GREY
CELLS /
STURKEYVILLE
Nous sommes le 21 août
1928 à Sturkeyville, petite ville américaine particulièrement
frappée par la chaleur cet été. Ici, tout le monde se connaît et,
malheureusement, tout le monde connaît ou croit tout connaître sur
tout le monde. Les rues sont propres, les relations sont cordiales,
le taux de criminalités est bas mais les rumeurs vont bon train.
C'est ici que vit Lewis
Patrick Hatecroft, 31 ans et riche héritier de la famille Hatecroft,
plus précisément d'un oncle ayant fait fortune dans l'acier. Grâce
à de bons placements, Lewis Patrick vit aujourd'hui de ses rentes,
installé dans le riche Hatecroft Manor qui s'élève un peu à
l'écart de la grand-route à la sortie de la ville.
Lewis Patrick n'est pas
seulement connu en raison de sa fortune. Il l'est aussi par ses
marottes. En effet, il est féru d'occultisme, d'ésotérisme et ne
le cache pas. Il a ainsi fait venir moult médium et spirites à
Sturkeyville et a organisé au manoir de nombreuses soirées
consacrées au dialogue avec les morts voire, parait-il, d'autres
esprits encore plus étranges.
Lewis Patrick ne vit
pourtant en reclus et n'arbore pas les atours d'autres sombres
mystiques passionnés par l'au-delà. Au contraire, c'est un mondain,
quelque peu excentrique, que l'on croise souvent dans les rues de
Sturkeyville, le sourire aux lèvres, la canne à la main et vêtu
d'un magnifique costume taillé sur mesure. Bel homme, svelte,
élégant, érudit, on lui pardonne ses excentricités ;
d'autant plus qu'il convie souvent les notables à de somptueux
dîners.
Tout le monde connaît
Lewis Patrick Hatecroft. Mais le connaît-on vraiment ? Lewis
Patrick a un secret. Sous ses airs fantasques, il est en réalité un
gardien ! Le gardien d'un des derniers exemplaires connus de...
Unaussprechlichen Kulten, rédigé par Herr Doktor Friedrich
Wilhelm von Junzt. Et, suite à ses voyages et ses propres
recherches, il sait que ce que contient cet ouvrage maudit est...
vrai !
Or, en ce jour d'août
1928, Lewis Patrick constate avec effroi que quelqu'un s'est
introduit dans Hatecroft Manor et y a dérobé le grimoire. Ne
pouvant en référer à la police sans trahir son secret, Lewis
Patrick entend bien retrouver le coupable et, surtout, le livre,
avant qu'il ne soit trop tard.
XxXxX
I-
Il est environ 10 heures
ce latin quand Lewis Patrick entre dans la pièce où est dissimulé
le coffre contenant le grimoire dont il a la garde. Et c'est avec
effroi qu'il constate, alors qu'il ouvre le coffre pour en vérifier
le contenu, que l' Unaussprechlichen Kulten a disparu !
Ça n'a pas de sens ! Le coffre était fermé normalement.
Apparemment, il n'y a aucune trace d'effraction. En apparence
seulement, du moins l'espère-t-il. Avant de céder à la panique,
Lewis Patrick entend faire un tour méticuleux des lieux en quêtes
d'indices éventuels.
Et à la panique il ne
céda point. En effet, n'est-ce pas une balle qui traîne là ?
Elle n'a pas servi. Est-elle tombée de la poche du voleur ?
Certainement ! Lewis Patrick réfléchit. Ce n'est pas par
hasard qu'on a dérobé ce livre. Celui ou celle qui a commit ce
méfait savait ce qu'il cherchait. Il savait aussi quelle est la
combinaison du coffre. Il savait d'ailleurs où se trouve le coffre.
Autant d'information laissant à penser que c'est peut-être
quelqu'un qu'il a déjà rencontré et qui aurait ses entrées à
Hatecroft Manor. Ou alors, il s'agirait de quelqu'un qui aurait
soutiré ces renseignements auprès d'une connaissance ou qui aurait
payé quelqu'un pour qu'il les obtienne à sa place ? Quoi qu'il
en soit, le voleur connaît les lieux et a pris tout son temps pour
agir. D'ailleurs, il doit connaître l'emploi du temps de Lewis
Patrick et de la domesticité. Il s'est certainement introduit ici
sachant pertinemment quand il y serait tranquille. Là encore, est-ce
une connaissance de Lewis Patrick ou le fruit d'un long travail de
filature ?
Dans son salon, Lewis
Patrick se fait servir une tasse de thé fumant. Il réfléchit. Si
le voleur est un proche au fait de l'existence du livre et de son
emploi du temps, c'est certainement l'un des participants aux soirées
ésotériques qu'il donne au manoir. Mais il n'a jamais confié à
qui que ce soit l'existence d'Unaussprechlichen Kulten !
Sinon, quelqu'un connaît malgré tout son secret et a payé
quelqu'un pour l'espionner, connaître ses habitudes et voler le
grimoire. Mais pour le compte de qui ? Et cet homme, est-ce un
type du milieu ? Est-ce un habitant de Sturkeyville ou un
étranger ? Et cette balle, d'où vient-elle ? Si Lewis
Patrick parvient à savoir où elle a été acheté, cela lui
permettra déjà de savoir si le coupable est un gars du coin ou non.
Et
s'il commençait son enquête auprès de l'armurier ?
II-
Muni
de cette balle, Lewis Patrick se rend chez l’armurier de
Sturkeyville. Il est 15 heures et le soleil tape très fort. C'est
avec un certain soulagement que Lewis Patrick se met à l'ombre en
entrant dans la boutique. Il fait frais et c'est vraiment agréable.
Le
plus naturellement du monde il s'enquiert d'un renseignement auprès
du gérant. Quelle est la marque de cette balle ? Et de quel
type d'arme s'agit-il ? « J'ai trouvé ça ! Je veux
la même ! » ajoute-t-il, avec de grands gestes et un rire
sonore.
Le
commerçant se saisit de la balle et l'examine brièvement. Il
reconnaît là une munition pour une arme de petit calibre mais
pouvant faire de gros dégâts à courte portée. « Un
pistolet, donc ! Pas du tout ! répond l'armurier. Un
fusil ! Un modèle Mauser de 1884 ! un de ceux qui ont
servi durant la guerre, en France. »
Lewis
patrick n'y croit pas. On se serait donc introduit chez lui avec un
fusil. Quel manque de discrétion. En tout cas, peut-être que cela
veut dire que le voleur est un vétéran de la Grande Guerre...
« Cela
ne doit pas être évident de trouver une telle arme de nos jours
alors ? Mais peut-être connaissez-vous quelqu'un ici, à
Sturkeyville, qui en possède une ? Je pourrais alors en
discuter avec lui. »
L'armurier
pense bien à quelqu'un, oui, mais il lui semble peu probable qu'il
acceptera de le recevoir. C'est un vétéran, une gueule cassée qui
ne sort quasiment jamais de chez lui et rechigne à voir qui que ce
soit.
Lewis
Patrick a toutefois l'impression que l'armurier cherche à lui cacher
quelque chose. Aussi, il insiste. Il finit par obtenir le nom de
Jonas Parker mais a le sentiment que quelque chose ne va pas.
Une
fois dehors, il s'arrête au drugstore et commande une citronnade.
Là, il réfléchit. Cette balle est celle d'un fusil ayant servi
durant la Grande Guerre en France. Un certain Jonas Parker, un
vétéran défiguré en possède un. Mais, alors qu'il était plutôt
prolixe, l'armurier s'est renfermé dès qu'il a fallu donner les
noms de ceux qui étaient susceptibles de posséder une telle arme.
Et comment un soldat américain s'est-il retrouvé en possession
d'une arme allemande ? Et si l'armurier l'avait lancé sur une
fausse piste ? Lewis Patrick ne devait rien exclure.
Vic Allen est un jeune
officier de police. À 23 ans, Sturkeyville est sa 1ère affectation.
Il est très motivé, consciencieux et entend faire honneur à son
insigne et son uniforme.
Mais Sturkeyville est
une petite vile calme, très calme, trop calme. Et Vic a besoin
d'action. Aussi, il est très attentif à tout ce qui se passe, aux
comportements et actions des administrés. Et il prend parfois
l'initiative de mener des enquêtes à titre personnel.
C'est ainsi qu'il s'est
lié d'amitié avec Rudolph van Berg, petit-fils d'immigrés suisses,
travaillant à la scierie locale. Certes, le jeune ouvrier est
sympathique mais i la aussi quelques mauvaises fréquentations. Et
Vic entend bien en apprendre plus sur le Sturkeyville
« underground ».
le plus officieusement
du monde, Vic tient un journal de ses investigations concernant les
activités de Rudolph.
« Le 1er septembre
1928,
Cet après-midi, je ne
travaille pas. J'en ai profité pour inviter Rudolph à une partie de
pêche accompagnée de quelques canettes de soda et des sandwichs au
poulet. Je suis passé le prendre vers 13 heures et nous nous sommes
rendus à l'étang.
Ces derniers jours, je
l'avais trouvé un peu nerveux. Ça n'allait pas et je voulais savoir
ce qui le tracassait. Je n'ai pas réussi à lui soutirer le moindre
mot à ce propos. En fait, j'ai l'impression qu'il était plus
effrayé qu'énervé. Mais par qui ou par quoi ?
Je sais que Rudolph a de
mauvaises fréquentations. Je ne sais pas encore si c'est au sein de
la scierie ou ailleurs qu'il a fait la connaissance des membres de ce
gang. Je n'arrive pas non plus à déterminer l'étendue et la
gravité de leurs méfaits. Sturkeyville est une petite ville. Le
taux de criminalité est bas. Ne s'agit-il que d'une bande de mauvais
garçons trafiquant de l'alcool de contrebande ou quelque chose de
plus grave se prépare-t-il ?
J'espère me tromper
mais j'ai l'étrange sentiment qu'il se trame vraiment quelque ici, à
Sturkeyville, ou au moins dans les environs. Rudolph a eu des paroles
vraiment bizarres à propos de la forêt. Il a dit qu'elle était
« habitée ». Mais par qui ? Ou plutôt, par quoi ?
Je n'ai pas encore
réussi à percer ses secrets. Des fois, je me dis qu'il a seulement
hérité de ses grands-parents quelques vieilles superstitions
concernant d'antiques et horribles monstres. Mais pour l'heure, le
plus important me semble-t-il est que cet après-midi je l'ai trouvé
plus apaisé que ces derniers jours. Et je n'ai donc pas eu le cœur
de remettre tout ça sur le tapis. Une bonne partie de pêche, des
sandwichs. C'était vraiment un bel après-midi. »
Le 4 septembre 1928, la
Gazette de Sturkeyville fait état de la disparition de l'officier de
police Vic Allen. Tout information est la bienvenue...
III-
En
sortant du drugstore, Lewis Patrick avait deux pistes à creuser :
Jonas le vétéran mais également l’armurier lui-même. Si ce
dernier avait quelqu'un a prévenir par téléphone, il savait
n'avoir aucun moyen d'en être tenu informé. Aussi, s'il voulait
l'espionner, il valait peut-être mieux attendre la fermeture du
magasin et le suivre discrètement. Mais, d'ici là, avait-il
réellement le temps d'aller rendre visite au vétéran ? Il
regarde sa montre. C'est faisable.
L'homme
vit isolé à la sortie de la ville. Ce n'est pas vraiment une maison
mais plutôt une espèce de cabane branlante dont on se demande
comment elle tient debout. À l'entrée du terrain, un panneau met
Lewis Patrick en garde contre des serpents. Aussi, il ramasse une
branche d'arbre et s'avance en tapant du pied, agitant les hautes
herbes et criant à l'attention du propriétaire des lieux.
Il
s'attendait à ce que ce Jonas Parker se montre, sorte sur le perron,
mais il n'en est rien. Pourtant, il est certain d'avoir quelque
chose, une ombre, bouger à l'intérieur. Il frappe à la porte. Elle
reste close mais une voix faible et rocailleuse se fait entendre.
« …
ils conspirent... la nuit... pour parvenir à l'éternité ! La
vieillesse les bouscule ! Le temps est un poison mais ils sont
solidaires... Je voudrais tant me débarrasser de ces visions qui me
hantent... et dormir... »
Un
discours bien étrange, se dit Lewis Patrick. L'homme est-il fou ou
alors le connaît-il, l'attendait-il ?
« Monsieurs
Parker, je m'appelle Lewis Patrick Hatecroft. J'habite Hatecroft
Manor, à la sortie de la ville. Je viens vous voir car j'ai besoin
de renseignements concernant une arme de fabrication allemande
utilisée durant la Grande Guerre. Pouvez-vous m'aider, je vous
pries ? »
Un
coup sur la porte fait reculer Lewis Patrick.
« Allez-vous
en ! Partez ! »
Et
Jonas Parker continue de taper sur la porte. Lewis Patrick reste coi.
L'homme n'a pas perdu que son visage à la Guerre. Il a aussi perdu
la raison. Il n'y a visiblement plus rien à en tirer dans l'immédiat
mais cet homme a quand même fait quelques révélations des plus
intéressantes.
En
effet, un groupe d'hommes, de toute évidence âgés, chercheraient à
obtenir la vie éternelle. C'est sûr que dans un tel cas, les
Unaussprechlichen Kulten peuvent se révéler bien utiles.
Mais ces gens devraient avant tout s'inquiéter du prix à payer. Et,
le prix de la vie éternelle doit être très élevé.
Quoi
qu'il en soit, ce Jonas sait quelque chose, quand bien même il n'est
pas en capacité d'en parler avec raison. Et il apparaît tout aussi
évident que l'armurier est au courant de quelque chose. Et là,
Lewis Patrick a ce qui lui apparaît comme un éclair de génie. Et
si, les membres de ce groupe étaient eux aussi des vétérans de la
Grande Guerre. Ainsi, ce pourrait être en Allemagne qu'ils auraient
eu vent de l'existence des Unaussprechlichen Kulten. Peut-être
que, là-bas, ils auraient été les témoins de quelques événements
étranges, occultes, à l'instar de ceux décrit dans les livres de
la collection secrète de la famille Hatecroft. Et ce ne serait
peut-être pas que la guerre qui aurait fait perdre la raison à
Jonas Parker.
Sur
le chemin du retour, Lewis Patrick se dit que si ces hommes sont
effectivement âgés, il est logique qu'il est eu recours à un ou
plusieurs hommes de main pour s'introduire chez lui. Et ils auraient
même pu lui fournir une arme au cas où, un vieux fusil rapporté
d'Europe. Mais cela n'explique pas comment ils auraient appris qu'il
était en possession de l'ouvrage de von Juntz.
IV-
Lewis
Patrick arrive aux abords de l'armurerie peu avant l'heure de la
fermeture. Il cherche le meilleur endroit d'où observer le magasin.
Il veut savoir où le gérant va se rendre une fois son travail
terminé. Il espère vraiment tenir là une piste. Mais pour
l'instant, une bonne planque !
Lewis
Patrick entre dans l'une des boutiques juste en face. Il fait
semblant de errer dans les rayonnages, ignore superbement la vendeuse
et scrute en réalité l'armurerie à travers la vitrine. Mais, au
bout d'un moment et en ayant plus qu'assez d'entendre la vendeuse lui
demander ce qu'il souhaite, il finit par se retourner vers elle pour
l'envoyer paître. Et quand il se concentre de nouveau sur
l'armurerie, tout est éteint ! Cette idiote lui a fait manquer
le moment fatidique. De colère, il quitte la boutique en claquant la
porte et en jurant bien de ne plus jamais y remettre les pieds.
Lewis
Patrick jure en marchant seul dans la rue. Il ne prête aucune
attention aux autres passants qui s'écartent sur son passage.
Certains sont offusqués, d'autres amusés. D'autres, mais Lewis
Patrick ne s'en rend pas compte, le suivent...
Lewis
Patrick aime marcher. Hatecroft Manor est certes à l'extérieur de
la ville mais pas assez loin, du moins pour un randonneur comme lui,
pour sortir l'auto. Marcher au grand air lui a fait du bien et il a
retrouvé un peu de son calme. Et là, il se rend compte, enfin,
qu'on le suit. Il accélère le pas. L'air de rien, Hatecroft Manor
est encore un peu loin et il sent planer une menace. L'écart se
creuse quelque peu mais ces deux hommes le suivent toujours. Alors,
il se retourne et leur demande clairement ce qu'ils veulent. Et ils
se jettent sur lui.
Lewis
Patrick tente de se défendre du mieux qu'il peut mais face à deux
hommes ayant visiblement l'habitude du coup de main il ne peut pas
faire grand chose. Il se retrouve donc rapidement à terre,
recroquevillé sur lui-même, cherchant avant tout à protéger son
visage et ses côtes des coups de pieds qui s'abattent sur lui. Ce
déluge de coups lui paraît durer des heures. Puis, cela cesse enfin
et les deux hommes s'en vont. Ils lui disent quelque chose mais il
est trop meurtri pour comprendre quoi que ce soit. Il roule sur
lui-même jusque sur le bas-côté puis attend là, le temps de
récupérer suffisamment de forces pour rentrer à Hatecroft Manor.
Oui, c'est sûr ! L'armurier est bien de mèche avec ceux qui
ont commandité le vol d'Unaussprechlichen Kulten. Et ce sont
peut-être même l'un de ces hommes qui s'est introduit chez lui.
Quelques
jours plus tard, Lewis Patrick est de nouveau sur pieds. Malgré
l'insistance de ses domestiques, il a refusé de porter plainte suite
à cette agression. En effet, il ne veut surtout attirer l'attention
sur les Unaussprechlichen Kulten. Toutefois, c'est avec une
certaine surprise qu'il lit, dans la Gazette de Sturkeyville, cette
brève concernant la disparition d'un jeune officier de police.
N'est-ce vraiment qu'une coïncidence ?
Vernon Archer a 27 ans
et il a été confronté à ce qui lui paraît présager d'une
véritable horreur à venir.
Il a la fière allure
d'un jeune homme bien portant et sûr de lui mais, au fond, il est en
proie au doute. Il sait des choses au sujet de son père. Il est
partie servir en Allemagne durant la guerre. Et il est revenu...
différent. Il a l'impression qu'il l'a perdu. Il voudrait le sauver
mais craint de le perdre à nouveau. Définitivement, totalement,
cette fois.
Ce n'est qu'une
intuition, mais depuis quelques jours il a l'impression que quelque
chose de grave va arriver.
Lawrence Archer est
vraiment revenu différent de la guerre. Ce qu'il a vu là-bas l'a
fait vieillir de plusieurs années. Il vit maintenant une vie
tranquille. Il reçoit une pension qui lui permet de consacrer son
temps aux travaux du potager. Pourtant, cela n'est pas suffisant. Il
s'enferme dans son bureau durant des heures et personne, ni Vernon ni
sa mère, ne sait ce qu'il se trame là dedans.
Mais, à chaque fois,
Lawrence ressort de son bureau avec une lueur étrange dans le
regard. La même lueur que lorsqu'il revient de ses réunions au club
des anciens combattants.
Vernon trouve son père
plus fatigué que d'habitude. Plus irritable aussi.
Son intuition lui dit de
s'enfuir. Mais, il ne veut pas abandonner sa mère. Et il sait
qu'elle refusera de quitter son père. Alors, il reste mais il a peur
de ce qui va arriver. Car quelque chose va arriver. Et c'est pour
bientôt maintenant !
Vernon sait, sent, que
son père est perdu. Ce qu'il a vu ou fait en Europe est en train de
le rattraper. Et il se sent impuissant face à cela. Mais, il
voudrait quand même protéger sa mère. Alors, un soir, alors que
son père s'est de nouveau enfermé dans son bureau, à l'étage, il
escalade le mur est espionne par la fenêtre.
Et il voit !
Son père a sorti un
vieux livre, un grimoire comme on en voit dans les histoires
médiévales. Une lueur verdâtre, glauque, émane du livre dès
qu'il s'ouvre. Vernon voit son père se plonger dans la lecture de
quelques paragraphes dont il n'ose soupçonner la nature. Comment un
livre peut-il briller de la sorte ?
À travers la vitre, il
entend son père lire, réciter ces passages évoquant un Grand Dieu
Dans Le Ciel. Son père parle un mélange d'anglais, d'allemand et de
russes. Il ne savait pas que son père parlait, ou du moins lisait le
russe.
Et soudain, du fond de
ce grimoire luisant, émerge trois gros tentacules qui s'enroulent
autour de la tête de Lawrence Archer. Celui-ci ne cesse pas de
réciter son étrange et incompréhensible texte.
Vernon manque de tomber
mais regarde la scène jusqu'au bout.
Les tentacules
retournent alors dans le livre.
Et Lawrence a l'air
encore un peu plus vieux...
V-
Lewis
Patrick se remet doucement de son agression en s'interrogeant sur la
disparition de ce jeune officier de police. Simple coïncidence ?
Difficile à croire dans une petite ville comme Sturkeyville où il
ne se passe pas grand chose. Alors qu'il se demandait s'il y avait là
une piste à creuser, son majordome l'interrompt dans ses pensées et
lui remet un pli... anonyme !
Le
message est court. L'écriture est malhabile. L'auteur de ce message
ne sait pas très bien écrire ou il est très nerveux. Et au vue du
contenu du message, il doit effectivement être très effrayé. Il
est de notoriété publique que Lewis Patrick Hatecroft est féru
d'occultisme et d'ésotérisme. Il organise régulièrement des
soirées consacrées à la médiumnie et au spiritisme au manoir. On
en parle souvent le lendemain dans les salons mais aussi, à
l'occasion, dans le journal. C'est donc en raison de cette
« spécialité » que l'auteur du message attire son
attention sur les agissements d'un certain Lawrence Archer que le
« corbeau » affirme avoir vu se livrer à des actes qu'il
qualifie de « terribles ». Il parle ainsi d'un vieux
livres, mais également de lueurs « magiques » et,
surtout, d'horribles tentacules qui auraient jaillit du grimoire !
Lewis
Patrick bondit de son fauteuil, réveillant là quelques douloureuses
contractures. Mais bon Dieu ! Un grimoire ! Des
tentacules ! C'est sûrement ce Lawrence Archer qui a commandité
le vol des Unaussprechlichen Kulten.
Encore
sous le coup de l'agression dont il a été victime, Lewis Patrick
préfère prendre l'auto pour se rendre en ville. Il s'arrête dans
la Grand Rue et entre dans l'un des salons de thé où il a ses
habitudes. À cette heure de la journée, il est certain d'y trouver
quelques uns des habitués de ses soirées ésotériques, notamment
madame Myrtle Veneti qui n'est pas seulement passionnée par le monde
des esprits mais aussi par celui des rumeurs courant à Sturkeyville.
A-t-elle quelque chose à lui raconter, notamment au sujet de
Lawrence Archer ?
Myrtle
Veneti commence par demander à Lewis Patrick comment il est au
courant alors qu'on ne l'a pas vu en ville depuis plusieurs jours,
mais peu importe... En effet, des bruits courent à propos d'Archer
père. Il ne sort plus guère depuis quelques temps déjà. On dit
que son état de santé s'est aggravé. En réalité, cela fait
maintenant plusieurs semaines qu'il n'a plus de contact qu'avec les
« anciens » de la Grande Guerre. Son fils s'inquiète
beaucoup. Certains ont même entendu des cris de disputes venant de
chez eux.
Lewis
Patrick prend congés, non sans remercier chaleureusement Myrtle et
en lui promettant d'organiser très bientôt une nouvelle soirée
consacrée au dialogue avec les esprits.
Lawrence
Archer... Le cercle des vétérans de la Grande Guerre... Un grimoire
et des tentacules... Une santé déclinantes... Des rêves
d'immortalité... Un Dieu Ancien... Un fils qui s'inquiète...
Serait-ce ce dernier qui lui aurait fait parvenir ce message ?
Très probable, en fait.
Mais
avant de se jeter dans la gueule du loup, ou tout autre créature à
tentacules, il faut en avoir le cœur net. Aussi, Lewis Patrick
décide de passer une partie de la soirée, voire de la nuit, à
espionner la demeure des Archer. Au besoin, il demandera directement
de l'aide au fils.
VI-
Lewis
Patrick s'est garé à quelques rues de là afin qu'on ne remarque
pas son auto. Mais pas trop loin, au cas où il devrait fuir quelques
gros bras.
La
maison des Archer est cossue. Elle a l'air confortable et le jardin
est bien entretenu. Toutefois, on est loin des fastes offerts par
Hatecroft Manor. Dissimulé dans un recoin d'ombre, Lewis Patrick a
une plutôt bonne vue sur ce qui peut se passer là. Et, se dit-il,
au cas, la nuit tombante devrait lui permettre de s'approcher sans
attirer l'attention des voisins.
Heureusement,
ou pas, tout est calme chez les Archer ce soir. Aussi, après
plusieurs heures passées là, Lewis Patrick abandonne et regagne son
auto. Mais, sur le trajet, il sent une menace proche. Il se retourne
et remarque deux silhouettes le suivant. Il se met à courir !
Mais les deux hommes le rattrapent et, comme il y a quelques jours,
le passent à tabac.
Lewis
Patrick reste de longues minutes allongé au sol avant de pouvoir se
relever et atteindre difficilement son auto. Conduire est difficile.
Il craint d'avoir un os brisé. Mais, heureusement, il semble bien
que non. Mais, là encore, il va lui falloir quelques jours pour s'en
remettre.
Maintenant,
c'est certain ! Il n'y a plus de doute. Ce ne peut pas être un
hasard si ces deux hommes sont réapparus alors qu'il espionnait la
demeure des Archer. Le vieux Lawrence a dû le repérer et les
appeler. Lewis Patrick sait qu'il ne pourra rien faire avant d'avoir
récupérer de cette nouvelle agression. Toutefois, autant profiter
de ce temps pour réfléchir à un plan d'action, en espérant qu'il
ne sera pas trop tard.
Une
semaine passe. Lewis Patrick est de nouveau sur pied. Le message
anonyme laissait entendre que son auteur avait été témoin de cette
scène au domicile même d'Archer. Il y a donc fort à parier qu'il
garde là les Unaussprechlichen Kulten. Il va donc falloir
s'introduire discrètement dans cette bâtisse, sachant que le
grimoire doit être caché dans un coffre qu'il va falloir forcer
mais que, en plus, le vieil Archer sera peut-être protégé par ses
deux sbires contre lesquels il sait ne pas faire le poids.
Autant ce qu'il doit faire lui apparaît clairement, autant la façon
de procéder lui échappe encore... Lewis Patrick décide de se
changer les idées en lisant le journal et découvre, avec effroi,
qu'on a retrouvé le corps du jeune officier de police disparu, Vic
Allen, atrocement mutilé !
VII-
Le
meurtre de ce jeune officier de police a-t-il quelque chose à voir
avec les Unaussprechlichen Kulten ? Pour en avoir le cœur
net, il faudrait voir le corps et s'assurer que ces mutilations n'ont
pas un caractères rituels. Lewis Patrick a des relations. Il
pourrait obtenir cette faveur. Mais cela ferait-il vraiment avancer
son enquête ? Ne serait-ce pas au contraire une perte de temps
alors qu'il est urgent de trouver un moyen de récupérer le livre
chez Archer ? Et ensuite, il faut aussi s'assurer que ce dernier
n'enverra pas de nouveau ses deux sbires le rouer de coups. Oui, il
faut mettre un terme définitif aux agissements d'Archer et ses
acolytes !
Le
jeune Archer ! Comment faire d'autre dans l'immédiat ?
Lewis Patrick sait par Myrtle Veneti que ce dernier est très inquiet
à propose de l'état de santé de son père. Et il y a fort à
parier que ce soit d'ailleurs ce dernier qui lui a envoyé ce message
anonyme. Peut-être, sûrement même !, a-t-il été témoin de
certaines choses qu'il n'aurait pas dû voir ?
Vernon
Archer travaille à la Bank de Strukeyville. Aussi, Lewis Patrick
décide tout simplement de l'attendre à la sortie de son travail. Le
jeune homme est évidemment surpris de le voir là mais Lewis Patrick
sait se montrer affable et avenant. Aussi, il le convainc aisément
de lui accorder quelques instants. Le convaincre de plus sera
peut-être plus compliqué...
Une
fois attablé dans un coin discret d'un diner, Lewis Patrick
explique simplement avoir compris que c'était lui qui lui avait
envoyé ce message anonyme. Il déclare comprendre pourquoi il a
préféré agir ainsi, sous couvert de l'anonymat et le déculpabilise
au mieux de cette étrange façon de procéder. Il le rassure
également et lui affirme qu'il a bien fait. Il est par ailleurs en
mesure de lui confirmer que ses craintes sont malheureusement fondées
mais qu'il y a toutefois encore quelque chose à faire pour venir en
aide à son père. Aussi, si Vernon parvient à récupérer ce livre
et à lui remettre, cela freinera largement les entreprises de son
père et ses complices. Ensuite, il faudra faire en sorte de mettre
un coup d'arrêt définitif à leurs projets. Lewis patrick ne le dit
pas, pour ne pas inquiéter Vernon, mais ce coup d'arrêt pourrait
bien consister à apporter les preuves de leur implication dans la
mort de Vic Allen. Vernon acquiesce. Il sait où son père cache ce
grimoire. Puisque sans danger tant qu'on ne l'ouvre pas, il s'engage
à le remettre au plus vite à Lewis Patrick.une bonne chose de
presque faite. Maintenant, s'assurer qu'il y a bien un lien entre la
mort d'Allen et les agissements du vieil Archer.
VIII-
Lewis
Patrick est une personnalité à Sturkeyville. Et, heureusement, à
l'occasion, cela lui ouvre des portes et notamment celles de la
Gazette locale. En effet, Lewis Patrick compte l'un de ses plus
fameux reporters parmi ses bons amis. Aussi, un appel téléphonique
suffit à ce qu'Herbert Paul Lane accoure à Hatecroft Manor dès que
possible.
Lane
est au fait de la passion de Lewis Patrick pour l'occulte. Aussi, ce
dernier ne s'encombre pas de tergiversations inutiles et déclare
vouloir connaître la nature des mutilations subis par le jeune
policier. Et le reporter confirme ses soupçons. Il y a bien là les
stigmates d'un sacrifice semblable à ceux décrits dans les
Unaussprechlichen Kulten. Comment Vic Allen s'est-il retrouvé
dans une telle situation ? Soupçonnait-il quelque chose ?
Travaillait-il sur cette affaire ? Est-ce le pur fruit d'un
malheureux hasard ?
Lewis
Patrick ne peut tout expliquer à Lane mais il est convaincu
qu'Archer et les autres vétérans sont bien derrière tout ça. Et
il craint surtout qu'ils continuent à se livrer à leurs rituels
meurtriers avec non seulement de nouveaux cadavres mais, surtout, à
moyens termes, des conséquences catastrophiques pour l'humanité
tout entière.
Une
fois Lane parti, Lewis Patrick réfléchit. Le jeune Archer devrait
lui remettre les Unaussprechlichen Kulten. On peut espérer
que cela freinera les ardeurs des cultistes et que ces derniers ne
penseront pas tout de suite que c'est lui qui l'a récupéré. Par
contre, comment les relier au meurtre d'Allen sans trahir son
implication dans cette affaire ni son caractère occulte ? Une
idée commence à germer dans son esprit. Il la repousse car il est
conscient des implications d'une telle méthode. Pourtant... Et s'il
combattait le mal par le mal ? Lui aussi a accès à des sorts
et des rituels. Il pourrait ainsi mettre un terme définitif aux
agissements des vétérans sans que personne ne puisse faire le lien
avec lui.
Une
tasse de thé à la main, il réfléchit. Quel autre des ouvrages de
sa collection pourrait contenir les sortilèges qui lui seraient
utiles ?
Quelques jours plus
tard, Lewis Patrick reçoit un appel paniqué de Vernon Archer.
Ce dernier a bien
récupéré les Unaussprechlichen Kulten.
Lewis Patrick lui donne
rendez-vous dans un lieu discret à la sortie de la ville. Il n'ose
pas lui dire de venir au manoir, de peur qu'il ne soit suivi. Il ne
veut pas non plus qu'on les voit ensemble en ville. C'est donc près
du lac qu'ils se retrouve à la tombée de la nuit.
Vernon explique n'avoir
finalement pas eu trop de problème pour mettre la main sur le livre.
Mais, et cela l'inquiète beaucoup plus, il a de nouveau été témoin
de « faits étranges ».
Il se prétend
agnostique concernant l'ésotérisme, l'occulte et tous ses mystères
mais là... Force lui est d'admettre qu'il y a bien des choses, des
choses horribles, qui dépasse ce que la science peut comprendre et
expliquer. Et son père trempe là-dedans !
Lewis Patrick s'engage à
lui venir en aide, grâce à ce livre notamment.
Vernon semble rassuré
mais Lewis Patrick n'a pas osé lui dire qu'un coup fatal porté aux
plans de son père pourrait se révéler être un coup fatal porté
directement à son père.
Et ce qui l'inquiète
également, c'est le prix que lui-même va devoir payer...
IX-
Vernon
Archer a expliqué que son père semblait prier un Grand Dieu dans le
Ciel. Le ciel, les étoiles, l'air ! Est-il possible de le
contrer en appelant une entité liée à un élément opposé ?
Quelle divinité et créatures sont liées à la terre ?
Shudde-Mell et ses Chtoniens ! Shub-Niggurrath et ses Sombres
Rejetons ! Mais aussi, et surtout, le prix ? Quel sera-t-il
et Lewis Patrick est-il prêt à payer le prix que lui demanderont
ces entités ? La mort, peut-être, l'attend. Mais, pour autant,
il ne peut pas laisser Archer et ses complices allaient au bout de
leur projet. Un homme est mort. Combien d'autres mourront s'ils vont
au bout de leur cycle de rituel ?
Mais
il n'y a pas de temps à perdre ! Plus il réfléchit, plus il
tourne autour du pot et plus Archer aura les mains libres pour
récupérer les Unaussprechlichen Kulten et réaliser ses
projets d'immortalité et de fin du monde !
C'est
une nuit sans lune. Tant mieux, se dit Lewis Patrick alors qu'il se
rend dans les bois. Il approche d'une clairière mais ce n'est pas
l'endroit propice. Non, il doit être au plus près des arbres, parmi
eux. Lorsqu'il a trouvé l'endroit qui lui paraît le plus propice à
son sombre projet, il se dévêt et, une fois nu, recouvre son corps
de terre et de feuillages. Une fois maculé de boue, il ne fait plus
qu'un avec la terre, avec la forêt. Alors, il récite ce chant issu
des Unaussprechlichen Kulten :
« Je
suis la Feuille !
Le
vent rugissant de l'Est m'a soufflé ici !
Je
me languis du printemps !
Le
ciel m'a fait un cadeau, celui de pouvoir sauver les hommes !
Je
suis la Feuille !
Ici
et maintenant, je m'adapte aux changement, je m'en remets à toi !
Je
suis la Feuille ! »
Et
Lewis Patrick a alors l'impression que les feuilles et la terre qui
le recouvrent durcissent. Mais ce n'est peut-être qu'une impression.
Puis, le vent se met à souffler dans les branches des arbres les
plus haut. La forêt semble devenir plus dense. On dirait que de
nouveaux arbres apparaissent. En réalité, on ne discerne que les
ombres des arbres mais Lewis Patrick est sûr que de nouvelles ombres
viennent d’apparaître. Et l'une d'elles se détache du fond. Une
racine noueuse et trapus se lève et s'abat, suivie d'une autre et
d'une autre. Et l'ombre avance, s'approche. Lewis Patrick continue de
chanter.
« Je
suis la Feuille... »
Il
ferme les yeux. Il a peur de voir ce qui approche. Puis, alors qu'une
odeur de pourriture insupportable se répand, il finit par les
ouvrir. Et là, devant lui, juché sur trois lourds membres
inférieurs dotés de sabots, un essaim de tentacules noirâtres et
puant se dresse. La chose fait au moins cinq mètres de haut. Elle ne
parle pas mais Lewis Patrick sait qu'elle l'interroge quant à sa
demande. Alors, également en pensée et tout en continuant de
chanter, il explique vouloir mettre un terme aux agissements de ceux
qui servent le Grand Dieu du Ciel.
Le
Sombre Rejeton de la Chèvre Noire des Bois aux Mille Chevreaux lève
alors un de ses tentacules qui s'abat sur le torse de Lewis Patrick
qui ne peut retenir un hurlement tant la brûlure est insoutenable.
Il s'écroule et perd connaissance.
Quand
il se réveille, le soleil se lève. Il entend le pépiement des
oiseaux et prend alors conscience du silence surnaturel qui régnait
cette nuit. Il baisse les yeux sur son torse et voit l'horrible
brûlure qui le zèbre. Il n'a pourtant pas mal. Il récupère ses
vêtements et rentre à Hatecroft Manor. Il a besoin d'une douche,
d'une tasse de café et, surtout, d'oublier cette terrifiante nuit.
Lewis
Patrick a dormi plus de quinze heures d'un sommeil agité, fiévreux.
Quand il se réveille, il se fait de nouveau servir une grande tasse
d'un café des plus corsé. Il souffre d'une atroce migraine. Il a
l'impression que son cerveau brûle à la place de sa poitrine. Il
palpe sa poitrine à travers sa robe de chambre dont il resserre les
pans afin que ses domestiques ne remarquent rien. Il s'empare de la
Gazette de Sturkeyville. L'article ne fait pas la une mais pointe
l'étrange coïncidence qui a frappé de crise cardiaque cette nuit
plusieurs habitants de la ville, dont Lawrence Archer. Lewis Patrick
ne veut pas en savoir plus. Il referme aussitôt le journal.
Ce
n'est que plusieurs jours plus tard que sera découvert, dans sa
cabane, le corps de Jonas Parker, décédé d'une crise cardiaque.
X-
Depuis
quelques temps, le sommeil fuit Lewis Patrick. À moins que ce ne
soit lui qui fuit le sommeil. Alors, tant que les nuits ne sont pas
encore trop rudes, il sort se promener dans les bois. Cette nuit, il
s'est arrêté dans une clairière. Il a allumé un feu et se prépare
à goûter les quelques noix qu'il a ramassé sur le chemin.
Et
elle apparaît, le visage couvert de maquillage noir, vêtue d'un
manteau en cuir usée et d'une toque à tête de loup. Lewis Patrick
ne voit pas ses mains, juste les lames des ciseaux qu'elle laisse
dépasser de ses manches. Pourtant, Lewis Patrick n'est pas menaçant.
Il
ne sait pas comment elle s'y est prise mais elle a fait apparaître
devant lui six noix. Il sent alors un désagréable bourdonnement
dans son crane. Une sensation de lourdeur, comme un... volume, se
déplace dans sa tête. Un fourmillement douloureux qui cherche un
chemin vers la sortie. Lewis Patrick ouvre grand la bouche et une
nuée de mouches s'envole !
Lewis
Patrick se réveille, paniqué, en nage. Il est dans sa chambre, dans
son lit. Il ne se rappelle pas être rentré. Sur sa table de chevet,
six noix. Sur la fenêtre, une mouche. Dans sa tête, un mot :
Millevaux !
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