Mais cela
peut-être un piège. Je regarde à l'intérieur d'un sac. Vide !
Qui les a mis là et pourquoi ? Je me laisse aller à rêver
d'une communauté qui aurait vu là un moyen de récolter de l'eau de
pluie. Ça aurait pu être ingénieux si, malgré la tempête d'hier,
ces sacs n'étaient désespérément vides. Et ceux qui les ont
installés, où sont-ils ? Qui sont-ils ? Sont-ils
seulement toujours en vie ?
Je
déambule, à la faveur du clair de lune, entre ces ruines et ces
sacs en plastique. Je garde la tête basse. Je ne veux pas voir le
ciel étoilé. J'ai peur d'y voir ce que j'ai vu, un jour, dans le
miroir. Mon reflet. Pas celui de mon visage. Celui de mon âme. Le
vide. Le néant. Les ténèbres piquetées d'étoiles. Je ne peux pas
voir ce vide. Ne suis-je qu'une enveloppe vide pour le Glitch ?
Sera-t-il toujours là quand j'aurais trouvé son nom ? J'espère
qu'il ne va pas m'abandonner. Non ! Je suis sûr que non !
Tout changera quand je connaîtrais le nom du Glitch. Je ne serai
plus vide.
Le
crissement de mes pas dans les feuilles mortes me tirent de mes
pensées. Je me fige soudain. Je garde la tête basse. Je sens
quelque chose s'agitait sous la peau de mon visage. Le vent fouette
les sacs en plastiques. Les claquements donnent le rythme des
mouvements qui animent ma chair. Qu'advient-il de mon visage ?
Je ne veux pas voir ça. Je veux savoir mais je ne veux pas voir !
La Brume
cache les mythes. Il n'y a aucune brume ici. Et il n'y a aucun mythe.
Les
mouvements sous ma peau cessent. Je porte mes mains à mon visage.
Quelque chose a changé. Je me saisis d'un sac plastique. Je l'enfile
sur ma tête. Je perce deux trous au niveau des yeux. Un autre au
niveau de la bouche et un dernier au niveau du nez. Comme ça, je
peux regarder mon visage.
Le sac sent
mauvais. Je me dégoûte.
Je fais
quelques pas et m'endors finalement au pied d'un mur en ruine. Quand
je me réveille, je me sens bien. Je touche mon visage à travers le
sac en plastique. Je n'ai pas rêver. Quelque chose a changé. Mais,
ce matin, j'ai le sentiment que si mon visage est horrible, cela est
plutôt bon signe. Si je m'éloigne de l'humain, c'est que je me
rapproche du Glitch. Et si je me rapproche du Glitch...
XxXxX
Je/Nous
sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
La fille
tire. Un Antigens tombe.
Les gentils
gens montent dans un autocar.
Je/Nous
monte/montons aussi dans l'autocar.
Je/Nous
mange/mangeons un gentil gens.
Les autres
gentils se tassent à l'autre bout de l'autocar.
Des coups
de feu. Des Antigens tombent et n'auront plus faim.
XxXxX
Nous sommes
le 22 Merdier,
« Moi j'ai
connu un loup ma foi, moi j'ai connu un loup !
Qui ne se
nourrissait pas !
Qu'est devenu
fou ! »
Chansons du
Patriarche
Dans la
forêt, tous les arbres se ressemblent. Mais, quand on reste un
moment au même endroit, on commence par voir que, comme tout le
monde, les arbres sont tous différents. On apprend à les connaître,
à le reconnaître. Ces arbres me disent quelques choses. Ils ne me
parlent pas mais j'ai l'impression de les avoir déjà vu. Si nous
nous sommes croisés, c'est que je suis déjà passé par ici. Est-ce
à dire que je repasserais par-là ? Je ne sais pas.
La nuit est
tombée. La pluie tombe elle aussi. Tout le monde est tombé, sauf
moi. Moi, je continues à marcher. J'ai l'impression d'avoir pris du
retard. Je veux absolument atteindre le Tombeau des Corso tant que la
lune est telle qu'elle doit être. Pleine ! La pleine lune. Et
je me rappelle du jour que nous sommes. Et je me rappelle la Chanson
du Patriarche. Est-ce qu'un loup va me sauter dessus ? Tout est
possible dans cette forêt hantée par les Horlas. Pour l'instant,
j'ai réussi à semer les Antigens. Mais si un loup-garou doit me
tomber dessus, comme tombe la pluie, comme est tombée la nuit...
J'accélère
le pas. Pas seulement pour arriver au plus vite mais aussi pour
accélérer le cours de mes pensées. Pourquoi cet endroit me dit-il
quelque chose ? Je suis déjà venu ici. C'est sûr ! Mais
qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi je ne m'en souviens pas ?
Est-ce la volonté du Glitch ? Est-ce la malédiction de
Millevaux ? Et si, par le passé, ici même, j'avais croisé la
route d'un garou ? La Lyre réunit les amis et les amants mais,
à moins que ce garou n'ait été mon ami, peut-être que la Lyre
réunit aussi les ennemis...
Ça me
gratte sous le sac plastique. Ça fait mal. Je me gratte. Me gratter
me soulage mais la sensation qui suit est horrible. Je regarde mes
mains. Elles sont pleine de vers, de larves et d'asticots. Je hurle à
la lune. Je hurle à la mort. Je me gratte jusqu'au sang, sans pour
autant retirer le sac en plastique. Je n'ose pas l'enlever. Je ne
veux pas savoir ce qu'il y en dessous. Je veux juste que ça
s'arrête. Je pleure... des vers, de la vermine !
Je tombe
par terre. Je me recroqueville, sous la pluie. Je me gratte le
visage, libérant des dizaines et des centaines de choses
dégoûtantes. Et je me rappelle que...
XxXxX
Je/Nous
sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Deux
gentils tombent. Un s'enfuit. Je/Nous lui cours/courons après.
C'était un
piège. D'autres gentils gens surgissent, armés.
Mais
Je/Nous suis/sommes fort et Je/Nous les mange/mangeons.
Des coups
de feu ! Des gentils gens qui courent. Des Antigens qui mangent.
Des
Antigens mangent. Des Antigens tombent.
Je/Nous
a/avons encore faim mais Je/Nous dois/devons partir.
La fille
n'était pas parmi eux.
XxXxX
Nous sommes
le 23 Merdier,
« Ses
voix font écho à sa multitude.
Faites-le
taire, par pitié, l'emprise afflue et je sens qu'il cherche à me
corrompre. »
Il fait
encore jour quand j'arrive au Tombeau des Corso. Cela ne ressemble
pas du tout à ce que je croyais. Je m'attendais à une sorte de
mausolée à moitié en ruine, en granit recouvert de mousse. En
fait, ça ressemble plus à un monument au mort qu'à une tombe. Il y
a là, au milieu de cette clairière, un crucifix. Mais point de
bonhomme en pagne accroché là les bras en croix. Non, à la place,
une paire d'ailes en bois et en plumes rouges. Des rumeurs disent que
le tombeau a été construit avec les restes du fondateur de la
lignée, celui qui serait mort en combattant le Titan-Millevaux.
C'est peut-être vrai finalement.
Cet endroit
n'est pas riche dans le sens où il n'a pas été construit avec des
marbres rares. Il n'est pas recouvert de statues raffinées et
détaillées, elles-mêmes recouvertes de dorures. Cet endroit est
riche car on sent encore l'influence du fondateur des Corso. On dit
que c'était un ange, avant... Et c'est peut-être vrai. Cette croix
et ces ailes, ils s'en dégagent quelque chose. Une force. C'est à
la fois apaisant et un peu effrayant. Je ne peux m'empêcher de
penser que ce type était quelqu'un de bien. Je ne l'imagine pas
parfait, au contraire, mais je l'imagine animé de bonnes intentions.
Je l'imagine courageux. Je l'imagine torturé aussi. Je fais le tour
du tombeau. C'est un lieu de passage, en témoigne ces colliers de
fleurs, ces fruits qu'on a déposé là. Il y a aussi, dans de
petites coupelles, des Billes et des Noix. Tout à l'air calme par
ici. Je m'installe et attends la pleine lune.
Un
raclement me tire de mon sommeil sans rêve. La lune n'est pas encore
tout à fait dégagé. Ce n'est pas le moment. Je tourne la tête en
direction du bruit qui m'a réveillé. Une silhouette me tourne le
dos. Je l'appelle. Elle se retourne. Cette chose est morte mais ce
n'est pas un Antigens. C'est différent. Cet être est en parti
desséché. Sa peau est grisâtre. Son corps est percé en divers
endroits, notamment au niveau du visage par de petits champignons
translucides. L'être là lève un bras dans ma direction. Il ouvre
la bouche mais son bras retombe aussitôt et sa bouche se referme
sans qu'aucun son ne soit sorti. Et elle avance vers moi ! Et je
vois ce qu'elle a déposé au pied du Tombeau des Corso. Un
cercueil !
Je suis le
Glitch. Je ferme les yeux et m'en remets aux Yeux de la Forêt. Que
va-t-il se passer ?
Quand
j'ouvre les yeux, l'homme-champignon n'est plus là. Il ne reste plus
que le cercueil. Je vais pour me relever mais bouger me fait mal au
ventre. Je baisse la tête et voit une plaie béante. Il y a du sang.
Beaucoup de sang. Je n'ai pas peur de mourir mais j'ai peur que cette
chose m'est infecté avec ses champignons. Paniqué, je fouille la
plaie mais je me fais mal et je ne vois rien. Je ferme les yeux et
demande aux Yeux de la Forêt ce que je dois faire pour être certain
de ne pas me transformer en Glitch-champignon.
Et les Yeux
de la Forêt me disent de changer mes sentiments. Ils me demandent
aussi de placer parfaitement un crane sur un livre au pied du
Tombeau.
Changer mes
sentiments ? J'ai peur. Alors je tente de me calmer. Je respire
lentement. Malgré la douleur, je tente de rester calme. Je fais
confiance aux Yeux de la Forêt. La douleur semble refluer à mesure
que je m'apaise. Un crane sur un livre maintenant. J'ai vu un vieux
grimoire au pied du Tombeau. Sa couverture était en vieux cuir et,
dessus, était représentée une Bouche ricanante. Mais où trouver
un crane ? Dans ce cercueil peut-être ?
Je me lève.
Je n'ai plus mal. Mes vêtements sont recouvert de sang. En vérité,
je ne saurais dire si le sang coule toujours. Je ne suis même pas
certain que la plaie se soit refermée. Je n'ose pas vérifier. Pas
tout de suite. D'abord, le crane sur le livre. Je soulève le
couvercle du cercueil. À l'intérieur, une petite fille vêtue de
blanc dévore le cadavre d'un vieil homme. De la chair pourrie
recouvert de vermine pendouille entre ses dents. Elle me jette un
regard tourmenté. Je comprends qu'elle ne livre pas à de tels actes
par plaisir ni par cruauté, mais uniquement par nécessité. Je
tends les bras vers elle. Elle a un mouvement de recul mais je
parviens à l'attraper. Maintenant, je dois la tuer. Là encore, je
ferme les yeux et m'en remets aux Yeux de la Forêt. Quand je les
ouvre, la petite fille est morte, elle aussi, et mes mains et mes
bras sont recouverts de traces de morsures. Maintenant, je dois
choisir. Quel crane vais-je déposer sur le Grimoire de la Bouche ?
Celui du vieil homme ou celui de la petite fille ? Vas pour le
vieil homme !
Lui
arracher la tête n'est pas trop difficile puisque sa gorge avait
déjà été bien entamée par la petite fille. Je la pose
délicatement sur le Grimoire et du sang coule jusqu'à la Bouche.
J'ai l'impression qu'elle esquisse un sourire. Une voix aiguë
s'élève.
« …C'est
l'histoire d'une rivalité entre un homme et son double maléfique.
L'un est tolérant, serviable et intelligent. L'autre est une ombre
inexistante avec une carte tatouée sur le corps. L'un est musicien.
L'autre s'est réveillé avec de la terre sous les ongles... »
Alors,
pourquoi ?, j'ai mis un coup de pied dans la tête. Je ne veux
pas en savoir plus ! Je regarde mes mains. Bien sûr, j'ai de la
terre sous les ongles. Et je pense à la Lyre. La Lyre qui réunit
les amis et les amants. Qui était ce vieil homme ? Aurais-je dû
choisir la petite fille ? Je ne sais pas. Mais les Yeux de la
Forêt ont tenu parole. Je ne deviendrai pas un Glitch-champignon !
La lune est
haute et pleine maintenant. C'est le moment. Je m'approche du Tombeau
des Corso. Je ne sais pas si je dois rester debout, m’asseoir ou
poser un genou à terre. Ne sachant pas ce que les Yeux de la Forêt
me réservent, je préfère rester debout et prêt à me défendre ou
m'enfuir. Je ferme les yeux. Je baisse la tête et commence à
réciter...
« Je
suis le Glitch !
Ici et
maintenant, pour montrer mes très belles entrailles, je vais rouvrir
cette plaie !
Je suis le
Glitch ! »
Joignant le
geste à la parole, je serre les dents alors que mes doigts s'insère
dans cette plaie à peine refermée. Je serres fort les yeux. Les
Yeux de la Forêt se font entendre.
« Glitch,
tu dois maintenant introduire l'oracle dans tes entrailles ! »
Je ne suis
pas sûr de comprendre. Mais je me saisis du Grimoire de la Bouche et
l'enfonce dans mon ventre. Je sens alors mes chairs se refermer. Cela
fait très très mal. Je voulais rester debout mais je tombe
finalement à genoux devant le Tombeau des Corso. Je m'écroule sur
le flanc et, avant de perdre connaissance, j'ai l'impression de voir
la tête du vieil homme sourire.
Il fait
encore nuit quand je me réveille. Il règne une chaleur étouffante
dans cette clairière. J'ai soif. Je
soulève mes vêtements ensanglantés et regarde mon ventre. Il n'y a
plus à que discrète cicatrice en forme de sourire. Je me sens
étrangement bien. Je me lève. Je rassemble mes affaires et reprends
ma route. Je devrais atteindre la Capitale de la Douleur d'ici quatre
jours.
XxXxX
Je/Nous
sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Je/Nous
veux/voulons l'Homme Rouge !
L'Homme
Rouge n'est pas seul. Des gentils gens le protègent et me/nous tue.
Mais
Je/Nous les tue/tuons aussi.
Mais ils
me/nous tuent plus.
L'Homme
Rouge s'enfuit.
XxXxX
Nous sommes
le 24 Merdier,
« Les
lunéas se nourrissent par photosynthèse.
Encore une
preuve que nous n'avons
plus notre
place ici. »
Je me sens
mal. Un mal me ronge. Je ne sais pas quoi. Si ! C'est ce Livre,
ce Grimoire à la Bouche qui me dévore de l'intérieur. Il me
déchire les entrailles et remplit ses pages des maux de mes terreurs
les plus viscérales.
La nuit est
douce. Tout l'inverse de mon âme. L'infection naît dans mon estomac
gagne mon cerveau. Je sens le pus se répandre dans ma tête. Il
réveille mes terreurs ; celles liées au vide de mon visage, ce
néant rongé par la vermine.
J'ai
encore, ou à peine, trois jours pour atteindre la Capitale de la
Douleur. Mais comment y parviendrais-je si je ne tiens plus debout,
si je succombe à la folie ? La Capitale de Ma Douleur, c'est
ici et maintenant !
Je repense
à ces mots :
« …C'est
l'histoire d'une rivalité entre un homme et son double maléfique.
L'un est tolérant, serviable et intelligent. L'autre est une ombre
inexistante avec une carte tatouée sur le corps. L'un est musicien.
L'autre s'est réveillé avec de la terre sous les ongles... »
Réfléchir
me détourne de la douleur. Qui est ce double ? Un musicien ?
Je ne suis pas un musicien. Pourtant, la Lyre guide mes pas, vers les
amis, les amants... vers mon double ? L'autre est une ombre...
Et je suis aussi guidé par la Brume. Dans la Brume se cachent les
mythes, dans l'ombre aussi. J'ai peur que ce double maléfique, ce
soit moi. Mais je n'ai aucune carte tatouée sur la corps. Ou alors,
ce serait mon reflet dans le miroir. Mon visage. Cette absence de
visage. Ce vide constellé d'étoiles. La carte, ma carte, serait
celle des étoiles ? Quel mauvais présage cela cache-t-il ?
Je crois saisir. Shub-Niggurath et les autres Anciens n'ont accès à
notre monde que quand les astres sont propices. Si mon visage est une
carte du ciel étoilé, si la vermine sous le sac en plastique altère
cette carte, peut-être qu'elle la redessine, la reconfigure,
peut-être que le reflet de mon visage serait une carte du ciel
lorsque les astres sont propices. Mais propices à quoi ? Est-ce
que cet autre moi, ce musicien ?, en saurait davantage ?
M'attend-il au bout de mon chemin ?
Je voudrais
dormir. Mais je ne peux pas. Pas avec cet énorme chat au pelage vert
qui s'approche. Il gros comme un poney ou un petit ours. Son poil est
vert car il se nourrit entre autre de la lumière du soleil. C'est
rare d'en voir la nuit d'ailleurs. Son flanc gauche est déchiré
d'une sinistre bouche humaine arborant un non moins sinistre rictus.
Est-ce qu'il s'en ira si je fais le mort ? Non, bien sûr. Je
vais devoir me lever et faire face. Le faire fuir, voire le tuer, si
je peux. Oui, je dois le tuer. Sinon, c'est lui qui me tuera. Et si
ce n'est pas lui qui me tue, ce sera ce Livre qui me bouffe de
l'intérieur. Je vais mourir, mais je ne veux pas. Alors, je vais me
battre.
Je me
relève. Je regarde mes mains et il y a de la terre sous mes ongles.
Je me sens mauvais. Et si je suis mauvais, je peux tuer. Je suis le
Glitch. La magie qui anime le dieu qui m'habite va déchirer ce gros
chat vert. Je dis :
« Je
suis le Glitch !
Ici et
maintenant je te montre mes mains couvertes de terre et je te montre
mon ventre rongé par le Grimoire de la Bouche pour que tu vois mon
épouvantable Moi !
Fuis ou
meurs !
Je suis le
Glitch ! »
Le chat
émet un long feulement. La bouche sur son flanc pousse un hurlement
suraigu. Et la créature s'enfuit en courant. Je suis le Glitch !
Je me
rallonge par terre et je m'endors. Je me sens bien. Je suis serein.
Et pourtant, dans mon ventre, le Grimoire de la Bouche noircit ses
pages de prophéties concernant divers événements astronomiques à
venir. Je ferme les yeux. Je m'en occuperai plus tard.
XxXxX
Je/Nous
sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Je/Nous
veux/voulons la fille !
Je/Nous
veux/voulons l'Homme Rouge !
L'Homme
Rouge court.
Le Bon
Samaritain tue des Antigens.
Mais les
Antigens tuent aussi des gentils gens.
Ce n'est
que justice. Œil pour œil...
L'Homme
Rouge court mais la fille est tombée.
Je/Nous
mange/mangeons la fille.
Les
Antigens mangent des gentils gens mais l'Homme Rouge court toujours.
L'Homme
Rouge tire.
Des
Antigens mangent.
D'autres
meurent.
XxXxX
Nous sommes
le 25 Merdier,
« Assister
à la naissance d'un Horla, c'est un peu comme jouir de sa propre
mort.
C'est
extrêmement déstabilisant... »
Cette nuit,
le vent souffle. Aussi je m'arrête et me mets à l'abri à
l'intérieur de cette carcasse envahit par la végétation. Elle a
des roues, beaucoup. Et elles sont très grandes. Plus grandes que
moi. À quoi servait cet engin par le passé. À l'intérieur, c'est
grand. Un petit clan pourrait y vivre. Un petit clan y a peut-être
vécu. Peut-être que quelqu'un ou quelque chose vit encore ici ?
Et soudain,
j'ai peur !
Suis-je
vraiment en sécurité ici ? Mais suis-je vraiment en sécurité
dehors. Quelque chose en moi, ce Livre ?, me dit que les
Antigens sont de nouveau sur mes traces. Je dois atteindre au plus
vite la Capitale de la Douleur.
J'ai un
étrange pressentiment. J'ai l'impression de ne pas être seul.
Quelque chose ou quelqu'un est là, avec moi. Ça m'observe. Je reste
sur mes gardes. Le vent bruisse dans les branches des arbres. Le
danger est partout. Je n'aurais pas dû entrer dans cette carcasse.
J'aurais dû continuer à marcher. Et tant pis pour les Antigens !
Ce n'est
pas juste!
Pourquoi
ai-je été choisi par le Glitch ? Pourquoi dois-je endurer tout
ça pour retrouver son nom ? Et si, vraiment, je suis lié à un
double, pourquoi ce serait moi le double maléfique ? Ce n'est
pas juste. Je ne suis pas mauvais ! Je ne suis pas si
mauvais, hein ?
Tous
les shamans le disent. Ce sont leurs esprits totems qui les ont
choisis et non l'inverse. Eux n'ont eu d'autre choix que d'accepter.
En échange, ils bénéficient des pouvoirs du totems mais ils le
payent d'une vie de souffrance. Est-ce mon destin ? Dois-je
endurer toutes ces souffrances pour user des pouvoirs du Glitch, pour
venir en aide aux autres ? Dois-je nécessairement souffrir pour
aider. Est-ce juste que, pour rétablir la justice, je dois souffrir
à ce point ?
Peut-être ?
Peut-être
pas ?
Nous
sommes le 25 Merdier. Je me rappelle de l'historiette du jour. Je ne
veux pas assister à la naissance d'un Horla. Je ne veux pas mourir.
Et je ne veux pas en éprouver du plaisir. Je vis et je souffre. Voir
un Horla naître serait comme mourir mais en ressentant du plaisir.
Ce n'est pas logique ? Si ?
Normalement,
vivre devrait être synonyme de plaisir et la mort de souffrance.
Est-ce la faute des Horlas si c'est l'inverse ?
Que
me réserve le Glitch ? Que me réservent les Horlas ? Que
me réservent les Antigens ? Que me réserve cette forêt ?
J'ai
peur !
Je
les entends. Les Antigens ! Ils approchent !
XxXxX
Je/Nous
sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
La fille
n'est plus. L'Homme Rouge court toujours.
Les gentils
gens courent.
Des coups
de feu !
Ô joie !
L'Homme
Rouge tombe.
Je/Nous
fonds/fondons sur lui et savoure/savourons sa chair, rouge.
La fille
est tombée.
L'Homme
Rouge est tombé.
13 cerveaux
de 13 gentils gens.
Le Glitch,
maintenant.
Il est
proche. Je/Nous le sens/sentons.
XxXxX
Nous sommes
le 26 Merdier,
« Il a
modelé une créature de sang et de fumée.
Pour rappeler
la chair à lui lors des jours d'ennui. »
La météo
est plutôt clémente aujourd'hui. Et pourtant, je suis sous terre.
J'erre depuis des heures dans ce labyrinthe. Ce n'est pas qu'un
réseau de souterrains. Ce ne sont pas de simples couloirs. Je le
sais ! Il y a ici un autre secret car le plan, ce plan que je
dois percer, est un reflet. Un reflet de mon cerveau ! De mon
âme ! Je me suis enfoui sous terre pour semer les Antigens.
Mais je veux aussi me semer moi-même. Me semer... Me perdre ou me
planter... pour pousser, germer, arriver à maturité ?
Dehors, il
fait jour et il fait beau. Ici, il fait noir et les murs suintent une
humidité maladive. Je me cogne contre les murs. Sous le sac
plastique, je me gratte le visage et je sens les larves grouiller.
Non ! Ce ne sont plus des larves. Ce sont des mouches qui
cherchent à fuir le sac. Mais que vais-je devenir si les mouches
s'en vont ? Que va devenir mon visage ? Je ne veux pas
revoir ce vide !
Je me mets
à courir. Vers je ne sais où. Vers la folie ! C'est cela qui
m'attend. La folie et la mort. Je n'atteindrai jamais la Capitale de
la Douleur. Je ne trouverai jamais le nom du Glitch et je vais mourir
dévoré par les Antigens. Je ne trouverai jamais celui dont je suis
le double maléfique et je ne pourrai jamais lui dire que je ne veux
pas être maléfique ! Je ne veux pas être sombre. Je veux de
la lumière !
L'air ici
est saturé d’Égrégore. Est-ce cela qui a fait apparaître ces
mouches sous le sac en plastique ? Peut-être... Sûrement !
La Brume
qui cache les mythes. Je veux lever la Brume qui court dans ces
souterrains. Je veux que la lumière rentre ici. Je veux percer le
mystère de ce lieu !
J'arrive
devant une porte étanche. Je touche le volant. La rouille fait qu'il
est difficile de le faire tourner. Mais, en forçant un peu, c'est
possible. Pourtant, je renonce. Je préfère me saisir du sac en
plastique et le jeter au sol. Je sens les mouches autour de ma tête.
Elles restent là. Elles ne me quittent pas. Quelque part, ça me
rassure. Ça me suffit. Peu importe finalement ce qu'il y a derrière
cette porte. Je fais demi tour...
j'avais
peur qu'il se soit mis à pleuvoir mais non. Il fait toujours bon.
J'avais peur que les mouches s'enfuient mais non. J'avais peur que
les Antigens m'attendent mais non. Je m'assois contre un arbre. Je
reste convaincu que ce qu'il y a derrière cette porte était saturé
d’Égrégore et m'aurait transformé. Mais est-ce que cela aurait
mieux que ces mouches ? Je ne sais pas. Je me sens bien.
Une voix de
femme me tire des mes pensées. Elle ne s'adresse pas à moi mais
j'entends :
« …
la Capitale... de la Douleur... »
Je me
relève à toute vitesse. Il n'y a personne. Mais je suis certain
d'avoir bien entendu. D'où venait cette voix ? La Capitale de
la Douleur, c'est par-là !
XxXxX
Nous sommes
le 27 Merdier,
« Un
jour, j'ai trouvé un corps dans un ravin.
Je n'aurais
sûrement pas eu si peur, si cela n'avait pas été le mien. »
Il fait
nuit quand j'arrive en ce lieu étrange. On dirait une cathédrale en
ruine. Ou un temple. En très ancien temple. Seules ces colonnes en
os blanchis et légèrement arrondis tiennent encore. Le clair de
lune leur donne un reflet bizarre. Mais c'est beau.
J'erre en
ce lieu, certain d'y rencontrer cette femme. Celle dont j'ai entendu
la voix hier. Elle m'a attiré jusqu'ici. Elle m'a guidé. J'y suis,
c'est ici. La Capitale de la Douleur. Mais ce n'est pas encore tout à
fait le bon moment. La lune n'est pas parfaite.
Ce lieu
m'est familier. Je ne sais pas pourquoi. En fait, je me demande si,
quelque part, je n'ai pas envie qu'il me soit familier. J'ai envie de
connaître ce lieu. J'ai envie d'être déjà venu. J'ai envie de
connaître cette femme. Et si elle était ce double, cette amie,
cette amante vers laquelle me pousse la Lyre ? Moi qui, hier, ne
voulait plus être le double maléfique, comment pourrais-je rejeter
ce fardeau sur elle ?
Cet endroit
est beaucoup plus grand que je ne le pensais. S'il n'a fallu que le
squelette d'un seul animal pour le construire, il devait être
gigantesque. Et s'il en a fallu plusieurs... ils devaient être
gigantesques aussi. Il y a des dessins, des symboles, gravés sur ces
os, jusqu'à hauteur d'homme. Mais de grands hommes tout de même.
Plus grands que moi. Sont-ce eux qui ont chassé ces animaux pour
construire cet endroit ? Et pourquoi ce nom ? Mais
peut-être qu'ils lui en avaient donné un autre ? Et qui lui a
donné celui-là alors ? Qui a baptisé cet endroit la Capitale
de la Douleur ? Et pourquoi ? On a souffert ici. À
l'évidence... Pourtant, je ne vois nul trace de sang. Peut-être que
si je cherchais mieux...
En réalité,
je ferais mieux de me chercher à manger. Et la chance me sourit.
C'est une belle perdrix qui me remplira l'estomac ce soir.
Je pensais
trouver cette femme ici. Peut-être sera-t-elle là demain, pour le
Rituel. Peut-être que demain j'aurais des réponses à mes questions
sur ce lieux. Mais ce soir, je renonce à savoir. Je veux seulement
profiter de ce bon repas.
Et une
voix, de femme, se fait entendre :
« …
la Capitale... de la Douleur... »
Et j'ai
l'impression de chuter de très, très haut...
XxXxX
Nous sommes
le 28 Merdier,
« D'habitude
je n'aime pas trop les blonds.
Mais il faut
dire que j'avais vraiment très faim. »
Je me
réveille en sursaut. C'est trop bizarre, cette sensation. Je n'ai
pas vu le temps filer. La voix de cette femme. Puis, plus rien. Et de
nouveau cet endroit, ces colonnes en os géants ! Je cherche la
femme du regard. Je la vois !
Elle court
vers moi. Elle est poursuivie par les Antigens. Je veux courir vers
elle, pour la protéger. Mais une force m'en empêche et j'assiste,
impuissant, à sa mise à mort.
« …
la Capitale... de la Douleur... »
Et à sa
voix se superpose une autre...
La fille
est tombée.
L'Homme
Rouge est tombé.
13 cerveaux
de 13 gentils gens.
Le Glitch,
maintenant.
Ils sont
là ! Les Antigens ! Ce lieu va-t-il devenir la Capitale de
MA Douleur ? Je ferme les yeux et je dis :
« Je
suis le Glitch !
Ici et
maintenant je m'ouvre les entrailles !
Je révèle
le Grimoire et mon épouvantable Moi !
Je suis le
Glitch ! »
J'ouvre les
yeux. Les Antigens gisent au sol. On dirait qu'ils se sont
entre-dévorés. Je ne comprends pas ce qui s'est passé. Mais je ne
suis pas mort. Les mouches volent toujours autour de mon visage et
brouillent ma vision. Je cherche le corps de cette femme. Elle est là
et... je la reconnais ! C'est elle ! J'en suis sûr !
Mon double lumineux. Et les Antigens l'ont mangée.
La Capitale
de Ma Douleur...
Les mouches
font du bruit autour de ma tête. Elles m'empêchent de me
concentrer. Pourtant, la lune est telle qu'elle doit être, absente.
Je dois accomplir le Rituel. Je ferme les yeux. La voix des Yeux de
la Forêt couvre celle des mouches.
« Utilises
l'Athanor. Jettes-y le vestige. Crées un dysfonctionnement. La
dysfonction est ta fonction. Et obtiens le fantôme...
…
Glitch !
Ton sang dans l'Athanor ! »
Les Yeux de
la Forêt se taisent. J'ouvre les yeux. Les mouches volent bruyamment
autour de ma tête. L'Athanor, où est-il ? Je sais. Cette sorte
de case en plaques d'os, hier j'ai eu peur de m'en approcher. Je n'ai
même pas voulu la voir. Là est l'Athanor. Un vent soudain me pousse
dans cette direction. C'est un vent chargé d’Égrégore.
Heureusement, les Yeux de la Forêt et les mouches, aussi, me
protègent.
À
l'intérieur, il règne une lumière apaisante. Elle provient de
l'Athanor lui-même mais aussi de plusieurs bougies disposées ça et
là sur des meubles en ossements ou à même le sol. Je ne sais pas
qui a allumé ces bougies, ni qui a allumé l'Athanor. Je ne sais pas
si les Antigens vont revenir. Et, pour l'instant, je m'en moque. Je
me plies à la volonté des Yeux de la Forêt. J'ouvre la plaie
zébrant mon ventre. Les mouches font un peu plus de bruit. Je plonge
mes mains dans mes entrailles et en ressort le Grimoire. La Bouche ne
sourit plus. Elle a l'air... triste. Pourtant, elle est recouverte de
sang, mon sang. Et je jette le Grimoire dans le feu.
Et
l'Athanor explose ! Et je me retrouve projeté en l'air. Je
heurte le plafond. Je retombe durement au sol. Les Yeux ? Les
Yeux ? Que dois-je faire ? Je brûle !
Quand je
reprends connaissance, la première chose que j'entends, ce sont les
mouches. La première chose que je vois, ce sont mes mains...
brûlées ! Horriblement brûlées. Je les porte à mon visage
et je sais. Je suis défiguré ! Puis, je réalise. Mes mains
sont devenues rouges. Mon visage doit être rouge lui aussi. Je me
souviens des paroles des Antigens.
La fille
est tombée.
L'Homme
Rouge est tombé.
13 cerveaux
de 13 gentils gens.
Le Glitch,
maintenant.
Et si
l'Homme Rouge, c'était moi ? Alors ça veut dire que je suis
déjà mort depuis longtemps. Alors ça veut dire que je suis un
fantôme. Est-ce cela qu'ont voulu me dire les Yeux de la Forêt ?
« Obtiens le fantôme ! »
Ce n'est
pas juste ! Je voulais trouver le nom du Glitch pour faire de
grandes choses, pour changer le monde. Je voulais trouver mon double
lumineux pour me décharger de l'ombre et être, moi aussi, un être
lumineux. Je voulais être le Glitch. Je voulais être un Dieu !
Et je suis un monstre ! Et je suis mort...
Pourtant,
je dois accomplir un troisième Rituel. Quand la lune sera rouge,
mais je vois rouge maintenant. Tout est rouge ! Mais où, où
est celui
que je n'ai pas vu depuis si longtemps...
J'ai faim. Je croque un bout de mon avant-bras. À
point...
XxXxX
Nous sommes le 29 Merdier,
« Il gardait une trace d'eux, pour les maintenir
en vie.
Littéralement. »
J'avance de
nuit car le soleil me brûle. J'ai mal. Cette nuit, il pleut et ça
me soulage, un peu. Et cela apaise ma soif aussi, un peu. Je suis
fatigué. Je devrais m'arrêter, me reposer. Il y a de la lumière au
loin. Je m'approche. C'est une maison. Pas une chaumière de bric et
de broc. Une vraie maison, comme on en fabriquait avant. J'approche
prudemment. Il y a des gens dedans. Je les vois, souriant, attablés.
Ils ont à manger. Tout a l'air si propre là-dedans. Moi aussi, je
veux de cette bonne nourriture. Moi aussi, je veux être propre.
Je m'avance
dans cette clairière et à mesure que j'approche de cette maison,
ses murs se recouvrent de lianes grimpantes. Je me fige. Et les
lianes stoppent leur progression. J'avance. Elles aussi. Elles
pointent vers moi. Je sens leur hostilité. Elles gardent cette
maison. Mais je veux manger et me laver. Je suis le Glitch ! Et
je veux prendre une douche !
Je suis
brûlé. Je suis même peut-être mort. Et si je pouvais brûler ces
lianes. Les pouvoirs du Glitch me le permettent-ils ? Les Yeux
de la Forêt l'autoriseront-ils ?
Je suis le
Glitch !
Et les
lianes flambent.
Je rentre
dans la maison. Mais elle n'est plus que ruines fumantes. Pourtant,
je trouve à manger et je peux me laver. Les mouches qui m'entourent
trouvent à manger elle aussi.
J'en suis
sûr maintenant. Je ne suis pas mort ! L'Homme Rouge est tombé
sous les griffes des Antigens mais pourtant je ne suis pas mort.
Comment ? Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais je suis vivant !
XxXxX
Nous sommes le 1er Marche,
« Palétuviers,
sentiers nénuphars, clairières de lentilles d'eau, murs de prêles
et buttes de vase.
Le marais
était une grande forêt saumâtre. »
Il y a du
vent aujourd'hui. Mais ce n'est finalement pas désagréable sur ma
peau rongée, brûlée. J'erre sans trop savoir où mes pas me guide.
Je cherche le dernier lieu pour le dernier Rituel mais je n'ai aucune
idée de là où il peut se trouver.
« Celui
que je n'ai pas vu depuis si longtemps... » et je dois y être
à la prochaine lune rouge. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai d'abord
pensé que « Celui que je n'ai pas vu depuis si longtemps... »
était quelqu'un, peut-être moi-même d'ailleurs. Ce « Moi »
que j'avais pas vu depuis que le Glitch m'avait choisi pour trouver
son Nom. Mais, finalement, plus simplement, il s'agit peut-être plus
simplement d'un lieu que je n'ai pas vu depuis si longtemps.
Et je repense à la Lyre qui réunit les amis et les
amants. Où sont mes amis ? Ceux que je n'ai pas vu depuis si
longtemps. Et qui sont-ils ? Je ne sais plus. J'erre seul depuis
si longtemps. Mes seules vraies amies sont... mes pensées.
Et j'ai peur car je repense à cette fois où, dans le
miroir, je n'ai vu que le vide. Mon crane est-il vide ? Mes
pensées ne sont-elles que du vide ? Ai-je tort de croire que je
pense ? Je pense donc je suis, parait-il. Mais si mes pensées
ne sont qu'illusion, mon sentiment d'être n'est qu'illusion aussi.
Et soudain, je regarde autour de moi. Une Brume
recouvre le sol. Je suis maintenant dans des marais. L'air est chargé
d’Égrégore. Je suis sur le terrain d'un Horla. J'ai peur. Il y a
du bruit autour de moi. Quelque chose s'approche. La brume devient
plus dense. Quelque chose me frôle. Je distingue une ombre dans la
brume. C'est une de ces plantes carnivores énormes qu'on rencontre
parfois. Elle passe à côté de moi sans m'accorder la moindre
attention. Je n'existe pas pour elle. Mais alors, pour qui j'existe ?
J'étais pourtant certain d'être vivant ! Est-ce
l'effet de la Brume ? Un des pouvoirs du Horla qui me donne
cette impression de ne plus être. Est-ce un moyen de me tromper, de
me piéger ? Pourquoi ne pas me dévorer tout simplement ?
Peut-être que ce Horla se nourrit de mes pensées justement ?
De mes peurs, de mes tourments ?
Et je me rend compte que je suis immobile, les pieds
dans la boue. Je tente de reprendre la maîtrise du cours de mes
pensées et de mettre un pied devant l'autre. Je tente de me
convaincre que je suis vivant. J'avance et la brume se dissipe.
J'aperçois une série de petites bornes en pierre grossièrement
taillée. Certaines sont coiffées de couronnes en écorces et
branchages tressés. Je reconnais certains des symboles gravés sur
ces bornes. Oui, j'ai bien traversé le territoire d'un Horla. Ceux
qui vivent ici, ou qui vivaient ici, ont construit ces bornes pour en
marquer les limites. Ils en ont fait un lieu sacré. Un lieu qui se
distingue du profane. Un lieu où on entre pas. Mais je suis le
Glitch. Ces distinction ne me concernent pas, pas vraiment.
« Celui que je n'ai pas vu depuis si
longtemps... » Et si cet endroit était tout simplement le lieu
d'où je viens. Là où il y a des gens, pas des Antigens, des hommes
et des femmes. Là où je ne suis pas seul avec mes pensées. Et si
je rentrais chez moi. Pas le chez moi d'où je viens, celui que j'ai
oublié. Mais le chez moi qui est celui de tout homme, une
communauté, un groupe, une famille, un clan.
Je dois
retrouver le Clan des Arbres avant que
la lune ne soit rouge !
XxXxX
Nous
sommes le 2 Marche,
« Je
suis un nomade, je ne laisse pas de trace. Je vis au jour le jour.
Demain, je serai peut-être mort.
Nul
ne se souviendra de mon passage. »
Demain...
Mais peut-être que je serais mort dès aujourd'hui. Et nul ne se
souviendra de mon passage. Ce serait dommage...
J'ai marché
toute la journée pour retrouver le Clan des Arbres. Pour retrouver
des gens, des humains. Ceux que je n'ai pas vu depuis si longtemps.
Mais, alors que la lune rouge apparaît, je suis seul. Désespérément
seul. Il va pourtant falloir que j'interroge les Yeux de la Forêt,
et ce même si je ne suis pas au bon endroit. Mais après tout, je
n'ai aucune véritable idée de ce qu'est ce bon endroit. Et il est
peut-être partout...
Je me sens
mal car je doute. Que va-t-il arriver si je ne trouve pas le nom du
Glitch ? Et que va-t-il arriver si je le trouve ?
Je suis
seul.
Je ferme
les yeux.
J'écoute
les Yeux de la Forêt. Je dis :
« Je
suis le Glitch !
Ici et
maintenant, je m'assois dans la boue et je souris pour montrer qu'il
y a du bon en moi !
Je suis le
Glitch ! »
Et les Yeux
de la Forêt disent :
« Glitch !
Tu dois utiliser l'immobilité et sacrifier un compagnon !
Glitch !
Tu dois accepter le destin de la fille... »
Je crois
que je comprends. Alors, je reste assis là, immobile. Je ne bouge
plus. Je ne bougerai plus. Jamais. Je continues de sourire et accepte
que la fille, mon double lumineux ?, soit morte. J'accepte aussi
de ne plus jamais avoir de compagnon. Je vais rester là. Peut-être
que d'autres viendront et me verront. Mais ils ne seront pas mes
compagnons. Ils s’assoiront autour de moi. Ils parleront. Ils
prieront. Ils feront des vœux. Mais ils ne seront pas mes
compagnons. Mais je serai le leur. Je dis :
« Je
suis la Pierre !
J'ai été
fait par la force des Yeux de la Forêt.
La
permanence de la pensée est en moi.
J'ai enduré
un long voyage. J'ai croisé des Horlas, des monstres. J'ai été
traqué par les Antigens. J'ai été brûlé...
Je suis la
Pierre.
Ici et
maintenant, pour assurer la stabilité et l'enracinement, je
renonce...
Je suis la
Pierre ! »
Destin
Fatal : Après une longue absence, des personnes se
retrouvent. Elles croient se reconnaître mais il s'agit de
souvenirs implantés ou d'identités usurpées.
La
Chasse: Je suis traqué
par ces Horlas qu'on appelle les Antigens. Moi, je chasse... mon
nom, mon vrai nom, le nom du Glitch.
Une
question et une Certitude :
Que se passera-t-il quand j'aurai retrouvé mon nom, le nom du
Glitch ? Je suis sûr que cela changera le monde !
Une
Croyance : le Glitch
est un Dieu. Pas un Créateur, pas un Ancien, mais un Dieu quand
même. Et il est en moi.
Une
vertu et un vice : la
Justice mais aussi... l'Envie !
Un
souvenir qui te hante :
Un jour, j'ai vu mon reflet dans un miroir. Je n'y ai pas vu mon
visage. J'ai vu les ténèbres, le vide, les étoiles. Les miroirs
et les étoiles me font peur...
Ma
quête : me rendre
dans les Trois Lieux consacrés et y accomplir les rituels afin de
découvrir le nom du Glitch.
Mes
deux symboles : La
Lyre qui réunit les amis et les amants. La Brume qui cache les
mythes.
Ce qui m'accompagne :
Je suis, pour l'heure, au sein d'une enclave réduite.
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