Millevaux V

MILLEVAUX SAISON 5

I : INDIAN LAKE

Je m'appelle John Falkonson mais, dans le cadre de mon job, on m'appelle Midnight Cadillac. C'est mon nom de code. On a en a tous un au sein de The Black Banshee #1, notre cellule au sein de l'organisation Black Rain. C'est pas moi qui ai choisi ce nom là. En fait, j'avais pas d'idée alors ce nom là en valait bien un autre.
Sur ma fiche de poste, il y a écrit « investigateur ». On nous envois sur des affaires louches, bizarres. On nous dit rarement beaucoup de choses sur ces affaires. Et on comprend rarement grand chose à ce qu'on trouve. Mais ils ont l'air satisfait à Black Rain. On nous a expliqué qu'il ne s'agit pas de nous cacher des choses mais d'assurer notre sécurité et celle de l'organisation au cas où nous devions être capturé par des forces hostiles (lesquelles ? On ne nous a rien dit à ce sujet non plus). On nous a aussi expliqué que c'était pour s'assurer qu'on aura un regard « neuf » sur chaque affaire, qu'on ne sera pas contaminé par des idées reçues, des préjugés etc. De là, j'en ai déduis que ce devait être une pratique au sein de Black Rain que d'envoyer plusieurs groupes d'investigateurs sur une même affaire. Ensuite, ils doivent, je pense, centraliser toutes les informations trouvées et en tirer leurs propres conclusions. Nous, on ne sait jamais rien de ces conclusions. Mais on est aussi payer pour accepter de ne pas savoir, de ne rien demander de plus.
The Black Banshee One #1 est composée de Harrison Garrison, Hammer Wichita, Gator Muerte, Deutscher Joe et moi-même. En mission, nous ne nous appelons jamais par nos vrais noms. Et hors mission, on s'appelle rarement en fait.
Ce matin, trop tôt, nous arrivons à Indian Lake. Ce summer camp est fermé depuis l'été dernier suite à la disparition de... tout le monde. Les gamins, le staff. Tout le monde a disparu du jour au lendemain sans laisser de trace. Le FBI est sur le coup. Une task force spécialisée dans la lutte anti-secte a été monté. On a parlé d'un truc comme ça dans les médias. Le directeur a été accusé d'avoir viré gourou et entraîné tout le monde dieu sait où. J'espère pour eux qu'il les a conduit dans un endroit où il fait chaud. On se les gèle ce matin. Pourtant, on est que le 1er septembre. C'est encore l'été officiellement.
Nous nous garons sur le parking du camp. À part la nôtre, aucune voiture. Pourtant, il y a des traces de pneus assez récentes puisqu'elles n'ont pas été effacées par la pluie. Après, je fais remarquer qu'il s'agit sûrement des voitures des flics et des fédéraux et on me dit de fermer ma gueule. Je la ferme. Je ne suis pas le plus pénible des collègues. Enfin, j'espère. Les autres ne le reconnaîtront pas mais ils savent bien que j'ai raison. Et c'est le principal, qu'on ne perde pas de temps inutilement. Par contre, il est plus étonnant qu'il n'y ait plus les véhicules des membres du staff. À ma connaissance, ils n'ont pas été saisis par la police. Et on me dit encore de fermer ma gueule car... Et si ! Les voitures du directeur et du gardien ainsi que le minibus ont été saisi. OK, autant pour moi, j'ai dû sauter ce paragraphe dans le rapport remis par Black Rain.
Deux « Ta Gueule ! » me mettent de suffisamment bonne humeur pour proposer de m'occuper du bungalow du gardien justement. Seul... pendant que eux prennent de l'avance en inspectant le camp. Je dis ça, je dis rien. Ma proposition semble les laisser tous indifférents. OK, je me dirige vers le bungalow en question. Je les retrouverai plus tard.

Vu de dehors, ce chalet a l'air pas mal. Confortable même. Les fils qui s'en échappent indiquent qu'il y a là l'électricité et le téléphone. Je monte les quelques marches menant au porche. Je tends l'oreille. Rien de particulier mais, pour autant, je ne me sens pas à l'aise. Est-ce à cause du froid ? Ou cette odeur. Mais... ce n'est pas cette odeur typique des scènes de crime. Les policiers et les fédéraux ont du nettoyer tout ça depuis le temps.
Je ne sais pas trop pourquoi mais je frappe à la porte. Je ne m'attends pas à une réponse mais, au cas où il y aurait quelqu'un, peut-être que je l'entendrais bouger. Alors, je prendrais mes précautions. Mais je n'entends rien. On dirait bien que le coin est désert. Tant mieux.
La porte s'ouvre sur un salon avec un coin cuisine aménagé. Le parquet est dégoûtant. Les meubles défraîchis sont couverts de poussières et de tâches d'origines inconnues. Ça sent le tabac froid. L'évier déborde de vaisselle sale. Non, c'est pire que sale ! Puis me regard flotte jusqu'aux trophées de chasse accrochés aux murs. Et je la vois ! Cette chose que mon inconscient tente de me cacher depuis que je suis entrer. Elle est là, dans mon champ de vision. Mais depuis le début, mon regard s'en détourne, m'en détourne. Mais maintenant, je suis face à elle. Elle est là. Sur le mur. Suspendue à un porte-fusil en bois de cerf. Une arme. Une carabine !
C'est assez handicapant dans mon métier mais... j'ai la phobie des armes à feu. Le psychiatre appelle ça l'hoplophobie. Je suis donc hoplophobe. C'est notamment pour cette raison que j'ai rejoins une équipe d'investigateurs et non d'intervention. Nos affaires ne nécessitent que rarement l'usage de la force ou le recours à des armes. Et là, je laisse volontiers mes collègues jouer aux héros. Sauf que là, je suis seul. Je fixe l'arme. Je suis tétanisé. Je devrais bouger, m'enfuir, quitter cet endroit. Mais je ne peux pas. Une sueur glacée perle le long des mes tempes et descend jusque dans mon cou, mouillant ma chemise et rendant son contact désagréable. Je parviens quand même à faire un pas en arrière. Si je peux en faire une dizaine d'autres comme ça, je pourrais sortir. Je sers la pierre tigrée qui pend à mon cou et pries pour réussir à faire un pas.
Impossible ! Mes pieds sont soudés au sol. Et je ne peux quand même pas appeler mes collègues au secours. Pas pour ça ! Un bruissement derrière moi. Je le savais ! Je ne suis pas seul. Le propriétaire de l'arme est ici. Avec moi. Derrière moi. Il va s'emparer de la carabine et me tuer. C'est sûr ! Je respire profondément et tente de retrouver mon calme. Je veux me retourner et faire face à cet homme. Je lève difficilement le pied et opère une rotation à 180°. Face à moi, un vieil homme. Il a au moins 70 ans. Mon regard se porte instinctivement sur sa jambe artificielle. Puis, il remonte et s'arrête sur ses mains aux ongles sales. Quand je regarde enfin son visage, je lui trouve l'air amical. Il me sourit. Contrairement à ses ongles, ses dents sont propres.
Et je me dis qu'il n'a rien à faire ici. Le site a été fermé par les autorités.

« Vous n'avez rien à faire ici, monsieur. Le site a été fermé au public par une décision de justice. Veuillez décliner votre identité. »

Je tente de rester calme et de faire abstraction de cette carabine qui, à tout moment, peut se décrocher accidentellement, tomber au sol et me tirer dans le dos. Mais je ne peux réprimer un long gémissement dont je sais qu'il m'ôte tout crédit.

Le vieil homme fait un pas en arrière et se met sur la défensive. Est-ce que je lui fait peur ? Est-ce qu'il me prend pour un fou ? Probable. Après tout, je le suis d'une certaine manière. Je tente de me reprendre.

« Excusez-moi. Une... migraine... passagère. Qui êtes-vous ? Et que faites-vous là ? »

Il me regarde et je sens bien qu'il ne me croit pas.

« Mon nom est Mud ! Mu..Mu... Mud ! »

Il a beau bégayer, chacune des syllabes qu'il prononce sonne comme un coup de pioche.
Puis, j'entends un horriblement craquement. Du sang coule derrière le vieil homme. C'est lui qui saigne. Ses yeux se révulsent. Il semble pris de convulsions. Les craquements deviennent plus forts. Ils se doublent de cet horrible bruit de chairs qui se déchirent. Le sang coule à flot. Derrière le vieil homme, derrière Mud, je vois une patte d'insecte se poser sur le parquet imbibé de sang juste derrière sa prothèse. Une deuxième patte. Encore ce bruit horrible de viande. Il y a de plus en plus de sang. L'espace d'un instant, ses épaules semblent se relever et son corps tombe au sol comme un sac vide. Je vois l'énorme balafre dans son dos rendant visibles ses organes internes. Mais debout, devant moi, se tient quelque chose de pire que ce cadavre. Un cafard. Un énorme cafard me scrute de son regard à facettes.

Rideaux !

Où suis-je ? Une vaste étendue de sable. Il fait nuit et j'ai froid. Le ciel est d'un bleu très foncé que percent de nombreuses étoiles. Le sable, lui, a une couleur orangée plutôt étrange. Au loin, je vois une gigantesque pyramide. Tout cela est un rêve... qui peut très vite virer au cauchemar. En effet, je me rappelle très bien ce que j'ai vu avant de m'écrouler dans ce bungalow. Et je ne veux surtout pas que cette chose s'occupe de mon cas.
Mais, malgré tout, je garde espoir. Je sens... une présence. Je ne suis pas seul dans ce rêve. Quelqu'un est là, avec moi et tente de me parler, de communiquer. Mais j'ai peur. Plus j'avance dans ce désert et plus cette pyramide me semble à la fois gigantesque et... lointaine. Elle s'éloigne à mesure qu'elle grandit dans une parodie de perspective.
Ce désert, j'en suis convaincu, n'en est pas un. Même si je ne vois pas âmes qui vivent, je sens une multitude de présence néfastes n'attendant qu'un faux pas de ma part pour s'emparer de mon esprit et le déchirer comme cette chose a déchiré de vieil homme. Pourtant, je sens aussi une et une seul présence sur laquelle, j'espère ne pas me tromper, je peux compter. Je luis envois mes meilleures intentions en pensée et espère qu'elle les recevra. Je n'ai aucune idée de là où se trouve cet être. Est-il seulement dans ce rêve. Je me sens guidé vers cette pyramide mais est-ce vraiment là que je trouverai cet ami improbable ?
Mais un fou rire éclate dans ma tête. Qui se moque ainsi de moi ? Qui se rit de mon espoir d'avoir, enfin, un ami ? Qui se tord ainsi de rire au point de... tordre mon rêve ? Sous le sable, la terre tremble. Des dunes s'élèvent, se meuvent dans le ciel et retombent au hasard. Je manque de périr, écrasé, étouffé. La pyramide est-elle encore là ?
Oui ! Et mon ami aussi. Je le sens. Nous avons eu chaud. Mais je sens qu'il me dit de garder confiance. Nous ne parvenons qu'à nous transmettre de vagues émotions. Comme des ondes. J'aimerais lui envoyer des mots. Lui parler. Savoir comment il s'appelle. Mais la folie brouille les pistes. À moins que... Serait-ce cet ignoble insecte qui sèmerait le trouble dans mon inconscience ? Est-ce lui, est-ce son influence insane que je sens perturber mon rêve ? Ou alors, est-ce lui qui a créé cet ami imaginaire uniquement dans le but de se jouer de mes espoirs et les réduire à néant ? Non ! Je ne dois pas penser ainsi ? C'est précisément ce que cherche celui qui me veut du mal. Il cherche à me détourner de cet ami, à me faire sombrer dans la folie.
Et alors que, une fois les dunes ayant pris leurs nouvelles places, je me tourne vers la pyramide avec la ferme intention d'y retrouver celui dont je sais qu'il est mon ami, j'entends ces mots...

« Je suis la Kraken ! Je repose à des milliers de kilomètres au fond de l'océan. Ma solitude est infinie. Te rencontrer, mon ami, apaiserait mon âme... Je suis le Kraken ! »

Je me réveille dans un chalet. Un autre chalet. Comment suis-arrivé là ? Et que m'est-il arrivé ? Mes vêtements sont déchirés. Et dessous, un tatouage ? Je ne me suis jamais fait tatoué ! Qu'est-ce que ce motif ? Des... tentacules de pieuvres ?! Partout sur mon torse, mon dos, mes épaules, mes bras !! Et, mais ?!! Mais qu'est-ce qui s'est passé ici, bordel ??!!!
Il n'y a ici aucun meuble. La pièce est nue. Comme un être humain est nu. Mais pire que ça. Pire que nu ! Écorché vif ! Cette pièce a été écorchée vive. Il y a du sang partout ! Du sol au plafond. Et ça dégouline encore des murs. Et là, devant moi, un homme, nu lui aussi. Avec une... Non, ce n'est pas possible. C'est un masque ? Non ! Ce n'est pas un masque. Cet homme a une tête de... porc !!!! Et une arme, un flingue... Un putain de flingue !!!! Je tombe à genoux... Je ferme les yeux. Tout ça est un cauchemar... Ce n'est pas réel.

Je ne sais plus vraiment ce que je veux. Est-ce que je veux que tout s'arrête ? Me réveiller ? Me rendre compte compte que tout ça n'est qu'un cauchemar ? Ou alors, rester comme ça, à genoux et attendre de savoir ce que cet homme à tête de porc attend de moi ? Je n'ose me l'avouer mais cette idée pulse au fond de mon cerveau. Il émane de cet être quelque chose qui me fascine. Je voudrais fuir. Ou plutôt, je voudrais vouloir fuir. Mais, en réalité, je veux savoir ce qu'il attend de moi. Et je savoir si je serai capable de lui apporter satisfaction. Mais si je fais ça, je trahirais mon ami, le Kraken. C'est sa marque que je porte maintenant. C'est son encre qui court sous ma peau. À qui dois-je obéir ? Au porc ou à la pieuvre ?

Le porc a un flingue. Je sers les dents. Des larmes coulent le long de mes joues. Je veux écouter la pieuvre. Kraken, dis-moi ce que je dois faire pour me sortir de là !

« Tu dois éteindre tes regrets et demeurer imperturbable. »

Mes regrets ? De quoi parle-t-il ? De quels regrets parle-t-il ? Qu'ai-je à regretter ? Ce séjour en hôpital psychiatrique ? Non. En fait, je ne le regrette pas. Ce que je regrette, c'est plutôt d'être ce que je suis. Un homme effacé, lâche... Ce serait ça ton message, mon ami ? En finir avec mes peurs ? Alors soit...
Je bondis alors en poussant un hurlement. Je voudrais sauter à la gorge de cet homme mais je n'ai finalement que le courage de tenter de m'enfuir. Et pour moi, c'est déjà énorme. Et ma bonne étoile me sourit. Je ne sais, peut-être que ma réaction l'a pris au dépourvu, que mon cri l'a surpris, mais il ne me tire pas dans le dos. En un instant, je me retrouve dehors, dans l'air glacé de ce matin de septembre. Merci, mon ami, de m'avoir donné la force de me sortir de là. Je te serai reconnaissant, promis. Mais pour l'instant, je dois retrouver les autres. Et leur dire.

Je cours me mettre à l'abri, hors de vue en tous cas, dans un autre chalet. Coup de chance, encore !, il est désert. Là, je prends mon cellulaire. Pas de réseau mais j'ai un sms de Harrisson Garrisson. Mauvaise nouvelle ! Hammer Wichita est mort. Merde ! Ils se sont réfugiés dans le deuxième chalet. OK, je fonce.
Je sors par derrière, par une fenêtre. Je veux éviter de m'exposer, que ce soit à cet homme-porc ou au cafard géant. Avoir une pensée rationnelle incluant ces deux choses m'inquiètent. Ça veut dire que j'accepte l'idée de leur existence. Or, elle est inacceptable, inconcevable. Et pourtant, je dois bien ma survie à un Kraken que je n'ai même pas vu en rêve. Je l'ai à peine entendu.
Précaution inutile ! Le cafard semblait m'attendre. Comment savait-il ? Peu importe. Je cours droit devant moi et saute par la fenêtre du chalet. J'espère y trouver mes collègues survivants. Mais mes espoirs sont déçus. Ils sont même réduits à néant. Dans la pièce principale de ce chalet, je me retrouve nez à nez avec un autre cafard géant en train d'enfiler un corps. Mais pas n'importe quel corps. Il s'agit du corps de Gator Muerte !
Je ne sais pas ce qui me prend, mais je fonce sur l'insecte. Je le percute et il vacille pour finalement tomber. Gator Muerte est à terre, le dos grand ouvert. Je vois ses organes internes, ses poumons, son cœur qui bat. Pour l'instant...
Je roues le cafard de coups de pieds. Mais je dois bien me rendre à l'évidence, il ne sent rien. Tout ce que j'arrive à faire, c'est l'empêcher de se relever. Et derrière moi, le corps de Gator Muerte montre des signes de faiblesse. Est-il encore possible de sauver mon ami. Kraken, aides-moi !

« Trouves mon nom... »

Quoi ? Mais son nom, c'est... Kraken, non ?
Et là, mes yeux se sont mis à pulser dans mon crane. J'ai eu très, très mal. Je suis, une fois de plus tombé à genoux. J'ai vu le cafard se retourner et commencer à se relever. Puis, je n'ai plus rien vu car je pressais mes paumes devant mes yeux, tentant vainement de calmer la douleur.
Je sentais l'encre bouger sous ma peau. Je sentais des mots refluer jusqu'au fond de ma gorge et sortir de ma bouche...

« Je suis le Kraken ! Ici et maintenant, j'invoque les abysses. Les eaux vont monter. Et quand elles se retireront, cet horrible cafard aura été englouti, emporté dans l'obscurité. Je suis le Kraken ! »

Et mes Yeux m'ont parlé !

« Tu dois fabriquer des crocs pour faire pénitence. Alors, ce cafard invincible cessera de l'être et sera englouti, emporté dans l'obscurité ! »

Fabriquer des crocs ? Comment ? Des crocs, ce sont des... dents ? MES dents ? OK, je sors mon opinel de ma poche et commence à me lacérer les gencives. En hurlant, j'extrais une canine et une prémolaire. La douleur me fait fermer les Yeux. Quand je les ouvre, je suis seul dans la pièce. Le corps de Gator Muerte a lui aussi disparu. Je mets mes deux dents et mon opinel dans ma poche et me dirige vers l'évier. J'ai besoin de me rincer la bouche.
À mesure que l'eau teintée de mon sang s'écoule dans l'évier, je prends la mesure de la douleur. Je pensais qu'elle se calmerait mais c'est de pire en pire. Comme si la tension avait joué le rôle d'un anesthésiant dont l'effet cesserait progressivement. Je me tiens comme je peux en m'appuyer sur les rebords de l'évier mais je me sens défaillir.

Hammer Wichita et Gator Muerte sont morts. Où sont passés Harrisson Garrisson et Deutscher Joe ? Et moi, je sombre...

Quand j'émerge, le soleil semble plus haut dans le ciel. Il est 15h16. Je suis dehors. Qu'est-ce que je fais là ? Comment suis-je arrivé ici ? Je suis au pied d'un totem indien des plus clichés. Un empilement d'animaux des bois avec un oiseau au sommet. Pas de pieuvre. Dommage.
Je sens quelque chose d'étrange dans mon abdomen. Je soulève ce qui reste de ma chemise. Mon ventre est zébré d'un horrible cicatrice. Et quand je passe la main dessus, je sens quelque chose de dur, avec des angles pointus, comme des triangles, des petites pyramides. Putain ? Mais qu'est-ce qu'on m'a fait ? Qu'est-ce qu'on m'a mis dans le ventre ?

Quand je lève de nouveau les yeux vers le totem, celui est recouvert de sang et de viscère. À son pieds sont empilés avec soin les jambes et les bras découpés d'un enfant. Je suis sûr que ça n'était pas là il y a quelques instants. Un coup de feu retentit !

Je me retourne. Je ne vois personne mais je sens une présence. Une odeur ! Soudain, c'est comme une vague. Un tsunami de puanteur qui me fait tomber à terre et vomir tripes et boyaux. Les spasmes sont si violents que cette cicatrice qui me barre le ventre s'ouvre et laisse tomber, au milieu du flot de sang (mon sang!) une dizaine de petits cubes et pyramides d'un noir brillant. J'ai besoin d'aide, maintenant ! Entre deux râles, je hurle le nom de mes collègues. Et un miracle s'est alors produit. Je les ai vus. Ils sont sortis des bois par le chemin entre la remise et le réfectoire, armes au poing mais l'air... mal en point. Alors que je me roule sur le côté pour mieux les voir et leur faire signe, j'ai l'impression qu'ils ne sont pas blessés mais ils ont l'air choqué. Qu'ont-ils vu ? J'espère que c'est un de leurs coups de feu que je viens d'entendre et qu'il n'y a pas de tireur embusqué.

Deuscher Joe se précipite vers moi et examine ma blessure. Il jure. Je comprends qu'il ne peut rien faire pour moi. Harrisson Garrisson, arme au poing, s'assure que nous sommes seuls. Moi, je ferme les yeux en sanglotant. Je ne veux pas voir son flingue. Je ne vois pas voir ces petites choses noires qui sont sorties de mon ventre. Pourtant, je les vois. Comme des phosphènes qui s'éteignent derrières mes paupières closes, je les vois trembler, vibrer et... se dérouler, s'assembler entre elles. Je préviens Deutscher Joe. Il me tapote doucement l'épaule et me dit qu'il va voir. J'entends un cri, mais pas de douleur. De la surprise. Il appelle Harrisson Garrisson.

« Putain ! Qu'est-ce que c'est que ça ? »

Et comment pourrais-je le savoir ? Les yeux fermés, je ne vois rien. Les Yeux, je dois interroger les Yeux. Eux me diront ce que je dois faire pour savoir...

Et les Yeux me disent que je dois les avertir car cette chose est monstrueuse. Il faudra aussi que je prenne des notes, que je produise un document. Les Yeux veulent que je produise un document pour prévenir le monde contre cette chose. Alors, je saurai ce qu'elle est. Mais avant, avertir Harrisson Garrisson et Deutscher Joe.

« Butez ce truc... »

J'entends alors une série de coups de feu. Mais aussi des cris. Alors, j'ouvre les yeux.
Harrisson Garrisson et Deutscher Joe sont là, devant moi, debout. À leurs pieds fument les restes de cet espèce de gros vers noir. Je suis surpris de voir qu'aucun fluide ne s'en échappe. Eux ont l'air surpris de... je ne sais pas. Et je ne suis pas certain de vouloir le savoir.
Dans un douloureux effort, je parviens à me relever. Deutscher Joe me vient en aide. Je demande après un endroit sûr. Je le laisse me guider. Je ne sais pas où ils vont me conduire. En tout cas, là, il faudra que je trouve de quoi écrire.

Ils me conduisent aux cuisines. Tout n'est qu'inox et carrelage blanc. Je souris en constatant que sans être immaculés ces lieux n'ont au moins pas été le théâtre d'un carnage. Et sans attendre, je demande après du papier et un crayon.

« A l'attention de Black Rain et du monde. Ce que nous avons, ce que j'ai vécu à Indian Lake dépasse l'entendement. À l'heure actuelle, je ne sais pas si nous percerons le mystère de ces disparitions. Pour autant, je dois vous avertir de l'existence de cette chose. Elle s'est présentée à moi sous la forme de plusieurs cubes et pyramides de petites tailles et d'un noir brillant. On m'a ouvert le ventre pour les introduire. Je ne sais pas qui ni comment. Ces choses sont ensuite sorties de moi. Mes collègues les ont vu vibrer, trembler puis se mouvoir afin de s'assembler les unes au autres en un énorme vers. Ils l'ont tuée avant qu'elle ne parvienne à maturité. Mais cette chose est extrêmement dangereuse. Il y a fort à parier qu'il y en a d'autres et que celui ou ceux qui me les ont mis dans le ventre n'hésiteront pas à réitérer cette folie. Je ne sais pas comment cette chose s'appelle. J'écris cet avertissement pour le savoir. On peut tuer cette chose. De simples balles ont suffit. Mais peut-être avons-nous la chance de pouvoir intervenir juste après sa naissance. Cette chose, cette chose c'est le...
… Cruel Centipède ! »

Je m'empare ensuite de mon portable. Il y a du réseau, un peu... Je prends une photo de mon texte et l'envois en pièce jointe à notre contact au sein de Black Rain. Je plies ensuite la feuille et la range dans ma poche. J'espère survivre pour pouvoir la remettre en main propre à qui de droit. Puis, je sombre...

Je me réveille ! Harrisson Garrisson et Deutscher Joe gisent à mes pieds. Éventrés, ils baignent dans le sang, les tripes à l'air. Dans ma main, un énorme couteau de cuisine ! Qu'est-ce qui s'est passé ?
Je m'écroule à genoux et j'attends. Je ne sais pas ce que j'attends. Je n'en peux plus. Je suis le dernier des Black Banshee #1. Et c'est moi qui ai tué les deux derniers ! Et je ne m'en rappelle même pas. Je n'ai pas assez de réseau pour appeler Black Rain et leur demander quoi faire. Qui va bien pouvoir me dire quoi faire ? Je suis si fatigué. Je ne suis pas en état de prendre une quelconque initiative. Je ne l'ai jamais été. Je ne suis qu'un suiveur, docile, soumis, servile. Je ne suis bon qu'à obéir. C'est tout ce que je sais faire. J'ai besoin d'un maître à servir, auquel plaire...
Un grincement de porte. Une ombre se profile, qui n'a rien d'humain. De longues et trop fine jambes soutenant un corps chitineux. Des yeux à facettes au dessus de mandibules acérées. Le cafard géant. C'est donc lui mon nouveau maître ? Je me tourne dans sa direction mais je ne me relève pas. Je reste à genoux, tête baissée. Je l'entends me tourner autour. Soudain, une douleur horrible me déchire le dos de haut en bas. Je m'efforce de ne pas broncher, de tenir bon. J'ai l'impression que ça dure des heures puis plus rien !

Puis, c'est l'hôpital ! Je me rappelle. Mais là, je ne suis pas seul. Le cafard est avec moi. Je le sens, comme s'il regardait par dessus mon épaule...

Je suis dans le bureau du Supérieur Morgenstern. Nous sommes la nuit. Morgenstern est le médecin de garde et il ne vient que la nuit. Je ne sais plus comment j'étais arrivé dans son bureau.
« Qu'est-ce que j'ai fait ?
C'est à vous de me le dire.
Je ne m'en rappelle pas.
Faites un effort !
J'ai fait quelque chose de mal ?
Vous pensez avoir fait quelque chose de mal ?
Non ! Je ne pense pas. Ou pas exprès. Je fais beaucoup d'efforts pour ne pas faire de bêtises et avoir un comportement correct.
Vous faites beaucoup d'efforts.
Alors, qu'est-ce que je fais là ?
A votre avis ?
Vous avez quelque chose à me dire.
Vous croyez ?
Oui.
Et qu'ai-je donc à vous dire ?
Vous avez quelque chose à m'annoncer. Une nouvelle ? J'ai reçu du courrier ?
Vous avez reçu du courrier. »

Et le Supérieur m'a tendu un paquet. Une épaisse enveloppe brune, usée. À l'intérieur, une liasse de feuilles désordonnées dans une chemise en carton. Sur le carton, le dessin d'une bouche déformée par un sourire effrayant.
Le Supérieur Morgenstern me fixe des yeux. Je n'ose bouger. Je commence à lire les feuillets. Le cafard géant lit par dessus mon épaule.

« J'étais architecte au sein de la communauté de Récif, avec mon amie Sililia nous avons dessiné de beaux bâtiments.

J'étais le compagnon de Aira. Elle m'a offert cette jolie bague en forme de scarabée.

Je n'ai jamais pris le temps de me plonger dans ce vieux grimoire qui traîne dans mes affaires depuis si longtemps. Il faudrait aussi que je me plonge dans ce puzzle étrange. L'un comme l'autre, je ne saurais pas dire comment ces étranges objets se sont retrouvés dans mes affaires. Mais je ne peux me résoudre à les jeter.

Elle s'appelait Nuancia. Elle a perdu son enfant à cause des Horlas. Elle est donc devenu chasseur de monstres aux côté de cet homme : Spike N'Ger !

Les problèmes s'accumulent en ce moment. Déjà, je ne peux plus utiliser la magie de NoAnde pour me nourrir. Je ne sais par quel coup du sort mais ma dernière proie pratiquaient elle aussi cette même forme de magie et l'a retourné contre moi. Aussi, non seulement, je ne peux plus altérer la réalité autour de moi mais mon corps se retrouver altéré. Ainsi, une tête de dragon, inutile, pend au dessus de mon épaule gauche. Mais ce n'est pas tout ! Les délires de ce lépreux ont attiré l'attention des Exorcistes et il semble qu'ils en aient appris plus que nécessaire à notre sujet. L'étau se resserre et il va falloir jouer serré. Et ce d'autant plus que je suis toujours sans nouvelle ni de Franky, ni de NoAnde. Notre mouvement ne perd pas en puissance malgré la menace mais il va falloir pourtant accroître la fréquence de nos rituels tout en nous montrant de plus en plus prudent. En effet, a ce qu'on m'en a dit, non seulement les Exorcistes se rapprochent de nous mais de plus en plus de citoyens de la Cité Volante s'intéressent à nos activités, non pour nous rejoindre, mais pour nous combattre. Dois-je y voir l'action non seulement des Exorcistes mais aussi des Powl ? Et derrière eux la volonté des Lwas ?

Je m'appelle Baltus Malmort, je suis né quelque part dans la forêt de Millevaux. Ma famille s'est enfuie pour échapper aux Horlas. Nous nous sommes réfugiés près de ces falaise et nous avons fondé une communauté que nous avons nommée Récif. Tout est à construire...

Par une nuit pluvieuse, j'ai été mordu, dévoré, vidé de mon sang et ramené à la non-vie par un Horla. Il a fait de moi un monstre, un esprit immatériel qui ne peut désormais survivre qu'en prenant possession du corps d'un pauvre mortel, marionnette dont j'ai besoin pour pour pouvoir me nourrir. Je lui dois maintenant cette vie d'errance, cette vie de maudit. Et ces étranges arabesques qui ornent le visage de ceux que je possède pour me nourrir et qui ne les quittent plus, jamais.

Pour l'instant, on dirait que tout se passe bien. Certes, Boots s'est fait capturer mais j'ai assez confiance en lui pour être sûr qu'il ne parlera pas. De plus, à force de fréquenter le Grüneblaue, j'ai pu cerner le profil des habitués les plus malléables. Maintenant, s'il m'est difficile de sortir sans escorte, nous sommes tous à l'abri du besoin puisque tous ces sots mettent un point d'honneur à remplir nos caisses de leur or. Et en échange, il me suffit de les autoriser à participer aux orgies rituels des Soars. Je dois garder à l'esprit que ce Spike est peut-être sur nos traces. Je dois aussi rester vigilant quant à ces exorcistes qui fourmillent dans les rues. Mais j'ai confiance en l'avenir. Malgré les disparitions de Boots et Lucius et bien que NoAnde poursuivent ses propres plans, je ne doute pas une minute de la réussite de notre entreprise. Nous allons répandre Millevaux. Ici, la Forêt va connaître une poussée expansionniste sans précédent pour la plus grande gloire de Shub'Niggurath. Et ce n'est pas une poignée de prêtres qui va nous en empêcher. Dans la rue, on dit qu'un groupe obscur gagne en puissance ? Ils ne savent pas à quel point ils ont raison. Mais autant ils savent que nous existons, autant ils ne savent rien d'autre et surtout pas comment nous arrêter !

J'ai fui Récif ! J'ai abandonné là mon aimée, mes amis. Je les ai perdus il y a maintenant plusieurs semaines, depuis que le monstre m'a projeté hors de moi, me condamnant à cette vie d'errance. Mais j'étais néanmoins resté près d'eux, dissimulé dans le corps de cette belle jeune femme que j'ai défigurée en lui imposant mes stigmates. Mais après la mort d'Ithéron, je ne peux rester. Je ne veux pas mettre Aira en danger. J'ai profité d'une tempête pour m'enfuir. Celle-ci a ramené près de nous une gigantesque Cité Volante. Je ne savais pas qu'une telle chose pouvait exister. J'ai réussi à gagner ses soubassements. Là, j'ai pu me faire une petite place dans des recoins sombres. Alors que j'errai en quête de nourriture, un certain Boots, tout de noir vêtu et au regard inquiétant, s'est proposé de me venir en aide. N'attend-il de moi que quelques faveurs malhonnête ? En tous cas, il est décidé à me servir de guide et de protecteur dans cette Cité, mon nouveau chez moi ?

Boots m'a conduit au Grüneblaue, un établissement où il a ses habitudes. Là, il m'a présenté comme une amie très chère qui avait besoin d'aide. Il n'a pas entièrement tort. J'aime cet endroit. Tout y est sombre. Les clients sont tous de noir vêtu. Cela s'accommode bien à mon humeur. D'autres portent d'étranges masque à gaz dissimulant leurs traits. Il m'en faut un ! Je veux des vêtements comme les leurs également. Je le dis à Boots qui transmets ma requête à l'entourage. Déjà un homme s'approche et me tend sa cape de cuir doublée de velours. Il se nomme Hexa. Quelque chose d'étrange dans sa façon de se tenir le rend... repoussant mais pourtant fascinant. J'accepte sa cape.

Hexa m'a rendu visite aujourd'hui. Il m'a expliqué avoir compris qui et ce que j'étais. Il affirme s'en moquer. Il prétend m'aimer. Il veut m'aider. Mais m'aider à quoi ? À redevenir comme avant ? Non ! Il veut m'aider à... réaliser mon « potentiel » dit-il. Mon... destin ? Soit, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas lui faire confiance ? Je n'ai aucune idée du destin ni du potentiel auxquels il pense. Je verrai bien où tout cela me mène.

J'ai consacré beaucoup de temps à observer NoAnde. Il n'est pas comme les autres Soars. Et je ne dis pas cela juste parce qu'il est... mort... et fou. Il n'est pas fou dans le sens où il serait incohérent. Il est fou car... sa perception du monde, des mondes, de l'espace et du temps n'est pas comme la nôtre. Il voit tout cela différemment et cela l'amène à penser différemment. Il conçoit les choses autrement et entrevoit des pistes d'exploration conceptuelle qui nous échappent, auxquelles nous ne pouvons accéder car nous ne pouvons même pas y penser. Pour lui, la réalité n'a pas ce caractère immuable que nous lui attribuons spontanément. Il la voit comme un ensemble de forces sur lesquelles il est possible d'agir. D'après lui, il est concrètement possible d’altérer le cours du temps, de modifier l'espace, de le modeler à sa guise. C'est là une des propriétés de cet Égrégore dans lequel nous baignons. Au début, je ne comprenais pas. Puis, je l'ai vu faire. En dénaturant les rites Soars, il est parvenu à modifier la trame du réel. Et des choses sont advenues. Et je sais que toutes ses expériences s’inscrivent dans le cadre de ce projet dans lequel il a embarqué Lucius. J'aurais bien bu le sang de ce jeune homme mais... NoAnde en a voulu autrement. Et c'est fort dommage car, entre ce nouveau stigmate, cet Aura Putride, et l'arrivée de ces exorcistes, il m'est devenu bien difficile de me nourrir. Aussi, j'avoue avoir recouru en cachette à cet art auquel recourt NoAnde pour, moi aussi, altérer le réel et me faciliter l'accès à des proies sans risquer de tomber nez-à-nez avec des exorcistes. Ainsi, l'acte sexuel, même solitaire, me permet d'ouvrir une sorte de brèche dans l'espace par laquelle le sang de ma victime s'écoule jusqu'à moi. Je n'ai même pas à souffrir de contempler l'agonie de ma proie. Tout se passe de « l'autre côté ». Là où je suis, je ne vois que des filets de sang traverse l'espace et pénétrer mon corps par chacun des pores de ma peau.

C'est étrange. Incompréhensible, bizarre, mais... intéressant. À mesure que je me familiarise avec les rituels de NoAndes, je me sens de moins en moins soumis aux instincts de la Bête. Je ne parviens pas seulement à modifier certains aspects de mon environnement. Je sens que je contrôle la Bête aujourd'hui plus qu'elle ne me contrôlait jusqu'à présent. Je ne sais pas si je dois y voir un rapport de causalité, une simple coïncidence ou un effet de synchronie dont le sens m'apparaîtra eut-être plus tard mais de la même façon que la bouche de la Bête est devenu La Bouche, la couverture de mon vieux grimoire s'est lui aussi orné d'une Bouche quasi identique. Je ne doute pas que NoAnde aurait des réponses à ce sujet. Mais, je préfère rester dans une ignorance temporaire que de devoir lui poser la question. Pour autant, malgré toutes ces incertitudes et questionnements, je suis en paix. Pourtant, nous traversons des moments difficiles. NoAnde poursuit ses propres buts à l'aide de Lucius. Je suis sans nouvelle de Franky que j'ai lancé après lui. Et puis, je viens d'apprendre que Boots s'était fait capturer par des Exorcistes. Depuis que la Cité Volante stagne au dessus de Millevaux, nous nous sommes lancés dans une série de rituels en l'honneur de la Chèvre Noire afin d'étendre l'influence de la Forêt aux cieux. Pour cela, nous avons besoin de « préparer » certains lieux en vue d'une grande cérémonie que j'espérais prochaine. Mais avec l'arrestation de Boots, cela pourrait bien être compromis. Mais, là où le temps va peut-être malgré tout jouer en notre faveur, tient à ce que l'expédition est revenue avec cette « bonne » nouvelle qu'il y a de l'eau potable à proximité. Aussi, il me paraît très probable que la Cité reste encore en vol par ici quelques temps. Cela nous permettra de libérer Boots ou de poursuivre notre projet sans lui. En espérant qu'il ne dise rien. En tout cas, pour ce qu'on m'en a rapporté, cette arrestation fait beaucoup parler et ces Exorcistes viennent ainsi de rallier à leur cause une partie de ceux qui doutaient de la pertinence de leur présence ici. Jezabel Powl doit s'en réjouir, elle qui les a visiblement tant soutenus. »

Je ne comprends rien. Le Supérieur Morgenstern me fixe toujours. Je me retourne, espérant un signe de la part du cafard. Mais il n'y a personne derrière moi. Pourtant, je sais qu'il est là.
L'auteur de ces mots semble être un certain Balthus Malmort. Il parle de vampire, de magie, de Dieux Anciens maléfiques, de Soar, d'une forêt... Millevaux !

II : LES BRUMES

Je m'appelle Ludwig Victory. J'ai 19 ans et je suis étudiant en école de journalisme. Actuellement, je suis counselor au summer camp d'Indian Lake. Non que j'ai besoin d'argent, mes parents sont riches. Assez même pour acheter mon diplôme et me trouver une place dans un grand journal sans problème. Mais, ils veulent que « j'apprenne la vie ». Alors, j'apprends et j'ai un job d'été, pour faire comme les autres, les pauvres...
La plupart des autres counselors, et même la majorité des campers, sont de pauvres gens. Mais, parmi eux, il y a quand même quelques exceptions. C'est le cas, par exemple, d'Helen, la comptable. Elle va même plus loin que moi dans ses propos. Cela confine parfois au fanatisme, à l'intégrisme. Vis-à-vis des autres, je pense que j'arrive à faire semblant et dissimuler le mépris qu'ils m'inspirent.

Actuellement, l'activité à Indian Lake bat son plein. Au mois d'août, beaucoup de parents ont abandonné leurs enfants ici pour pouvoir s'offrir un peu de temps libre. Par conséquent, c'est nous qui nous en occupons. À chacun son groupe, j'ai le mien. Objectivement, certains gosses sont attachants mais je vois bien dans leurs manières que nous ne sommes pas et ne serons jamais du même monde. Certains m'ont déjà demandé mon adresse ou mon Facebook pour garder contact après la rentrée des classes. J'ai poliment botté en touche. Dans environ deux semaines, tout cela ne sera qu'un très lointain souvenir.
Ce matin, je me suis réveillé un peu plus tôt que d'habitude. Je ne sais pas pourquoi. Je prends un peu plus de temps au lavabo. Je me regarde dans la glace. Je décoiffe, recoiffe et redécoiffe soigneusement mes cheveux châtains. Je me regarde droit dans les yeux et me trouve les traits tirés. Normalement, les vacances sont faites pour se reposer. Moi, je vais revenir encore plus fatigués qu'en juin. Et ce ne sont pas toutes les fêtes de la rentrée qui vont me rendre ma gueule d'ange. Merci les enfants pauvres !
Aujourd'hui, un grand jeu de piste est prévu avec tous les groupes. J'en profiterais bien pour m'esquiver quelques instants et rendre visite à Helen. Un café et un peu de calme me feront du bien.
Les gosses ne sont pas encore réveillés. Je jette un œil par la fenêtre. Ça s'annonce mal pour le jeu de piste. Il y a un brouillard à couper au couteau. Ils avaient pourtant annoncé du beau temps à la météo. J'ai encore un peu de temps avant que les gamins ne se lèvent. J'en profite pour faire quelques pas dehors. D'une manière générale, j'aime le calme. Mais là, le silence est des plus pesant. C'est étrange mais il n'y a vraiment personne dehors. Il n'est pourtant pas si tôt que ça. Il devrait au moins y avoir les gars de l'entretien ou je ne sais pas qui. Soudain, un cri dans le lointain. Puis d'autres. Mais ceux-ci, contrairement au premier, n'ont rien d'humain, ni d'animal d'ailleurs. Quelque chose ne va pas ! Ne me dîtes pas que John a encore fait des siennes dans les bois. Je ne comprends pas pourquoi on tolère ce taré. Ce vétéran de la guerre du Golfe souffrirait d'un syndrome de stress post-traumatique. N'importe quoi ! C'est juste un taré que je soupçonne d'être drogué, alcoolique ou les deux ! Je ne sais même pas ce qu'il fait ici. Encore un emploi fictif ! N'empêche que si c'est bien lui qui pousse ces cris, il vaudrait peut-être mieux qu'il se calme avant que les enfants ne se réveillent.
C'est donc dans le brouillard que je conduis mon groupe au réfectoire pour le petit-déjeuner. Autant dire que l'ambiance est morose. On s'attendait à mieux pour le grand jeu de piste. La question se pose d'ailleurs. Doit-on maintenir l'activité, d'autant plus que la plupart des gamins, à l'image du brouillard, manquent cruellement d'entrain ?
J'en profite pour glisser quelques remarques à propos de John que j'ai entendu hurler dans les bois. Est-ce une bonne idée d'y emmener les gamins dans le brouillard sachant qu'il a certainement encore péter un câble ? Je me tourne vers Lana, la professeur d'escalade. Je sais qu'elle ne l'aime pas non plus. J'ai vu son dégoût suite à certaines œillades du vétéran dans sa direction. Et elle saisit la perche que je lui tends ! J'espère qu'elle sera d'accord avec moi pour annuler le jeu de piste. Espérant avoir une alliée, je lance le débat. Outre que la météo n'est pas bonne, ce n'est pas très prudent d'emmener les enfants dans les bois quand un dingue en pleine crise de démence s'y ballade, certainement armé en plus. Et puis, il ne faudrait pas qu'ils se perdent dans les bois ou, pire, se retrouve à patauger dans le lac. En réalité, on dirait bien que le brouillard a teinté l'humeur de tout le monde. Certains voulaient maintenir l'activité car il y avait quand même des enfants motivés. Mais, finalement, il a été décidé de remettre ça à un jour où il ferait meilleur.
Le problème, c'est que le brouillard ne se lève pas. Et l'autre problème, c'est qu'un gamin est soudain pris de convulsions. Heureusement, ce n'est pas un gosse de mon groupe. Mais il faut quand même s'en occuper. Comme je n'ai pas envie de le toucher. Je me propose pour aller chercher de l'aide. Et je quitte le réfectoire avant que quelqu'un ne réalise qu'il suffisait qu'un counselor utiliser son téléphone portable.
Dehors, on dirait que le brouillard s'est épaissi. Je cours en direction de l'infirmerie. Mais, qu'est-ce que ça veut dire. Alors que je passe près de l'accueil, c'est l'infirmière qui me bouscule et s'enfuit en courant. Je l'appelle mais elle ne se retourne même pas. Et je la vois s'enfoncer dans le brouillard. Là, ça craint. Il ne faudrait pas que le gosse nous claque dans les pattes. Ce serait un coup à ce que les parents fassent un procès pour gagner quelques dollars. Et nul doute que la direction fera retomber la responsabilité sur les épaules des counselors. Heureusement qu'il ne s'agit pas d'un gamin de mon groupe.
Je rejoins le réfectoire au pas de course. L'air de rien, tout ça commence à m'inquiéter. Surtout que ces cris étranges semblent se rapprocher. À l'intérieur, l'ambiance est tendue. Mais tout le monde est malgré tout soulagé. En effet, Ike, un habitant de la petite ville voisine qui connaît les bois comme sa poche, passait par là. Et il avait sur lui quelques cachets d'aspirine qui ont suffit à calmer le gamin. Pour l'instant en tout cas.

Le temps passe et le brouillard ne se lève pas. Le directeur est passé dans le réfectoire et nous a demandé de rester là avec les gosses. Il n'avait pas l'air très rassuré mais n'a rien voulu nous dire. Pour l'instant, les gamins restent à peu près calme. Certains se lassent de ne pas pouvoir sortir jouer, d'autres sont déçus que le jeu de piste soit annulés. Mais globalement, tout va bien. Quelques uns des counselors ont pris les choses en main et organisé des jeux pour occuper les campers en attendant qu'on n'en sache plus. En tout cas, c'est certain, il y a quelque chose de louche derrière tout ça.
Je propose finalement de passer quelques coups de fil à l'extérieur, histoire d'en savoir un peu plus. Évidemment, personne n'a de réseau. Et les seules lignes fixes se situent, je crois dans le bureau du directeur et le bungalow du gardien. Est-ce qu'il y en a un à l'accueil ? Je ne sais plus. Ça paraît logique, non ? Et si on allait voir ?
Et là, je ne comprends pas ce qui se passe mais une counselor se met à hurler. Qu'elle ne soit pas d'accord avec moi et préfère qu'on reste là à rien faire, pourquoi pas ? Mais ce n'est pas la peine de s'énerver comme ça. En plus, ça fait paniquer les mômes et on a clairement pas besoin de ça. Je lui envois dans les dents que, peut-être que dans sa fac poubelle, ce serait bien qu'elle prenne quelques cours de sang-froid. Là, elle n'aide personne. Je crois être assez tranchant pour couper ce maudit brouillard. J'espère être assez glacial pour la calmer direct !
Et c'est le cas mais, y a-t-il une relation de cause à effet ?, la température chute soudain et, à l'extérieur, on sent bien que le brouillard s'épaissit encore. Qu'est-ce que ça signifie ? Je remets le couvert et affirme qu'on ne peut pas rester là à attendre. Il faut trouver un téléphone et appeler quelqu'un. La police ou les pompiers. Ou même la station météo. Je me tourne vers Ike. En tant qu'homme du cru, j’espérais qu'il me soutiendrait. Mais il se renfrogne et affirme qu'il ne faut pas sortir. Selon lui, les bois sont dangereux. Il se comporte comme si il savait quelque chose mais j'ai vraiment l'impression qu'il ne s'agit que de rumeurs locales sans aucun fondement. Alors, qui vont écouter les autres ? Ike ou moi ?
J'hallucine ! Ils préfèrent écouter l'autre paysan ! OK, pas de souci ! J'irai seul.
Je sors donc du réfectoire et j'ai alors très froid. Je ne vois rien à plus de deux mètres. Je bute sur quelque chose de mou. Non, je bute sur quelqu'un de... mort ! Merde !! C'est Helen, la comptable. Je me penche sur elle. Oh putain !! il y a du sang partout. Elle a les tripes à l'air. Des plaies énormes. Ce ne sont même plus des plaies à ce stade là. Qu'est-ce qui a pu lui faire ça. C'est quand même pas ce malade de John ?! Je regarde partout autour de moi, les sens en alerte. Est-ce que ce taré est dans le coin ? Va-t-il me sauter dessus ? Je ne peux pas rester à découvert. C'est le moment de piquer un de ces sprints qui ont fait de moi une des stars de l'équipe de foot à l'époque de la high school.
Je fonce jusqu'à l'accueil. La porte est fermée mais un coup d'épaule dopé à l'adrénaline suffit. La pièce est dans la pénombre. Je trouve l'interrupteur. La lumière s'allume mais les néons clignotent d'une façon peu rassurante. J'espère que cela ne signifie pas que le groupe électrogène va tomber en rade. En tout cas, il va falloir remédier à ça. Trouver de la lumière, au cas où. Soudain, un fracas de verre derrière moi. La fenêtre vient d'exploser sous l'impact du corps d'Helen qui vient de la traverser. La porte s'ouvre. Une silhouette, plus grande que moi, vêtue de haillon et d'une sorte de couverture tâchée et trouée qui lui masque le visage. Elle s'approche. Elle dégage une horrible odeur de merde. J'entends, je crois entendre, le sifflement de sa respiration.
« John ? »
L'homme, John ?, avance. Il porte ses mains griffues (?) à hauteur de son visage. Il fait tomber son espèce de capuche et révèle un crane difforme, osseux. Ce n'est pas un visage. Ce n'est pas un crane humain. C'est une tête faite d'os. Comme ces poissons préhistoriques. Mais avec des dents ! Et des griffes. Et cette chose se jette sur moi. D'un coup de griffe, elle me lacère le flanc. Je tombe sur le dos. Elle se penche sur moi et j'ai l'impression qu'elle va avaler ma tête. Mais quelque chose semble alors attirer son attention et elle quitte les lieux. Elle me laisse là, comme ça, me vidant méchamment de mon sang.

Je me réveille. Et je m'en étonne. Avec une blessure pareille, j'étais sûr de l'inverse. Je ne sais pas combien de temps je suis resté inconscient. J'essaye de me relever sur mes coudes et, à ma grande surprise, j'y parviens sans trop souffrir. J'examine ma blessure. Elle ne saigne plus. C'est très loin de la forme olympique mais tout ça était peut-être plus impressionnant que cela ne l'était en réalité. Tant mieux.
Une fois debout, je contourne le comptoir et m'empare du téléphone. Pas de tonalité. Évidemment ! Par la fenêtre brisée, je vois que la nuit tombe. Le brouillard est toujours là et le camp semble désert. Les autres doivent sûrement toujours être au réfectoire mais il est hors de question que je m'aventure dehors dans le noir. Pas après ce qui m'est arrivé. Par contre, il faut que j'arrive à barricader la porte et cette fenêtre.
Je n'ai pas besoin de trop forcer pour bouger le comptoir et le coller à la porte. J'ai de la chance, il bloque aussi une partie de la fenêtre. En empilant encore quelques meubles, j'arrive tant bien que mal à bloquer l'accès. J'espère que la nuit va vite passée, que le jour va vite se lever et que ce brouillard se sera dissipé. Peut-être que demain, tout ça paraîtra n'avoir été qu'un cauchemar. Peut-être que ce n'est que ça d'ailleurs, un mauvais rêve...
Soudain, le sol se met à trembler. J'entends de violent coups contre la porte et la fenêtre. J'espère que mon amoncellement de meubles va tenir bon. Je me recroqueville au fond de la pièce et pries pour qu'aucune de ces choses, là dehors, n'entrent pour finir le travail.
Puis le comptoir explose. Et, sur le sol, atterrit le cadavre ensanglanté d'un des gamins. Je le reconnais, c'est le petit Québecois avec son prénom de fille. Camille. Derrière la fenêtre se dessine l'ombre de la chose qui ma troué le ventre tout à l'heure. J'entends sa respiration. Pourquoi n'entre-t-elle pas ? Qu'est-ce qu'elle attend ? Elle se fiche de moi !
Et le sol se remet à trembler. Plus fort cette fois. Un vrai séisme !
Je dois me tirer d'ici ! Si je sors par derrière, je peux aller jusqu'à la remise. Là, il y a peut-être un canoë avec lequel je pourrais me mettre à l'abri sur Skull Island.
Allez, je fonce !

OK, il y a là tout ce qu'il me faut. Je secoues un canoë. Malgré ma blessure, je devrais pouvoir le pousser jusqu'à l'eau. J'espère juste qu'une fois sur le lac je serais vraiment en sécurité. Si ces choses peuvent nager, je suis foutu.
Ramer me fait souffrir mais ma blessure ne semble pas se rouvrir. Je regarde le camp et quelque chose ne va pas. C'est peut-être à cause de la nuit mais j'ai l'impression qu'il y a plus... d'arbres. On dirait qu'ils sont plus haut, plus nombreux, plus touffus. Comme si, durant la nuit, la forêt avait gagné du terrain sur le camp. Ça n'a pas de sens. Je tends l'oreille et j'entends des hurlements...

III-DU SANG

Les Brumes se sont répandues dans la nuit. Au matin, le brouillard avait envahi Indian Lake et le plus gros des proies s'étaient réunis dans le réfectoire. Durant la journée, Horlas et Coelacanthes ont maraudé dans le camp et la forêt alentour, massacrant les rares personnes tentant de quitter le camp.
Puis, la nuit tomba. Le véritable massacre allait commencer. Ce serait un massacre total. Un massacre légendaire. Un acte fondateur !

A l'intérieur du réfectoire, Lana, la professeur d'escalade, s'opposait aux autres counselors quant à la marche à suivre. Ils étaient partisans d'attendre les consignes du directeur. Elle était convaincue qu'il n'y avait plus aucune consigne à attendre car quelque chose de grave était arrivé. Selon elle, il était maintenant plus dangereux de rester ici que de tenter de s'enfuir. Et puis, peut-être aussi qu'elle souhaitait savoir ce qu'il était advenu de Ludwig dont plus personne n'avait de nouvelle.
Alors que le ton montait et que les enfants, fatigués, commençaient à pleurer et à s'énerver eux aussi, des grincements se firent entendre à une fenêtre. Lana tourna la tête dans cette direction et dû percevoir quelque chose qui l'effraya car elle se dirigea vers le fond de la pièce. Elle ne prit pas la peine de dire quoi que ce soit aux autres mais son comportement fut suffisamment étrange et soudain pour que les autres counselors éloignent les enfants des fenêtres. Ike les suivit en se plaignant d'une douleur au bras.
Et soudain, toutes les fenêtres du réfectoire volèrent en éclats. Dans la nuit se dessinaient des silhouettes horribles dont les épaules étaient chacune surmontées de sept têtes de serpents. Ike se saisit d'une espèce de dague rituelle et la brandit en direction des monstres. Mais il perd le contrôle de son bras qui semble animé d'une vie propre et se met à onduler d'une façon contre-nature. À le voir, on dirait qu'il n'y a pas seulement l'articulation du coude mais toute une série de vertèbres faisant de son bras une sorte de tentacule ou de serpent. Quoi qu'il en soit, et sous les hurlements et les pleurs des enfants et certains counselors, Ike retourne la lame contre sa gorge. Mais un counselor a le réflexe de détourner sa main et la lame se plante dans l'épaule. La lame ressort presque aussitôt et le sang coule à flot. La plaie n'est pas forcément profonde mais elle est large et Ike perd beaucoup de sang. Il doit maintenir un point de compression et ne pourra certainement pas se resservir de son bras avant un moment.
Les hommes aux têtes de serpents en ont profité pour entrer. Ils s'avancent en sifflant et, sans même avoir à s'en emparer, projettent les meubles sur les counselors et les campers. Heureusement, ils leur font plus de peur que de mal.
Lana, quant à elle, tente le tout pour le tout et essaye de contourner les monstres pour quitter le réfectoire en courant. Surprenant à la fois ces horreurs et ses amis qui comprennent qu'elle vient de les abandonner, Lana se retrouve dehors. Mais c'est pour mieux se retrouver aux prises avec trois silhouettes masquées. Néanmoins, à travers leurs haillons, elle devine des doigts griffus et des regards meurtriers. D'un mouvement de tête en arrière, l'une des silhouette ôte sa capuche et révèle un visage fait de plaques osseuses. Les deux autres en font autant et lui sautent dessus. Mais Lana, dopée par l'adrénaline, esquive d'un bond et se met à courir en direction de la remise à outils.

Dans la forêt, John, le vétéran traumatisé de la Guerre du Golfe, pense savoir de quoi il retourne. Il se revoit dans le désert, aux prises avec l'ennemi. Lui, ne voit pas une forêt mais des dunes. Il nage en plein délire. Il croit avoir été séparé de son groupe et tente de rejoindre la base. Il vient d'apercevoir un groupe d'hommes, il s'approche discrètement. L'ennemi ne semble pas l'avoir repéré. Il les mets en joue. Mais alors, en gros plan dans son viseur, un œil ! John parvient à éviter l'ennemi qui tente de s'emparer de son arme. Mais ce dernier, mû par dieu sait quel réflexe, parvient pourtant à se saisir du canon et commence à le secouer. John se retrouve projeté en l'air. Il retombe violemment au sol mais, au lieu de l'assommer, le choc semble l'avoir au contraire ramené dans la réalité. Celle de la forêt. Celle où il vient de perdre son arme. Celle où il n'est pas face à un terroriste. Celle où, devant lui, se dresse une sorte de géant dont la tête est constituée de plaques d'os ! Et cette chose a son fusil...

Ludwig rame. La nuit est tombée plus vite qu'il ne le pensait et il espère atteindre Skul Island sans encombre. Il a bien compris qu'il se passait quelque chose de louche à Indian Lake. Il lui suffit de se rappeler l'allure de la chose qui a tenté de le tuer pour s'en convaincre. Sa blessure reste douloureuse mais elle ne se remet pas à saigner. C'est donc à peu près en bon état qu'il pose le pied sur Skull Island. Il tend l'oreille, espérant ne rien entendre. Il soupire de soulagement, les environs sont silencieux. Il est déjà venu. Il connaît les lieux et emprunte le petit chemin afin de se rendre au sommet. Là, il espère avoir une bonne vue du camp et en savoir plus sur ce qui s'y passe.
À mesure qu'il s'approche, il entend des sortes de sifflements. Il y a du monde là-haut ; et il se doute qu'il ne s'agit pas de counselors ni de campers. Aussi, il avance prudemment. Une fois en vue des ruines envahies de végétation qui alimentent les rumeurs locales quant à leurs origines et à leurs fonctions, Ludwig voit une demi douzaine d'être aux multiples têtes de serpents s'agiter dans le noir en sifflant. Là, il raffermit sa poigne sur la rame qu'il a pensé à prendre avec lui. Elle va peut-être vraiment lui être utile. Spontanément, il pense à Ike. Ce gars du cru connaît bien des rumeurs et légendes locales et Ludwig aurait bien aimé avoir son « avis d'expert » sur ce qu'il est en train de voir. Quoi qu'il en soit, ici comme au camp, il n'est finalement pas encore en sécurité.
Conscient qu'une attaque frontale est pus que suicidaire, il fait demi tour aussi discrètement que possible. Mais... Il marche sur une branche qui craque. Alors, les sifflements s'arrêtent. Des bruissements se font entendre, puis des bruits de courses. Ludwig se met également à courir mais sa blessure se rouvre. Et là, à sa grande horreur, ce sont ses viscères qui fuit son corps. Il tente de les retenir mais trébuche et sombre dans l'inconscience.

Un de ses hommes-serpents s'approche d'Ike. Les enfants et les counselors font un pas en arrière. L'homme-serpent se penche et ramasse la dague qu'il examine avec attention pendant que ses autres têtes sifflent en direction du groupe terrifié. Les autres demeurent immobiles, d'autant plus terrifiant dans leur hiératique fixité. L'homme-serpent lève la dague au dessus d'Ike et l'abaisse d'un geste vif. Boosté par la peur de mourir, Ike parvient à rouler sur lui-même et la lame se plante dans le sol. Les sept têtes de serpent se tournent vers lui et le fixent de leurs regards perçant. L'homme tente en vain de se relever. Il se met alors à ramper vers l'arrière du réfectoire. Toujours immobiles, les hommes-serpents le suivent du regard. Puis, subitement, l'homme-serpent récupère la dague et se jette sur Ike en sifflant. La lame s'enfonce entre ses omoplates jusqu'à la garde. Quand le monstre retire la lame d'un coup sec, celle-ci est accompagnée d'un geyser de sang qui provoquent les cris et les pleurs des futures victimes. Alors, les autres hommes-serpents sortent de leur semblant de torpeur et se jettent sur les campers et les counselors qu'ils déchirent à grands coups de griffes. Agonisant, Ike parvient à se retourner sur le dos. Il tourne difficilement la tête en direction de son bourreau et se met à entonner un chant dans une langue étrange. Alors, les hommes-serpents se figent.

Lana, quant à elle, atteint la remise à outils. Évidemment, la porte est fermée et elle n'a pas la clé. Pourquoi l'aurait-elle d'ailleurs ? Elle prend son élan et tente de la défoncer à coup d'épaule. Sauf que la porte est plus solide que prévue, plus solide que son épaule. Elle est bonne pour un sévère hématome mais ce n'est certainement pas le pire qui puisse lui arriver dans l'immédiat. Un bleu, ou même une luxation, demain matin sera le signe qu'elle a survécu. Ayant compris sa douleur, elle tente de faire le tour, ne se rappelant plus s'il y avait une porte de derrière. Mais, alors qu'elle contourne le bâtiment par la droite, elle est stoppée dans son élan par une large silhouette encapuchonnée. Celle-ci exhibe deux mains pourvues de griffes acérées. En poussant un hurlement, la jeune prof d'escalade se jette sur monstre, espérant le faire basculer. Mais elle se heurte à un mur. Et pas n'importe quel mur puisque ce mur s'empare d'elle par le poignet et la soulève du sol. De son autre main, il lui laboure le ventre consciencieusement. Lana sent les griffes fouiller ses entrailles non pas tant pour en ressortir ses viscères que pour y déposer quelque chose qu'elle identifie immédiatement comme un poison qu'elle sent très précisément et douloureusement se répandre en elle. Le monstre la fixe de son regard froid pendant qu'elle se tortille dans tous les sens pour se défaire de cet étau. En vain...

John s'est laissé prendre son arme. Cette chose n'est certes pas humaine mais il se fait un point d'honneur, malgré tout, à ne pas laisser son fusil entre des mains ennemis. Ce serait indigne d'un soldat. Aussi, il s'empare de son couteau à lame crantée et saute sur le monstre. La lame se plante à la base du cou, entre une des plaques d'os constituant son visage et la chair molle qui la rattache au reste de son corps. La créature pousse un long hululement plaintif avant de saisir du bras de John d'un claquement sec de ses mâchoires osseuses. John pousse un cri et tente de tourner la lame dans la chair pour forcer le monstre à le relâcher. Mais sa main glisse et il lâche son arme. Il n'est désormais retenu que par la gueule de la créature qui commence à s'agiter dans tous les sens et le projette au loin. John se relève rapidement et un regard en direction du monstre lui indique que celui-ci, bien qu'ayant toujours son couteau planté dans le cou, pointe le canon de son fusil dans sa direction. Si cette chose en était capable, elle sourirait. John se met alors à courir entre les arbres. Un premier coup de feu le frôle. Mais il lui reste de ses années passées dans l'armée cette capacité à se fondre dans n'importe quel environnement. John espère que cette créature passera à côté de lui sans le voir...

Ludwig se réveille. Il est allongé sur le dos. Son ventre le fait horriblement souffrir. Mais son dos également. Il tente de bouger mais il est pieds et poings liés. Il peut malgré tout tourner la tête et voit qu'autour de lui plusieurs hommes-serpents l'encerclent. Leurs multiples têtes de reptiles ondulent au rythme de leurs sifflements. L'air a pris une sorte de consistance étrange. Ludwig sent une pression désagréable. L'air lui semble avoir acquis une sorte de solidité qu'il n'est pas sensé avoir. OK, s'il doit avoir un idée de génie, c'est maintenant. Ludwig tente de respirer un grand coup et retrouver son calme, sa raison. Ou plutôt, de ne pas la perdre. Il ne faut pas être un génie justement pour comprendre qu'il se retrouve l'invité d'honneur d'une sorte de rite. Ludwig comprend bien qu'il y a de fortes chances qu'il soit offert en sacrifice à dieu sait quoi. Aussi, peut-il gagner du temps en perturbant cette cérémonie. Ne sachant pas si ces choses comprennent sa langue, il se met pourtant à leur parler. Il leur explique qui il est. Il leur raconte sa vie. Il sait comment certaines femmes ont sauvé leur vie en la racontant au serial killer qui les avait kidnappées. Leurs mots leur avaient rendu leur humanité aux yeux des tueurs. Peut-être en sera-t-il ainsi ?

Alors même que ces monstres serpentins se figent, les campers et les counselors cessent de crier et pleurer. Tous ont les yeux fixés sur cette scène étrange. Les créatures semblent réellement affectées par le chant d'Ike. Mais ce dernier se vident de son sang. Combien de temps tiendra-t-il. Surtout que les monstres luttent contre cette pression qui s'exerce contre eux et semblent, malgré les efforts d'Ike, reprendre le dessus. Pourtant, après que l'un d'entre eux a réussi à faire un pas, il est de nouveau stoppé. C'est à ce moment là qu'un des counselors survivants attrapent Ike par les épaules et le tire vers le fond du réfectoire, cherchant visiblement à fuir en passant par les cuisines.

Lana tente toujours de se défaire de la prise d'acier qu'exerce cette chose aux plaques osseuses sur son poignet. Elle a l'impression que sa main va se déchirer. Elle souffre également de cette acide qu'elle sent investir ses veines, ses organes, son système nerveux. Le monstre la fixe de ses petits yeux, comme s'il savourait cette croissance du poison dans son organisme. Déjà, elle sent ses muscles se tétaniser. Et c'est alors qu'elle cherche à se débattre que son corps refuse de répondre. Le monstre la fixe. Il ouvre grand sa mâchoire osseuse et la referme sur le cou de Lana. Quand le corps de Lana commence à de nouveau bien vouloir lui répondre, le monstre resserre sa prise et lui sectionne le cou d'un claquement sec de sa mâchoire.

John retient son souffle alors que la créature passe non loin de lui et se fige, semblant humer l'air. John se met alors à respirer bruyamment par le nez et, alors que la créature se retourne vers lui, jaillit de sa cachet et s'enfuit en hurlant. Est-ce de la surprise, son poursuivant reste un instant immobile avant de se mettre aussi à courir... et de gagner du terrain. Le monstre prend alors son élan et saute. Mais John est plus rapide. Alors que le monstre s'écroule au sol, John cherche une nouvelle cachette. La créature se relève et cherche de nouveau la trace olfactive de sa proie. John n'est pas loin et pries qu'on ne le trouve pas. Le monstre tourne sur lui-même, le cherchant du regard. Il tend l'oreille semble avoir perdu sa trace et renonce.

Malgré la douleur de sa blessure qui s'est rouverte, Ludwig continue de parler. Mais ces créatures à têtes de serpents s'en moquent et continuent leur rituel au sommet de Skull Island. Tout en poursuivant son discours, il ne peut s'empêcher de tirer sur ses liens, ravivant la douleur. Il lâche alors un cri qui attire (enfin) l'attention des hommes-serpents. Mais cela n'a pas l'effet espéré. Loin de susciter la compassion, Ludwig lit sa fin très proche dans les regards du monstre qui s'approche. Celui-ci tire de sa robe une sorte de cube qu'il brandit au dessus de lui. Alors, une face du cube s'ouvre spontanément et laisse jaillir une demi-douzaine de chaînes se terminant par des crochets qui se plantent en divers endroits de son corps. Les chaînes commencent alors à s'enrouler en arrière, tirant sur sa peau et lui arrachant de nouveau cri de douleur alors qu'elle se déchire. Ludwig sent un de ses organes internes, dans lequel s'était fiché un crochet, être attiré à l'extérieur de son corps. Il hurle de nouveau et se débat. L'homme-serpent brandit toujours le cube au-dessus de lui et les chaînes s'enroulant tirent toujours, lui arrachant des pans entier de peau et de muscles. Puis c'est son bras droit qui cède au niveau de l'épaule. Ludwig n'a même plus la force de hurler quand il voir son sang s'écouler à grand flots. Il cherche alors à capter (une dernière fois?) un des regards de cette choses aux multiples têtes de serpents. Il lit là des horreurs innommables dans une langue pestilentielle qu'il ne connaît pas. Pourtant, il comprend ceci... « Léviathan réveillera le Titan Pétrifié ! »

IV-HAZE

Haze avait fui la Prison du Roi Volcan par un moyen des moins conventionnels. Il avait senti la présence du Joueur et avait utilisé une rune Hshl. Il avait ainsi pu quitter les lieux alors qu'ils s'écroulaient. Aux yeux de tous, il était considéré comme mort.
Et pourtant, Haze ne l'était pas. Ou alors, il était de ces morts lcomme ceux qu'on appelle les Antigens et qui constituent le Thanatrauma. Mais Haze n'était pas un Antigens. Aussi, il pensait être finalement bien vivant. Il ouvrit les yeux mais ne vit rien. Il était dans le noir le plus absolu et il lui fallu quelques longues minutes pour s'habituer à cette obscurité et commencer à percevoir les ombres de ce nouvel environnement. Le contact du sol était mou et humide. De la boue. Il devait être sous terre. Une grotte peut-être. Il sentait et percevait aussi les ombres de racines qui transperçaient les parois et le plafond.
Haze entendit un long hurlement. Celui-ci sortait de sa gorge. Il venait d'être l'objet d'une douleur des plus vives qui lui vrillait le crane. Il était en proie à une vision. Il ne reconnu pas les lieux. Il vit des enfants et de jeunes hommes et femmes dans ce qui ressemblait à une cantine. Il y avait là des hommes aux têtes de serpents. Plusieurs têtes. Chacun avait sept têtes. Un homme en sang semble les tenir en respect par la seule force de son chant. Quelle est cette langue. Haze croit l'avoir déjà entendu mais sans savoir où. L'homme est traîné vers une sortie. Ils vont s'en sortir ! Ils auraient dû s'en sortir... Les hommes-serpents se remettent en mouvement. Ils fondent sur les adultes comme sur les enfants et les taillent en pièce.
Qu'est-ce que ça veut dire ? Quelle est cette folie ?
Haze ne sait plus du tout où il en est ni à quel saint se vouer. Il a beau chercher dans les cours qu'il a reçu lors de sa formation à Quantico. Il a beau relire les notes prises à la Compagnie. Il ne trouve rien dans ses souvenirs qui aurait pu le préparer à ce qu'il vit depuis qu'il a été confronté à Millevaux. Ses anciens mentors ne lui servent plus à rien. Il a conscience qu'il ne peut plus compter que sur lui-même. Toute cette histoire est tellement... inédite ! Non, son modèle le plus important ne peut pas être un homme. Cela ne peut être qu'un... concept. Quel concept peut le guider dans cette folie qui se joue de lui depuis qu'il enquête sur les meurtres de Coleman ? L'ordre ? C'est tentant. Ça paraît... logique. Pourtant, ce concept a-t-il encore une once de pertinence face à Millevaux ? Haze se sent ballotté par des événements qu'il ne contrôle ni ne comprend. Il ne doit pas chercher le sens de tout cela car il émane de la volonté d'entité dont il ne peut pas comprendre les motivations. Non, le sens n'est pas à trouver, il est à créer. Cela lui rappelle certains passages du Tao lorsqu'il s'agit de se laisser porter par la Voie et savoir faire sens face à n'importe quelle situation. Haze n'est sûr de rien mais estime que c'est ce qu'il a de mieux à faire. Continuer à avancer et créer sa propre compréhension de tout ça.
Ainsi, Haze se met en marche, avançant droit devant lui. Il réfléchit à cette vision qu'il vient d'avoir. Il ne connaît pas cet endroit, ni ces gens qui viennent de se faire massacrer. Leurs bourreaux doivent être de ces créatures typique de Millevaux. Il croit se rappeler avoir entendu évoqué ces Horlas à sept têtes. Mais il n'est pus sûr de rien. Ça mémoire lui fait défaut. Là encore, à lui de remplir les trous. Haze ne peut s'empêcher de penser que cette vision doit être importante. Elle est forcément en lien avec tout ce qu'il a vécu jusque là. Peut-être s'agit-il d'une vision prémonitoire ? Peut-être peut-il encore sauver ces enfants ? Mais avant tout, il doit regagner la surface.
Après ce qu'il pense être une demi heure de marche, Haze est de nouveau la proie d'une visions. Là, au sommet d'une petit colline, de nouveaux ces hommes-serpents. Cette fois, ils s'en prennent à un jeune homme attaché à une sorte de rocher. On lève au-dessus de lui une sorte de cube. Celui-ci s'ouvre et plusieurs chaînes en jaillissent pour se planter dans les chairs du jeune homme et lui déchirer la peau. Les hommes-serpents parlent la même langue que le vieil homme dans le réfectoire. Il ne comprend qu'un seul mot : Léviathan !
Ce nom le met terriblement mal à l'aise. Il n'évoque pas pour lui l’œuvre de Hobbes mais plutôt une nouvelle menace des plus dangereuses. Haze comprend que l'objet de ses visions est de le prévenir. Ces hommes-serpents ont ou vont réaliser une série de meurtres en l'honneur de ce Léviathan. En quoi est-il lié à Millevaux ? Rien qu'à l'évocation de Léviathan, Haze sent son esprit vaciller, comme si c'était dans son esprit que ces chaînes s'enfonçaient maintenant. Mais que cherchent-elles dans son esprit ? Cherchent-elles à le dépouiller de ses connaissances, ou juste de ses souvenirs ? Spontanément, il se rappelle les moments passés avec Johanna, et ceux passés avec Edes...
Haze sent alors une présence. Il se plaque au mur et observe. Il entend des pleurs. Ce sont des enfants. Il aperçoit un groupe d'enfants en larmes en train de courir. Haze se met à crier et leur demande de s'arrêter. Là, un enfant, une petite fille brune, s'avance vers lui et lui tend la main. Malgré l'obscurité, Haze remarque que la petite fille a la mâchoire extrêmement serrée. Il a même l'impression d'entre ses dents grincer. Haze craint qu'elle ne le coince dans un coin. Mais elle lève le bras et lui montre quelque chose du doigt. Dans l'air, un Cube flotte...
Haze regarde tour à tour la petite fille et le Cube. L'enfant semble effrayée mais ne bouge pas. Tous les autres sont devenus comme translucides. Haze s'approche du Cube qui perd lui aussi de sa substance. Quand Haze est assez près pour s'en emparer, le Cube est presque transparent et totalement immatériel. Haze remarque alors que la petite fille s'est rapprochée et le regarde avec une certaine curiosité. Il sent qu'elle le fixe, qu'elle l'étudie... Elle tourne autour de lui .son regard va de Haze au Cube. Elle a toujours la mâchoire crispée et Haze sent qu'il ne sert à rien de vouloir la faire parler. Elle a beau être mobile, il a l'impression que son regard fixe toujours le même point, celui du contact entre lui et le Cube. Alors, il recule. Il s'agit de mettre de la distance avec cet étrange Cube qu'avec cette enfant dont l'expression du visage, cette mâchoire et ce regard le mettent des plus mal à l'aise. Il n'ose pas bouger, sentant que la situation pourrait basculer très vite. Et Haze craque !
Il ferme son poing et frappe la petite fille. Elle esquive avec une agilité surprenante et Haze manque de perdre l'équilibre. Mais, se rappelant ses entraînements de lutte à Quantico, il se lance en avant, fait une roulade et se relève à bonne distance de l'enfant. Il prend ensuite son élan et se jette à nouveau sur la petite fille. Il s'écroule au sol après avoir traversé son corps devenu soudain inconsistant. Haze va pour se relever mais une force incommensurable le plaque au sol. La pression est telle qu'il perd conscience.
À son réveil, Haze a l'impression d'avoir reçu plusieurs coups de couteau. Il a mal partout. Il se sent vidé. Il sent que cette fois la fin est vraiment proche. Mais il parvient malgré tout à se relever et après s'être assuré qu'il était seul, reprend sa route.

Haze parcourt ce dédale souterrain depuis... Il ne sait plus ! Il cherche à comprendre la signification des récents événements. Que signifient ces visions et cette fillette ? Ne souffrant ni de la faim ni de la soif, il se demande s'il n'est pas lui-même mort ou si, plutôt, il ne serait pas dans une sorte de coma suite à l'effondrement de la Prison du Roi-Volcan. Ce serait alors le labyrinthe de son propre esprit, tortueux sombre et boueux, qu'il explorerait, cherchant la Lumière. Et ce Cube ? Et Léviathan ? Contre quoi, alors, son inconscient chercherait à le mettre en garde ?
Puis, il sent une légère brise. Ces tunnels sont toujours aussi sombres mais, avançant, il entend comme une sorte de clapotis. Il s'approche d'une étendue d'eau. Un lac souterrain ? Sa main frôle une rambarde de bois usé. Ses pieds s'avancent sur une sorte d'embarcadère fragile. Au bout de ce petit ponton, une frêle embarcation l'attend. Il cherche Charon du regard, hésite à l'appeler. Il attend quelques instants. Personne ne se manifeste alors il monte dans la petite embarcation.
À la surface de ce lac, Haze aperçoit bientôt une silhouette. Il se met alors à ramer dans sa direction. Il se rend compte que celle-ci flotte quelques centimètres au-dessus de la surface. Alors, il arrête de ramer et observe. La jeune femme semble avoir du mal à respirer. Ses yeux d'un vert émeraudes luisent étrangement dans les ténèbres. Son corps est agité de spasmes. Elle se contorsionne au-dessus de l'eau sans jamais la toucher. Haze entend ses os craquer. Soudain, ses mains se joignent autour de son cou. Elle s’arque-boute une nouvelle fois, faisant de nouveau craquer les os de sa colonne vertébrale. Et là, son regard brillant croise celui de Haze. Et tout autour de ce regard, il le distingue très précisément, les traits de ce visage se nécrosent. La peau devient grisâtre. Les lèvres se retroussent sur des dents jaunes et cassées.
Haze a un mouvement de recul quand ce... fantôme (?) tend soudain les bras dans sa direction et se fige dans l'air froid et humide. Haze s'empare de ses rames pour s'éloigner mais la femme s'approche. En chemin, elle se saisit de nouveau de son propre cou et se tord dans tous les sens, provoquant de nouveaux horribles craquements. Puis, se figeant de nouveau, elle fixe Haze droit dans les yeux et ouvre la bouche :
« ...Damon... »
Comment connaît-elle son prénom ? Qu'attend-elle de lui ? De l'aide ? Elle a l'air de souffrir. Mais, et si elle s'en prenait à lui ? Doit-il fuir ou tenter de l'aider ? Cette femme est-elle une symbolisation de Johanna ou Edes ? Et si ? Il s'approche...
Le fantôme, car c'en est forcément un, s'approche également et regarde Haze avec curiosité. Elle lui tourne autour et, chose peu agréable, donne l'impression de le sentir. Haze est fasciné par ses yeux. Ce vert... Ce regard ne le quitte pas. Elle tourne autour de lui en le fixant. Où qu'il porte son regard, il croise celui du fantôme. Et elle semble tourner de plus en plus vite. Haze resserre sa poigne autour du manche de la rame. Puis, il la lève au-dessus de lui et l'abat sur le fantôme. Alors, l'eau autour de la petite embarcation s'élève brutalement. Haze est encerclé par un mur aquatique qui menace de l'engloutir, comme les murs de la Prison du Roi-Volcan, ne peut-il s'empêcher de penser.
Haze lâche la rame et saute à l'eau dans l'intention de nager sous ce mur et gagner un quelconque rivage au plus vite. Si tout ceci n'est qu'un délire symbolique et onirique, alors il a peut-être une chance de sortir vivant de ce labyrinthe, des entrailles de ce... Léviathan !
Et Haze regagne une terre ferme mais toujours sombre et humide. Le fantôme de cette femme ne l'a pas suivi mais il se rend compte qu'il a été blessé et qu'il saigne. Sa peau est déchirée à plusieurs endroits, comme si on y avait planté de petits crochets puis tiré d'un coup sec. Malgré tout, il parvient à se relever. Il jette un coup d’œil derrière lui, le lac est toujours agité par la colère du fantôme. Il accélère le pas et s'enfonce, de nouveau, dans le noir.
Au bout d'un moment, il sent un changement autour de lui. Quelque chose dans la pression de l'air l'incite à la prudence. Il ralentit le pas, se colle a la paroi. Puis, avançant le plus lentement possible, se rend compte qu'il est arrivé au bord d'un gouffre. Une voix au fond de lui lui dit :
« Sautes ! »
Haze se rappelle de ce passage de Fight Club où le personnage de Norton explore « sa caverne intérieure » et où un pingouin lui dit :
« Glisse ! »
Sauf qu'il n'est pas dans un film. Il est dans un jeu de rôle ! Millevaux ! Le jeu de rôle-maladie qui contamine les univers et cherche à envahir le Métamonde ! Et si...
Haze saute...
… et se réceptionne moins durement qu'il ne l'avait craint sur le sol bétonné d'un parking souterrain. Les modèles des voitures garées là lui font penser qu'il a retrouvé son monde d'origine. Mais est-ce vraiment le cas ? Son voyage est-il vraiment terminé ?

Haze se relève. Il fait noir dans ce parking. Il n'y a pas un bruit.
« Il y a quelqu'un ? »
Pas de réponse, mais des bruits de pas. Pas n'importe quel pas. Ce ne sont pas des bruits de chaussures ou de bottes. Qu'est-ce que c'est ? Spontanément, Haze pose la main sur son holster d'épaule et y découvre, non sans surprise, son arme de service. Est-il vraiment sensé l'avoir ? Il n'en est pas du tout certain.
Haze se plaque contre un mur et s'approche aussi discrètement que possible de la source de ce bruit. Et il se fige ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Cette chose possède quatre paires de pattes d'insecte rattachées à un abdomen luisant et effilé comme une lame de hache. Il s'en échappe un bras humain auquel manque un doigt. Elle a une figure humaine mais de ses lèvres s'échappe une bave malsaine et ses yeux sont recouvert d'un voile laiteux laissant à penser qu'elle est aveugle. Dans son unique main, elle tient une coupe métallique aux reflets diaprés. La coupe est vide ? Le monstre en a bu le contenu qui se répand sur ses lèvres baveuses. Son abdomen se met à gonfler et luire de l'intérieur. L'expression de son visage change. Le monstre semble heureux. Il affiche un sourire béat et se tourne vers Haze.
Haze pointe son arme et tire !
À cette distance, il ne peut pas le rater. Pourtant...
La balle ricoche et se fiche dans un mur de béton.
La bête se cambre et saute sur Haze !
Cloué au sol, il sent le souffle de la bête sur son visage. Il se débat mais, trop vite, son visage est recouvert de cette horrible bave. Il étouffe. Sa vision se brouille. Il se sent sombrer...

Puis, plus rien !

Haze a l'impression soudaine de regagner la surface après avoir failli se noyer. Il se rend compte qu'il était comme assoupi, la tête reposant sur ses bras croisés, eux-même reposant sur un petit bureau en fer et en bois. Il est dans un étroit couloir mal éclairé. Les murs sont gris, ternes. À chacune de ses extrémité, le couloir se termine par une grille. Il est dans... une prison ? Il y a des papiers sur le bureau. Il reconnaît la langue mais ne la parle pas. C'est de l'Allemand. Il reconnaît pourtant l'en-tête. Il s'agit de papier concernant des détenus de la prison de Spandau. Les papiers sont datés du 5 avril... 1950. Ce sont des notes concernant chacun des sept tristement célèbres prisonniers, tous d'anciens dignitaires du parti nazi. Plus un !
Il y a une huitième fiche. Un huitième prisonnier. Son nom n'a rien de germanique. C'est un nom de code, assurément. Midnight Cadillac. Qu'est-ce que ça veut dire ? Haze trouve sur la fiche le n° de la cellule. Il veut en avoir le cœur net. Il se lève. Le raclement de la chaise contre le sol produit un vacarme assourdissant. Haze se fige. Attend. Rien ne se passe.
Une fois devant la cellule, il soulève le cache révélant l’œil de bœuf et reconnaît le même monstre que dans le parking. Il lui tourne le dos mais commence déjà à se retourner pour lui faire face. Haze lâche le cache et fait un pas en arrière. Il heurte quelqu'un. Se retourne. Juste derrière lui, un homme en costume noir lui sourit.

« Monsieur Haze ? Je suis Midnight Cadillac. J'ai lu des choses à votre sujet.
Comment ça ?
Votre nom apparaît à plusieurs reprise dans un journal. Un journal parlant de Millevaux.
OK. Mais dîtes-moi d'abord pour qui vous travaillez.
Pour qui je travaille... C'est compliqué. Disons que je travaille pour une organisation di nom de Black Rain. Oui, c'est ça. Midnight Cadillac travaille pour Black rain. Et maintenant, je voudrais en savoir plus sur Millevaux. »

Et là, Haze entend de nouveau cette musique. Cabaret Voltaire. Il comprend. Le Joueur s'adresse à lui. Il doit se méfier de cet homme. Absolument. Ce Midnight Cadillac n'est pas celui qu'il prétend. Il doit... fuir !

Haze sort son arme. Il braque Midnight Cadillac en reculant et tire.
Midnight Cadillac a un mouvement de recul. Son visage arbore une étrange expression d'étonnement, d'incrédulité, alors que du sang s'écoule du trou creusé par la balle qui s'est logée entre ses deux yeux.
Haze se met alors à courir. Les murs défilent autour de lui. Le béton est bientôt remplacé par des arbres. Il n'est plus à Spandau. Il n'est plus à Berlin. Il n'est plus en 1950. Où est-il ? Qu'est-ce que cette forêt ? Est-il revenu à... Millevaux. Tout autour de lui, comme des diapositives qu'on projetterait sur un drap en vitesse accélérée, il voit Midnight Cadillac tomber au sol. Son corps s'agite de soubresauts. Des pattes d'insectes jaillissent de son abdomen qui s'assèche en prenant une teinte métallique aux reflets diaprés...

Haze ne se retourne pas. Il sait que cette chose qui était il y a quelques instant encore Midnight Cadillac, ce soi-disant agent de Black Rain, est après lui. À l'aveuglette, il tire dans la direction du monstre. Alors qu'il saute par dessus une souche, il est stoppé en plein vol par la vision d'une étendue infinie d'ordure. Loin à l'horizon s'élève des temples. Et de longues files d'âmes en peine s'étirent de ce gigantesque tas d'immondices jusqu'aux temples, y acheminant, en silence, leurs charges d'ordures. Et tout cela, sous l’œil froid de leurs gardiens, des Cafards géants.
Et il se voit, là, parmi les ordures. Lui, Haze, arrache les cœurs de ceux qui veulent s'enfuir. Il se voit, lui, Haze, errer parmi les ordures à la recherche d'un livre pour venir en aide à ce type à tête de porc. Il se voit, lui, Haze, ramassant ce Cube étrange et se dire que, peut-être enfin, il est temps pour lui de quitter cet endroit.
Cet endroit n'est pas Millevaux. Midnight Cadillac n'est pas un agent de Black Rain. Il est un de ces Cafards géants. Haze voit mais ne se rappelle pas. Il ne sait pas s'il doit craindre d'être conduit ou ramener dans cet endroit. Il sait qu'il ne veut pas y aller. Pourtant, il veut ce Cube ! Alors il s'arrête de courir. Il se fige et attend. Puis il est projeté en avant, suite au choc occasionné par Midnight Cadillac qui vient de le percuter.

Et Haze tombe la tête la première sur le sol bétonné de la prison de Spandau. Il n'ose pas se relever, de peur de tomber sur la chose qui le poursuit. Mais il est seul dans ce couloir sombre. Il est de nouveau devant la porte de la cellule du huitième prisonnier. Non ! C'est celle d'Albert Speer ; l'architecte du Reich. Il soulève le cache et voir un petit homme voûté, assis sur son lit. Il tient des feuillets entre ses mains mais ne les lit pas. Il a le regard vide et triste. Il se tourne vers Haze et se lève. Il lui tend les feuillets.

« Ces plans sont inspirés de ceux de Lemarchand. Vous savez ce que ça veut dire. Cela pourrait réveiller le Titan Pétrifié. »

Haze a le souffle court. Il comprend ce que cela signifie. Il veut ces plans, mais pour que personne ne puisse les avoir. Il pose la main sur la poignée de la porte. Contre toute attente, elle s'ouvre. À l'intérieur, Speer sourit et lui tend les feuillets.

« Ïa, Ïa ! Shub'Niggurath !! »

Et Haze, s'emparant des feuillets :

« Ïa, Ïa ! Shub'Niggurath !! »

Puis, il claque la porte et court, cherchant la sortie de la prison.
Dehors, il st aveuglé par ce qu'il pense être un soleil de plomb mais se révèle être le flash de la lampe torche d'un douanier. Rapidement, il cache les feuillets sous sa veste et tend les papiers d'identité qu'on lui demande. Le douanier les consulte d'un air sérieux mais sans pour autant parvenir à dissimuler sa totale incompétence doublée d'un complet je m'enfoutisme.

« Vous avez fait un long voyage, M. Haze. Bienvenue dans notre belle République Indépendante de Mertvecgorod. »

Une barrière se lève et retombe juste derrière lui. Il fait quelques pas. Il a l'impression de sortir du coma avec une intense gueule de bois. Il sent les feuillets de Speer dans la poche intérieure de sa veste. Il sent aussi son arme de service. Mais dans une autre poche, il sent un objet. Il fouille et trouve, parmi quelques objets dégoûtants et sans valeur, un Cube.

« Bienvenue dans notre belle République Indépendante de Mertvecgorod. », se répète-t-il pour lui-même.

V-LA TOUR

Mertvecgorod ! On dirait que toute cette ville n'est qu'une gigantesque ZUP. Tout n'y est qu'activité underground et économie parallèle. L'avantage, c'est que certaines informations deviennent étrangement faciles à trouver.
Haze s retrouve donc au pied de cet immeuble cradingue dont les derniers étages abritent le QG de Mako, producteur et trafiquant notoire de cette drogue qu'on appelle par ici l'Opium Jaune. Il entre dans le hall puant mais heureusement désert. L'ascenseur a l'air de fonctionner. Ou plutôt, il a l'air complètement déglingué mais, pourtant, fonctionne. Les portes se referment. Haze vérifie ses armes. Celle qu'il tient de la Compagnie et celles qu'il s'est procurées sur place. La cage s'immobilise. Les portes s'ouvrent. Il est prêt. Du moins, il l'espère...

Haze ne s'attendait pas à ça. Il se retrouve dans un vaste dojo digne d'un clan Yakuza. Les murs sont d'un blanc immaculé. Les meubles sont recouverts d'un vernis dont le brillant n'est altéré par aucune poussière. Des estampes sont accrochées aux murs mais il n'a pas le loisir de leur consacrer trop de temps car une dizaine de type au cerveau visiblement inversement proportionnel à la taille de leurs muscles se lèvent et approchent en faisant craquer leurs phalanges. Haze se saisit d'une de ses armes automatiques. Le show peut commencer.
Haze est tenté de consulter sa montre. Il a l'impression que la fusillade a duré des heures mais il sait qu'il n'en est rien et qu'il ne lui a fallu que quelques secondes pour abattre tous ces types. Les murs sont maintenant moins blancs. Autant pour la discrétion toutefois. Il prête l'oreille, n'entend rien mais se doute qu'au dessus ça doit s'agiter. Hors de question de reprendre l'ascenseur. Il sait bien qu'on l'attend de pieds fermes. À travers une fenêtre, il distingues les tubes d'acier composant un échafaudage branlant. Parfait !

La fenêtre aux carreaux cassés lui donne accès à une salle de bain à l'abandon. Le lavabo est brisé. Tout est recouvert de poussière et de moisissures. Il colle son oreille à la porte. Rien ! Pas un bruit. Il respire un grand coup, vérifie encore l'état de ses armes et défonce la porte d'un coup de pied. Derrière... rien !
Haze se colle à un mur et tente autant que possible de rester dans l'ombre. Il se rappelle ses cours à Quantico et fait en sorte de progresser dans ce couloir en restant hors de possible zones de tir. Il n'y a aucun bruit. On dirait vraiment que l'étage est désert mais Haze est convaincu du contraire. Pas après le vacarme de la fusillade qui vient d'avoir lieu juste en dessous. Ces types sont là, mais où ?
Haze finit par se planter devant une porte. Il braque son pistolet mitrailleur et la crible de balles ,espérant abattre ceux qui se cachent derrière. À ses coups de feu en répondent d'autres venant de sa droite. Un gilet pare-balles aurait été bien utile. Dommage !
Dopé par ce shoot d'adrénaline dont il sait qu'il ne durera pas très longtemps, Haze s'enfuit. Il trouve un escalier et fonce à l'étage suivant. Le couloir est vide. Il tourne la poignée de la première porte qu'il trouve. Fermée ! Une porte s'ouvre. Huit types en sortent. Haze pense qu'il doit être dans un vraiment sale état car ces gars ne se sont même pas donnés la peine de prendre des armes. Mais il a encore de la ressource. Il les braque et fait feu. Les gars tombent et il entend des cris venant de l'intérieur. Une dizaine de gars sort en courant, armés de tonfas. Ils tentent de l'encercler. Haze fait de nouveau feu. Mais il est trop faible et ces gars trop rapides. Tout tourne autour de lui. Sa vue se brouille. Il sent quelqu'un contre lui, dans son dos. Des bras l'enserrent dans une tentative réussie de clé. Il est immobilisé. On entend plus de coups de feu. Uniquement des coups de tonfas.

Haze sent qu'on le soulève. L'espace d'un instant, il n'est plus soumis à la gravité. Il entend un bruit de verre éclaté. Puis, la gravité reprend ses droits. Il sent un fort courant d'air et un choc soudain lui fait perdre connaissance.

Au bout d'un temps indéterminé, quelques minutes, quelques heures, Haze se réveille. Son costume est froissé, déchiré, couvert de sang. Mais lui, il n'a rien. Il se relève, défroisse autant que possible son costume en utilisant le plat de ses mains. Il jette un regard sur l'immeuble où se terre Mako et se dit qu'il va devoir trouver autre chose...

Haze se sent différent depuis son passage par la Plage des Cafards. C'est peut-être cette odeur qui ne le quitte plus...

VI-ZOMBIES ENTERTAINMENT

Je ne suis pas mort car... Je suis déjà mort. En fait, j'étais mort avant d'arriver dans la merveilleuse République Indépendante de Mertvecgorod. Et cela, je le dois à mon passage plus que flou chez les Cafards. Je ne me rappelle pas grand chose si ce n'est cette horizon infinie d'ordures, les cafards géants, Franky l'homme-porc, le Cube et les plans de cette ville remis par Alber Speer himself. Et c'est déjà pas mal de me rappeler tout ça m'a-t-on dit. « On », c'est Thanatéros. C'est un pseudonyme, un nom d'artiste. Thanatéros est comme moi. Il est mort. Il est arrivé à Mertvecgorod il y a quelques mois maintenant. Lui aussi a fait étape par la Plage des Cafards. Il se cache ici et gagne sa vie en donnant de sa personne dans l'industrie du divertissement pour adulte. Il m'a repéré après mon vol plané du haut de l'immeuble de Mako. Il m'a pris sous son aile en quelque sorte. Et je l'en remercie, vraiment.
Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec Thanatéros. Je dois le retrouver sur son lieu de travail. Il m'a expliqué que ce qu'il avait prévu de mettre à cette pauvre morte sous l’œil de la caméra devrait lui permettre de mettre pas mal d'argent de côté. Je plains la pauvre zombie qui va tomber entre ses pattes mais comme je sais que je vais moi aussi profiter du pactole... Je me dis que je m'arrangerais avec ma conscience plus tard.

Okay ! Aujourd'hui, je tourne avec une jolie petite suicidée nommée Marie. Mais à l'écran, elle s'appelle Nécroboobies. Quand je vois ce qu'il reste des boobies en question, je comprends l'origine du pseudonyme. À la voir, elle a dû mettre fin à ses jours vers 15 ou 16 ans. Mais quand on est mort, ce genre de détail ne compte plus vraiment. En tous cas, je vais me donner à fond pour mériter mon salaire ! Et elle aussi, c'est au fond aussi qu'elle va le recevoir !
La petite est timide malgré ses gros seins. Comme quoi, faut pas se fier aux préjugés. Je n'ai pas pris le temps de discuter avec elle mais je ne suis pas sûr qu'elle ait vu le loup de son vivant. Elle aussi est tombé dans ce business pour ne pas crever (une deuxième fois) de faim. Je ne sais pas depuis combien de temps elle est dans le milieu mais elle est gauche et maladroite. Peut-être que c'est son personnage ? Peut-être que ce sont les consignes du réalisateur ? Il sait que ce genre de poupée gonflante immobile et froide m’énervent. Et c'est le cas. J'ai l'impression de baiser un cadavre. Mais un vrai cadavre, un qui bouge pas. Et ça m'énerve. Alors je lui mets des coups pour la faire bouger. Mais elle ne fait rien d'autre que pleurer en silence. Alors, j'y vais plus fort. Je la retourne dans tous les sens. Elle perd quelques dents dans l'opération. Ça repoussera. Et au bout d'un moment, le réalisateur crie « Coupez ! »
Je me précipite vers le bar et m'enfile une vodka cul-sec. Puis, une fois calmé, je retourne vers la fille et commence à lui parler. Je fais comme si de rien était, comme si tout ça faisait parti du show. Je crois qu'elle se fout complètement de ce que je lui raconte. J'essaye de lui présenter des excuses sans oser franchement les formuler et elle ne fait que jeter des coups d’œil en direction du réalisateur. Elle attend son cash. OK, message compris.
Je retourne me servir un verre. J'entends le réalisateur sans vraiment l'écouter. Je n'ai même pas saisi le titre du film. Mais bon, il a l'air content. Dans un coin de la pièce, j'aperçois Haze. Depuis combien de temps est-il ici ?

Thanatéros avait des nouvelles pour moi. Mais pas des bonnes. Que je suis arrivé à Mertvecgorod a fini par ce savoir et des gars sont à ma recherche. Au moins un, il se fait appeler Midnight Cadillac. Je n'aime pas ça.
Le dernier cachet de Thanatéros nous a permis de louer une suite dans un hôtel d'un quartier chic. Pour autant, je retourne quotidiennement dans la ZUP. Je ne sais pas pourquoi mais je m'y sens bien finalement. Ce quartier, c'est la mort et... je suis mort. Ça me va. Et puis, j'avoues jouer la provocation. Je sais que Midnight Cadillac est à mes trousses. Et je veux le choper avant qu'il ne me tombe dessus. Je veux en savoir plus sur ce qui m'est arrivé après la plage. Et s'il a son réseau ici, j'ai le mien aussi. Il croit me filer depuis un quart d'heure mais en réalité, c'est moi qui le guide entre ces immeubles cradingues, là où personne ne s'occupera de nous voir nous entre-tuer, si toutefois on devait en arriver là.
Contrairement au cafard, je commence à bien connaître le quartier. Je sais que là, entre ces deux immeubles, la porte du local poubelles ne se ferme pas. Je tourne à droite. Il ne peux plus me voir. Je me mets à courir et me cache dans le local. Par la porte légèrement entrebâillée, je le vois me suivre en courant lui aussi. Il a sorti son arme. Je le laisse s'approcher. Il ne peut pas savoir où je suis. Et il est obligé de passer à ma portée puisque, en toute logique, je suis forcément passé « par-là » pour m'enfuir.
Je n'ai pas de pistolet. Juste un couteau. Cela me suffit pour ce que j'ai prévu de faire aujourd'hui. Cadillac longe le mur, arme au poing. Il ne se doute pas que je suis si prêt de lui. Soudain, j'ouvre la porte du local poubelle, l'attrape au niveau du cou et lui plante la lame de mon couteau dans la gorge. Le sang gicle et je l'attire à l'intérieur. J'ai cru comprendre que cette saloperie ne pouvait pas mourir. Mais je peux peut-être faire en sorte qu'elle ne puisse plus me nuire. Ou pas de sitôt en tous les cas. Je lui assène plusieurs coups de couteau dans la gorge pour l'affaiblir. Une fois qu'il est à terre, je lui plante la lame dans un œil que je fais sauter. Il pousse un hurlement de surprise. Je plaque ma main sur sa bouche pour lui arracher le second. Là, je vois qu'il ne se sent pas bien du tout. Finalement, je renonce à essayer de le faire parler. Je crois que je ne ferais que perdre mon temps. Alors, je ramasse ses deux yeux et le laisse là, parmi les poubelles. Après tout, j'ai passé je ne sais combien de temps parmi les ordures des cafards, celui-ci peut bien crever dans mes poubelles.

Finie la suite dans l'hôtel chic ! Il faut rentrer à la maison. Mais ce n'est pas grave. Je ne suis plus en danger maintenant que Cadillac est mort. Enfin mort, en vérité je n'en sais rien. Son corps a disparu du local poubelles. Mais ça ne veut pas dire qu'il est vivant. Peut-être que quelqu'un l'a juste récupéré pour en faire dieu sait quoi. Je m'en fiche. Ce soir, je dîne avec Thanatéros. J'hésite à ui révéler quelques vérités sur mon histoire. Sur Millevaux, les Coelacanthes, sur ce Cube et les plans de Speer. C'est un zombie lui aussi. Il ne me prendra peut-être pas pour un fou.
Je ne sais pas si je me déciderais à lui raconter quoi que ce soit mais, au cas où, j'ai pris le Cube et les plans.
Quand j'arrive chez lui, Thanatéros m'annonce que le dîner est déjà prêt. Il est passé récupérer deux menus au kebab en bas de chez lui. Ça sent bon. Je m'installe sur le canapé. Lui, mange debout, adossé au mur près de la fenêtre. Un instinct parano me souffle qu'il surveille la rue mais il n'en est rien.
On parle de tout et de rien, surtout de rien. On est comme deux... potes partageant un instant de malbouffe. Thanatéros est un mort-vivant mais c'est bien tout. Il n'a rien à voir avec Millevaux. Le ton de la conversation est léger et je n'ai pas envie de plomber l'ambiance en lui prenant la tête avec les Coelacanthes et autres monstres. Lui, il me raconte qu'il a un prochain tournage de prévu. Avec la petite Nécroboobies de la dernière fois. Visiblement, elle a gardé un bon souvenir du tournage et le réalisateur a envie de tourner une suite. Si je veux, il peut m'avoir un petit rôle. « Ce serait sympa ! » Et là, je me remémore mon CV : agent spécial au sein du FBI, agent de la Compagnie, éboueur sur la plage des Cafards... acteur porno ? Non ! Thanatéros se marre. Il me dit qu'il m'aura à l'usure. Je me marre. On boit des bières. On regarde la télé. Je finis par regagner mon studio. Ni le Cube ni les plans ne sont sortis de ma poche.

Ça fait trois jours que je ne suis pas sorti de chez moi. On n'a essayer de m'appeler. Je n'ai même pas vérifier qui sur mon portable. Il est toujours posé quelque part. Il faudrait que je me lève pour l'attraper. Il faudrait que je lâche le Cube. Non !
Ça fait trois jours que je m'acharne sur ce Cube. Trois jours que je m’énerve dessus sans parvenir à comprendre comment il fonctionne. Je n'ai rien mangé depuis le kebab chez Thanatéros. Ce matin encore, j'étais fébrile. Mais là, ça va. Je me sens étrangement calme. Je n'ai pas trouvé la solution mais je sais que j'en suis très proche. C'est pour bientôt.
Les plans de Speer sont éparpillés autour de moi. Je manipule le Cube comme s'il s'agissait du cadenas à ouvrir pour parvenir à cette cité. Je repense à Thanatéros. Ce zombie est vraiment sympa. Il ne se pose pas de question. Il ne me pose pas de question. Il se fiche de mon histoire. Il vit au présent, éternellement. J'aimerais que ce soi aussi simple pour moi. Mais ça ne l'est pas. Je l'envie quelque part. Je l'aime bien. Le Cube tourne bizarrement, cette fois. Il se passe quelque chose. Un souffle venu de je ne sais où agite les feuillets de Speer. Thanatéros... Je n'ai même pas pris le temps de lui dire au revoir.
Je voudrais ne penser qu'à Thanatéros avant de partir. Mais le visage énuclée de Cadillac s'impose dans mon esprit. La température chute de plusieurs degrés. Les feuillets de Speer s'envolent. Les murs de mon studio se lézardent et laissent passer une lueur bleue glaciale. J'entends des pas de l'autre côté. Des raclements. Je me lève, ramasse le Cube et les plans et fuis à travers une autre lézarde avant que... je... ne... sois... dévoré... par... cette...

VII-CITE AFFAMEE

Où suis-je ? Quel est cet endroit ? Toutes les façades sont hautes, sombres, grises. Les rares fenêtres sont elles aussi hautes et étroites. Loin, au dessus de moi, je vois des passerelles longeant les façades et reliant certains immeubles entre eux. Cette cité a l'air de s'étendre autant en hauteur qu'en surface. On dirait... un Cube !
Et les gens, rien à voir avec la population de Mertvecgorod. Ils ont l'air plus... normaux. Ils ont tous l'air très affairés. Personne ne fait attention à moi. Tant mieux...
J'erre au hasard dans ces gigantesques avenues. Un sifflement attire mon attention et j'entre dans une ruelle. À l'image du reste de cette cité, elle est sombre et étroite. Le sifflement provient d'un soupirail. Il accompagne un jet de fumée. Je repense à la 3ème saison de Twin Peaks et au personnage précédemment incarné par Bowie. Et si quelqu'un essayait de me dire quelque chose ? Je m'approche et tends l'oreille près de la fumée. Et la fumée me parle d'un musée, un musée privé récemment cambriolé. Je dois trouver cet endroit.

La rumeur gagne la population... Un musée a été cambriolé. On y a dérobé des choses... des choses importantes...

Je retourne dans la grande avenue et... elle ne ressemble plus du tout à celle que j'ai quitté. Que s'est-il passé ? C'est étrange. Toutes ces rues et avenues se ressemblent beaucoup mais elles sont différentes malgré tout. Et celle-ci n'est pas celle que j'ai quitté il y a quelques instants. Les gens, il y a plus de gens. Ils ne font toujours pas attention à moi mais ils parlent entre eux. Ils parlent de ce musée. Chacun y va de son hypothèse quant à ce qui y a été dérobé. On parle d'une statue, de décorations...
Je lève les yeux et vois des pans entiers d'immeuble se détacher. Ils lévitent ainsi dans l'air, sans que personne ne s'en émeuvent. Ils flottent et se réagencent, sans bruit. Je me sens mal. J'ai la nausée. J'entends du bruit derrière moi, comme un raclement. Et j'ai peur que ce que j'ai fui dans mon studio de Mertvecgorod ne se rapproche. Je me mets à courir et me perds dans la foule.

Une jeune femme en tailleur sombre lève les yeux au ciel et attire l'attention de l'homme qui l'accompagne. Elle pointe le doigt en direction d'un pan de mur se déplaçant dans les airs. Tous deux sourient en reconnaissant cette silhouette, celle d'un des prêtres de Léviathan. Que fait-il ici ?

Je me suis immiscé dans une conversation et ai fini par apprendre de quel musée il s'agissait. Le musée Albert Speer, évidemment. Le Grand Architecte de cette cité. Aurais-je vraiment dû m'en douter ?
L'entrée du musée est gardée par un cordon de sécurité. Les agents portent des uniformes caractéristiques. Différents de ceux des forces de l'ordre de Mertvecgorod mais reconnaissables. Me laisseraient-ils entrer ? Je repense à cette phrase de Nietzsche, attribuée également à W.S. Burrough : « Rien n'est vrai. Tout est permis. » Je m'approche et me présente, Damon Haze. Je veux entrer. Rien n'est vrai. Tout est permis. On me laisse passer.

Le musée ressemble à une sorte de tour. Le voleur est entré en brisant une fenêtre à l'aide d'une pierre, une sorte de météorite d'après les experts. Ce détail est-il vraiment important ?

Les policiers m'ont indiqué dans quelle salle je devais me rendre. Pour l'atteindre, je dois traverser un hall consacré aux travaux d'un artiste spécialisé dans la sculpture de gargouilles grandeur nature. Et elles ont l'air plus vrai que nature. Elles me mettent mal à l'aise. Un panneau explique qu'elles ne doivent pas être laissées à l'air libre car elles sont très sensibles au brouillard. Je ne perds pas plus de temps.

Le musée Albert Speer recèle bien des trésors. Cette armure de terre et de bois, par exemple, est sensé être un véhicule permettant de voyager entre les mondes autant qu'une arme contre les Coelacanthes.

J'entre dans une salle remplies d'animaux empaillés. Il y a plusieurs reconstitutions d'animaux dans des décors rappelant leur habitat d'origine. L'un d'entre eux m'attire tout particulièrement. Il s'agit du bord d'un cours d'eau. Le sol est recouvert de neige. Un homme revêtu d'une parka au ¾ brûlée se tord de douleur dans la neige, s'arrachant des bouts de chairs à même le torse. L'homme ne le voit pas mais un serpent géant l'observe de l'entrée dans des terriers affleurant à la surface du cours d'eau. Puis, le serpent sort de sa cachette. Il ne se dirige pas vers l'homme, le Niaucheur comme on l'appelle, il se dirige vers... moi !
Je m'enfuis en courant.

Le visiteur court dans le musée. Les lieux sont vides. Personne ne lui prête aucune attention sauf ces yeux qui viennent d'apparaître à la surface du mur. Ces yeux sont énormes, gros comme des ballons. Ils sont en pierre grise. Ils suivent l'homme du regard. Ils savent où il va.

J’entre en courant dans ce que j'espère être enfin la salle vandalisée. Mais là, non ! Je suis accueilli par cinq êtres à l'apparence horrible. Ils portent tous des robes de cuir noir auxquelles pendent des chaînes et des crochets. Leurs visages sont tous déformés, comme si on avait joué avec leurs chairs comme avec de la pâte à modeler. Celui dont le visage est le moins altéré a le crane et le visage entièrement quadrillé par des épingles fichées dans sa peau. Ils se tournent vers moi. Ils m'attendaient. Ce sont eux qui venaient vers moi à Mertvecgorod. J'en suis sûr. Ils m'ont attiré ici. Pourquoi ?

Un sixième Cénobites fait son entrée. Il traîne derrière lui un être aussi difforme que lui. Son visage est couvert de scarifications. Sa bouche est déchirée par un sourire dément. De son épaule gauche pendouille mollement la tête d'un dragon mort.
Le Cénobite à tête cloutée explique que cette chose est un Horla. Elle vient d'un autre monde elle aussi. Dans ce coffre se trouvaient les carnets contenant sa mémoire qu'elle voulait récupérer. Elle pensait trouver là le moyen de réveiller le Titan Pétrifié. Mais seul Léviathan peut aujourd'hui accomplir ce miracle.
Le Horla a été capturé et mis à mort. Et toi, Damon Haze, que viens-tu chercher ici?Souhaites-tu réveiller le Titan Pétrifié, alors agenouilles-toi devant les Prêtres de Léviathan. Tu souhaites enterrer à tout jamais le Titan Millevaux, que jamais il ne renaisse, alors...

J'ai besoin... d'un moment... de réflexion...

BONUS-BALTHUS ET LE TITAN PÉTRIFIÉ

Je ne sais pas vraiment ce qui est arrivé. Titan Millevaux est né mais Titan Millevaux n'est plus. Maintenant, il est le Titan Pétrifié. Je me suis réveillé avec des souvenirs très flous de ce qui s'est passé avant l'invocation de la Chèvre Noire. Et je ne me rappelle quasiment rien de ce qui s'est passé ensuite. Je me suis réveillé et j'ai voyagé. J'ai traversé les forêts et les clairières de cette nouvelle forêt verticale, du Titan Pétrifié. Un temps, j'ai trouvé refuge au sein d'un petit groupe de nomades. Je les ai suivi. J'espérais en apprendre plus sur la situation mais, en réalité, ils ne savaient rien. Ils avaient bien senti l’Éveil du Titan Millevaux mais cela n'avait en vérité aucun sens pour eux. Ils n'étaient même pas certains de l'avoir vécu. Pour un bon nombre d'entre eux, ce n'était qu'une légende qu'ils tenaient de membres plus âgés de leur groupe. Je n'avais rien à attendre d'eux, si ce n'est leur sang. Alors, je m'en suis nourri. Je les ai vidé. Tous. Jusqu'au dernier. Au début, j'usais des charmes de cette femme dont j'ai volé le corps pour les séduire. Mais, le temps avançant et les disparitions s'accumulant, les regards ont fini par se tourner vers moi. Aussi, je me suis offert un bref instant où j'ai succombé à la frénésie et à la sauvagerie. Alors, j'ai tué et décimé ce petit groupe. Je me suis repu de leur sang. Et j'ai erré ivre dans la forêt. J'ai rêvé. C'est en rêvant que j'ai appris avoir perdu mon étrange et précieux grimoire. Mais c'est aussi en rêvant que j'ai appris comment le gros chat – quel gros chat, d'ailleurs – me nommer : le Disséqueur. Dans mon rêve, tout n'était que lueurs et formes mobiles, sautillantes. Et moi, j'étais une lueur sombre. Si sombre... j'ai alors pris conscience de mon nouveau destin. Shub'Niggurath ne m'avait pas abandonné. Quand bien même j'avais failli à ma mission, la Mauvaise Mère me donnait une chance de me racheter. À moi, maintenant, de parcourir le Titan Pétrifié afin de trouver un moyen de le réveiller. Réveiller Millevaux ! Et pour cela, je dois trouver... Indian Lake !

La Pyramide du Kraken m'a dit :
« Qui suis-je ? Je suis la Pyramide. Et aujourd'hui, je suis la Pyramide du Kraken car c'est lui qui a élu domicile entre mes murs sombres et froids, comme le fond de l'océan.
Nombreux sont ceux que j'ai abrité en mon sein. Avant le Kraken, je suis resté vide et seule pendant longtemps. Et avant encore, ces Horlas aux sept têtes de serpents hantaient mes couloirs et me donnaient vie, comme le sang affluent dans des artères. Ainsi, ils alimentaient mes couloirs, mes salles, comme le sang alimente les vaisseaux et les organes.
À cette époque, j'étais vivant. Les Horlas aux sept têtes de serpents répandaient le sang et l’Égrégore.
À cette époque, ou avant peut-être, déjà, j'avais voulu m'enfuir, m'envoler. Mais Millevaux m'avait rattrapée. Ses racines m'enserrent et me retiennent encore aujourd'hui. Mais je lutte toujours. Je persiste. Un jour, peut-être, j'aurais la force de briser mes chaînes végétales.
Le Kraken a élu domicile dans mes profondeurs sombres, pesantes et humides, comme le fond de l'océan. Je le sens errer et méditer. Il m'habite à sa façon. Mais le sang et l’Égrégore manquent.
Le Kraken est bon mais je me meurs.
Les Horlas aux sept têtes de serpents sont des monstres mais ils me donnaient des forces, la vie.
Millevaux est une malédiction. Mais cette malédiction me donne l’Égrégore qui me rend forte. Et c'est cette force qui me permettra de briser mes chaînes et me libérer de Millevaux, cette forêt maudite d'où je tire mes forces... »

J'ai croisé un vieil homme, une fois. Il m'a conté une drôle d'histoire. Il m'a parlé des Flocons de Sang.
« Oui, je les ai vus. Les Flocons de Sang. C'était il y a longtemps, si longtemps. Je ne sais plus si c'était l'hiver ou l'été, si c'était le jour ou la nuit. Je ne sais plus qui étaient alors mes compagnons. Peut-être étais-je seul à l'époque ? Quel était mon nom à cette époque ? Je ne sais plus.
Mais je sais, je me rappelle de cette femme. Une asiatique aux longs cheveux noirs et revêtue d'un kimono d'un blanc immaculé des plus improbable en cette forêt.
Je ne sais pas d'où elle venait. Mais je crois que je ne l'ai jamais su. Et je crois que personne ne l'a jamais su. Mais avec elle est venu l'hiver. Un hiver... rouge. Et la mort... rouge.
Elle a fait tomber la neige. Des flocons rouges. Des Flocons de Sang. Ça, je m'en souviens. Et la mort s'est répandue.
Je ne sais pas comment j'ai survécu. D'ailleurs, ai-je vraiment survécu ? Peut-être suis-je mort avec les autres ? Et cette forêt est... mon enfer... »

Je sens qu'un cycle s'achève. Je vais devoir quitter « Millevaux-le Titan Pétrifié ». J'aurais voulu réussir à le réveiller. Mais je vais devoir attendre. Heureusement, je peux compter sur ces humains. Grâce à Graff, ils se souviendront de moi et des mes enseignements. Ils continueront de vénérer Shub'Niggurath. Et quand je reviendrai, ils seront toujours là. Peut-être auront-ils trouvé Indian Lake ?

Combien de temps ai-je dormi ? Des années, on dirait... Je reconnais Millevaux. Je reconnais le Titan Pétrifié. Mais pourtant, on dirait que tant de choses ont changé. Avant tout, je dois trouver un nouveau corps. Je me laisse guider par ma soif de sang. Elle me conduit jusqu'à un groupe de nomade. Là, je prends possession de l'un d'entre eux. Une femme, encore, après la belle Nuancia. Celle-ci aussi est encore jeune mais son visage est largement balafré. Et la cicatrice qui lui déchire le visage la prive également de son œil gauche. Peu importe. Dans l'immédiat, elle fera l'affaire. Alors que je m'installe, que je prends mes marques dans ce nouveau corps, je le marque, justement. Je sens sa bouche se déformer et devenir La Bouche, cette étrange et horrible bouche qui n'est ni la sienne, ni la mienne. Il y a aussi et encore cette horrible et inutile tête de dragon qui pend au dessus de mon épaule. Et si les scarifications que j'avais infligé au corps de Nuancia ont disparu, celle qui ornaient mon visage sont de retour. Masquant au mieux ces stigmates, je m'en retournais auprès de ceux qui, pour quelque temps au moins, aller devenir les miens. Je m'approchais après m'être rendu invisible. Oui, je me rappelais les leçons du Horla. Et là, je les trouvais au prise avec un grave problème. Comment faire face à cet hiver des plus rudes. Le froid, en effet, est glacial, même pour moi. L'un d'entre eux, un certain N'Ger, a une idée. Il leur parle d'un endroit qu'on appelle Indian Lake. Là, promet-il, ils seront au chaud et à l'abri pour l'hiver. Soit, autant les suivre discrètement. Je me nourrirais d'eux sur le chemin et on accusera la rigueur de l'hiver. Et une fois là-bas, bien installé, je n'aurais plus qu'à prendre soin de mon nouveau garde-manger. Ensuite, je les éduquerai en vue du Réveil du Titan Pétrifié. N'Ger... Je me souviens. C'était l'ami de Nuancia. Le chasseur de monstre qui est venu perturber la cérémonie du réveil du Titan Millevaux. Est-ce que ce Dagger N'Ger lui est lié d'une quelconque manière ?

J'ai dormi et j'ai rêvé. Et dans mon rêve, il m'a parlé. Il s'appelait Ilyan et étudiait la magie. Il s'est réveillé un jour, ou une nuit, dans ce que nous appelons aujourd'hui la Pyramide du Kraken. Il ne savait pas comment il était arrivé ici. Il a été attaqué par un être monstrueux, un composite de plusieurs esprits défunts. Les sorts de sa connaissance lui ont permis d'apprendre que cette chose avait été invoquée, visiblement par son maître. Pourquoi ? Était-ce un test ou un piège ? Il parvint à neutraliser la créature grâce à une dague dont il ne savait pas où il se l'était procurée. S'était -il rendu dans cette pyramide pour la voler? Peut-être... Mais pourquoi sa mémoire lui faisait-elle à ce point défaut ? Et surtout, comment sortir ?

Est-ce ce même Ilian qui m'a parlé aussi d'Indian Lake. Si c'était bien lui, il ne savait plus à quoi ervait ce lieu avant Millevaux. Il se souvenait juste que des gens s'y rassemblaient. Mais pour quelles raisons ? Pour prier leurs Dieux ? Mais attention, Indian Lake n'est abandonnée qu'en apparence. Il y règne encore une intense activité rituelle en l'honneur de la Chèvre Noire et des autres Anciens. Des cultes, on le sait, sont rendus au pied du Totem et au sommet de Skull Island. Des bruits circulent quant au jour où les Brumes ont envahi Indian Lake. Et aujourd'hui encore les Horlas et les Coelancanthes reviendraient pour répéter les massacres du passé.des rumeurs disent que le réfectoire est hanté par les esprits torturés des victimes du tout premier massacre...

Je ne comprends pas bien. Millevaux est Millevaux mais n'est plus le Millevaux que j'ai connu. J'observe ces gens, je les dévore. Mais je ne les comprends pas. Dagger N'Ger guide sa troupe vers Indian Lake. J'ai rêvé de ce lieu. Il doit s'y passer quelque chose d'important. Mais tout demeure flou. Je crois me souvenir qu'à une époque j'étais un bien plus fin observateur. Que me manque-t-il aujourd'hui pour comprendre ce qui anime ces gens ? Certes, le Titan Millevaux est aujourd'hui le Titan Pétrifié, et je me fais fort de le réveiller, mais je veux aussi en savoir plus sur ces gens qui se dirigent et me guident vers Indian Lake. Comment m'assurer qu'ils ne vont pas devenir une menace ? Comment m'assurer qu'ils continueront d'accuser ces Bergers du Givre qu'ils fuient des disparitions en leur sein ? Je sais que l'un d'entre eux tient un journal de l'histoire de leur clan. Je dois me le procurer !

Journal de Lenaora du clan de Dagger N'Ger :
-Je commence ce journal car à partir d'aujourd'hui je vais faire de mon mieux pour intégrer le Clan N'Ger. Cette famille donne ses chefs à notre clan depuis maintenant très longtemps. C'est, il paraît, parce que leur ancêtre, Spike, a vaincu le Titan Millevaux. Je ne sais pas trop ce que cela veut dire mais cela rend cette famille très importante. Et moi aussi, je veux être importante. Moi aussi, je veux devenir chef. Pour cela, je n'ai pas trop le choix. Soit je me fais aimer d'un membre de cette famille, soit je réalise un exploit à même de les impressionner suffisamment pour qu'ils me fassent membres de leur famille. Et si cet Indian Lake où compte nous mener Dagger était le futur théâtre de cet exploit ? Qu'allons-nous trouver là-bas ?

-Nous traversons toujours la forêt. Les cadavres s'accumulent. Nous pensions que c'était la conséquence du froid qui nous poursuit mais ces corps exsangues... Non ! Quelque chose nous suit ! Les Bergers du Givre ? Des Horlas assoiffés ? Nous sommes en permanence sur nos gardes. La menace des Horlas se précise. Nous avons trouvé un de leurs artefacts maudits. Certains l'appellent le Cube de Lament. D'autres, la Boite de Lemarchand. Ce serait une sorte de puzzle, un casse-tête dont il faut absolument se méfier. D'après ceux qui prétendent connaître cet objet de mauvaise réputation, nous devons absolument résister à la tentation de résoudre ce puzzle sous peine d'attirer sur nous l'attention de créature pire que les Horlas. Et si c'était là l'occasion de mon exploit ? Toutefois, les discussions vont bon train. Pourquoi ne pas tout simplement se débarrasser de cet objet s'il est si dangereux ? Mais les N'Ger sont partisans d'assumer cette responsabilité consistant à en assurer la garde afin qu'il ne tombe pas entre de mauvaises mains.

-Nous fuyons l'hiver qui va revenir et nous nous rapprochons du territoire du Clan des Arbres. Plein de rumeurs courent à leur sujet. Les pires racontent qu'ils vouent un culte à Shub'Niggurath et que leur grand prêtre est un mort-vivant à demi-fou à la tête de sanglier. On dit aussi qu'il y a parmi eux des fantômes, des esprits courant dans les bois. Mais on dit aussi qu'ils n'ont pas toujours vénéré la Chèvre Noire. On dit aussi qu'ils sont devenus comme après qu'on leur a fait du mal. Est-ce vrai ? Je ne sais pas. En tout cas, la décision a été prise de faire un détour afin de les éviter...

Qui est cet Ekli ? Je ne me rappelle pas de lui. Mais lui, se rappelle bien de moi. Bien que j'ai changé de corps, il m'a reconnu. Il prétend m'avoir enseigné des choses. Mais je ne me rappelle de rien. Il veut quelque chose. Il veut plusieurs choses ! Il veut ce puzzle dont je ne sais plus à quoi il sert. Il me demande aussi le journal que j'ai dérobé. Mais, le plus étrange, il me demande mes visions de sangs. Ce Horla, car c'en est un, comme moi, me met très mal à l'aise. Je tente de le sonder et je découvre une puissance largement supérieure à la mienne. Je ne veux pas l'affronter. Il me fait peur. Je veux qu'il parte. Je lui donne tout ce qu'il me demande. Et je sens même qu'il me prend plus que ça quand il me remercie pour cette planque dans la Cité Volante. Oui, il me connaît. Il me connaît d'avant le Titan Pétrifié. Il me connaît même d'avant le Titan Millevaux. Je ne veux plus jamais le voir.

Où suis-je ? Que s'est-il passé ? J'ai... dormi ! Mais combien de temps. Il fait noir. Un grincement. Une lourde pierre bouge et révèle un rayon de lune. Le vent s'engouffre et fait tourbillonner la poussière et le sable qui me recouvrent. Des hommes entrent. Ils sont vêtus de haillons sur lesquels sont fixés des plaques de cuir et d'acier. Leur visages sont lacérés par de multiples cicatrices que je devine volontaire. Certaines leur donnent ce sourire qui me ressemble. L'un d'entre eux au crane chauve dans lequel sont plantés plusieurs longs clous rouillés s'avance et m'explique qu'ils ont accompli leur mission et payé leur dette. Maintenant, ils vont partir. Je ne sais pas qui ils sont. Je ne comprends rien. Que s'est-il passé ? Quel est cet endroit ? Pourquoi ce sable ?

Que m'arrive-t-il ? Ce n'est pas seulement cet Ekli qui est parti. C'est aussi une partie de ma mémoire. Je sens des pans entier de ma vie disparaître. Alors, je m'empare de quoi écrire et tente de fixer ces événements qui, déjà, ne signifient plus rien pour moi. Mais est-ce le pire ? Millevaux ? Où est la forêt ? Il n'y a là que du sable. Des dunes, à perte de vue. Et alors, je comprends. La forêt est bien là, mais sous le sable. Ce que j'ai pris pour des arbustes sont en réalité les cimes des arbres millénaires qui ont fait la grandeur de Millevaux. Que s'est-il passé ? Quelqu'un aurait finalement réussi à invoquer les Dunes Vivantes ? Serait-ce ce N'Ger ? Je sens la colère monter en moi. Pas une simple colère, non, la Bête. Mais je parviens encore à la contrôler. La faim va se faire sentir. Or, je suis seul ici. Seul en ce monde. Je vais devoir me mettre à la recherche de nouvelles proies.

Je... ne suis plus sûr de rien. Est-ce à Indian Lake ou à la Pyramide du Kraken que je dois me rendre ? Quel est le lieu propice au réveil du Titan Pétrifié ? Que m'a fait Ekli ? Il m'a pris plus, bien plus, trop...

Je ne reconnais pas ce monde. Si Millevaux est bien tombée sous l'invasion des Dunes Vivantes, où trouvez Indian Lake ou la Pyramide du Kraken si ce n'est sous le sable de ce désert. Longtemps, je cherche une ouverture, une cavité. Et je finis par tomber... dans un piège grossier. Cette cage est-elle à l'attention d'une ou d'un voyageur égaré ? Je n'en sais rien. J’examine ma prison et, sous le sable, découvre de vieilles chaînes. Des ossements ensevelis me font maintenant penser qu'il ne s'agit peut-être pas d'un piège mais d'une prison. Peut-être abandonnait-on là les criminels dont une communauté souhaitait se débarrasser ? Peut-être cette pratique est-elle toujours de rigueur ? Et si ces gens étaient toujours à proximité ? Ce serait là une source de renseignement, et de nourriture. Et là, alors même qu'Ekli s'est emparé d'une partie de ma mémoire et a embrouillé l'autre, je me rappelle de NoAnde et de ses étranges rituels qui m'avaient permis de me nourrir dans le passé. Et si, finalement, cela fonctionnait encore ? Oui ! Cela fonctionne encore ! Je ne sais pas d'où il vient mais je sens le sang traverse l'espace et le temps de cette victime qui ne peut pas comprendre ce qui est en train de lui arriver.

Une fois mes forces retrouvées, il me fut facile de briser ces barreaux usés. Je repris alors ma route, me laissant guider par le goût du sang. Ce n'est qu'après de longues heures de marches que je réalisais que je ne subissais nul effet néfaste dû à ce soleil écrasant. Mais, après tout, étais-je vraiment victime du soleil par le passé ? Je ne sais plus vraiment. L'odeur du sang me guide sur les pas de ceux qui ont installé cette cage dans le désert. Je vais les retrouver et me nourrir d'eux. Déjà, je perçois des traces de leur passage. On s'est arrêté ici pour se restaurer. Il y a des restes de nourritures mais aussi de la vaisselle brisée. Je ramasse un fragment de bouteille cassée brillant au soleil. Et mon crane explose, déchiré par un cri de douleur qui se double du mien. Et j’entends :
« Je suis la Bouteille Cassée !
Je suis Vernon Corso !
J'ai perdu mon âme, mon esprit, mon cœur et ma raison !
Shub'Niggurath m'a laissé là, déchiqueté et sanglant ! »
Je jette cette bouteille au loin et retrouve mon calme. Qu'est-ce que ça veut dire ?

Quelle étrange Bouteille Cassée que ce Vernon Corso ! Il m'a parlé d'un culte ancien que je ne connaissais pas. Léviathan ! Mais, quelle est l'origine de ce culte rendu à Léviathan ? En vérité, on ne le sait pas. Avant Léviathan, c'était seulement ses serviteurs, les Cénobites, qu'on honorait. Des âmes perdues et perverties leur offraient leur corps et leur esprit à déchirer. Ainsi, ils pensaient atteindre dans les confins de la douleur cette Transcendance sensée leur procurer une Extase ultime et faire d'eux les proches d'un dieu. Ce n'est qu'ensuite que la Figure de Léviathan fut connue. Mais on ne peut atteindre Léviathan que par le truchement de ses Cénobites. Ces derniers ne daignent apparaître qu'après la résolution du mystère de ce puzzle qu'on appelle Cube de Lament ou, du nom de son créateur, Boite de Lemarchand. La manipulation de ce Cube est une matérialisation, une métaphore, de l'exploration des méandres de l'âme torturée de celui qui entend l'offrir en pâture aux Cénobites en échange de la Transcendance et de l'Extase.
Le culte de Léviathan avait cédé le pas à celui des Anciens, essentiellement Shub'Niggurath. Le culte de ce dernier s'est répandu à travers les univers par l'intermédiaire de la contagion millevallienne, hâtant ainsi la corruption et la putréfaction du cadavre de l'Hommonde. Mais, suite à l'échec de l'éveil du Titan Millevaux, devenu le Titan Pétrifié, les serviteurs de ce dernier se tournent désormais vers Léviathan et ses Cénobites, espérant que ces derniers acceptent de concourir au réveil du Titan Pétrifié, à la Renaissance de Shub'Niggurath.

J'observe ces gens depuis un moment et je comprends que malgré leur apparence torturée, ils ne servent ni Léviathan, ni les Anciens. En réalité, ils sont bien les descendants des Corso et autre N'Ger. Ils ne m'aideront pas à réveiller le Titan Pétrifié, au contraire. Je pourrais gagner des forces en me nourrissant d'eux. Mais j'ai peur d'être trop faible et qu'ils ne me tuent avant que je ne sois redevenu assez fort. Je me résous donc à m'éloigner le plus possible et m'apprête à affronter une longue période de famine. Où mes pas vont-ils me porter ?

J'ai l'impression que cette portion de désert ne connaît pas la nuit. Je suis littéralement terrassé par le soleil. Je ne marche qu'avec la plus grande difficulté tant mes entrailles sont déchirées par la soif. Mais il n'y a rien ici ! Pas de nuit, pas de sang. Je suis seul, écrasé par ce soleil de plomb !

Combien de temps suis-je resté inconscient ? Je ne sais pas. J'essaye de rassembler mes souvenirs et tout devient si poreux. Je me rappelle de la Cité Volante mais je ne sais déjà plus comment je suis arrivé dans ce désert. Ni comment cette boite est arrivée en ma possession. Ce cube tient dans la main. Il est finement ouvragé et recouvert de formes géométriques. Encore allongé, la tête à demi enfouie dans le sable, je fais courir mes doigts le long des surfaces de ce cubes recouvert de feuilles d'or. Il y a quelque chose dans cette boite.

Je suis victime d'une hallucination. Non ! Je suis mort. Ce soleil de plomb m'a brûlé il y a des jours, des semaines. Cette ombre qui s'approche n'existe pas. Elle ne vient pas à ma rencontre. Elle ne se présente pas sous le nom de Vernon Corso, la Bouteille Cassée. La Bouteille Cassée sait que je l'ai lu. Et Elle, elle a lu mon journal. Vernon Corso me tend un vieux grimoire dont la reliure ne relie plus grand chose. Sur sa couverture, une Bouche semblable à la mienne me nargue. Je prends le journal, ls quelques paragraphes et... ne me souviens de rien. Vernon Corso me sourit. Il me tape amicalement l'épaule et fait demi-tour. Il repart, comme ça, dans le désert, me laissant seul. Je lui demande ce qu'il veut et, sans se retourner, me dit qu'il veut apparaître comme quelque chose de beau et lointain.

J'ai suivi Vernon Corso sans jamais pouvoir le rattraper. Mais j'ai finalement croisé la route d'une caravane. Ce n'était pas des marchands mais juste des voyageurs en quête d'une oasis où se reposer. Comment leur dire que, juste sous leurs pieds, il y avait une forêt pleine de vie. Millevaux, réduite à néant par les Dunes Vivantes. Et je choisis de leur dire ainsi, tout simplement. Ils ne m'ont d'abord pas cru mais ma nature de Horla et mes connaissances concernant Millevaux, Shb'Niggurath et le Titan Pétrifié les ont finalement convaincus. Je leur ai ensuite demandé de quoi écrire et dessiner et j'ai fait pour eux des représentations de Millevaux, du Titan et de la Chèvre Noire. Je leur ai montré la vie dans toute sa richesse et son exubérance. Je leur ai expliqué que tout cela était le fruit de l'Emprise et de l’Égrégore ensevelis sous les Dunes Vivantes. Alors, ils ont accepté que je me joigne à eux et que je me nourrisse d'eux car tel est le prix, leur mentais-je, à payer pour faire renaître Shub'Nigurrath, pour réveiller le Titan Pétrifié.

Je leur mens. Je me nourris d'eux. Et l'un d'eux s'en est rendu compte. Il ne m'a pas pris à parti devant le reste du groupe. Il est venu me trouver un soir, seul. Dommage pour lui. Me saisissant d'un pistolet je lui ai simplement logé une balle dans la tête. Après l'avoir vidé de son sang, j'ai enfoui le corps sous le sable. Si on me questionne sur cette disparition et cette détonation, je mentirai. Ils sont crédules. Ils me croiront.

Je ne remarque rien mais ils l'affirment, un cycle s'achève et il faut le célébrer. Bien, je me plies de bonne grâce à cette nécessité et observe leurs préparatifs. Le soir venu, et contrairement à leurs habitudes, ils se laissent aller en des ébats collectifs qui m'évoquent de très vieux souvenirs de cérémonies identiques en l'honneur de la Chèvre Noire. Et là, à mon grand étonnement, moi qui les croyait vierge de toute spiritualité et de toute connaissance et pratique ésotérique exceptées celles que j'ai bien voulu leur divulguer, l'un d'entre eux endosse le rôle de shaman et, en plein coït, profère des mots qui altère la réalité comme je le faisais parfois afin de me nourrir. Mais là, les changements sont différents. Il ne s'agit pas seulement de creuser un passage dans l'espace et le temps afin de trouver un être à vider de son sang. Non, là, cela sert à... autre chose... A changer le monde !

Je ne connais pas cette endroit. Je ne me rappelle de rien, même pas mon nom. Sauf... La Pyramide du Kraken, les Flocons de Sang, Millevaux et ce devoir qu'est le mien de réveiller le Titan Pétrifié. Qu'est-ce que cet Indian Lake où je serais sensé me rendre ? Est-ce loin d'ici ? Les gens appellent cet endroit la République Indépendante de Mertvecgorod. Les gens s'enfuient sur mon passage. En observant mon reflet dans une vitre, je comprends pourquoi. J'ai faim. J'ai ce Cube dans ma poche. Je ne sais pas à quoi il sert mais je sens qu'il est important. J'ai faim.

Cette femme ma rappelle quelqu'un mais je ne sais pas qui. Le nom d'Aira flotte dans ma tête mais il ne signifie rien. Elle m'a vu et je sens qu'elle a peur de moi. Elle a raison. Je vais me nourrir d'elle.

Je ne me rappelle de rien .je ne sais pas qui je suis. Je sens que je ne suis pas d'ici. Mon corps même me le rappelle tellement il ne m'est pas naturel de me mouvoir le long de ces trottoirs bitumés, à l'ombre de ces immeubles. En écoutant les gens, j'ai appris ces mots mais ils n'ont aucun sens pour moi. Je sens au fond de moi que de là où je viens ces mots n'ont pas de réalité. La seule chose dont je sens qu'elle est réelle, c'est Millevaux ! Il m'est facile de trouver des proies par ici. Tout le monde se moque de tout le monde. La mort est omniprésente. Hier encore, on a jeté un homme par la fenêtre. Il a fini par se relever et s'en est allé comme si de rien était. Mais, malgré tout, la police vient parfois fourrer son nez par ici. Alors, j'ai appris à me repérer dans les sous-sols de ces immeubles afin d'y rester caché le temps nécessaire. C'est sombre, froid et humide. Je m'y sens bien.

Une rumeur parle d'un musée. J'ai visité cet endroit. Il y a tant de choses rappelant Millevaux. Je me suis renseigné. Dans des coffres, non exposés aux regards du tout un chacun, il y a des carnets. MES carnets, ceux contenant ma mémoire. Je dois les retrouver. Là, dedans, je saurai comment réveiller le Titan Pétrifié, comment réveiller le Titan Millevaux.



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