Millevaux III
Une année tranquille
Pendant
longtemps, nous avons été en guerre contre les Horlas. Maintenant,
enfin, nous les avons repoussés, et nous connaissons une année de
répit. Une année de tranquillité relative, pendant laquelle nous
allons reconstruire notre communauté et réapprendre à travailler
ensemble. Quand viendra l’hiver, les Bergers du Givre arriveront et
nous pourrions ne pas survivre à cette rencontre. C’est là,
maintenant, qu'il y a l’occasion de construire quelque chose.
Notre
communauté s'est fixée à l'orée de la forêt, dans la partie Sud
de l'île d'Oxos. Le climat y est chaud et humide. Parfois trop,
étouffant. Nous sommes à quelques heures de marche de la mer mais
tout proche d'un grand fleuve. Au loin, à l'intérieur des terres,
nous voyons les montagnes. Nous sommes trop éloignés du Nord pour
être inquiétés par la neige et les tempêtes glaciales.
Nous
avons bâti nos abris au milieu de colonnes en ruine envahies par les
plantes grimpantes. Les anciennes routes et places pavées, bien
qu'étant elles aussi envahies par la végétation, continuent de
nous servir comme à l'époque de leur splendeur passé. On raconte
qu'ici, avant, se dresser un palais ou un temple. Plus loin, au
Nord-Ouest, dans la forêt, il y a une pyramide. Mais personne n'y
va. Cet endroit fait peur. On dit qu'une déité Horla y vit.
Proches
du fleuve, nous ne manquons pas d'eau douce. Cela nous permet de
boire mais aussi d'alimenter de petits moulins et norias. Par contre,
nous manquons de métaux et autres matériaux de construction pour
bâtir des abris solides.
1ère
quinzaine :
Il
y a une structure géante sur la carte, construite par des hommes. Où
se trouve-t-elle ? Pourquoi est-elle abandonnée ?
Il
s'agit d'une gigantesque pyramide à degrés. Elle se trouve au
Nord-Ouest de notre communauté. On pense qu'à l'origine elle devait
faire partie de ce grand ensemble architectural, quelle que fut sa
fonction. Pourtant, elle présente quelques différences
stylistiques. En effet, ses degrés rappellent les civilisations
précolombiennes là où nos colonnes sont d'origine gréco-romaines.
De plus, et c'est le plus étrange, elle « flotte » à
quelques dizaines de centimètres du sol. Elle ,'est d'ailleurs
retenue que par un épais entrelacs de racines et de plantes
grimpantes qui l’empêche de s'envoler. Personne n'y va car on
raconte qu'elle est la demeure d'un Horla.
Nous
avons besoin de matériaux solides pour bâtir des abris en dur. Nous
ne pouvons nous contenter de cabanes faites de branchages et de
feuillages. Pour autant, nous ne pouvons pas utiliser les roches
composant les ruines où nous nous sommes installées. D'une part,
rien ne sous assure de la qualité de ces roches et, surtout, ce sera
un sacrilège que de les détériorer. Aussi, une poignée d'hommes
et de femmes s'est portée volontaire afin de partir
plus au Sud à la recherche d'une sorte de carrière. Souhaitons leur
bonne chance.
2nde
quinzaine :
Quels
prédateurs naturels errent dans cette région ? Êtes-vous en
sécurité ?
Ici,
le principal danger, au titre de prédateur naturel, serait les
serpents et insectes géants. On compte finalement peu de gros
prédateurs par ici. Pas de lion, de jaguar ou de tigres. Quelques
rares crocodiles dans le fleuves. Ce sont surtout les serpents et les
insectes qui sont nuisibles. Des légendes et rumeurs prétendent que
cela vient de l'influence néfaste du Horla vivant dans la grande
pyramide. Il serait si horrible et cruel que même les fauves ont
fui. Toutefois, tant que nous restons prudent dans la forêt, nous
parvenons sans trop de difficulté à éviter les attaques des
serpents qui ne sortent que très rarement de la jungle. Nous n'en
voyons quasiment jamais dans les ruines.
Toutefois,
cette apparente tranquillité en inquiètent certains. Certes, nous
avons réussi à tenir les Horlas en échec et nous avons pu nous
installer ici mais, pour autant, sommes-nous réellement en sécurité.
À leurs yeux, cette tranquillité a vraiment quelque chose de louche
et ils craignent qu'une menace ne nous frappe plus tôt que prévu.
En fait, il craignent la chose qui pourrait vivre dans la pyramide.
Ils voudraient aller s'assurer qu'elle est bien inoccupée mais ont
peur de s'y rendre. Alors, les gens discutent. Peut-être qu'un jour
certains se décideront, prendront leurs armes et leur courage et se
rendront là-bas pour en avoir le cœur net.
3ème
quinzaine :
Y
a-t-il plusieurs cellules familiales dans la communauté ? Si c’est
le cas, quelles structures familiales sont communes ?
Il
y a plusieurs familles dans notre communautés. Les Powl, de père en
fils, communiquent avec les Lwas. Les Andes, de père en fils,
communiquent avec les Arbres. Les Corso, de père en fils, sont de
puissants guerriers. Chaque famille est dirigée soit par le plus
ancien, soit par le plus sage, désigné alors par le plus ancien qui
aura choisi de se retirer. Le chef de famille décide de tout mais en
accord et avec le conseil d'un cercle restreint composé de membres
de sa famille choisis par lui. Les dirigeants des différentes
familles se regroupent ensuite en un grand conseil pour décider des
questions importantes concernant la vie et le devenir de notre
communauté. Ils peuvent, lors de ses conseils, se faire accompagner
et aider, par des membres de leur famille.
Eles
Corso est la fille de l'ancien du clan Corso. Elle n'est pas qu'une
grande combattante, elle est aussi une « rêveuse ». Dans
ses veines coulent aussi le sang des Powl et, parfois, elle converse
avec les Lwas.
4ème
quinzaine :
Une
jeune fille charismatique convainc de nombreuses personnes de l’aider
à accomplir un plan complexe. Quel est ce plan ? Qui se joint à
elle ? Commencez un projet pour y réfléchir.
Edes
Corso a rêvé. Elle a entendu les Lwas. Il y a quelque chose dans la
pyramide. Et cette chose est une menace. La paix ici n'est qu'une
illusion. Quelque chose de néfaste va bientôt se déchaîner et
cela risque d'être pire que les Bergers du Givre. La chose qui vit
dans la pyramide doit être chassée ou tuée. En tout cas, d'après
les Lwas, un vent mauvais va souffler du Rêve vers l’Éveil. Le
Temps du Cauchemar sera bientôt de retour.
Edes
Corso mène une campagne pour constituer un groupe d'explorateurs.
Elle veut découvrir ce qui se cache et se trame dans cette pyramide.
S'il y a une menace pour la communauté, elle se fait fort de régler
le problème. Mais elle a tout autant besoin d'aide que de l'aval du
conseil des anciens.
5ème
quinzaine :
Des
conditions climatiques inquiétantes détruisent quelque chose. Quoi
et comment ?
Contre
toute attente, après des jours d'une météo clémente, il y a eu un
violent orage. Il est tombée un véritable déluge. Le tonnerre fut
assourdissant. Les éclairs ont déclenché des incendies dans la
forêt qui ont été rapidement éteints par la fureur même de la
pluie. Le niveau du fleuve est monté brutalement. Il y a eu quelques
inondations. Ceux de la communauté qui s'étaient installés à la
périphérie des colonnes ont dû s'enfuir en toute hâte. Et
surtout, les serpents ! Des vagues entières de serpents géants
ont jaillit des eaux en furies pour traverser les ruines. Personne ne
peut vraiment en être sûr mais certains affirment qu'ils se
dirigeaient vers la pyramide. Edes Corso fait partie de ceux-là.
Après
l'orage, tous ont eu la tristesse de constater que la noria qui
acheminé l'eau douce jusqu'au ruine avait été détruite par la
tempête.
Après
qu'on se soit assuré que tout le monde était en bonne santé et
qu'il n'y avait aucune perte humaine à déplorer, les anciens
décidèrent qu'il fallait au plus vite se mettre à reconstruire la
noria. Certes, le fleuve n'était pas loin, mais la noria évitait
des marches pénibles à travers la forêt, marches qui pouvaient
même se révéler dangereuses en raison des serpents.
6ème
quinzaine :
Quelqu’un
de nouveau arrive. Qui est-ce ?
Une
femme ? Un homme ? On ne sait pas trop. Elle ou il porte un
manteau de cuir élimé, un chapeau de fourrure orné d’une tête
de loup. Son visage est surmaquillé de noir. Elle dit s'appeler la
Magicienne. Elle dit venir d'après la tempête. Elle nous met en
garde contre ces Horlas qu'elle appelle les Coelacanthes. Ils vivent
dans le Rêve et veulent faire du monde un cauchemar. Elle dit avoir
un moyen pour aller les combattre sur leur propre terrain. Elle
plonge la main dans sa besace et en sort une poignée de noix.
La
présence de la Magicienne interroge. On ne sait pas trop si on peut
lui faire confiance. Pourtant, malgré la méfiance que tout le monde
lui témoigne, elle installe son bivouac au Sud-Est des colonnes. Le
point le plus éloigné de la pyramide, remarque Edes Corso.
Le
printemps s'achève...
7ème
quinzaine :
Un
petit groupe au sein de la communauté demande à être entendu. Qui
sont-ils ? Que demandent-ils ?
Edes
Corso a commencé à rassembler autour d'elle un petit groupe
d'hommes et de femmes prêt à la suivre jusqu'à la pyramide.
Toutefois, respectueuse des us et coutumes de la communauté, elle
demande audience auprès du conseil des anciens pour obtenir leur
aval. Il est peu probable qu'elle tente quoi que ce soit sans leur
accord.
Une
bonne nouvelle ! Les membres de l'expédition reviennent et ils
ont trouvé un gisement de roches. C'est loin à l'intérieur des
terre, vers les montagnes intérieures à l'Est. Cela demandera des
efforts pour acheminer tout ce matériel jusqu'ici mais c'est
possible. Si cet endroit se révèle un bon site où s'installer,
cela vaudra effectivement le coup de s'organiser pour aller chercher
là-bas de quoi construire des abris solide.
Une
nouvelle plutôt inquiétantes... Des traces de pas ont été repéré
à proximité des colonnes. Tous les regards se sont tournés vers la
Magicienne mais elle jure que ce n'est pas elle qui a rôdé par là.
Et tout le monde s'accorde quant au fait qu'elle a vraiment l'air
sincère. En fait, la plupart des membres de la communauté craint
qu'un ou plusieurs Horlas traînent dans les parages. La Magicienne,
elle, craint qu'il ne s'agisse des terribles Coelacanthes.
8ème
quinzaine :
Un
projet se termine plus tôt que prévu. Qu’est-ce qui a permis sa
réalisation anticipée ?
Entre
le retour des membres de l'expédition vers les montagnes et la fait
que la Magicienne se soit soudain décidée à mettre la main à la
pâte, les travaux de reconstruction de la noria sont maintenant
achevé. L'eau douce parvient de nouveau aux colonnes. Plus besoin de
ces fatigants allers et retours au fleuve.
L'aide
de la Magicienne a été apprécié. Elle suscite toujours la
méfiance mais sa relation au Rêve lui attire tout de même une
certaine bienveillance de la part des Powl. De plus, elle reste
discrète, dans son bivouac. Elle se mêle rarement des affaires de
la communauté. Elle rappelle régulièrement mais sans insistance la
menace planante des Coelacanthes. Elle met tout le monde en garde
mais sans crier au loup plus que nécessaire. Aussi, certains, de
plus en plus nombreux, sont tentés d'accorder du crédit à ses
propos. Certains hésitent même à accepter une de ses noix.
9ème
quinzaine :
Le
plus vieux d’entre vous est gravement malade. Prendre soin de lui
et rechercher un remède nécessite l’aide de la communauté
entière. Ne diminuez pas de dés de projet cette semaine.
L'ancien
de la famille Corso est tombé gravement malade. Personne ne sait de
quoi il souffre. Il est fiévreux et délire dans une demi-conscience
permanente. Tout le monde y va de son hypothèse, de ses bons
conseils. Mais objectivement, personne ne sait ce qu'il a ni comment
le soigner. Le mystère quant à son état demeurait total jusqu'à
ce que, dans son délire, il évoque les Coelacanthes. Il en appelait
aux Lwas pour l'aider. Alors, les sages de la famille Powl se
réunirent pour entrer en transe et rêver. Les Corso voulurent
partir en guerre. Mais contre qui ? Les Andes en appelèrent à
la sagesse des arbres qui leur envoyèrent l'image d'un... noyer.
Alors, tous les regards se tournèrent vers la Magicienne.
Une
délégation des Ande a rencontré la Magicienne pour discuter très
sérieusement de la nature de ses noix. Ils ont confronté ses dires
au jugement des arbres et il semble que ces derniers aient décidé
qu'il était temps, maintenant, de s'en remettre à la Magicienne.
Elle les a ainsi conduit plus profondément dans la forêt. Et, après
plusieurs heures de marches dans cette jungle humide à la chaleur
étouffante, elle leur a montré l'improbable, un noyer !
10ème
quinzaine :
L’été
est une bonne saison pour produire et s’occuper de la terre.
Commencez un projet lié à la production de nourriture.
Bien
que l'ancien des Powl n'aille pas mieux, les temps sont plutôt
clément. Aussi, tout le monde en profite pour poser les bases d'une
culture fruitière. Il s'agit, autant que possible, de faire en sorte
de manquer le moins possible de nourriture quand les mauvais jours
reviendront. On procède donc, sous le contrôle des Ande, au
replantage d'arbres fruitiers à la lisière des colonnes. La noria
permet en plus une irrigation satisfaisante même lorsque la
température est au plus haut.
Edes
Corso a rassemblé autour d'elle un petit groupe déterminé. On l'a
aussi vu s'entretenir avec la Magicienne. De plus en plus de gens
pensent que la maladie du vieux Powl est liée à la menace
Coelacanthes et que, pour le guérir, il faudrait effectivement
partir en guerre contre eux. Mais comment procéder ? Accepter
de vivre un cauchemar pour les combattre sur leur propre terrain,
comme le préconise la Magicienne ?
11ème
quinzaine :
Quelqu’un
de nouveau arrive. Qui ? Pourquoi cette personne est-elle en détresse
?
Une
jeune femme du nom de Tanya fait irruption au sein de la communauté.
Elle n'est pas des nôtres. Elle est blessée, dans un état de
panique totale. Il faut toute la patience et la sagesse des anciens
pour la calmer et la guérir. Une fois calmée, elle explique
appartenir à un clan de nomades. Ils sont passés à proximité
d'une étrange pyramide, un peu plus loin, au Nord-Ouest. Là, ils
ont été attaqué par des Horlas ressemblant à des hommes-serpents
à 7 têtes. Elle craint d'être la seule survivante.
Edes
Corso profite du récit de Tanya pour obtenir l'autorisation des
anciens de se rendre à la pyramide. Là, il s'agit notamment de
porter secours aux éventuels survivants.
Ce
n'est que plusieurs jours plus tard qu'Edes et ses hommes reviennent.
Ils sont tous blessés et choqués. Plus de la moitié d'entre eux
ont été tué dans la bataille qui les a opposé aux Horlas
polycéphales. Edes elle-même a perdu un œil et, le craint-on, la
raison. Alors, la Magicienne prend les choses en main. Elle nettoie
la plaie d'Edes et place une de ses noix dans l'orbite creuse. Cela
semble calmer Edes qui sombre dans un semi-coma. Au bout de plusieurs
jours de cette léthargie, ses proches constatent que des sortes de
branches lui poussent dans le dos. Au fil des jours, ces branches
grandissent et se garnissent de feuillages, offrant à Edes une sorte
de paire d'ailes végétales. La coquille de noix a parfaitement
trouvée sa place dans l'orbite creuse. À tel point qu'Edes prétend
entendre la voix des arbres. Examinée par l'ancien du clan Ande, ce
dernier reconnaît la véracité de ses propos et lui donne le statut
de membre de la famille Ande. Fille de la famille Corso ayant du sang
Powl dans les veines et maintenant membre des Andes, Edes est
maintenant perçue comme un personnage des plus importants de la
communauté. Toutefois, cela n'est pas sans susciter certaines
interrogations, notamment quant à une possible contre-attaque des
Horlas.
12ème
quinzaine :
Un
projet se termine plus tôt que prévu. Lequel ? Pourquoi ?S’il n’y
a pas de projet en cours, l’ennui mène aux conflits. Une bagarre
éclate entre deux personnes. À quel sujet ?
Par
quelle magie, nul ne le sait, le verger est maintenant arrivé à
pleine maturité. Les fruits sont consommables, excellents. Fait
étrange, on trouve des noyers parmi les arbres alors qu'il n'en a
été planté aucun. Interrogés, voire soupçonnés, les Andes
déclarent ne rien avoir à faire là-dedans, ni même ne rien
savoir. Pour autant, les arbres sont plus que jamais les alliés de
la communauté, même s'ils refusent de s'expliquer quant à cette
soudaine maturation.
Une
poignée d'hommes et de femmes ont décidé de traverser le fleuve,
par curiosité. À leur retour, ils ont raconté avoir vu un arbre
géant, plus au Sud et un peu à l'Ouest. Il y avait une porte en
bois dans le tronc. Ils n'ont pas osé l'ouvrir.
L'été
s'achève.
13ème
quinzaine :
Une
catastrophe naturelle frappe la région. Quelle est-elle ? Choisissez
un élément :
• Votre
priorité est de mettre tout le monde à l’abri. Retirez
une Abondance et un projet échoue.
• Votre
priorité est de protéger vos ressources et le résultat de votre
dur labeur à tout prix. À cause de ce choix, plusieurs personnes
meurent.
Un
terrible tremblement de terre, au Sud-Est, a provoqué une
gigantesque fissure dans le sol. L'eau du fleuve s'y est entièrement
déversée et le lit est maintenant à sec. La communauté n'a
maintenant plus d'accès à l'eau douce. Il n'y a plus, à proximité,
d'eau à boire, ni pour entretenir les vergers. Aux colonnes, on a
bien sûr ressenti la secousses. Les ruines ont globalement tenu le
coup mais les quelques blocs qui se sont écroulés ont malgré tout
fait des victimes.
Sans
attendre, la communauté se met à reconstruire ce qui peut l'être.
Tout le monde est solidaire. Des groupes se forment pour utiliser les
blocs écroulés afin de reconstruire certains abris pendant que
d'autres se rendent vers les montagnes afin d'en ramener de nouveaux
blocs. D'autres, également, s'occupent du ravitaillement en eau et
nourriture.
14ème
quinzaine :
Les
vents froids de l’automne chassent vos ennemis. Retirez
une menace de la carte et de la région.
À
ce malheur s'ajoutent les vents froids de l'automne. Privés de
chaleur et de la rivière, les serpents géants ont déserté la
région.
Les
travaux avancent. On attend malgré tout le retour de ceux partis
dans les montagnes. Malgré la catastrophe, personne ne se résout à
démolir les ruines pour utiliser les blocs. Les anciens n'ont
autorisé l'usage que des blocs écroulés durant le séisme. Pour
autant, cette attente est source de discussion. Certains se demandent
en effet si ce tremblement de terre n'est pas la conséquence de la
récente transformation d'Edes. Et si les anciens s'étaient trompés
en faisant d'elle un symbole de l'unité de la communauté. Et si,
dans cette fusion quelle semble incarner, il fallait plutôt voir la
fin des familles et donc de la communauté telle qu'on l'a connu
jusqu'à présent ?
15ème
quinzaine :
La
communauté travaille sans relâche, ce qui fait qu’un projet finit
plus tôt que prévu.
Les
efforts de chacun portent leurs fruits, d'autant plus que les hommes
de l'expédition vers les montagnes reviennent plus vite que prévu.
Aussi, la reconstruction des abris en dur est-elle maintenant
achevée.
Pour
autant, la question de la nourriture n'est pas réglée. Aussi, une
expédition est décidé afin de découvrir de nouveaux terrains de
chasse.
16ème
quinzaine :
La
maladie se répand dans la communauté. Choisissez un élément :
• Vous
passez la semaine à établir des quarantaines et à soigner la
maladie. Les dés de projet ne sont pas diminués cette
semaine.
• Personne
ne sait quoi faire à ce sujet. Ajoutez “Santé et
Fertilité” en tant que Pénuries.
La
plus grande majorité des membres de la communauté est atteinte d'un
mal étrange. Tous sont en proie à une fièvre accompagnée de
délires. Certains, dans leur demi-sommeil cauchemardesque, perdent
du sens par le nez, les oreilles. D'autres subissent d'étranges
mutations. Les valides tentent d'apporter un peu de réconfort aux
malades et à leurs proches. Les anciens interrogent les esprits des
arbres et des Lwas. Tous vont dans la même direction et accusent les
Coelacanthes de s'en prendre à la communauté. Mais pourquoi ?
Et surtout, que faire ? Les regards se tournent alors vers Edes
Corso et... la Magicienne.
La
Magicienne avait prédit une attaque de ces Coelacanthes. Mais,
aujourd'hui, on se demande si ce n'est pas elle qui les a fait venir.
Si certains sont tentés de s'en prendre à elle, Edes Corso prend le
parti de la Magicienne et compte s'en remettre aux noix pour contrer
cette menace. Qui la suivra dans un monde de cauchemars pour mettre
fin à cette menace ?
17ème
quinzaine :
Introduisez
un sombre mystère au sein des membres de votre communauté.
L'alliance
entre Edes et la Magicienne devient de plus en plus solide. De
symbole de l'union des principales familles composant la communauté,
Edes devient le chef d'une nouvelle famille. Mais sa relation
privilégiée avec le monde des esprits, qu'il s'agisse des Lwas ou
des arbres, n'a plus pour vocation de vivre en harmonie avec la
nature. Non, cette nouvelle famille qui se fonde dans l'ombre, a une
vocation plus guerrière. Pour eux, le monde des esprits devient un
champ de bataille autant qu'un arme.
Edes
et la magicienne commandent la construction de fortification autour
du noyer se trouvant dans la forêt, au Nord-Est des colonnes.
18ème
quinzaine :
Quelqu’un
sabote un projet, ce qui le fait échouer. Qui a fait cela ? Pourquoi
?
IésAnde,
de la famille Ande, est déclaré coupable d'avoir saboté la
construction des fortifications autour du noyer. Il déclare avoir
agi seul, sans le consentement des anciens de sa familles. Il
explique son geste par un rêve dans lequel les arbres le mettaient
en garde contre les noix. Les fruits de cette arbres seraient la
cause des cauchemars qui ont terrassé une partie de la communauté.
D'ailleurs, les noyers qui sont apparus dans le vergers proviennent
des fruits de cet arbre justement ! IésAnde affirme que cet
arbre et ses fruits sont maudits et maudits sont ceux qui les
mangent.
À
la recherche de nourriture, un groupe d'hommes et de femmes
parcourent le lits asséché du fleuve. Au Sud, ils découvrent le
gigantesque gouffre dans lequel se sont perdues les eaux. À 1ère
vue, il n'y a pas de fond.
19ème
quinzaine :
Un
unique projet devient l’obsession de la communauté. Quel est-il ?
Pourquoi ? Choisissez un élément :
•
Elle décide d’y passer plus
de temps pour que cela soit parfait. Ajoutez 3 semaines au dé de
projet.
•
Elle cesse toute autre
activité pour s’y consacrer. Tous les autres projets échouent.
S’il
n’y a pas d’autres projets en cours, une vision grandiose obsède
la communauté. Parlez de cette vision, en plus de votre action
habituelle pour la semaine.
Après
bien des discussions, la décision est prise d'explorer ce gouffre.
Certains sont mus par la curiosité, d'autres par la peur. Certains
agissent conformément aux conseils des anciens et des Esprits,
d'autres se sont rangés derrière la bannière d'Edes et de la
Magicienne. Quoi qu'il en soit, tous les efforts actuellement sont
tournés vers l'exploration de ce gouffre.
Si
tout le monde est d'accord pour explorer ce gouffre, les motivations
sont parfois bien différentes. Certains pensent y trouver l'origine
des maux récents accablant la communauté, d'autres pensent y
trouver un accès au monde des Coelacanthes. Certains agissent en
conformité avec les esprits, d'autres par défiance. Quel qu'en soit
la raison, tous pensent que ce gouffre joue un rôle primordial dans
le destin qui frappe la communauté et tous veulent savoir de quoi il
retourne.
L'automne
s'achève.
20ème
quinzaine :
Une
étrange occasion se présente à quelqu’un sur le bord de la
carte. Commencez un projet lié à cette découverte.
Leur
quête de nouveau terrain de chasse a mené certains membres de la
communauté aux confins de leur territoire. Là, à l'Ouest, ils ont
trouvé un vieux bâtiment. Un bref tour montre qu'il s'agit d'une
ancienne prison. Il y a encore des barreaux à certaines fenêtres
et, à l'intérieur, on dénombre de nombreuses cellules et salles de
tortures. Ils ont trouvé des textes relatifs au culte du Roi Volcan.
Mais celui-ci semble éteint. Il règne d'ailleurs un froid polaire
entre ces murs. Convaincus que cet endroit recèle d'autres secrets,
ils décident d'entreprendre une fouille des plus exhaustive.
Les
autres de la communauté, quant à eux, découvrent en remontant le
lit asséché du fleuve ce qui semblent être plusieurs entrées vers
des nids de serpents géants.
21ème
quinzaine :
Un
membre entêté de la communauté tente d’en prendre le contrôle.
Comment l’en empêche-t-on ? En raison du conflit, ne
diminuez pas les dés de projet cette semaine.
Face
à tous ses mystères e fortes du soutien de la Magicienne et d'un
partie non négligeable de la communauté, Edes Corso tente de
s'imposer comme chef de l'ensemble des familles. Pourtant, malgré le
respect que tous lui témoignent, les anciens s'y opposent. D'après
eux, les esprits des arbres comme les Lwas veulent qu'elle soit un
symbole fédérateur au sein de la communauté et non un chef qui,
disent-ils, ne fera que les précipiter vers le conflit et le
cauchemar. Edes accepte ce jugement des esprits et renonce. Elle
déclare ne pas vouloir provoquer de scission au sein de la
communauté, surtout quand, rappelle-t-elle, on sait que le Bergers
du Givre sont annoncés pour cet hiver.
Un
groupe de reconnaissance tentant de faire le tour du gouffre afin de
trouver un passage vers l'autre côté découvre les ruines de ce qui
semblent être un ancien sanatorium. L'un d'entre eux semble avoir
perdu la raison. Il affirme avoir vu là-bas Dionysos, le
porte-parole de la Bouche, qui lui aurait parlé de l'Ange-paon
de Yézédis et de la Cité-Dieu d'Elyatis.
22ème
quinzaine :
Les
Bergers du Givre arrivent. La partie est terminée.
Sont-ils
tous descendus dans le gouffre pour ne plus en remonter ? Se
sont-ils perdus dans les montagnes et y ont-ils été dévorés par
les monstres qui les peuplent ? Sont-ils restés prisonniers de
la prison du Roi Volcan ? Les Bergers du Givre trouvèrent les
colonnes vides. Ils y passèrent l'hiver et s'en allèrent. Ils
revinrent plusieurs hivers de suite et trouvèrent ces ruines
toujours désertes...
XxXxX
Omniscience
Après
la Magicienne, c'est une jeune femme nommée Tanya qui arrive aux
Colonnes.
Elle
est blessée et dans un état de panique totale. Une fois soignée et
calmée, elle explique appartenir elle aussi à un clan de nomades,
Ceux de l'Oeil Sublime.. Ils sont passés à proximité d'une étrange
pyramide, un peu plus loin, au Nord-Ouest. Là, ils ont été attaqué
par des Horlas ressemblant à des hommes-serpents à 7 têtes. Elle
craint d'être la seule survivante.
Edes
Corso profite du récit de Tanya pour obtenir l'autorisation des
anciens de se rendre à la pyramide. Là, il s'agit notamment de
porter secours aux éventuels survivants.
Ce
n'est que plusieurs jours plus tard qu'Edes et ses hommes reviennent.
Ils sont tous blessés et choqués. Plus de la moitié d'entre eux
ont été tué dans la bataille qui les a opposé aux Horlas
polycéphales. Edes elle-même a perdu un œil et, le craint-on, la
raison. Alors, la Magicienne prend les choses en main. Elle nettoie
la plaie d'Edes et place une de ses noix dans l'orbite creuse. Cela
semble calmer Edes qui sombre dans un semi-coma. Au bout de plusieurs
jours de cette léthargie, ses proches constatent que des sortes de
branches lui poussent dans le dos. Au fil des jours, ces branches
grandissent et se garnissent de feuillages, offrant à Edes une sorte
de paire d'ailes végétales. La coquille de noix a parfaitement
trouvée sa place dans l'orbite creuse. À tel point qu'Edes prétend
entendre la voix des arbres. Examinée par l'ancien du clan Ande, ce
dernier reconnaît la véracité de ses propos et lui donne le statut
de membre de la famille Ande. Fille de la famille Corso ayant du sang
Powl dans les veines et maintenant membre des Andes, Edes est
maintenant perçue comme un personnage des plus importants de la
communauté. Toutefois, cela n'est pas sans susciter certaines
interrogations, notamment quant à une possible contre-attaque des
Horlas.
SiAber,
comme à son habitude, a observé tout ça de loin. Le destin d'Edes
Corso l'interroge. Moitié Corso, moitié Powl, elle intègre
maintenant la famille Ande. Il sent que le vent souffle plus fort
dans la cime des Arbres depuis que la Magicienne a fait son
apparition. Si Edes entend désormais la Voix des Arbres, SiAber veut
savoir ce qu'ils lui ont dit. Il se rappelle alors sa dernière
vision. Alors qu'il interrogeait les Arbres justement, la Magicienne
faisait irruption. Opportunité ou menace, il doit en avoir le cœur
net. Quel que soit le destin que lui réservent les Arbres, il
l'acceptera.
Mais,
alors qu'il s'équipe de ces outils de chaman, SiAber est pris à
parti par des membres du clan qui lui reproche de préparer un sale
coup, d'avoir contracté avec les Horlas. Il a beau nier et tenter de
s'expliquer, rien n'y fait. Après les reproches, ce sont les
insultes. Et après les insultes, ce sont les coups qui s'abattent
sur lui.
SiAber
tentent de les raisonner, en vain. Alors, la douleur monte, grandit.
Mais une Voix grandit aussi. Pas celle des Arbres. Celle du Corvidé.
Alors, SiAber cherche du regard les Yeux de la forêt. Ils lui diront
ce qu'il doit faire pour que la combativité du cerf devienne sienne
et qu'il parvienne à se défaire des opposants. Aussi, soudain, il
se redresse et clame d'une voix forte « Je suis le Corvidé.
Ici et maintenant, pour maintenir l'équilibre entre la vie et la
mort, j'invoque la combativité du cerf ! » L'espace d'un
instant, ses adversaires stoppent net. SiAber, quant à lui, attend
la réponse des Yeux.
Et
les Yeux de la forêt se mirent à parler :
-Tu
dois aller au bout de cette altercation, dit le 1er.
-Et
nous offrir les yeux du perdant, dit le second.
Alors
SiAber brame ! Dans sa sacoche, il saisit une poignée de clous.
Il en prend un dans chaque main et se jette sur l'opposant le plus
proche de lui. Tous deux, sous le choc de l'impact, se retrouve à
terre. Animé de la combativité du cerf, SiAber immobilise
rapidement son adversaire. A cheval sur son torse, il lui enfonce un
clou dans chaque œil. Il se tourne ensuite lentement vers l'autre et
se passe l'index sous la gorge. Il se saisit alors de sa dague et lui
saute dessus. Bien qu'il soit solidement campé sur ses jambes,
SiAber le jette lui aussi à terre et lui plante plusieurs fois sa
dague dans la gorge. Le sang gicle et SiAber brame. Quand il arrête
de hurler, le silence de la forêt n'est troublé que par les
gémissement de l'aveugle qui convulse à terre. SiAber s'approche de
lui et, de la pointe de sa dague, lui retire les yeux qu'il offre
ensuite aux Yeux de la forêt. Et les Yeux ne sont pas avares. Après
lui avoir fait don de la combativité du Cerf, ils lui font
maintenant don d'une de ses effroyables visions de l'avenir dont
seuls les Arbres et les Yeux connaissent les secrets et les
significations. SiAber a l'impression qu'on le saisit par les cornes
et qu'on le jette à terre. Alors que, hurlant, il se débats dans
les feuilles et la boue, il voit !
SiAber reconnaît cet endroit mais il n'est pas
comme il devrait être. Il s'agit de cet hôpital en ruine au Sud des
Colonnes. Il est toujours envahi de plantes grimpantes mais aussi, et
c'est nouveau, de feuilles de vigne. Et surtout, il est sous la
neige. Il y a un escalier qui monte. La haut, il entend des rires et
des chants. À mesure qu'il gravit les marches, la neige est
remplacée par des algues et une indescriptible odeur de poisson
mort. Plus il monte et plus il est difficile pour lui de se rappeler
que ce n'est pas normal. Les Colonnes ne sont pas sous la neiges. Les
Bergers du Givre ne sont pas encore arrivés. C'est trop tôt. Ce
n'est pas le moment. Au milieu des marches, il se saisit la tête la
tête à pleine main. Tout devient... clair ? Il avance.
Dans une grande pièce, une troupe d'hommes et de
femmes, à moitié nus, chante et danse au pied d'un trône de
fortune. Sur ce trône, un homme revêtu d'une toge grecque et d'un
énorme masque à tête de scarabée. Au dessus de son épaule, sur
sa gauche, une bouche dessinée sur le mur scande « Je suis
Dionysos ! La Voix de la Bouche ! Dansez ! Chantez,
les ivres et les fous ! »
SiAber fait un pas en arrière, de peur qu'on le
remarque. Alors, il distingue un fragment de miroir brisé encore
fixé à un mur. Il y plonge son regard mais n'y trouve pas le sien.
Qui est cet homme au costume sombre. SiAber le connaît-il ? Il
ne sait plus. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il est celui qui porte la
maladie ! Le Cruel Centipède !
Millevaux
sous la neige ! Le Cruel Centipède ! Dionysos, la Bouche,
des fous ! Que va-t-il advenir de son clan ? Vont-ils
devoir quitter les Colonnes ? La menace que représentent les
Bergers du givre est-elle pire que ce qu'il redoutait ? Que
doit-il faire ? Prévenir les anciens ? Trouver cet homme ?
Lui reprendre le Cruel Centipède ? Et Dionysos ? Et les
fous ?
Cette
vision n'est pas comme les autres. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Il comprend mieux maintenant le sens d'une des ses visions
précédentes. Il doit, plus que jamais, interroger les Esprits des
Arbres. Il doit comprendre le sens de cette vision. Et ce, même si
la Magicienne doit lui jouer un sale tour.
Il
s'approche d'un arbre, un noyer. Mais pas Le Noyer. Il pose la main
sur le tronc, se saisit d'un clou et l'enfonce à travers le dos de
sa main comme sa vision le lui indiquait, comme certains rites
anciens des Andes l'indiquaient. Plus personne aujourd'hui ne
communique ainsi avec les Arbres. Aujourd'hui, les Arbres et les
hommes communient par l'Esprit. Mais à une époque, ils communiaient
par le sang. SiAber ne sent pas la douleur. Il ressent la présence
d'un corps étranger dans sa main. Il sent son sang s'écouler et se
mêler à la sève de l'Arbre. Il attend. Il attend le message de
l'Arbre. Il attend la Magicienne. Qui viendra en premier ?
La
Magicienne !
« Le
culte de Shub'Niggurath gagne en puissance, SiAber. Une nouvelle race
de Horlas, les Coelacanthes, s'apprêtent à déferler sur les mondes
pour répandre Millevaux. La malédiction du Cruel Centipède se
répandra comme des pétales de fleurs portés par le vent. »
Alors,
elle se tait et lui tend une noix. Une Noix !
SiAber
a toujours sa main gauche clouée au tronc du noyer. Il regarde la
Noix. Il regarde la Magicienne. Il cherche l'origine de ce soudain
vent violent. Il sait qu'il doit accepter la Noix. Il a peur mais il
sait qu'il doit l'accepter.
« Magicienne,
resteras-tu près de moi ?
Non,
mais tu ne seras pas seul face aux Coelacanthes. Les Araignées
seront tes alliées. Elles sont en toi désormais. De même, si tu es
en danger et souhaites quitter le monde des Coelacanthes, prends une
Noix. Mais, saches-le, dans ton combat contre les Coelacanthes et
pour une raison que toi seul peut connaître, les plaisirs de la
chair, que tu les désires ou non, te sont plus que jamais interdits.
Tu en mourrais. »
SiAber
comprenait. Ou du moins, il pensait comprendre. Il avait peur mais se
saisit de la poignée de Noix que lui tendait la Magicienne. Il y en
avait maintenant 7 dans sa main. 7 Noix pour combattre les
Coelacanthes. Alors, il ferma les yeux et se mit à rêver...
Il
rêve. Il sait qu'il rêve. Ce ne peut être la réalité. Autour de
lui, les arbres sont débités en tronçons replacés n'importe
comment dans l'espace. On croise des chevreuils et des blaireaux
découpés mais encore vivants, réhybridés avec des troncs, des
branches et des fougères. Au fond de la forêt, on aperçoit un
portail aquatique phosphorescent et le monde se reconfigure autour.
Le sol se déplace et se redécoupe en permanence.
L'espace
d'un instant, SiAber est enclin à céder à la panique. Mais, il se
rappelle les enseignements du Corvidé : soit digne en toute
circonstance ! Que doit-il faire face à ça ? Que peut-il
faire ? Au milieu de ce chaos, il tente rester serein, droit,
immobile, rigide. Il tente de faire sienne la grandeur et la majesté
du Cerf. Il veut, il espère devenir ainsi le pivot autour duquel
s'organisera ce chaos. Il ferme les yeux. Il respire profondément et
entonne son mantra.
« Je
suis le Corvidé. Je suis le présage du retour de l'ordre et de la
sérénité. Je suis l'axe et l'équilibre nécessaire entre la vie
et la mort. Le chaos est la vie. L'immobilisme est la mort. Le chaos
est la mort, l'ordre est la vie. »
SiAber
a les yeux fermés mais il sent tout autour de lui les Yeux s'ouvrir.
Que doit-il faire pour stopper tout ça ? Les Yeux vont parler.
Les Yeux ont peur de cette lumière aquatique. Il faut l'éteindre.
Fermer ce portail. Barrer la route aux Coelacanthes. Il faut
retourner au vide, au tombeau. Il faut... offrir un sacrifice.
SiAber
ouvre les yeux. Les Yeux ne sont plus là. Il regarde autour de lui.
Il sent qu'il ne peut bouger sous peine de se retrouver lui aussi
découper et redécouper par ce chaos qui massacre la forêt.
Pourtant, que sacrifier ? Et comment ? Il se rappelle alors
les mots de la Magicienne. Les araignées. Elles sont en lui.
SiAber
ferme de nouveau les yeux et regarde au fond de lui-même. Il finit
par les voir monter, les araignées. Elles sont là, par centaines,
par milliers. Elles n'attendent que son ordre pour déferler. Son
regard se porte alors sur une de ses horribles chimères et les
araignées sortent. De partout ? De ses yeux, ses oreilles, son
nez, sa bouche... partout ! Et elles courent, volent, jusqu’à
la créature qu'elles recouvrent et dévorent. Quand il ne reste plus
rien qu'un tas d'os, le portail se referme.
La
forêt est redevenue normale. Du moins, le semble-t-il. SiAber
regarde tout autour de lui. Nulle trace du chaos qui régnait il y a
encore quelques instants. Nulle trace des araignées. Prudemment, il
fait un pas en avant. Rien d'anormal. C'est marchant qu'il se rend
compte que sa main n'est plus clouée à l'arbre. Il comprends alors
qu'il n'est pas revenu, qu'il est toujours dans le rêve de la
Magicienne. D'ailleurs, n'est-ce pas elle, là-bas, devant cette
maison en terre cuite ? Si ! Elle l'aperçoit et l'invite à
entrer. La maison se réduit à une seule pièce, avec des fours et
des athanors en ébullition. Chouettes, chats sauvages, araignées et
crapauds grouillent dans les ombres. Racines, fougères, lierre et
champignons envahissent les lieux. Deux grandes armures humanoïdes
faites de terre cuite et de matériaux composites trônent au milieu.
La Magicienne explique qu'il faut aller demander l'aide… de la
personne qui incarne la Magicienne pour avoir une chance de vaincre
les Abysses. Pour cela, SiAber doit monter dans cette armure-golem
faite de ses souffrances. Cette armure lui permettra de supporter le
passage vers le Méta-Monde.
SiAber
n'est pas sûr de comprendre. Il doit demander de l'aide à celui qui
incarne la Magicienne dans un autre monde ? Le Méta-Monde ?
Et il ne peut gagner ce Méta-Monde que grâce à cette armure ?
SiAber fait le tour de ce que la Magicienne appelle une armure-golem.
Elle est de grande taille et grossière. Elle faite de terre, de
boue, de branchages et de feuillages. Au toucher, elle paraît
solide. Il se concentre. Il tente de capter les Esprits des Arbres.
Il a besoin de conseils. Doit-il écouter la Magicienne ?
Qu'est-ce que le sort lui réserve ? Les chamans de la famille
Ande peuvent devenir des arbres et planter profondément leurs
racines pour accéder à la mémoire de la Terre. Mais lui, est un
paria. Il peut se changer en arbre seulement pour étendre ses
branches vers le ciel et tenter de connaître l'avenir. Mais sa
mémoire et celle de la Terre lui sont fermées. Sans un mot, il sort
de la maison de terre. Une fois dehors, il enfonce ses pieds dans le
sol. Il tire de sa sacoche de la poudre d'encens qu'il répand à ses
pieds. De sa dague, il s'entaille la paume de la main et recouvre la
poudre de goutte de sang. Au fond de lui, il sent les araignées
refluer. Il sent les cornes du Corvidé s'agrandir. Ses pieds
s'enfoncent dans la terre. Il lève ses bras. Ses bras s'allongent.
Ses doigts aussi et se couvrent de feuillages. SiAber est un Arbre
entièrement tourné vers le soleil. Il cherche la lumière. SiAber
est un arbre. Un Noyer !
Il
voit ! Il voit un animal mythique traqué. Quel animal ?
Traqué par qui ? Pourquoi ? Un Noix tombe au sol. Il voit
un nid de serpents géants. Une seconde Noix tombe au sol. Un nom.
Sodek NoFink !
SiAber
ouvre les yeux et tombe à genoux. Il n'est plus qu'un homme. Non !
Il se redresse. Il est le Corvidé, le Présage. Il se relève et
retourne à l'intérieur de la maison en terre cuite. Il jette un
regard qu'il souhaite plein d'assurance à la Magicienne et se laisse
recouvrir par l'armure-golem. Il entend comme un assourdissement
bruit d'aspiration puis... Plus rien.
Quand
il ouvre les yeux, il est à genoux, dans la boue. L'armure-golem a
disparu et il se rend compte qu'il pleure. Il relève la tête et
voit... un vieux bâtiment. Il
s'agit d'une ancienne prison envahit par la végétation. Il y a
encore des barreaux à certaines fenêtres. Un chant résonne. Pas
autour de lui. À l'intérieur de lui. « le Roi-Volcan m'a
donné un nombre et ce nombre est le 13 » Il sent la panique
l'envahir. Que s'est-il passé ? Où est l'armure ? A-t-il
vu celui qui incarne la Magicienne dans le Méta-Monde ? Il ne
se rappelle de rien. Rien ! Sauf... Traquer les serpents-géants
jusque dans leur nid et... Sodek NoFink ! Mais avant tout, il
doit retourner aux Colonnes. Il n'a aucune idée de là où il est.
Il le saura peut-être, sûrement même, s'il regarde d'en haut. Il
tire une nouvelle poignée de poudre de sa sacoche et accomplit le
rituel faisant de lui un haut et majestueux Noyer. Et de la haut, du
bout de ses branches, il voit les Colonnes, à l'Est.
De
retour parmi son clan, SiAber s'attend à être pris à parti à
propos de la mort des deux membres du clan dont il est responsable.
Mais, comme souvent, personne ne prête attention à lui. Aujourd'hui
tous les regards sont tournés vars une nouvelle venue. Une jeune
femme blessée racontant que son clan a été décimé par un groupe
de Horlas à tête de serpents. Sous son masque, SiAber sent la sueur
perler à son front...
XxXxX
Dans
La Nuit Longue... Protocol
Haze n'attend pas d'en
savoir plus quant à ces coups de feu. Spontanément, il court dans
la direction opposée et se retrouve à dévaler à toute vitesse ce
flanc de montagne enneigée. À mesure qu'il s'éloigne de l'origine
des détonations, il prend un peu plus le temps d'observer son
environnement. Quelque chose cloche. Une forêt sous la neige, OK !
Mais pas une forêt comme ça. Haze finit par s'arrêter pour
examiner un arbre. Il s'agit d'un arbre typique d'un forêt
tropicale. Il n'y connaît rien, certes, mais il sait reconnaître un
arbre tropical et il sait que ces régions ne connaissent jamais de
périodes de neiges. Donc, quelque chose cloche.
L'espace d'un instant,
il se demande si... mais non, impossible ! Son niveau
d'accréditation est vert. Il n'a pas accès à Blue City et même
dans ce cas, il faudra que ce soit une méga-interférence pour que
la ville apparaisse sous cette forme. Où a-t-il atterri ? Quel
est cet endroit ?
Haze vérifie le contenu
de ses poches et de son sac. Du matériel d'escalade, super !
Des rations, mieux ! Le Virus, le plus important. Il doit
l'emmener quelque part, mais où ? Curieusement, sa mémoire lui
joue des tours. C'est comme quand on cherche un mot qu'on a sur le
bout de la langue. On le connaît, pas de problème là-dessus !
Mais pour l'instant, impossible de s'en rappeler. Ça reviendra, on
le sait. Mais quand ? Pas trop tard espère-t-il.
Par contre, il se
rappelle bien de quelque chose. Le Virus. Le Cruel Centipède. Le
Virus a été conçu à partir d'extrait du Cruel Centipède. Ce
n'est pas facile, mais Haze rassemble sa mémoire. Il doit fixer ses
idées quant au Virus avant d'oublier. Il sait que ce lieu, cet
endroit, cette forêt va tenter de lui faire perdre la mémoire.
Parce que cette forêt est... Millevaux. Et le Cruel Centipède est
issu d'une variation, d'une interprétation de Millevaux. Le Virus
est une variation de Millevaux. Une mutation de Millevaux. Parce que
Millevaux est une maladie. Une maladie qui altère le temps et
l'espace. Une maladie qui se répand d'autant plus facilement que,
sous licence Creative Common, l'accès à ses diverses
interprétations est gratuite. Auteurs comme joueurs peuvent s'en
emparer sans problème pour créer et répandre leurs propres
versions de Millevaux. Mais déjà il a oublié comment il avait mis
la main sur cette version, le Cruel Centipède. Est-ce la Compagnie
qui lui a donné ordre de le remettre à quelqu'un, quelque part ?
Ou alors, l'a-t-il dérobé à quelqu'un et doit-il le remettre à la
Compagnie au plus vite ?
Ces pensées dérivent
alors vers les deux femmes qui partagent ses pensées et sa vie
actuellement. Johanna Ackermann d'abord. Il culpabilise de cette
relation car il sait au fond de lui qu'il l'entretient en grande
partie pour percer le mystère entourant son « autre »
personnalité : Sodek NoFink. Et Edes Corso. L ne sait pas ce
qu'elle lui trouve. Elle a tout. L'argent, le pouvoir, la beauté.
Pourquoi s'être intéressée à lui ? Et lui, pourquoi
s’intéresse-t-il à elle, si différente, issue d'un monde si
lointain. Un monde si lointain ?
Sans s'en rendre compte,
il a repris sa marche dans la neige et est arrivé dans une
clairière. Là, un autre fait étrange. Au milieu de cette forêt
tropicale, un arbre qui une fois de plus n'a rien à faire là :
un Noyer. Haze se sent bizarrement attiré par l'arbre. Quelque chose
en lui... Non, quelqu'un à l'extérieur de lui sait que ce qu'il
s'apprête à faire est complètement stupide et que cela va le
précipiter dans un monde de cauchemar. Il sait que toutes ses
interrogations ne sont que de futiles tentatives de gagner du temps
car il va le faire. Il ne peut pas faire autrement. Il tente de se
convaincre que cela lui permettra de mieux comprendre ce qu'a vécu
Johanna. De mieux cerner la personnalité d'Edes. Une étrange
association d'idées lui fait songer à l'Hadès. Et si la belle
héritière était son monde des morts. Alors, Johanna serait la vie.
Non, elle est la folie. Après Eros et Thanatos, il y aurait Hybris
et Thanatos ? L'Hybris ? Dionysos ?
Haze soupire et regarde
la Noix qu'il trouve dans le creux de sa main. Dans son sac, il se
saisit d'un mousqueton d'escalade et s'en sert pour en briser la
coquille. Une soudaine rafale de vent lui arrache quelques larmes. Il
songe alors à cette chanson de Laibach, Hell Symmetry et à ces
quelques mots relatifs à la « 7 deadly sins industry ».
Sans même songer à s'essuyer les yeux, il gobe la Noix...
Il ouvre les yeux. Il
est là mais n'est pas là. Il se voit quelques mètres devant lui.
Il se souvient. C'était avant de venir profiler au FBI. Il était
alors négociateur. Il intervenait là sur une prise d'otage. Cette
grande avenue. Laquelle ? Quelle ville ? Il a déjà...
oublié... Cette grande avenue avait été bloquée évacuée par les
forces de l'ordre. Le forcené, un braqueur en fuite, s'était
réfugié dans un bus et avait pris les passagers et le conducteur en
otage. Des snipers avaient été placé en des endroits stratégiques
dans les immeubles de chaque côté. Des SWAT, positionnés dans les
rues perpendiculaires, attendaient le feu vert pour intervenir. Lui,
tentait de gagner du temps, d'obtenir qu'il libère les otages et de
détourner son attention pour permettre aux SWAT, menés par son
coéquipier, de s'approcher sans être vue. Qu'est-ce qui avait
cloché ? Tout semblait bien se passer puis la situation a
dégénéré. Le braqueur a été abattu mais des otages sont morts
et son coéquipier a reçu une balle qui lui a sectionné la moelle
épinière. Haze revoit la scène de loin mais la revit de
l'intérieur. De loin, il voit cette petite porte d'environ 1m de
haut. Était-elle vraiment là ce jour ? Il ne sait pas. Et s'il
l'avait emprunté ? Où l'aurait-elle mené ? Quelque part
d'où il aurait pu sauver son coéquipier ? Et si... Il fait un
pas dans cette direction. Et ce retrouve au milieu d'un cercle
composé d'hommes et de femmes nus à tête de sanglier, le corps
couvert d'humus, de mousse et d'asticots. Ils se tiennent debout, les
bras croisés, sans mot dire. Autour de lui, La moisissure a pris des
proportions dantesques : buissons de mousse et masses fongiques. Le
limon coule de partout. On entend un grondement et on sent la terre
trembler. Il pense alors à Johanna, à Sodek et, va savoir pourquoi,
à Shub'Niggurath. Puis, les hommes et femmes sangliers
disparaissent. Il n'en reste plus qu'un, avec une verge d'une taille
monstrueuse qui pend entre ses cuisses et deux seins gonflés de
lait. Verge comme seins dégoulinent de pus. Immobile, inerte, il se
contente de dire : « Fais pire, au nom des Abysses. »
Pire ? Qu'est-ce
qui peut être pire que ce fiasco à part avoir tiré lui-même sur
son coéquipier ? À part l'avoir... tué ?
De tout cela, rien n'est
réel. Haze le sait et c'est pour ça qu'il pointe son arme en
direction du crane de son coéquipier et qu'il tire. Il garde les
yeux fermés si fort que ça lui fait mal mais il ne veut pas les
ouvrir. Il attend d'entendre siffler les coups de feu. Il attend
d'entendre les cris. Il attend de se sentir projeter au sol et
menotter par les SWAT.
Il attend et... rien ne
se passe...
Le siège, ou en tout
cas un des sièges, de la Compagnie. Depuis cette affaire qui l'a
confronté à Millevaux, Haze a quitté le FBI. Il a été recruté
par la Compagnie. On ne lui a pas présenté les choses ainsi mais il
a compris qu'il devait remplacé un autre agent, Paul Singer, lié
lui aussi à toute cette histoire. Haze sait, mais comment ?,
que sous l'influence de Millevaux il a tendance à perdre la mémoire.
Ou, du moins, certains éléments deviennent flous, disparaissent. Il
sait qu'il connaît Paul Singer. Mais d'où ? Se sont-ils
rencontrés ou a-t-il seulement entendu parler de lui ? Il ne
sait plus. En tout cas, Singer est aujourd'hui porté disparu et Haze
sait qu'ayant travaillé sur cette même affaire il est tout désigné
pour remplacer Singer au sein de la Compagnie. Pour autant, il doit
faire ses preuves. Pour l'instant, son niveau d'accréditation est
Vert. Il n'a pas accès à Blue City. La Cité Bleue. Le bourreau de
Johanna en avait parlé dans un de ses messages délirants. Le
bourreau de Johanna ou l'instrument de Sodek NoFink ? Les
dirigeants de la Compagnie savant-ils qu'il la fréquente ? Il
n'en serait pas étonné. De même qu'il ne serait pas étonné qu'on
le fasse suivre, qu'on l'espionne et que, comme lui, on cherche à
percer le mystère de Johanna/Sodek. Le mystère de Millevaux. Enfin,
un des mystères de Millevaux.
La mission de Singer a
montré une chose. Millevaux est contagieuse. Millevaux n'aurait pas
dû s'infiltrer dans Blue City, même au titre d'interférence.
Quelque chose, quelqu'un, a volontairement contaminer Blue City en y
introduisant le concept de Millevaux pour le pervertir, en faire la
proie de Shub'Niggurath et du Roi en Jaune. Le Jaune contre le Bleu.
Dans cette histoire, la Compagnie a perdu l'agent Singer. Et l'agent
Singer, lui, a perdu... la raison ?
Pour l'instant, en tant
qu'agent à la cravate verte, Haze doit « simplement »
éplucher toutes les sources d'informations à sa disposition pour se
faire l'idée la plus précise de la situation concernant Millevaux.
D'une façon ou d'une autre, il faut « protéger » Blue
City, ramener l'ordre. Ou au moins, ramener le niveau d'interférence
à un degré plus convenable. Gérable ? Haze avait bien compris
ce qu'on attendait de lui.
Haze reprend ses
esprits. Il est toujours près du Noyer. Il n'a aucune idée du temps
qui a bien pu s'écouler. Toutefois, il fait maintenant presque nuit
et de plus en plus froid. Un vent glacial l'éloigne de l'arbre.
Alors qu'il va pour se réchauffer les mains et les frottant l'une
contre l'autre, il remarque que sa paume gauche saigne. Il se rend
alors compte que sa main a été transpercé. Comment ? Quand ?
Par qui ?
Alors que le vent le
pousse, l'éloigne encore plus de l'arbre et de la montagne, un
grincement attire son attention. À cause du vent, il a du mal à
savoir d'où cela provient. Il tourne sur lui-même et son regard
tombe alors sur un homme en fauteuil roulant. Son ancien coéquipier !
C'est forcément une illusion, une hallucination ! Comment il
aurait pu arriver jusqu'ici en fauteuil roulant. En plus, il porte un
costume-cravate complètement inadapté à la situation.
Spontanément, Haze porte la main au niveau de son aisselle gauche
mais ne trouve rien. Il n'a aucune arme sur lui.
Son ancien coéquipier
sourit. À mesure que sa bouche s'élargit, s'ouvre, du sang en coule
et inonde sa chemise. Il ouvre grand les yeux. Son sourire se crispe.
Ses traits se figent. Il articule quelques mots que Haze saisit mal à
cause du vent.
« Le nid de
serpents géants... Là est le Niaucheur... Il parle le Langage
Noir... ou le Langage Jaune... Il mange de la Viande Noire... ou fume
l'Opium Jaune... »
Haze se précipite sur
son coéquipier. Il se jette sur lui et reverse le fauteuil ! Il
se réceptionne mal et une douleur aigu lui vrille la main. Il se
relève et se rend compte qu'il est seul. La nuit est maintenant
tombée. Haze se retrouve au bord d'un fleuve gelé. Il ne sait pas
comment il est arrivé là. Il distingue l'ombre d'un bâtiment au
loin. Il y a de la lumière.
Après une marche
finalement assez courte, Haze se retrouve devant un portail en fer
forgé. Le mur d'enceinte est haut mais en ruine. Il trouve
facilement un passage et s'introduit à l'intérieur de cette
ancienne propriété. Un peu plus loin s'élève la bâtisse. La
porte d'entrée est ouverte. La neige a envahi l'accueil. Il s'agit
bien d'un accueil, Haze reconnaît un comptoir. Il y a même un
téléphone. Au cas où, il s'en empare : « Contrôle ?
Agent Haze ?
Oui. Contrôle ?
Oui. Que faites-vous
là ?
Je ne sais pas. Je ne
sais pas où je suis.
Je... Je ne sais pas non
plus.
Mais, si vous êtes
Contrôle, c'est que je suis à Blue City, non ?
Oui, non. Normalement.
Enfin, vu votre niveau d'accréditation vous ne devriez pas être à
Blue City. Mais, si nous avons cette conversation c'est que vous êtes
à Blue City, non ?
Je ne sais pas. Je ne
sais pas où je suis. Mon hélico s'est écrasé en pleine montagne.
Il y a une tempête de neige. Je suis redescendu dans la vallée et
me suis réfugié dans une propriété en ruine. On m'a tiré dessus.
Enfin, j'ai entendu des coups de feu. J'ai le Virus. J'ai le Cruel
Centipède.
Vous avez le Cruel
Centipède ?!
Oui, je ne sais pas
comment je l'ai eu mais je l'ai. Et je ne sais pas ce que je dois en
faire. Contrôle ?
Surtout n'y jouez pas !
Y jouer ?
Oui, savez-vous ce
qu'est le Cruel Centipède ?
Non. Un ver ? Une
limace ? Un insecte dégoûtant ?
Non ! Oui, d'une
certaine façon. Le Cruel Centipède est une maladie du temps et de
l'espace. Une corruption, un corrupteur. Un jeu.
Comment ça un jeu ?
Agent Haze,
souffrez-vous de pertes de mémoires ?
Je ne sais pas. Oui,
peut-être, à cause du crash...
Ou à cause de
Millevaux. Vous êtes dans une forêt, n'est-ce pas ?
Oui, j'ai traversé une
forêt.
Millevaux est LE jeu, la
corruption qui menace Blue City. Vous avez oublié ?
Je crois bien que oui.
Le
Virus que vous transportez, agent Haze, cet extrait du Cruel
Centipède, est un nouveau jeu de rôle dans l'univers de Millevaux.
Et Millevaux est une maladie d'autant plus contagieuse que, sous
licence Creative Common, sa gratuité fait qu'il est facile et
tentant pour les auteurs et les joueurs d'investir cet univers, de le
faire vivre, de l'explorer, le faire muter, le répandre. D'après ce
que nous savons, un joueur qui se fait appeler Demian Hesse à
introduit Millevaux dans Blue City, contaminant ainsi la Cité Bleu.
Blue City et l’Hôpital sont des portes entre Millevaux et... un
certain niveau de réalité que souhaitent atteindre les
Coelacanthes. Pour ce Demian Hesse, tout ceci n'est qu'un jeu. Mais
pour nous, c'est une menace réelle. Si les Coelacanthes... Agent
Haze, vous êtes à l'hôpital, hein ?
Je
ne sais pas. Il y avait une grille en fer forgé et là tout est en
ruine.
C'EST
UN HOPITAL, AGENT HAZE ! NE ME MENTEZ PAS ! VOUS ËTES A
L'HOPITAL !
Je
ne sais pas Contrôle, je ne suis pas sûr. C'est possible que cet
endroit soit un ancien hôpital. Ce n'est pas une maison en tout cas.
Contrôle ! Je dois vous laisser ! »
Haze
raccroche précipitamment. Une ombre vient de lui passer devant.
C'était fugace, presque translucide. Ça portait un masque... et des
cornes. Ça s'est jeté dans les escaliers en direction de l'étage.
Haze sent qu'il doit monter lui aussi.
En
haut, Haze entend des rires et des chants. À mesure qu'il gravit les
marches, la neige est remplacée par des algues et une indescriptible
odeur de poisson mort. Plus il monte et plus il est difficile pour
lui de se rappeler que rien de tout cela n'est normal. Il jette un
œil ,aussi discrètement que possible à travers la porte d'où
proviennent les chants et les rires. Dans une grande pièce, une
troupe d'hommes et de femmes, à moitié nus, chante et danse au pied
d'un trône de fortune. Sur ce trône, un homme revêtu d'une toge
grecque et d'un énorme masque à tête de scarabée. Au dessus de
son épaule, sur sa gauche, une bouche dessinée sur le mur scande
« Je suis Dionysos ! La Voix de la Bouche ! Dansez !
Chantez, les ivres et les fous ! »
Haze fait un pas en arrière, de peur qu'on le
remarque. Alors, il distingue un fragment de miroir brisé encore
fixé à un mur. Il y plonge son regard mais n'y trouve pas le sien.
Qui est cet homme au masque étrange, le connaît-il ? Il ne
sait plus. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il est celui qui porte la
maladie ! Le Cruel Centipède !
« Entres, Haze ! Entres en scène !
Rejoins mon petit théâtre ! La Bouche ne te veux aucun mal. »
Haze croit reconnaître cette voix. Il n'est sur de
rien, à cause de ce masque mais... Paul Singer ? Cet homme
est-il l'agent Paul Singer ? Cet agent de la Compagnie qui a
disparu après cette étrange affaire ? C'est lui qui avait
retrouvé Johanna dans Blue City puis dans Millevaux. Il ne sait plus
trop, sa mémoire vacille.
« Paul... Singer ? Hasarde Haze en
approchant lentement.
Oui, non. Je suis Dionysos, la Voix de la Bouche et
la Bouche a des choses à te dire. »
Dionysos change alors de voix. Autour de lui, les
hommes et les femmes dansent et chantent toujours en riant et buvant
du vin à même la bouteille.
« Agent spécial Haze, les tueurs qui tu as
arrêtés vont à l'hôpital ou en prison. Le Tueur du 13ème Jour du
13ème Mois n'est pas ici. Tu dois allez le chercher en prison. La
Prison du Roi-Volcan. Le Roi-Volcan te donnera un nombre et ce nombre
sera le 13. En chemin, arrêtes-toi devant les nids de serpents.
Parles au Niaucheur. Parles-lui le Langage Noir ou le Langage Jaune.
Partages avec lui la Viande Noir ou l'Opium Jaune. Écoutes sa
plainte. Maintenant, vas Agent Haze. La Bouche a parlé. »
Haze plonge sa main dans sa poche et en tire un jeu
de cartes. Il en sait pas ce que ce jeu fait là. Il n'aime pas jouer
aux cartes. Enfin, pas spécialement. Juste comme ça, il en tire 2
au hasard : 10 de cœur et 5 de trèfle. Il a envie d'un café.
Dans ce parc, la température vient de chuter brutalement. Un café
le réchauffera. Il fait signe a un des agents en uniforme, celui qui
tient le petit plateau garni de gobelets en carton fumant. Une tasse
à la main, il parcourt de nouveau la scène de crime des yeux.
La victime est un homme dans la cinquantaine.
Légèrement en surpoids ,est-ce par coquetterie qu'il a les cheveux
teints ? Il devait faire son jogging dans ce parc. Il porte
encore ses vêtements sportswear. Pourtant, le tueur lui a baissé
son pantalon. Ils se sont visiblement battu. Le visage de la victime
est couvert d'hématome. On voit aussi des marques au niveau de ses
cuisses. Haze parcourt les environs du regard. Cette partie du parc
n'est pas la plus exposée aux regards. Pour autant, ce n'est pas non
plus l'endroit le plus opportun pour une agression. Haze se laisse
aller à penser que le tueur savait ce qu'il faisait en agissant ici.
Peut-être a-t-il procédé à quelques repérages. Au fait du
parcours de cet homme, il a estimé que c'était le meilleur endroit
pour l'agresser. Oui, le tueur savait parfaitement où et quand
attaquer. Avec un peu de chance, ça faisait plusieurs semaines que
le sort de cet homme était scellé et personne ne le savait. À part
le Tueur du Calendrier, celui qui tue le 13ème jour du 13ème mois.
C'est SON calendrier. Il y a déjà eu 4 victimes, que des hommes
dans la cinquantaine. Et les briseurs de codes du Bureau, en
examinant les dates des meurtres, ont mis en évidence ce cycle de 13
mois et 13 jours. Toujours le même MO. La victime est rouée de
coups puis étranglée. Le tueur lui baisse son pantalon mais ne
procède à aucune agression sexuelle. Visiblement, il s'agit surtout
d'une dernière humiliation consistant à laisser la victime dans
cette posture pour le moins inconvenante. Les corps ne sont ni
dissimulés ni spécialement mis en évidence. Le tueur les laisse
là. Il sait qu'on les trouvera. Il veut qu'on les trouve, mais pas
trop vite. Les autopsies ont montré que, vu les angles des coups
portés, le tueur devait être plus petit que ses victimes mais en
meilleure condition physique. Pourquoi s'en prendre à des hommes
plutôt âgés ? Haze pense que le tueur a peut-être victime
d'un pédophile et qu'il se venge. Il a même demandé à ce qu'on
fouille le passé des victimes à ce sujet. Pour l'instant, cela n'a
rien donné mais cela ne prouve pas grand chose. Il y a tant de
criminels qui ne sont jamais inquiétés... Et si le tueur s'en
prenait aux membres d'un réseau ? Ou alors, il fait une simple
projection sur ces hommes là ? Ou alors, Haze fait totalement
fausse route... Il n'exclue pas non plus que l'assassin soit une
femme ou un enfant, un adolescent. Cela expliquerait sa taille. Haze
soupire et boit une gorgée de café. Soudain, son téléphone sonne.
C'est Johanna. Il la rappellera plus tard.
Haze ne fait plus parti du Bureau. Aussi, un de ses
anciens collègues lui signale le plus courtoisement possible qu'il
va maintenant devoir quitter les lieux et... laisser la police faire
son travail. Haze comprend. Il lui sourit et le remercie pour... le
café. Il lui promet de le tenir informé si, de son côté, il
devait apprendre quelque chose. Il prends ensuite un taxi et se rend
à l'Auberge, ce café à thème où il doit retrouver le
Chef-Instructeur Snyder. Son niveau d'accréditation est
Indigo/Blanc. Il n'est plus envoyé à Blue City mais il joue,
parfois encore, le rôle de mentor pour les nouveaux agents de la
Compagnie comme Haze. Snyder n'est pas un rigolo. C'est un dur. Mais
il est réglo et il connaît son boulot. Il est convaincu que ce
Tueur du Calendrier a quelque à voir avec les affaires de la
Compagnie et Haze lui fait confiance à ce sujet. Le 13ème jour du
13ème mois. Ce ne peut pas être une coïncidence. C'est forcément
lié avec cette histoire de Patient 13. Que ce serait-il passé si
Coleman était parvenu à tuer 13 femmes ? Il voulait ouvrir une
porte vers Millevaux, pour les Coelacanthes. Et Johanna...
Snyder tire Haze de ses pensées d'un claquement de
doigts. Il interpelle la serveuse et lui commande café et donut's.
Haze est ravi. Il fait si froid en ce moment. Il est gelé, même à
l'intérieur de l'Auberge. Un café lui fera du bien. Alors que la
serveuse revient, il se rappelle avec amusement le chef DiCompain de
la police d'Olympia, grand amateur de Donut's devant l’Éternel.
« Et que vient faire Ackermann dans cette
histoire ?
Pardon ?
Oui, Ackermann... Vous la... fréquentez si je ne
m'abuse.
Oui, non euh... Oui, nous nous... fréquentons,
comme vous dîtes, Chef-Instructeur Snyder.
Bien, alors, quel est son rôle dans cette
histoire ? Quelque chose m'échappe.
Et bien, pour faire court, Johanna... Miss
Ackermann est une des victimes de Coleman. Il la retenait
prisonnière, en vue de son exécution à venir, quand les forces de
l'ordre sont intervenues dans sa planque. Elle a été admise en soin
intensif sauf que, d'après les rapports de la Compagnie que j'ai lu,
l'Agent Singer a eu au même moment un « contact » avec
elle dans Blue City. Piursuivis par une créature, ils se sont
retrouvés à Millevaux. C'est là que Johanna s'est révélé
posséder une double personnalité. L'autre, nommé Sodek NoFink,
semblait alors être un complice de la Magicienne, ou du Magicien, ce
n'est pas... plus très clair... NoFink aurait en fait manipulé
Coleman afin qu'il tue. Il aurait fait en sorte, malgré tout, de
garder Johanna en vie, nécessité oblige. Mais, les investigations
de Singer notamment tendent à montrer que les choses étaient en
réalité plus complexes. Finalement, Johanna ne serait plus vraiment
une victime. Elle aurait joué le rôle de la victime auprès de
Coleman pour rester près de lui et serait passé par l'intermédiaire
de la personnalité de Sodek NoFink pour le manipuler. Dans cette
nouvelle configuration, Sodek n'est plus qu'un pion et Johanna n'est
plus du tout une victime. Elle serait même, finalement, à l'origine
des meurtres. Toutefois, aucun examen psychiatrique n'a pu mettre en
évidence l'existence cette personnalité de Sodek NoFink. Aussi, les
réflexions de l'agent Singer sont restées lettres mortes et Johanna
continue d'être considérée comme une victime et uniquement comme
cela.
Bien, et votre opinion ? Sachant que vous...
fréquentez Johanna Ackermann.
Aucune trace de NoFink. Avec moi en tout cas, elle
est à 100% Johanna. Je ne remets pas en cause l'existence de Sodek
mais je ne peux qu'affirmer ne l'avoir jamais vu depuis la fin de
cette affaire. Je pense, mais je n'ai aucun élément pour étayer ce
point de vue, que Sodek ne peut se manifester que dans Blue City et
Millevaux. Coleman était fou et obsédé par Millevaux. C'est sans
doute pour ça que Sodek a pu lui apparaître. Il faudrait, je pense,
ramener Johanna à Blue City puis à Millevaux pour pouvoir accéder
à Sodek.
Et pensez-vous qu'elle ait quelque chose à voir
avec cette affaire du Tueur du Calendrier ?
Non, mais je pense par contre que cette affaire est
liée à Millevaux d'une façon ou d'une autre. Pour Coleman, Blue
City était un sas entre Millevaux et notre réalité. Il est
possible que le Tueur du Calendrier partage un délire similaire.
Vous prenez le dernier donut ? »
Haze quitte donc l'Hôpital et Dionysos. Il ne sait
pas pourquoi mais quelque chose lui manquera et ça le déprime
encore plus, plus que la nuit et le froid. Cela lui semble aberrant.
Qu'est-ce qui pourrait bien lui manquer dans un endroit pareil ?
Aberrant aussi, cette idée que le Virus ne serait qu'une espèce de
jeu de rôle qui parviendrait à contaminer la réalité. Mais après
tout, lui aussi est roliste. Il en a joué des personnages, que ce
soit irl, sur table, ou derrière son écran sur des forums.
Finalement, il comprend un peu cette notion de contamination du réel
par le jeu. Il se rappelle le jeu De Profundis, un jeu de rôle
épistolaire dans un univers lovecraftien. Au passage, il note que
Millevaux emprunte aussi au mythe de Chtulhu. Mais surtout, l'auteur
de De Profundis insistait sur le fait que chaque expérience du
quotidien pouvait venir enrichir le récit. Ainsi, d'une certaine
façon, on ne sortait jamais du jeu et c'était finalement une sorte
de contamination du réel par le jeu. Mais avec Millevaux, ça allait
plus loin. Ça allait d'autant plus loin que Haze savait pertinemment
qu'il n'avait pas lu De Profundis. Ce n'était pas lui, ce n'était
pas son souvenir. Mais qui ? Demian Hesse ? Que signifiait
tout ça ? Il ne savait plus vraiment. Sa mémoire commençait
vraiment à lui jouer des tours. Il pensait savoir qui était ce
Demian Hesse mais finalement en doutait. Il ne savait plus s'il était
sensé le connaître ou non. Mais, il savait aussi que ces pertes de
mémoires étaient caractéristiques de Millevaux. Était-il donc
contaminé ? Se débarrasser du Cruel Centipède suffirait-il à
lui rendre ses souvenirs ?
Haze longea le fleuve gelé jusqu'à ce que, sous
la glace, il aperçut les entrées des nids de serpents géants. Là,
il devait trouver le Niaucheur. Mais comment accéder aux nids ?
Fouillant dans son sac, il se dit qu'il pouvait peut-être utiliser
un gros mousqueton d'escalade pour tenter de briser la glace. Mais il
n'avait en réalité que peu d'espoir d'y parvenir. Malgré tout,
prudemment, il posa un pied sur la glace et entreprit de traverser le
fleuve. Regardant à travers la glace, il ne voit rien de vivant. Pas
un poisson ni même un batracien ne peut vivre dans ces conditions.
Encore moins un serpent, fut-il géant. Il fait beaucoup trop froid.
Au moins, pense-t-il, il en risque pas d'être la proie d'un reptile.
Mais comment trouver le Niaucheur ?
Haze pose pied sur l'autre rive et entreprend de
faire du feu. Cela le réchauffera et, peut-être, attirera le
Niaucheur. Mais, contre toute attente, le feu prend bien mieux que
prévu. Beaucoup trop même. Et le manteau de Haze prend feu. Il se
jette dans la neige pour l'éteindre. Il y parvient rapidement mais
souffre malgré tout de vilaines brûlures aux bras et au torse. Il
ouvre son manteau et sa chemise et se recouvre de neige pour apaiser
les brûlures. Malgré tout, il ne peut retenir ses larmes, autant de
dépit que de douleur. Et il se surprend à pleurnicher comme un
gamin. Pleurnicher... Niaucher comme dit Anke, son amie rôliste
fribourgeoise. Le Niaucheur, le Pleurnicheur !! Est-ce
possible ?
À 4 pattes, Haze gagne le bord du fleuve et
contemple le reflet de son visage dans la glace. Presque torse nu, il
est fasciné par les brûlures qui, remontant de son torse à son
cou, le défigurent. Ou peu s'en faut qu'il ne soit défiguré en
tout cas. Il fixe l'homme dans la glace. Il ne se reconnaît pas.
Mais, il sait que c'est lui. Il se rappelle les mots de la Bouche. Il
doit parler au Niaucheur, partager avec lui. Le Langage Noir ou le
Langage Jaune. La Viande Noir ou l'Opium Jaune. Noir, c'est forcément
négatif, ce sont les ténèbres, l'obscurité. Mais le Jaune, il le
sait bien, c'est l'indicible, c'est la folie hasturienne ! Il se
regarde droit dans les yeux et prend conscience qu'il ne sait pas
quoi se dire.
« Qui es-tu,
Niaucheur ? As-tu quelque chose à me dire ?
Non, mais... en vérité
je te le dis, tout a déjà commencé à changer dans les murs de la
Cité Bleue. Ce qui était pur devient vermine, ce qui était laid se
pare d'une beauté artificielle et contre-nature, l'homme qui était
vertueux devient un pécheur et la femme qui était fidèle voit son
corps enfler de concupiscence. Et le cœur même de la Cité Bleue
n'est jamais tout à fait ce qu'il était hier. Les palais deviennent
des cloaques, les jardins deviennent des jungles. La bête docile et
servile devient un monstre sauvage, elle mord la main qui l'a nourri,
force les barreaux de sa cage et part semer la terreur dans la Cité
Bleue. Et des choses dorment dans des cocons, ce qu'elles étaient
auparavant n'est plus que limon à l'intérieur d'une carapace, et ce
qui en sortira portera le visage du Démon.
Que le Juste châtie
ses semblables qui ont déjà chuté, qu'il leur donne l'absolution,
qu'il traite les maladies et les difformités, ou qu'il se prémunisse
lui-même contre toute forme d'impureté et de changement, le Juste
devra lire en son cœur pour savoir ce que Dieu veut qu'il fasse en
son Nom. »
Haze fixe le Niaucheur,
les yeux grand ouvert. Il croit comprendre. Il a peur de comprendre.
La maladie a commencé à se répandre à Blue City. Et, de là, elle
pourra se répandre dans le monde réel. L'avenir s'annonce bien
sombre. Haze a parlé le Langage Noir. Il doit maintenant partager la
Viande Noire. Dans la glace, il voit que son torse brûlé est devenu
noir justement. Il retourne à son sac et trouve dedans un petit
couteau. De retour au bord du fleuve, il s'attaque à découper un
morceau de viande carbonisée à même son torse. La douleur est
insupportable. Il y a du sang partout dans la neige, sur la glace. Le
visage du Niaucheur ne lui apparaît plus que derrière un voile de
larme et de sang. Pourtant, malgré tout, il présente un bout de
chair sombre au Niaucheur et entreprend de dévorer cette Viande
Noire et crue.
Puis, il s'écroule,
inconscient, dans la neige et le sang.
L'appartement de
Johanna Ackermann. Elle est seule. Elle fait la cuisine. Elle a de la
visite ce soir. Damon Haze, l'ex agent du FBI qui s'est occupé
d'elle suite à son kidnapping par le tueur Coleman. Elle a passé du
temps en soin intensif puis, à sa sortie, Haze est revenue vers
elle. Pour laider. Mais pas que. Aujourd'hui, ils ont une relation
pour le moins ambiguë. À la limite du platonique et... d'autre
chose. Elle sent bien que Haze n'en a pas fini avec cette histoire et
qu'il reste auprès d'elle aussi, entre autre ou principalement pour
en savoir plus sur les délires de Coleman. Et aussi sur tout ce
qu'elle a ou croit avoir vécu dans cette Cité Bleue et cette forêt
maudite. Mais rien de tout cela n'était réel, hein ?
D'ailleurs, même le type avec qui elle s'est retrouvé là-bas a
disparu. Elle ne sait même pas s'il a vraiment existé ailleurs que
de son crane. D'après certains médecin, elle aurait inventé tout
ça pour tenir psychologiquement face aux sévices infligés par
Coleman. Une sorte de fuite, de fugue psychologique. Oui, elle est
tentée d'y croire. Elle y croirait plus facilement si Haze y croyait
et se décider à franchir le cap. Ce soir, peut-être...
« Toc Toc !
Qui est là ?
C'est moi, Sodek.
Qu'est-ce que tu me
veux encore ?
Tu le sais, on a du
travail. C'est bientôt le jour.
Non ! Ce n'est pas
le jour. Il y a encore du temps. Beaucoup de temps avant la prochaine
fois. Tu n'as aucune raison de venir m'importuner. Pourquoi ?
Pourquoi ? Mais...
mais parce que tu t'es assez servi de moi Johanna. Maintenant, c'est
mon tour. Pourquoi attendre le 13ème jour du 13ème mois pour
s'amuser un peu. Qu'est-ce que ça changera. Rien du tout ?
Bien sûr que si !
Se laisser aller comme ça est le meilleur moyen de commettre une
erreur qui les mettra sur ta trace, notre trace.
Mais non ! Il
suffit de changer de mode opératoire. Là, ce ne sera pas pour ce
que tu sais. Ce sera juste pour... s'amuser. Allez, il n'y a personne
dont tu voudrais te débarrasser ?
Si ! Il y a cette
femme. Edes Corso. Je sais que Damon la connaît. Je sais qu'il la
voit.
Et tu voudrais qu'il
lui arrive quelque chose à cette Edes Corso ? Pourquoi attendre
le 13ème jour du 13ème mois ?
Tu es certain que ça
ne bouleversera pas nos... tes plans ?
Certains !
Pourquoi ?
Pourquoi fais tu ça, Sodek ?
Tu le sais très bien.
Tu as eu ta chance, Johanna. Et tu as échoué. Maintenant, c'est moi
qui prend les rênes. On va faire ça à ma manière. Ça va prendre
un peu plus de temps mais ça marchera cette fois.
Sodek, pourquoi dis-tu
qu'on a du travail alors que tu sais que le 13ème jour du 13ème est
dans longtemps et que tu veux seulement t'amuser ?
Je dis ça parce qu'on
a vraiment du travail. Certes, nous avons du temps devant nous mais
il y aussi de long préparatifs et de longs rituels à accomplir pour
que tout soit parfait. Tu sais bien de quoi je parle...
« Le
roman qui rend fou ! » Voila quel sera désormais
l'argument de vente de ce vieux roman de fantasy écrit en 1958 par
un certain Jone King : La Quête de l'Ange-Paon de Yézédis. En
vérité, l'intrigue importe peu. Ce qui importe, c'est ce qui s'est
passé ce samedi 25 mai dans une bibliothèque de quartier d'Olympia,
état de Washington. En effet, un homme d'une cinquantaine d'année
en train de lire ce roman a subitement était pris de folie. Criant
être l'un des personnages principaux, un certain Tad Corso –
aventurier explorant une forêt hantée par des monstres nommés
Horlas, l'homme s'en est pris avec les plus grande violence aux
autres usagers ainsi qu'aux membres du personnel. Il a fallu
l'intervention conjointe des forces de police et des services de
sécurité de la bibliothèque pour maîtriser le forcené. Celui-ci
a finalement succombé à une crise cardiaque. Ces derniers mots
concernèrent le Roi-Volcan et parlèrent du 13ème jour du 13ème
mois, un autre personnage et un moment fort du livre.
Haze
émerge lentement et douloureusement de son inconscience. Il a
l'impression qu'on s'agite autour de lui. Il sent des mains qui le
palpent sans ménagement. On est en train de lui faire les poches !
Il se retourne sur le dos aussi vite qu'il peut et tente de voir à
qui ou à quoi il a à faire.
« Edes ? »
Non,
ce n'est pas elle. Impossible. Qu'est-ce qu'Edes ferait ici. Et puis,
son œil ? Comme une coquille de noix. Et... ce déguisement !
Ces ailes en bois. Haze tente de se redresser en prenant appui sur
son coude.
« Edes ?
Qu'est-ce que tu fais ici ? Qu'est-ce que tu... ?
Qui
es-tu ? D'où tu me connais ?
C'est
moi, Damon.
Les
seuls démons que je connais sont ceux que j'ai tué ! Es-tu un
Horla ? Tu ne ressembles pas à un Cœlacanthe.
Non,non
Edes. C'est moi, Damon Haze. Rappelles-toi, on est... ami. Enfin plus
ou moins. Plus que moins même. Enfin, tu vois ce que je veux
dire ? »
Il
semblait bien que non. Cet étrange sosie d'Edes, qui répondait
pourtant à son nom, fit un petit bond en arrière, s'arma d'une
dague et fixait Haze avec méfiance.
« Euh,
Edes... J'ai vu le Niaucheur. Il m'a dit que la corruption allait se
répandre. Qu'elle s'était déjà répandue. Ça a déjà commencé.
Elle traverse les mondes. Les Justes doivent éradiquer les démons...
au nom de Dieu. »
Haze,
en jouant franc jeu autant que possible, espérant ainsi apaiser
cette femme et gagner sa confiance. Il savait qu'il n'était
clairement en position de force. En cas de combat, elle l'emporterait
certainement. Et puis, peut-être que tout ça aurait du sens pour
elle.
La
femme, Edes ? le fixait toujours mais son visage prit une
nouvelle expression, moins menaçante. Elle semblait étonnée,
surprise, mais aussi plus attentive.
« Tu
parles comme lui
Comme
qui ?
Le
Fondateur de notre famille, l'Ange Guerrier, le Rêveur. Tad Edes
Corso. C'est de lui que je tiens mon nom et mes dons. C'est grâce à
lui que j'entends les Lwas en songe. C'est notre devoir d'aller dans
le cauchemar combattre les Coelacanthes. Tu ne dois pas y aller. Tu
ne peux pas. C'est à nous, les Corso héritiers du don du Fondateur,
qu'incombe cette tâche. Et les Powl nous aident en attirant sur nous
la bienveillance des Lwas. »
OK,
cette femme est folle. Elle ressemble à Edes. Elle répond au même
nom. Mais elle est folle. Comment se tirer de ce mauvais pas. Haze ne
pense plus qu'à une chose, se tirer le plus vite possible.
Pourtant...
« Je
dois me rendre à la Prison du Roi-Volcan.
Non !
N'y vas pas ! Cet endroit est maudit. On ne peut y accéder sans
danger que le 13ème jour du 13ème mois.
Quoi ?
Qu'est-ce que tu dis ? Que sais-tu du tueur du 13ème jour du
13ème mois ? »
Et
Haze eut une vision. Un flash. Il se rappelle alors une conversation
avec Johanna. Dans sa cuisine. Elle était en panique totale et lui a
parlé du tueur. Elle disait le connaître. Elle disait que c'était
lui, Sodek Nofink, qui tuait chaque 13ème jour du 13mois. Lui aussi,
comme Coleman voudrait ouvrir une Porte aux Coelacanthes. Mais il
aurait un plan à long terme. À beaucoup plus long terme. Cela
ferait longtemps que Sodek mûrit son plan. Il aurait même commencé
à tuer avant Coleman. Et Sodek voulait tuer... Edes !
Haze
ne savait plus. Edes avait-elle été assassinée ou non ? Si
oui, cette fille était un fantôme et il était... certainement pas
au Paradis. Où ça alors ? L'Enfer ? Le Purgatoire ?
Était-il mort lui aussi ? Dans le crash de l'hélicoptère...
Avait-il basculer dans ce monde de folie et de cauchemars dont
parlait Coleman, ce Millevaux ? Et jamais un téléphone quand
on en a besoin ! Il aurait bien eu besoin des conseil de
Contrôle à ce moment précis.
« Edes...
Es-tu... Vivante ?
Évidemment,
imbécile ! Je ne serais pas là à te parler sinon. Mais je
suis la dernière, la seule survivante. Mon clan, toutes mes familles
ont péri dans la fracture. Seules... enfin, nous avons pu remonter
de l'Abysse.
Nous ?
Oui,
la Magicienne. Elle aussi a pu remonter. C'est elle qui m'a tiré de
là. Elle m'a sauvé, cette fois encore. »
Et
Edes tapotait du doigt la coquille de noix qui lui servait d’œil.
« La
Magicienne ? Je dois la voir. Où est-elle ?
Je
suis là, Damon-Demian. »
Haze
reconnu tout de suite cette silhouette. Ce long manteau et cette
toque en fourrure. Le Magicien ! La Magicienne... C'était
pourtant bien UN Magicien qu'il avait interrogé dans les locaux de
la police d'Olympia quand il enquêtait sur Coleman ?
« Je
dois rêver, lâcha-t-il dans un souffle. Mais je ne veux pas.
Tu
vois, rebondit Edes. Tu parles encore comme lui. Le Fondateur disait
ça lui aussi. Il devait rêver mais ne voulait pas. »
La
magicienne l'observa avec un certain amusement. Elle fouilla dans sa
besace et tendit devant lui ses deux paumes ouvertes.
« La
Bille ou la Noix ? Le 13ème jour ou le 13ème mois ?
Choisis ! »
Et
le visage de la Magicienne se fendit d'un large sourire. Haze
flairait l'arnaque à plusieurs kilomètres. Il ne voulait pas
choisir. Et pourtant... Il fixa Edes droit dans les yeux. Dans l’œil
et la Noix... Vas pour la Noix ?
Et
il saisit la...
Le
réfectoire d'un hôpital. Non ! Le réfectoire DE l'Hôpital.
Les patients sont en train de manger. Soudain, l'un d'eux se lève.
Pris d'une crise de démence, il renverse sa chaise. La bave aux
lèvres, il se jette sur son voisin et lui plante sa fourchette dans
la gorge.
Le
patient 58,un homme d'une cinquantaine d'années, est rapidement
maîtrisé par les Blouses Blanches. Sodek, comme beaucoup d'autres
patients, est resté impassible. Il a tout de même remarqué que le
patient 58 a les épaules couvertes de pellicules. Mentalement, il
prend des notes. Aujourd'hui, le 58. Avant-hier, le 71. Demain, le
46...
Pour
Sodek, n° 82, tout est clair. Ceci est un message. Et qui dit
message, dit messager. Et sui dit messager dit... Nyarlathotep !
Ville
de XXXX. Ce parc d'attraction est particulièrement bien gardé, de
jour comme de nuit, car son sous-sol abrite des locaux de la
Compagnie. Aujourd'hui, ici-même, le chef-instructeur Snyder
participe à une réunion du Département Spécial de la Compagnie
avec des cadres de l'Ingénierie Mnémonique et de la Mythographie.
Ce
matin, tout le monde tente de faire bonne figure mais, contrairement
à ce qui se passe en surface, l'ambiance n'est pas à la fête. Le
désespoir et la peur se lisent dans les regards des uns et des
autres. La nouvelle est tombé et elle est mauvaise. Très mauvaise.
Blue City est en proie à une corruption d'origine inconnue. Des noms
reviennent néanmoins : le Cruel Centipède, Shub'Niggurath, le
Roi en Jaune, Millevaux.
Snyder
tente malgré tout d'être rassurant. Il a une piste, affirme-t-il,
un atout. Ce nouvel agent, Haze. Il connaît Millevaux. Il y a encore
une chance de sauver Blue City... et le monde.
XxXxX
Omniscience
Depuis
quelques jours, depuis qu'il a tué deux membres de sa communauté,
SiAber se sent mal. Ce ne sont ni les remords, ni la culpabilité
mais des images étranges qui lui sont venues en rêve peu de temps
après qui le rongent. En réalité, ce ne sont pas des rêves mais
des souvenirs. Mais, ce ne sont pas les siens. Ce sont ceux des
personnes qu'il a tué. Il voit ainsi la première dans une cabane à
moitié en ruine, sorte de taverne, perdue dans des marais. Là, il
boit en compagnie d'une bande de dégénérés qui ont tout l'air
d'une bande de cannibales. Tous, ils rient en buvant et se donnant de
grandes tapes dans le dos. Son autre rêve lui paraît plus
intéressant. Même si plus mystérieux. Il revoit la Prison du
Roi-Volcan. Ce membre de son clan s'y est rendu. Il a vu, dans ces
ruines, le Roi-Volcan et le Roi-Volcan lui a donné un nombre. Ce
nombre était le 13.
Aujourd'hui,
SiAber a suivi la Magicienne dans la forêt. Ou plutôt, elle s'est
laissée suivre. Arrivé au Noyer, elle lui fait face et, lui tendant
les mains, paumes ouvertes, lui propose de choisir entre une Noix et
une Bille.
SiAber
choisit la...
Ses
visions le transportent dans un autre monde ou un autre temps. Il ne
sait plus. En tout cas, cela n'a rien à voir avec ses visions
habituelles. Là, il ne se contente pas de voir fugacement,
partiellement, ce qui va advenir. Ses visions lui donnent... une
mission. Il doit accomplir quelque chose pour accéder à une vision
« Primordiale », quelque chose d'important, de capital !
Quand
il ouvre les yeux, SiAber reconnaît cette étrange pyramide au
Nord-Ouest des Colonnes. Mais quelque chose a changé. Quelque chose
de majeur. De radical ! Il neige !!! La pyramide. La forêt.
Millevaux est sous la neige !
Une
silhouette se dessine à l'une des entrées de la pyramide. Un
Horla ! Il a un corps d'homme mais sa tête est un amas de
tentacules grouillants. Le torse de la créature est scarifié au
niveau du cœur. Ces cicatrices, SiAber le sait, symbolise le nombre
13. malgré la neige et le froid, le Horla ne porte qu'un long pagne
de couleur pourpre. Il a les bras levés en croix et semble dans une
sorte de transe qui le fait onduler lentement. Autour de lui, l'air
se cristallise en pétales de fleurs tombant à ses pieds. Fragments
de rose en hologramme...
SiAber
est terrifié. Pourtant, le Horla semble inoffensif. Il ne bouge pas.
À se demander s'il a conscience de la présence de SiAber.
Pourtant...
« Je
suis le Kraken ! L'oubli m'a jeté au fond d'un océan de
solitude, à 13000 m de profondeur. Retrouver mon nom apaiserait mon
âme... Parce que le joueur le sait, je le sais et tu le sais. La
forêt est Millevaux est Shub'Niggurath. La neige est Ithaqua. La
Magicienne est à tes côtés. »
Et
à ces mots, le Kraken s'en retourne à l'intérieur de la pyramide
laissant SiAber là, interdit. Un raclement de gorge à sa droite
attire son attention. La Magicienne est là... à ses côtés. Mais
quelques choses a changé chez elle. Son long manteau glisse sur ses
épaules qui se révelent être en acier. Des symboles sont gravés
dessus. SiAber s'approche pour mieux les voir mais la Magicienne
recule et remonte son manteau. Elle le regarde droit dans les yeux.
SiAber jurerait qu'elle tente de le charmer. Elle fouille dans ses
poches et en sort une Bille et une Noix.
« Choisis »
Et
SiAber choisit la...
Qu'est-ce
que c'est que cet endroit ? Là, de jeunes garçons sont la
proie de horlacanthes qui leur arrachent les bourses avec une
arme-cactus électrique, sans anesthésie. L'arme les cautérise.
Puis ils restent parqués ici, vivant captifs dans leur propre merde.
Qu'est-ce que ça veut dire ? Que doit-il faire ? Sauver un
enfant ? Lequel ? Déjà, il cherche un endroit d'où
pouvoir mieux observer la scène sans être vu des Coelacanthes.
Une
fois à l'abri derrière... Derrière quoi ? SiAber se rend
alors compte que si les enfants et les Coelacanthes lui apparaissent
très nettement, tout me reste est flou. Concrètement, il lui est
impossible de dire où il est, à quoi ressemble cet endroit. Cela
lui donne presque le tournis. Il doit même se concentrer pour que
les enfants ne deviennent pas flous eux aussi. Il sent qu'il doit
agir vite. Aussi, il relâche les araignées qu'il a en lui et les
envoie faire diversion. Il espère ainsi attirer ailleurs l'attention
des monstres pendant qu'il s'emparera d'un enfant (mais lequel et
pourquoi celui-là plus qu'un autre?) et s'enfuira par cette porte
qu'il sait (mais comment?) être derrière luin sur sa gauche.
Il
se recroqueville alors sur lui-même et ouvre grand les yeux et la
bouche. Il sent alors des milliers d'araignées s'agiter et sortir de
son corps. Alors qu'elles se mettent à recouvrir deux horlacanthes
opérant sur de jeunes garçons, SiAber rampe dans la direction
opposée. Il s'approche d'un enfant et le tire par le bras. Il lui
plaque la main sur la bouche pour l'empêcher de crier et, alors que
les monstres se débattent avec les araignées, il le tire vers la
sortie. Mais avant de passer la porte, il tire deux Noix de sa besace
et lui en tend une. Et lui dit :
« Je
suis le Corvidé ! Ici et maintenant je te donne cette Noix pour
transporter ton âme dans la vie suivante. Je suis le Corvidé !
Écoutes
les yeux, répond le garçon. Ils te disent de répéter ton mantra
pour accéder à la Vision. Ils te disent que mon sang doit couler »
SiAber
acquiesce. Il sort une dague de sa besace et entaille la main du
garçon. Alors, le décor cesse d'être flou. Et la porte apparaît
nettement. Il entraîne le garçon.
Dehors,
dans la neige, la Magicienne est là. Elle attend.
« Camille !
Viens ! »
Elle
ouvre grand son manteau et le jeune garçon s'y réfugie, à l'abri
du froid. Alors qu'elle le referme sur eux deux, elle prend soin de
laisser nues ses épaules d'acier. SiAber s'approche et parcourt du
doigts les étranges gravures en langue putride. Il comprend...
Le
Cruel Centipède, une nouvelle forme de Millevaux, cette maladie qui
ronge l'espace et le temps. Cette corruption. Cette putréfaction.
L'univers, les univers meurent ! Il(s) se décompose(ent) et
Millevaux sont ses miasmes protéiformes et pourrissant qui en
émanent et se répandent condamnant ce qui reste du cadavre de
l'Hommonde à une lente désagrégation. L'Hommonde ? Qu'est-ce
que c'est ?
SiAber
a un mouvement de recul. La Magicienne se retourne et lui présente
son autre épaule. D'autres gravures, mais pas en langue putride
cette fois. Les « Dunes Vivantes », la paix contre la
nocive alliance.
SiAber
fixe son regard sur la Magicienne mais elle ne lui accorde plus
aucune attention. Elle ne songe plus qu'à réchauffer et cajoler le
jeune Camille. Mais il sait ! Il sait que les Dunes Vivantes
l'aideront à vaincre la neige, à vaincre la forêt, à faire
reculer Millevaux !
SiAber
ouvre les yeux. La Magicienne, celle aux épaules de chair, est face
a lui. Elle lui sourit. Quelque chose dans son regard lui dit qu'elle
sait. Elle sait tout ! Tout ?
Elle
lui tend les mains, paumes ouvertes. L'une est vide. Dans l'autre, il
reste une...
SiAber
s'en saisit...
Il
reconnaît cet endroit. Il est consacré au Roi-Volcan. Devant la
porte, deux personnes semblent l'attendre. Un homme, plutôt mal en
point, à l'air nerveux se présente comme étant un certain Damon
Haze. Le femme prétend s'appeler Sodek NoFink et elle fait peur à
SiAber. Elle lève la main et déclare.
« Le
Roi-Volcan m'a donné un nombre et ce nombre est... »
Et
d'un geste, elle nous invite ce Haze et moi à entrer dans la prison
du Roi-Volcan. Elle n'a pas besoin d'en dire plus, Haze et SiAber ont
très bien compris ce qu'il doivent faire : trouver le
Roi-Volcan pour qu'il leur donne leur nombre.
SiAber
se rappelle que tout cela n'est qu'une vision. Rien n'est réel. Pas
encore. Il sait, en tant qu chaman du clan des Arbres, qu'il a la
main-mise sur une partie de ce qui va se passer. Ce Haze est
certainement un homme bon, mais s'il veut savoir, percer les secret,
SiAber doit trouver le Roi-Volcan avant lui.
Haze
entre et prend immédiatement le couloir sur sa gauche. SiAber, lui,
demeure immobile et se concentre. Mais il a du mal à conserve son
calme. Une voix résonne en lui. « Commences par la dernière
chose ! Le monde est un cut-up ! »
Ses
yeux lui piquent d'une façon vraiment désagréable. Ça bourdonne
dans sa tête. Il farfouille dans sa besace et en sort une carte. Une
sorte de lame de tarot. Mais dessus, il y a des mots. Sur tout le
pourtour de la carte, des mots. Au milieu de la carte, des mots !
Un titre : Soudain... Juste en dessous : « Commence
par la dernière chose. Perds ton calme. Aide l'ennemi ou le monstre.
Un tremblement de terre. Une personne a en fait un dédoublement de
personnalité. » Il y a bien d'autres mots sur cette carte mais
SiAber ne parvient pas à les lire. Il comprend que cette douleur
dans sa tête et dans ses yeux est la rage qui tente de sortir. Il
comprend que l'ennemi qu'il doit aider est Sodek. Il comprend que cet
homme dans ce corps de femme, Sodek, souffre d'un dédoublement de la
personnalité. Et quand il se concentre sur la terre, pour écouter
les conseils des racines des arbres, il entend les prémices d'un
tremblement de terre. La dernière chose à faire... serait de rester
dans cette prison dont ce qui reste des ruines va bientôt
s'effondrer sur ceux qui seront à l'intérieur. Et il aidera son
ennemi, Johanna, en la délivrant de Sodek. Tuer Sodek ! Ce
serait vraiment la dernière à faire. Comment percer ses secrets
s'il meurt ? Ça, ce serait vraiment la dernière chose à
faire. « Perds ton calme ! »
SiAber
pousse un grognement et sort de la prison. Il se plante, les deux
pieds dans la neige, face à Sodek et crie :
« Je
suis le Corvidé ! Ici et maintenant, pour maintenir l'équilibre
entre la vie et la mrt, je vais transporter ton âme dans sa vie
suivante ! Je suis le Corvidé ! Je vais vider ton
corps ! »
Sodek
s'empare alors de son arme, une sorte de pistolet-cactus, et la
braque en direction de SiAber. Mais quelque chose l'empêche de
tirer. Les Yeux de la forêt sont braqués sur eux. Ils vont dire à
SiAber ce qu'il doit faire. S'il accepte, alors Sodek mourra.
« Tout
cela est un cycle dont l'ivresse te guérira... Mais Haze mourra...
J'accepte ! »
Alors,
la terre se met à trembler. Derrière lui, les ruines de la prison
du Roi-Volcan s'écroule. Le bruit est tel qu'on entend même pas les
cris de Haze. SiAber enfonce profondément ses pieds dans la neige.
Il sent les vibrations de la terre. Il veut se transformer en arbre
pour tuer Sodek mais quelque chose ne fonctionne pas dans son mantra.
Le Corvidé est là. Il fait obstacle. Il s’immisce. Alors que
SiAber tente de plonger ses racines dans le sol à la recherche de
celles de son totem, il sent les cornes de son masque pousser. Vers
le haut, dans le ciel. Mais aussi vers le bas, dans son crane. Les
bois s'enfoncent dans son cerveau et chemine tout le long de son
système nerveux. Jusqu'au bout de ses pieds, de ses racines, pour
enfin s'enfoncer dans la sol. Les bois vont jusqu'au bout de ses
doigts qu'ils transpercent pour devenir d'improbables griffes. SiAber
lève les bras en direction de Sodek et ses branchages s'allongent à
toute vitesse, transperçant Sodek de part en part. Alors, le sang de
Sodek se mêlant à la sève de SiAber, ce dernier sait. Il sait qui
est la Terre et il sait qui est la Neige qui la recouvre. Ithaqua, le
Marcheur du Vent, s'est allié à Shub'Niggurath. Il a recouvert
Millevaux de son manteau de neige protectrice, figeant ainsi la forêt
dans un hiver éternel. La Neige, la poudre, la poussière d'ange,
l'ivresse, la défonce, l'hubris, la folie dionysiaque... La Neige
d'Ithaqua est cette cocaïne qui maintient Millevaux dans une
perpétuelle folie. Johanna était folle. Folle car habitée par
Sodek NoFink. Les meurtres perpétrés par Sodek n'avaient pas pour
seule vocation d'ouvrir une porte aux Coelacanthes. Sodek savait ce
que Johanna ne savait pas. Ces meurtres n'avaient pour seule vocation
de sceller l'alliance entre Ithaqua et Shub'Niggurath. Sodek savait
pour l'Hommonde ! Il savait que l'Hommonde était mort et que sa
mort, sa décomposition avait engendré un cycle d'entropie.
Or,l'entropie c'est la vie ! La mort de l'Hommonde était donc
synonyme de vie. Mais cette décomposition s'achèverait
nécessairement par la disparition totale du cadavre de l'Hommonde,
signifiant alors la fin de la vie, de toutes les formes de vie ayant
émergé de ce corps mort. Toutes les formes de vie dont Millevaux,
les miasmes putrescent s'échappant de ce corps en putréfaction. Ces
miasmes portés par le vent qui se répandaient et contaminer le
Néant, accélérant (involontairement?) la décomposition du cadavre
de l'Hommonde. Les hommes que tuait Sodek n'étaient pas que
d'anciens patient de l'Hôpital, ils étaient aussi, à ses yeux, des
symboles de l'Hommonde, un vieil homme mourrant. Tel était donc le
secret de Sodek. SiAber n'était pas certain d'avoir tout saisi ni
tout compris. Mais cela, il le sentait, ne lui appartenait plus. Sous
son masque, par sa bouche de bois, les araignées quittaient son
corps par milliers. Elles courraient le long des branches jusqu'à
Sodek et tissaient leur toile autour de lui. Certaines commençaient
à le manger, à pondre. SiAber se sentit étrangement vide quand la
dernière araignée eut déserté son corps de chair et de bois. Mais
alors, une mouche vint se poser sur lui. Et d'autres arrivèrent.
Elles, elles achèveraient de comprendre tout ce que cela voulait
dire...
SiAber
ouvre les yeux. Il est dans une clairière. Au centre, un gigantesque
noyer. Au pied de l'arbre, un vieux gramophone. Il y a un disque posé
dessus. SiAber remonte la mécanique en tournant la manivelle. Une
musique dissonante et discordante se fait entendre. Puis une voix...
« Je
suis le Corps Vidé. Je ne suis ni un bon ni un mauvais présage. La
dernière âme que j'ai accompagné au repos est celle de Johanna
Ackermann. C'est dur de vivre entre la vie et la mort... »
SiAber
se met à pleurer. Il se dirige vers l'arbre et cueille une poignée
de Noix.
XxXxX
Dans
La Nuit... Protocol
Haze
ouvre les yeux dans une salle de bain. Les murs sont fait de
carrelages vieillots, la faïence est fendue. Les robinets sont
ouvragés avec raffinement mais très abîmés et gouttent en
permanence. Il fait froid et la fenêtre ouverte donne sur la forêt,
on entend des chouettes. Le bidet et le lavabo sont sales. Il y a une
baignoire remplie d'une eau grise où surnagent des feuilles mortes.
Une étrnage musique vient de... impossible à définir. Haze
reconnaît l'album Body and Soul de Cabaret Voltaire. Il se plante
devant la glace et ne se reconnaît pas. Face à lui se tient un
enfant. Une fille ou un garçon, difficile d'en être sûr juste en
regardant ce visage triste.
Haze
s'approche de la baignoire. Quelque chose de fatal va arriver, il le
sent. Mais il sent aussi que...
Il
se plonge dans l'eau sale. Il aspire une grande goulée d'air et
plonge la tête la dans l'eau en fermant les yeux. Quand il les ouvre
à nouveau, il est de nouveau dans cette forêt enneigée. Il entend
toujours la musique. Devant lui, un vieux bâtiment en ruine. Adossée
à un mur, une cigarette à la bouche, Johanna. Non, Sodek NoFink !
« Edes ?
Elle est morte ? Tu l'as tuée finalement ?
Oui,
et j'ai fait ça salement si tu veux savoir. Comme un porc... »
Haze
se jette sur Sodek ! Mais il pare le coup, lui saisit le bras,
le retourne et manque de lui démettre l'épaule.
« Ne
fais pas l'enfant ! Calmes-toi. On attend quelqu'un.
Qui
ça ?
Je
ne sais pas trop. Un chaman du Clan des Arbres. Sais-tu où nous
sommes ?
Non.
La
prison du Roi-Volcan. Le Roi-Volcan doit me donner un nombre.
Un
nombre ?
Oui,
mais... C'est compliqué Damon. Tout ça te dépasse. Nous dépasse.
Tout a un sens mais ce n'est pas forcément à nous qu'il incombe de
le saisir. C'est la tâche du Joueur. Nous ne sommes que des
révélateurs. Des pions améliorés. Mes morts ont un nombre et le
Roi-Volcan en a un aussi. Je tuerai à nouveau, comme j'ai tué Edes
et comme j'ai tué ces nombres. Mais il me faut aussi le nombre du
Roi-Volcan. Le Roi-Volcan est bon mais il lui faut un sacrifice. Ce
sera toi ou lui. »
Haze
se tourne dans la direction indiquée par Sodek et voit un homme
étrange. Aucune idée d'où il surgit, ni même de comment. Ses
vêtements de cuir et de fourrures sont sales, couverts de terre et
de sang. Il porte un masque, sorte de sac de toile sur lequel sont
fixées des cornes de cerf.
Sodek
se tourne vers le nouvel arrivant,
lève la main et déclare.
« Le
Roi-Volcan m'a donné un nombre et ce nombre est... »
...d'un
geste, elle nous invite ce type et moi à entrer dans la prison du
Roi-Volcan. Elle n'a pas besoin d'en dire plus, tous deux ont très
bien compris ce qu'il doivent faire : trouver le Roi-Volcan pour
qu'il leur donne leur nombre.
Haze
ne sait plus si tout cela est bien réel, mais s'il veut savoir,
percer les secret, il doit trouver le Roi-Volcan avant ce type. Haze
entre et, plantant l'homme dans l'entrée, prend immédiatement le
couloir sur sa gauche.
Haze
n'a aucune idée de comment trouver ce foutu Roi-Volcan. Il n'a même
aucune idée de ce à quoi il peut bien ressembler. En tout cas, tout
ça est lié à Millevaux. Et il porte une part de Millevaux sur
lui : le Cruel Centipède. Après avoir vérifié que l'autre
gars ne l'avait pas suivi, il se saisit du Cruel Centipède et le
fixe du regard, espérant un signe. Aucune réaction de la part de
cette chose mais... Haze se rend compte qu'il entend toujours cette
musique. Toujours le même album du même groupe. Ça n'a pas de
sens. Si, ça a forcément du sens. Réfléchis Haze !
Cabaret
Voltaire, Body and Soul. Cabaret, une scène, un spectacle, une
illusion. Voltaire, un philosophe, les Lumières, LA Lumière, la
métaphysique. Body, le corps, mortel, un corps mort. Le meurtre
métaphysique ! Soul, l'âme. Une âme, celle de qui ? La
sienne ? Celle de Johanna, de Sodek ? De ses victimes ?
L'âme ? Qu'est-ce que l'âme ? Une illusion. Un produit
permettant à un organisme de percevoir son unité en vue de mettre
en place les stratégies de préservation de son intégrité. Une
illusion, un spectacle, un cabaret... Paul Singer, Dionysos, l'a dit.
Tout ça n'est qu'un petit théâtre. Et si ce qui était le plus
important aux yeux des hommes n'était qu'une illusion, un
spectacle ? À destination de quel spectateur ? Qui se
réjouit du spectacle de nos âmes ? Un Dieu ? Le Joueur ?
Des Dieux ? Millevaux est hanté par des Dieux.
Haze
croit comprendre. Il y a un message derrière tout ça. Ce spectacle
est à destination de quelqu'un. C'est bien un message. Mais qui dit
message dit messager. Et qui dit Messager dit Nyarlathotep !
Nyarlatothep ! Le messager des Dieux, le message et le moyen de
communication. Et quel meilleur moyen de communication pour un Dieu
fou qu'une série de meurtres ? Les meurtres de Sodek ne sont
pas que les bornes d'un rituel visant à ouvrir une porte aux
Coelacanthes. C'est aussi un message. Un message chiffré puisqu'à
chaque victime correspond un nombre. Mais lequel ? Des...
coordonnées. Tous ces chiffres doivent être des coordonnées, ou un
code dont le Roi-Volcan aurait la clé ?
Haze
secoue la tête. Comment sait-il que les victimes de Sodek ont
chacune un nombre ? Johanna lui a raconté une partie de son
histoire. Mais celle-là ? Il ne sait plus. Mais il sait que ce
que sait le Joueur, les personnages le savent également. Ou du
moins, ils peuvent accéder à quelques bribes de ce savoir. La
musique ! C'est ça ! Haze comprend. C'est le Joueur qui
écoute cette musique. Là, maintenant, tout de suite, il a accès au
Joueur !
Soudain,
la terre tremble ! Quelques briques tombent du haut des murs.
Haze sait qu'il n'en a plus pour très longtemps. Mais il sait ce
qu'il doit chercher. Les Yeux ont menti. Il ne mourra pas ! Ou
alors, il mourra pour renaitre.
La
terre tremble de plus en plus et ce sont maintenant des pans de murs
entier qui s'écroulent. Haze regarde autour de lui et ne trouve nul
part où se mettre à l'abri. Dans sa main, il tient toujours le
Cruel Centipède. Il a une idée. Ça va marcher. C'est obligé !
Il
libère alors le Cruel Centipède. La créature tombe au sol. Elle se
met à grandir et se tortille, s'enroule sur elle-même en un motif
compliqué. Haze, grâce au Joueur, reconnaît ce motif. C'est la
rune Hshl et le nombre du Roi-Volcan est le 1808. Haze cligne des
yeux. Un horrible bourdonnement de mouches lui vrille le crane. Il se
sent aspiré par le Néant dans lequel git le cadavre de l'Hommonde.
Ça n'a aucun sens. Pas encore... Il doit mourir pour renaître...
Haze
a donné rendez-vous à Johanna sur le front de mer. Il comptait
prendre un verre avant de l'emmener au restaurant mais... la
conversation a pris une autre tournure. Sodek s'est invité. Non en
tant qu'interlocuteur mais malgré tout en tant que sujet. Johanna a
peur. Elle fait de son mieux pour garder une certaine contenance mais
Haze sent bien qu'elle est à deux doigts de craquer. Il sent aussi
que c'est le bon moment.
« Johanna,
c'est toi qui a tué Edes ?
Oui.
Enfin, c'est Sodek.
Et
tout ça a à voir avec son « grand plan » ?
Bien
sûr. Il n'y a pas de hasard. Ces autres victimes ont un nombre. Mais
pas Edes. Elle, c'est différent mais ça fait aussi parti du plan.
Ce meurtre là, c'est comme... une fractale. Un fragment de rose en
hologramme. C'est l'univers...
Des
nombres ?
Oui,
chaque victime avait un nombre, un numéro... à l'Hôpital. Je crois
que tout ça forme une série. Je ne sais pas trop. Il ne m'a pas
tout dit. Mais il y a une histoire de nombre.
Et
Edes, pourquoi cette mise en scène ? Pourquoi le... porc ?
Parce
que... c'est comme ça. Partout. Partout où Le Meurtre a lieu, il y
a... le porc. Et le Tueur... Des fois, c'est un tueur en série. Des
fois, c'est un enfant. Des fois, il est aveugle. Des fois, il a des
cornes sur la tête. Mais tout le temps, il y a le porc...
Est-ce
que... est-ce que je vais mourir ?
Oui,
mais... pour renaître... »
Haze
a reçu un appel anonyme. On lui a donné rendez-vous dans un terrain
vague. Il doit venir cette nuit. Seul, évidemment. Et sans arme bien
sûr. Son interlocuteur a déclaré travaillé pour quelqu'un qui
avait quelque chose à lui remettre pour la Compagnie. Il n'a pas
voulu en dire plus mais cette référence à la Compagnie était
suffisante pour qu'Haze prenne le risque d'accepter ces conditions.
À
l'heure dîtes, une limousine aux vitres teintées fait son
apparition, phares éteints. Le véhicule s'arrête à une dizaine de
mètre de Haze. Il fait mine de s'approcher mais la porte du
conducteur s'ouvre. Celui-ci fait mine de porter la main droite au
niveau de son aisselle gauche et, de la main gauche, lui fait signe
de rester là où il est. Haze obéit. Le chauffeur ouvre alors la
portière arrière. Le chauffeur se penche et échange quelques mots
inaudibles avec son patron. Il ferme la portière et se dirige vers
Haze. Sans un mot, il lui remet une boite. Haze ne peut s'empêcher
de l'ouvrir. Dedans, une fiole en verre. Et dans la fiole, le Cruel
Centipède. Le chauffeur se barre les lèvres de son index puis, les
deux paumes levées, fait signe à Haze de reculer. Marchant à
reculons, le chauffeur regagne la limousine et redémarre.
Haze
range la boite dans la poche intérieure de sa veste. Il en est
convaincu, l'Horreur vient de prendre une nouvelle forme, arpentant
le monde au milieu des mortels...
Le
meurtre d'Edes Corso a fait la une de tous les journaux et
l'ouverture de tous les JT nationaux et même internationaux. La
riche héritière était très célèbre et les journalistes ont
adoré décrire encore et encore les détails les plus salaces de la
scène de crime. Les blessures au visage mais surtout... le porc.
Célébrité et argent oblige, la police a mis les bouchée double
sur l'affaire. Des croisements effectués à la suite de prélèvements
d'ADN ont permis de remonter jusqu'à une certaine Johanna Ackermann.
Il semblerait donc que cette femme ait été présente sur toutes les
scène de crime. Pas seulement celle d'Edes Corso mais aussi celles
de ces hommes dont la mort était attribuée au Tueur du Calendrier.
Ackermann
s'est rendue sans opposer de résistance. Lors des premiers
interrogatoires, elle a peiné à raconter ce qu'elle savait. On
aurait dit qu'elle racontait une histoire vécu par un autre. Puis,
au détour d'un entretien avec un des experts psychiatres, la
personnalité de Sodek NoFink a fait son apparition. Il a tenu alors
des propos plus qu'incohérents, affirmant que oui toutes ces morts,
même celle d'Edes Corso s'inscrivaient dans un vaste plan. Oui, ce
plan était interrompu mais, après tout, le mal était fait et rien
n'empêcherait plus sa réalisation. Ici ou ailleurs... il affirma
également que ce n'était pas par hasard qu'Edes Corso s'était
entiché de cet ancien agent du FBI. Elle savait qu'il était mêlé
à tout ça. Et elle savait qu'elle allait mourir. Il alla même
jusqu'à dire que c'était pour l'approcher lui, Sodek, qu'elle avait
fait la connaissance de l'ex agent Haze. Tout ça faisait donc parti
de ce fameux plan. Aucune logique là-dedans, aux dires du
psychiatre. Les délires d'un fou. Ou plutôt, d'une folle. C'était
certainement par unique jalousie qu'elle s'était attaquée à Edes
Corso. Et pour les autres hommes, une enquête sur l'enfance de
Johanna fit état d'une hospitalisation en maison de repos. Là, il
semblerait qu'elle fut abusé par un autre patient pouvant présenter
des ressemblances avec ses victimes en tant que Tueur du Calendrier.
Ackermann
fut condamnée à être internée en institut psychiatrique de haute
sécurité pour une durée de 13 ans.
XxXxX
Mantra/The Name of God
Je suis le Kraken. Ce
n'est pas mon nom. J'ai oublié mon nom, mon passé, mon histoire. Je
sais seulement que je suis le Kraken. Cet oublié est la cause de ma
solitude. Je vis dans cette pyramide abandonnée par les Horlas mais
au fond de moi, je me sens comme abandonné au fond de l'océan.
Retrouver mon nom, connaître mon histoire, voilà qui apaiserait mon
âme.
Comme chaque jour, je
quitte la chambre obscure où je m'abandonne aux rêves et viens
contempler ce cauchemar qu'est Millevaux. Cette année, les Bergers
du Givre sont venus... et ils ne sont toujours pas partis. Cela fait
bien trop longtemps maintenant que dure l'hiver. Et jamais hiver n'a
ici était aussi rude. Jusqu'alors et autant qu'on s'en souvienne,
les Bergers du Givre apporter avec le froid de l'hiver et repartaient
avec au printemps. Là, ils sont venus avec la neige et le vent. Et
ils semblent décidés à ne plus quitter ces lieux.
Millevaux sous la neige.
Ce serait presque beau...
Aujourd'hui, j'ai décidé
de rendre visite au Niaucheur. Avant, je savais qu’il existait mais
je ne savais pas où le trouver. Maintenant, depuis que cet
hélicoptère est passé dans le ciel, je le sais. Et depuis, je lui
rend régulièrement visite. Le Niaucheur se terre non loin des nids
des serpents géants. Avec cette glace, ils sont soit partis soit
morts de froid. Je ne les crains pas. Je crains plutôt que le
Niaucheur n'ait finalement rien à m'apprendre et que ses plaintes
lui fassent plus de bien à lui qu'à moi. Nous verrons bien. Je
serais peut-être le témoin d'un événement inédit, qui sait ?
Je descends les degrés
qui me séparent du sol millevalien. Je sais qu'il fait froid mais
n'en ressens aucune gêne. Cela vient peut-être de ce que le Kraken
est habitué à errer dans les fonds glacés de l'océan.
Il me faut plus de deux
heures de marche pour atteindre les rives du fleuve gelé. Il se
jette dans un gouffre sans fond. Un jour, je me rendrai là-bas.
Demain, peut-être. J'aperçois le Niaucheur. Il est là, allongé
dans la neige, face contre terre rampant vers la glace, répandant
des traînées de sang noirâtre derrière lui. Je le rattrape
rapidement. Dès qu'il perçoit ma présence, il se retourne sur le
dos et exhibe son torse calciné et écorché vif. Dans sa main
droite, la lame de son couteau est dégoulinante de sang. Il a
recommencé. Il est accroc à la Viande Noire. Et dès qu'il me voit,
il commence à se plaindre et à pleurnicher sur son sort. D'un côté,
je le plains effectivement. Je pourrais l'aider mais il ne le veut
pas. De quoi aurait-il à se plaindre si je panser ses plaies ?
Et où trouverait-il sa Viande Noire ? Mais, que va-t-il me
raconter aujourd'hui ? Va-t-il se mettre à délirer ou
seulement s'apitoyer sur son sort ? Ou va-t-il enfin me dire
quelque chose d'intéressant sur... moi ?
Bonjour, Niaucheur.
Est-ce le jour ?
Le jour ? Quel
jour, Kraken ?
Le jour où tu me donnes
un début de réponse.
Mon pauvre ami...
Regardes-moi. Regardes dans quel état je suis. Je suis pitoyable.
Qu'est-ce qu'un loque comme moi peut bien avoir à donner. Non !
Je n'ai rien à donner. J'ai tant besoin de recevoir. Mais je ne suis
qu'une loque dégoûtante et repoussante. Personne ne voudrait me
témoigner la moindre compassion. Toi, Kraken, tu viens me voir car
tu veux des visions. Tu veux la Viande Noire. Tu ne m'aimes pas
vraiment.
Le Niaucheur a raison.
Je ne l'aime pas vraiment. Je compatis à son malheur mais je sais
aussi qu'il en est responsable et qu'il s'y complaît. Je n’éprouve
aucune pitié ni aucune compassion pour lui. Je voudrais qu'il me
donne sa Viande Noire, celle qui me donnera la connaissance. J'ai été
patient. Mais aujourd'hui, je ne vais pas vainement espérer qu'il me
donne. Je suis venu prendre.
Niaucheur, donnes moi la
Viande Noire. Donnes moi la Vision et la Connaissance.
Je sors de ma réserve
naturelle. Je brise ces chaînes qui me retiennent. Elles se
matérialisent entre mes mains. Mon Karma est comme le lac dans
lequel on vient de jeter une grosse pierre. Il y a des remous et il
lui faudra du temps pour retrouver son calme mais... Je veux la
Viande Noire. Je la veux maintenant.
Le Niaucheur est trop
affaibli pour esquiver ou parer mon coup. Les chaînes s'abattent sur
son corps déjà meurtri et le sang coule à nouveau. Pourtant,
quelque chose d'imprévu arrive. Un casque translucide apparaît au
niveau de son visage. Ce n'est pas comme s'il portait ce casque,
non ! C'est plutôt comme si le casque s'interposait entre lui
et moi. Qu'est-ce que cela signifie ? Je tends la main pour m'en
saisir mais il disparaît aussitôt. Je lis dans le regard du
Niaucheur qu'il ne comprend pas non plus ce qui vient de se passer
mais il a quand même une idée derrière la tête.
Expliques-toi,
Niaucheur ! Qu'est-ce que ça veut dire ?
Je ne sais pas Kraken.
Je te le jure !
Mais ce n'est pas la
première fois que tu vois ce casque. Ne mens pas !
C'est vrai. J'ai déjà
vu ce casque et le chevalier.
Le chevalier ?
Oui, l'Homme-Libre,
libre comme le feu, celui des champs de feu !
Donnes-moi la Viande
Noire, Niaucheur ! Je dois savoir ce que sont ces champs de
feu !
Alors que j'abats de
nouveau mes chaînes sur son visage, le casque apparaît de nouveau.
Je ne lutte pas. Aujourd'hui encore je n'aurai pas la Viande Noire,
mais j'aurai le casque de l'Homme-Libre. Je fais disparaître mes
chaînes. Je me penche lentement en direction du Niaucheur. Je me
saisis du casque. La configuration de ma tête m'empêche de
l'enfiler. Toutefois, je peux lui ménager une place au centre des
mes tentacules. Une fois délicatement posé, j'enroule autour de lui
mes longs appendices et attends la révélation.
Je vois ce que le
Niaucheur appelle les Champs de Feu. Il y fait effectivement une
chaleur accablante. Un être tel que moi, profondément attaché à
la mer, ne pourrait espérer y survivre. Une fois ce constat fait, je
remarque également qu'il n'y a aucune trace de Millevaux. Aucune
forêt. Seulement du sable. Des dunes à perte de vue. Et ces dunes
se déplacent. Elles sont vivantes. J'ignore comment et pourquoi le
Niaucheur est entré en possession de ce casque mais cette vision me
donne une idée. Je dois trouver l'Homme-Libre, celui qui vient des
Champs de Feu. Ensemble, nous dompterons les Dunes Vivantes et
chasserons la neige de Millevaux. Puis, nous chasserons Millevaux.
J'ai abandonné là le
Niaucheur. Je suis reparti sans aucune des réponses auxquelles je
m'attendais. Une fois de plus... J'ai même des questions
supplémentaires. Qui est cet Homme-Libre ? Où sont les Champs
de Feu ? Pourquoi ce casque ? Pourquoi est-il apparu au
Niaucheur ? Mais surtout, et plus qu'avant, j'ai maintenant un
but véritable. Libérer les Colonnes de l'influence néfaste de
Millevaux et des Horlas n'est pas un but. C'est un rêve. Trouver
l'Homme-Libre et lui demander, le contraindre si nécessaire, de
m'apprendre à dompter les Dunes Vivantes pour chasser la neige et
Millevaux, ça c'est un but ! Mais où trouver un passage vers
ces Champs de Feu en ces terres gelées par les Bergers du Givre ?
Le gouffre ! Là où le fleuve gelé s'enfonce dans les
ténèbres. Le fond des océans est glacé. Mais en dessous, sous la
croûte terrestre, le magma est brûlant. S'il reste une source de
chaleur ici, c'est là que je dois chercher.
Longue est la marche qui
me mène au gouffre mais j'y parviens sans effort. Je suis le Kraken.
Je ne suis pas soumis à ces rigueurs comme le sont les humains.
Mais, peut-être ai-je été un humain, avant ? Je ne l'exclue
pas. Je le saurai, un jour.
Arrivé au bord du
gouffre, je ressens pourtant une sorte de malaise diffus. Le temps
est plutôt doux en comparaison des jours précédents. Mais il y a
dans l'air quelque chose de corrompu, de hanté... Un Horla ?
Mes sens sont en éveil. Les Yeux vont me dire si je suis
effectivement en danger. Ils sont mes yeux, d'une certaine façon.
Cet endroit est désolé.
Il n'y a ici que neige et glace. Cette végétation caractéristique
des climats tropicaux ne supporte que difficilement les rigueurs
anormales imposées par les Bergers du Givre. Leurs feuilles,
courageusement, ne sont pas tombées mais leurs branches plient sous
le poids de la neige. Ce fleuve jadis tranquille et source de vie est
maintenant gelé. Le calme et la tranquillité d'une vie paisible et
serein ont laissé la place à l'immobilité de la mort. Plus rien ne
vit ici, pas même les serpents géants. Et ce gouffre... Alors que
les rayons du soleil ne percent que rarement et difficilement
l'épaisse couche de nuages, la glace s'enfonce dans des ténèbres
insondables. Je devras m'y sentir chez moi.
Malgré les apparences,
je ne suis pas seul. Dissimulés sous la neige, camouflés grâce à
leurs vêtements de cuir blanc, ils m'observent. Mais moi aussi je
les observe. Je sens leur présence. Je veux en savoir plus. Dans la
paume de main, une Noix. Je fais craquer la coquille entre mes doigts
et porte la chair du fruit à mon bec.
Je pensais que la Noix
me dirait comment vaincre mes ennemis mais elle me fait pressentir la
nécessité de la défaite. Qu'il en soit ainsi. Je demeure immobile
et laisse les Bergers du Givre, car il s'agit bien d'eux, se saisir
de moi. Alors qu'ils me soulèvent du sol et se dirige vers le
gouffre, je comprends. J'écoute leurs imprécations scandées en
Langue Putride. Ils comptent me sacrifier, m'offrir à leur Dieu :
Ithaqua, le Marcheur du Vent. Je devrais mourir. Cette chute devrait
m'être fatale. Mais, je ne sais ni comment ni pourquoi, j'ai eu
accès par le passé aux pensées et aux connaissances du Joueur. Je
sais qu'il ne souhaite pas ma mort. Je sais qu'il joue pour savoir ce
qui va se passer. Il me sauvera de cette chute mortelle pour que je
continue mes aventures. Mais je sais aussi que les Bergers du Givre
sont des adorateurs d'Ithaqua. C'est lui qui maintient cet hiver
perpétuel sur Millevaux. Pourquoi ? Ça, je dois encore
l'apprendre.
Hurlant, les Bergers du
Givre me jettent dans le gouffre glacé. Confiant, je me laisse
bercer par cette sensation de chute. Ithaqua veillent sur les Bergers
du Givre. Le Joueur veille sur moi. Au moins pour cette fois. Je n'ai
pas fait l'expérience de l'impact de cette chute. C'est comme si la
réalité avait cligné des Yeux. Je chutai et maintenant je suis
debout, au fond du gouffre, dans le noir et le froid.
Mais je ne suis pas
seul. Elle est là, la Magicienne. Elle me sourit mais son sourire
est triste. Elle est préoccupée. À ses côtés gît un ange aux
ailes de bois et de feuilles. Edes Corso. Je la croyais morte...
Je me penche sur Edes.
Ses ailes de bois sont brisées. Les feuilles qui lui restent sont
brunes et rousses. Elle a de la fièvre. Je ne suis même pas sûr
qu'elle est conscience de ma présence. Je suis le Kraken et, à ce
titre, je peux me régénérer. Mais comment le régénérer elle ?
En faisant comme les shamans. Je vais lui raconter une histoire. Nous
allons la vivre ensemble. Ce sera une aventure symbolique et elle en
ressortira guérie. J'espère. Mais quelle est cette histoire ?
Je ne la connais pas moi-même...
Le Joueur a relu
Immondys cette semaine. Une bande dessinée aux accents lynchesques
teintés de Bacon avec, peut-être, un arrière goût de Giger. Le
personnage principal, un dénommé Ange, y explore cette ville
étrange mais aussi sa vie, son inconscient. Et si je lui racontais
une histoire de ce genre ?
« Écoutes-moi,
Edes Corso. Tu n'es pas morte. Tu es affaiblie, certes, mais tu vas
t'en sortir. Nous allons tous les deux explorer une ville étrange.
Nous y ferons peut-être des rencontres. J'espère qu'elles seront
bénéfiques. En tout cas, nous vivrons une expérience au terme de
laquelle tu reviendra parmi nous en bonne santé, régénérée. Mais
avant de savoir à quoi ressemble cette ville, ta ville, interrogeons
les Yeux. »
On dirait que mes mots
ont fait mouche, Edes tourne son visage vers moi. Elle ouvre les
yeux, ou plutôt son œil valide et la Noix que la Magicienne a placé
dans l'autre. Je suis tenté de le prendre. Est-ce une bonne idée ?
Qu'en penses les Yeux ?
Une image se dessine
dans l’œil valide d'Edes. La réponse !
Un couteau ! Un
œil, encore ! La lame du couteau s'abat sur un visage,
transperce un œil, l’œil d'Edes Corso. Mais pas l'Edes aux ailes
de bois et de feuilles. Une autre. Une Edes qui a très peur. Peur de
mourir. Une Edes qui vit loin de la forêt, loin de la crasse mais
qui est rattrapée par la Crasse. Il y a cet homme et son couteau. Et
le porc... Cet homme est le Diable. Il est déchainé. Il faut être
déchaîné, libéré des chaînes et des entraves de la morale, de
toutes vertus pour l'avoir contrainte avec ce porc, pour l'avoir
lardée d'autant de coups de couteau. Et pour avoir permis au porc de
recommencer, après ça...
Mes tentacules
frissonnent d'effroi. Pauvre Edes. Est-ce cela qu'elle doit revivre ?
Peut-être ? Mais cette fois, je serai là. Je me saisis de la
Noix et la remplace par une Bille. Je vois mon reflet dans la Bille.
Je gobe la Noix.
Un terrain vague. Le
corps d'une femme, Edes. Pas l'ange. L'autre Edes. Non loin, celui du
porc. Pauvre bête... Je regarde autour de moi. Le meurtrier a
disparu. Mais il y a du bruit. Des gens approchent. On dirait des
mortels mais je sens que ce n'est pas le cas. Amis ou ennemis ?
Ils approchent du corps d'Edes. Je suis le Kraken, je me fonds dans
le décor et j'observe.
« Quelque chose
cloche, dit l'un d'eux. Un homme aux lèvres minces. Tout est là
mais... ça devrait être un homme. C'est toujours un homme
d'habitude, non ?
Si, répond un autre
homme. »
Au premier regard, j'ai
l'impression qu'il a une tâche de naissance sur le visage. Puis, je
me rends compte que ce n'est pas une tâche, c'est... autre chose.
L'homme est mort. Et il marche. Et il parle.
Les deux hommes font le
tour de la scène de crime, prenant soin de relever le moindre indice
sans pour autant nuire au travail de la police qui ne devrait plus
tarder à intervenir.
Le 1er homme se retourne
ensuite vers celui dont je pense qu'il est mort.
« Les Mouches
Cosmiques sont catégoriques. Ce meurtre est LE Meurtre. Même si la
victime est une femme. C'est... l'exception qui confirme la règle.
Et tes mouches t'ont dit
qui étaient l'assassin ?
Oui, il s'agit d'un
certain Sodek NoFink.
On intervient ?
Non, la police va le
trouver et l'arrêter. C'est après. Après, on reprendra le dossier.
Pour l'instant, nous devons partir et laisser la police faire son
travail. Ce meurtre nous apportera son lot de révélations mais plus
tard. Viens, on rentre... »
Les deux hommes
s'éloignent. Je sors de l'ombre. Sodek NoFink. Ce nom ne m'est pas
inconnu. Pourquoi faut-il que ma mémoire me fasse tant défaut ?
Que sont ces Mouches Cosmiques dont a parlé cet homme ?
Si ce Sodek s'est montré
suffisamment déchaîné pour infliger ces tourments à Edes, est-ce
parce qu'il s'est libéré des entraves des conventions, de la
culpabilités ? Ce déchaînement et cette libération sont-ils
un moyen ou le but en soi ? Et si c'était Sodek NoFink cet
homme-libre que je dois trouver ? Il connaîtrait le secret des
Dunes Vivantes ?
Sodek vit ici, comme
vivait Edes. Edes le connaissait peut-être. Elle pourrait me le dire
mais elle est morte. Elle est morte aujourd'hui mais elle n'était
pas morte hier. Je me rappelle qu'il y a longtemps, ailleurs, j'ai su
ouvrir des Portails à travers le temps et l'espace. À l'époque, je
m'appelais Tad Corso. Si, aujourd'hui, je prenais ce nom, pourrais-je
remonter ne serait-ce que quelques jours dans le passé pour trouver
Edes et lui poser la question ?
Mes tentacules sourient.
J'aime cette idée. Que dois-je faire pour ouvrir un Portail ?
Oh ! Les yeux sont
cruels avec moi. Une Brume s'étend. Tad Corso connaît cette Brume.
Et Damon Haze craint ce qui s'y cache. Les Gargouilles. Tad Corso
était aux commandes d'une sorte d'exosquelette surarmés. Moi, je
n'ai que mes chaînes. Et les Yeux exigent que je perde quelque chose
qui mes chers. Mes chaînes ? Et si cela me... libérer.
Deviendrai-je moi aussi un homme-libre comme Sodek NoFink ?
Je fais tournoyer mes
chaînes au dessus de ma tête et les jette sur les gargouilles. Je
ne sais pas si cela les blesse ou les même les ralentit. Les Yeux
sont beaux joueurs. J'ai perdu mes chaînes mais... J'ai huit jours
devant moi pour trouver Edes Corso et savoir si elle connaît son
assassin, Sodek NoFink.
J'erre
dans les rues de cette ville que je ne connais pas. Pourtant, j'ai le
sentiment que je devrais. Conscient que mon apparence pourrait me
causer des problèmes, j'use de cette capacité de mon totem, la
Kraken, pour changer mon apparence, me camoufler, me fondre dans le
décor. Alors que je prends une apparence humaine, j'entends un
effroyable fracas. La terre tremble, se fend en deux presque sous mes
pieds. Je manque de tomber dans une terrible gorge dans laquelle
s'engouffre un blizzard des plus violents. J'entends une explosion,
des coups de feu ! Les montagnes, au nord de ma pyramide !
Je suis... de retour ? Non ! C'est une hallucination due à
la Noix. Mais je vois cet hélicoptère s'écraser. Je vois le
Niaucheur s'extraire de la carcasse. Je le sens, il porte sur lui le
Cruel Centipède. Un reflet attire mon regard qui se porte sur le
canon d'une arme à feu. Impossible ! Ce ne peut être qu'un
sosie ! L'Ange-Paon de Yézédis ! Que fait-il ici ?
Et pourquoi tenter de tuer le Niaucheur ?
Quand
je reprends mes esprits, la rue est redevenue comme avant. Et moi,
j'ai un visage humain. Je ne sais plus où je suis. Je sais que ce
monde n'est pas la réalité. C'est un voyage shamanique pour guérir
Edes. Serais-je donc revenu, l'espace d'un instant dans la réalité.
Ma réalité de Millevaux ? Mais pourquoi dans les montagnes et
non auprès d'Edes ? Était-ce le présent, le passé ou
l'avenir ? Je ne sais plus. Ma mémoire me joue des tours. J'y
réfléchirait plus tard. Pour l'instant, je dois trouver Edes.
Savoir
où la trouver ne devrait pas être très compliqué. Après tout, je
suis le Kraken. L'atteindre sera peut-être plus difficile. Je
fouille dans ma mémoire et y trouve mon amie, la machine-cafard.
Elle écrira pour moi ce qui va arriver. Dans ma pyramide, je sais où
la trouver. Mais ici, où est-elle ? Forcément, elle n'est pas
loin. Mais où ? Comment la voir ?
La
Noix ou la Bille ? La Bille ou la Noix ? Laquelle me
donnera la vision la plus précise ? Je choisis la...
...jeunesse !
Pourquoi ce mot s'impose-t-il à moi ? Spontanément, je la
cherche autour de moi, la jeunesse. Il est peu probable de la trouver
ici et à cette heure de la nuit. D'autant plus que cette pluie fine
chasse la plupart des noctambules. Et pourtant, elle est là, la
jeunesse. Camille ! Je te reconnais ! Pourtant, ce n'est
pas lui. Ce n'est plus lui. Ce n'est plus le protégé de la
Magicienne. Je vois à l'intérieur de lui. Le cafard ! Immonde
et énorme ! Est-ce mon amie ? Un craquement sec secoue le
petit garçon. Il se secoue. Son corps se retrouve penché en avant,
à la limite de tomber. Le craquement s'amplifie. Son dos s'ouvre en
une béance horrible. Je vois le détail de son anatomie, comme celui
d'une grenouille clouée sur la planche d'un biologiste. De là, de
cette cavité, s'extrait un cafard. Un gigantesque cafard de près de
2 mètres de haut. Son « visage » est totalement
inexpressif mais je ressens pourtant une certaine joie qui en émane.
La joie de me revoir mais également une autre... plus malsaine.
« Les
souffrances de ce petit garçon sont un délice, Kraken. Les Carognes
ne l'ont pas loupé. Tu en veux ? »
Les
mots ne parviennent pas à sortir de ma gorge. Je pointe du doigt la
machine que le cafard porte sous le bras. Il... sourit ? Il
produit une espèce de bruit de bouche puis lève la machine au
dessus de sa tête. Il abat ensuite violemment et l'enfonce sur ce
qui lui sert de crane. Il secoue un peu la machine, la fait tourner,
fait craquer ses cervicales. La machine a trouvé sa place. J'ai
retrouvé mon amie, ma fidèle Clark Nova !
Je
m'approche de Clark Nova. Mes doigts glissent le long des lignes de
la machine. Je commence à pianoter. C'est le moment ! Le moment
de (me) taper une vision d'enfer !
Je
suis dans une chambre d'hôtel propre et vide. Elle donne sur une
ruelle, vide également. Il pleut. Je sais que je fuis une menace.
Mais je sais aussi qu'ici règne une menace tout aussi grande. Les
deux menaces sont-elles liées ? Quelles sont leur nature ? C'est
cela que je dois comprendre. Alors, je trouverai Edes.
Je
sens que cette menace va bientôt se manifester. Je ne peux pourtant
pas quitter cette chambre. D'une part parce qu'une autre menace
m'attend dehors. D'autre part, il y a ici quelque chose que je dois
trouver. La magicienne a l'habitude de cacher des Billes et des Noix
un peu partout. Est-ce cela que je dois trouver ? Je commence
par les tiroirs.
Un...
pénis (?!) de métal chromé, strié de veines rouges, de 18 cm au
garrot. Je ne peux m'empêcher de penser que c'est effectivement
menaçant.
Mais
mon sourire se fige. Je comprends ce que signifie la présence de cet
objet, à qui, ou plutôt à quoi il appartient. Je connais ces êtres
dominateurs et pourtant esclaves de leurs pulsions les plus viles et
les plus basses. Un Soar ! Un homme-porc. J'ai trouvé dans ma
pyramide des textes à propos de ce peuple, de son histoire, de sa
magie... Les Soar peuvent se rendre invisibles. Il est là !
L'homme-porc est là et il m'observe. Qu'attend-il ? Pourquoi
ai-je peur ? Va-t-il m'attaquer ? Attend-il seulement que
je quitte les lieux ? Sait-il ce que je cherche ? Sait-il
que j'ai compris qu'il était là ?
J'ouvre
un autre tiroir...
Un
petit sachet en plastique. Des petits morceaux de papiers découpés.
Un mode d'emploi. J'ai 2 mn !
J'ai
réussi !!! mais qu'est-ce que ça veut dire ? Dans tous
les sens, des séries de chiffres et de lettres. C'est un code. Je le
mémorise et, l'air de rien, remet le tout à sa place en tentant de
repérer le Soar. Si je devais se battre, l'emporterais-je ?
Je
dois me rappeler que tout cela n'est qu'une vision, une illusion. Ce
n'est pas vraiment réel. Je dois garder la tête froide. Je suis le
Kraken. Je sais ce qu'est ce code. Il m'indique là où je peux
trouver Edes Corso. La question n'est pas tant de savoir pourquoi ce
Soar détient une information concernant Edes. Il n'y a peut-être,
d'ailleurs aucun lien entre les deux. Le lien, c'est la vision. Ma
vision. Le lien, c'est moi ! Cette vision me permet de trouver
Edes et me met en garde contre les Soar. Mais aussi contre autre
chose qui m'attend dehors. Je ne dois pas douter un seul de ma
capacité à aller au bout de ce voyage. Je ne dois pas douter de ma
capacité à guérir Edes. Mais je ne dois pas douter non plus de la
réalité de la menace qui pèse sur nous. Et cette menace semble
plus grande que je ne l'imaginait au départ. Quels étaient donc les
plans de Sodek NoFink ?
Le
Soar ne se manifeste toujours pas. Peut-être pense-t-il que je n'ai
pas percé le code, que je ne suis pas une menace. C'est aussi bien.
Mais peut-être tout simplement prolonge-t-il l'extase qui le cache à
mes yeux ? Je ne veux pas vraiment le savoir. Ces hommes-porcs
sont un mystère et j'aimerais autant qu'ils le restent. Pour
l'instant, je dois sortir. Par la fenêtre, la rue semble déserte.
Pourtant, je sais qu'une menace m'attend à l'extérieur. Une menace
extérieure... alors que je me saisis malgré ma peur de la poignée
de la porte, je comprends. Une menace extérieure. Un Dieu
Extérieur ! Nyarlathotep ! Le messager et le message !
Le code ! J'ai mémorisé le code. C'est lui la menace ! Et
je l'ai dans la tête. Je pâlies. Je suis tombé dans le piège du
Soar. Oui, ce code va me permettre de trouver Edes, mais il va aussi
me ronger. Ce code est une maladie ! C'est le Cruel Centipède !
Je
tourne la poignée... Elle refuse de plier. Je dois forcer. Je
tremble sous l'effort. Une horrible puanteur envahit soudain la
chambre. JE DOIS SORTIR D'ICI !!!
Je
suis de nouveau dans la rue. Cette pluie fine tombe toujours et se
mélange à la sueur qui courent le long de mon dos et trempe ma
chemise. Sous mon visage humain illusoire, je sens mes tentacules
s'agiter. Je le regarde sans le voir. Le cafard me tourne le dos. Il
a ôté Clark Nova de sa tête et s'en retourne à l'intérieur du
petit Camille afin de se repaître des horreurs qu'il a subit dans la
maison Carogne. Je sens un très très mauvais Karma ! Je
cherchais Edes pour la sauver et j'ai le sentiment de m'être fait
avoir. Je cligne des yeux. Devant moi, une voiture aux vitre teintées
me barre le chemin. Derrière, la même chose. Un homme sort de la
1ère voiture. Il porte un costume sombre, des lunettes de soleil et
une coiffure mohawk teinte en orange vif qui détonne avec son look
de men in black. Brodé sur son épaule gauche, je crois reconnaître
ce symbole. Une swastika déformée sur une croix copte. J'ai le
cafard mais... peut-être ne devrais-je pas prendre la mouche...
Qu'en pensent les Yeux ?
Je
suis en danger. Pour de bon, pour de vrai ! Ces types sont au
mieux des humains adorateurs des cafards et au pire des cafards
eux-mêmes. Dans tous les cas, ils seront moins bienveillant à mon
égard que ma fidèle Clark Nova. Les Soar, les cafards ! Dans
quel pétrin s'est mise Edes ? Mais pour l'instant, je dois me
sortir de là. Je reprends mon apparence de Kraken. Mes tentacules se
déplient et savourent cette pluie fine. Je lève les bras et les
fait onduler lentement, au rythme de mes tentacules.
« Je
suis le Kraken ! Ici et maintenant, je vous plonge tous dans
l'obscurité. Vous allez sombrer dans le sommeil. Et à votre réveil,
vous serez au plus profond de l'océan. Je suis le Kraken ! »
Alors,
j'écoute les Yeux. Qu'attendent-ils de moi ?
« Kraken !
Nous sommes les Yeux. Tu dois avaler l'anarchie ! Ton sang doit
couler ! »
Est-ce
sous l'influence des yeux, ma main droite se pare de griffes longues
et acérées. Le temps semble s'être figé mais c'est faux. Je dois
agir maintenant ! Je lève ma main et laboure mon torse. Mon
sang coule. Il est sombre comme le fond de l'océan. J'avale
l'anarchie. Je la fais mienne. Je rejette toute forme de gouvernement
concernant mes pensées et mes actions. Désormais, je sors de ma
réserve. Je cesse d'être un témoin passif. Mon sang coule en
vagues énormes et déchaînées. Il entraîne les adorateurs des
cafards par le fond. Quand le calme revient dans cette ruelle. Je
suis seul et je suis un autre. Ces griffes ont disparue de ma main
droite. Je me saisi alors de cette clepsydre trouvée dans ma
pyramide. Le temps s'écoule plus vite. Non, pas le temps. Le Karma.
J'ai 8 jours pour trouver Edes mais beaucoup moins avant la
catastrophe.
Malgré
tout, la réalité, le monde, l'Hommonde (?), ont tenu parole. Je
sais où trouver Edes ! Je vois une cathédrale. Des dunes. Tout
cela se mêle dans ma tête. Edes assiste ce soir à un vernissage.
Un peintre italien expose ses nouvelles toiles. Elles représentent
des temples et autres lieux sacrées, mais aussi des paysages
désertiques.
« Taxi ! »
A
l'entrée de la galerie, je parviens à tromper la vigilance des
hommes de la sécurité mais cela me coûte une nouvelle Noix. Il ne
m'en reste que deux pour sauver Edes. À l'intérieur, je la cherche
parmi les invités. Je ne la vois pas mais j'entends un groupe de
personnes parler d'elle. Je m'approche et tente de capter de leur
conversation. Ils parlent d'un orchestre dans une autre salle. Elle
s'y serait rendue. Je trouve effectivement cette salle mais la porte
est fermée. Je colle mon oreille à la porte. Il y a effectivement
de la musique. Que cette porte soit close m'intrigue. Et je me
demande si les affaires dont on traite ici ont vraiment à voir avec
l'art. Je dois absolument entrer. Par acquis de conscience, je tourne
lentement la poignée mais la porte refuse de s'ouvrir. Et si elle
était en danger ? Il ne me reste que 2 Noix. Je colle à
nouveau mon oreille à la porte, tentant de capter une conversation
par dessus la musique. Des gémissements étouffés. Un bruit de
chute. De la vaisselle, des verres qui se brisent. Quelqu'un vient de
tomber. Je le sais maintenant, je peux être brutal à l'occasion. Et
j'ai renoncé à obéir à cette réserve qui était la mienne
jusqu'à présent. D'un coup d'épaule, j'enfonce la porte.
Alors
que je fais une entrée fracassante dans le petit salon, l'orchestre
enchaîne spontanément sur une adaptation de Wagner. Edes Corso,
magnifique dans cette robe de soirée, me jette un regard des plus
dédaigneux. Au sol, un homme-porc en smoking est en train de se
relever. D'un geste agacé, il refuse l'aide de ce congénères. Edes
est la seule humaine présente mais elle ne semble pas en danger. Le
Soar se relève, lisse sa veste de smoking et tente de retrouver une
certaine contenance. Contre toute attente, personne ne semble gêné
par le spectacle offert par ce porc ivre. Au contraire même, ils
semblent attendre quelque chose. Le Soar va parler.
« Hum,
désolé Edes. Je... J'ai vu... Des innocents vont périr. Et il y
a... plusieurs assassins. Prends soin de toi. »
Puis,
enfin, tous se tournent vers... moi !
« Qui
êtes-vous ? demande Edes, calmant d'un geste les Soar
s'emparant de leurs armes.
Je
suis le Kraken. Le Soar a raison. Des innocents vont mourir. Tu vas
mourir. Dans une semaine. Je suis là pour t'aider, Edes. Je suis le
Kraken. »
A
ma grande surprise, l'ambiance se détend. Les Soar rangent leurs
armes et Edes s'approche de moi, visiblement très à l'aise avec la
nouvelle que j'apporte. Dans un coin de la pièce, des Soar
chuchotent en me regardant. Je n'entends pas bien ce qu'ils racontent
mais j'entends parler de Black Rain. Ça me dit vaguement quelque
chose mais impossible de faire le lien avec quoi que ce soit. Edes
m'invite à m’asseoir et me tend un verre. Elle veut tout savoir.
Mais avant, elle congédie les hommes-porcs. Ceux-ci refusent. Ils
veulent eux aussi entendre ce que j'ai à dire. J'espère qu'elle va
refuser. Je n'ai aucune confiance en eux. Heureusement, Edes reste
ferme et leur intime l'ordre de quitter la pièce. L'orchestre joue
toujours. Du Bach, maintenant. Le Soar ivre tente de négocier sa
présence et agitant sous son nez un vieux carnet. Edes répond
qu'elle aussi sait des choses qu'ils veulent savoir. Elle explique
que ce que j'ai à dire ne concerne qu'elle seule et qu'ils
reprendront leurs transaction là où je l'ai interrompue quand nous
en aurons fini. Tenir ainsi tête à une délégation d'hommes-porcs,
je reconnais ma Edes Corso.
Les
Soar quittent finalement la pièce, apparemment sans rancune. Edes se
retourne vers moi. Je la sens pleine d'entrain. Je lui raconte tout.
Comment je suis revenu dans le passé pour empêcher sa mort. Comment
je suis arrivé sur les lieux du crime en provenance de Millevaux. Et
surtout, cmment, de mon point de vue, sa réalité n'est qu'une
vision fantasmatique, un voyage onirique afin de délivrer l'Edes
Corso de Millevaux de sa fièvre. Comment va-t-elle réagir à ça ?
Va-t-elle me croire ? Va-t-elle me prendre pou un fou ? Je
suis... anxieux. Ma vision se trouble. Autour de moi, l'air se fige,
se cristallise et forme une suite de mots. « La répétition
est une forme de changement. Une malédiction. Elle ne veut pas être
sauvée. »
« …
serait un certain Yézédis Corso, tu comprends ? »
Edes
a poursuivi son récit. Elle n'a, dirait-on, rien perçu de mon
trouble passager. Mais je comprends alors certaines choses moi aussi.
Edes, ici, trafique avec les Soar afin d'en savoir plus sur un de ses
ancêtres. Un certain Yézédis Corso. Les hommes-porcs auraient des
informations le concernant. En échange, ils veulent des informations
sur Damon Haze. C'est donc pour ça qu'elle s'est approchée de lui.
Yézédis Corso ? L'Ange-Paon de Yézédis ? C'est lui qui
a tiré sur Haze quand son hélicoptère s'est crashé dans les
montagnes millevaliennes. Je le lui dis. Et elle me confirme que Haze
a quelque chose à voir avec Millevaux, qu'une de ses enquêtes,
quand il était agent du FBI, lui a fait toucher certains des
mystères de cette forêt. Elle sait aussi que cela est en lien avec
un certain Sodek NoFink. « La répétition... » J'ai
l'impression d'une boucle, d'un cycle dans l'espace et le temps entre
Millevaux et cette réalité. Quoi qu'il en soit, dans ces deux
mondes, Edes est liée à tout ça. Et dans ces deux mondes, son sort
est des plus précaire. Et elle ne voudrait pas être sauvée ?
Dois-je vraiment la laisser mourir ? Dois-je la laisser au fond
du gouffre ? Et est-ce possible que ce Yézédis Corso et
l'Ange-Paon soit une seule et même personne ?
Edes
se tait maintenant. Et moi, je réfléchis. Peut-être dois-je me
résoudre à renoncer à la sauver, dans ce monde comme dans le mien.
Sa mort ici serait, comme l'a dit l'homme sur la scène de crime,
l'exception qui confirme la règle. Changement et répétition... Et
sa mort au fond du gouffre de Millevaux ? Quel sens cela
pourrait-il bien avoir ? Peut-être n'y a-t-il finalement aucun
moyen, ni aucune raison de la sauver ? Et si, pour en savoir
plus maintenant, et sauver les Colonnes, je devais trouver
l'Ange-Paon de Yézédis ? Et si c'était lui l'Homme-Libre ?
Et si c'était lui qui pouvait m'apprendre à dompter les Dunes
Vivantes ?
La
malédiction... Le Soar m'a fait ingérer le code du Cruel Centipède.
Il me ronge. Mon temps ici est compté et... Edes ne veut pas être
sauvée. Elle est un élément du cycle. L'exception qui confirme la
règle. Je pense avoir mes réponses. Je dois maintenant retourner à
Millevaux. Retourner au fond du gouffre et lui annoncer qu'elle va
mourir, pour le cycle.
Je
suis de retour au fond du gouffre. Edes est toujours en proie à la
fièvre. Est-ce un effet de l'obscurité mais je lui trouve l'air
méfiant. Et elle a raison. Je suis de retour pour lui annoncer mon
échec. Pour lui faire part de son souhait de mourir. De la nécessité
de sa mort pour que se poursuive le cycle. Je sens des images se
former à l'arrière de mon crane. Cela parle d'oubli, d'amnésie. Je
les refuse. Je vacille. Je me tourne vers la Magicienne. Elle s'agite
dans l'ombre. J'ai le sentiment horrible d'avoir oublié quelque de
primordial. Mais quoi ? Je sombre... Est-il possible de tomber
encore plus bas ?
Je
suis de nouveau à la surface. Au bord du gouffre, celui-là même où
j'ai abandonné Edes et la Magicienne. Une assemblée de corbeaux est
attroupée autour de l'abîme aux parois garnies de racines et
grouillantes de vers. Au fond, j’aperçois les Abysses qui
remontent pour envahir Millevaux. Alors, certains corbeaux se
transforment en humains et en humaines. Leur mutation est horrible.
Leurs corps se tordent, se déchirent. Les os saillent et le sang
coule. Les chairs sont à vif. Ces craquement et crissements sont
effrayant. Je les reconnais. Ce sont des Corax. Peuvent-ils
m'apprendre quelque chose ? Je ne suis pas leur ennemi. Mais le
savent-ils ?
Je
m'approche de l'un d'entre eux, nouvellement transformé en être
humain. Ses gestes sont lents et mesurés. Il émane de lui une odeur
parfumée plutôt agréable. C'est étrange en ce lieu. Il m'a l'air
sympathique et j'essaye de lui paraître sympathique également.
Pourtant, quand il parle, il me prend de haut. Il dit qu'eux, les
Corax, sont la race à venir, et que l’humanité a démérité de
sa suprématie. Je lui rappelle que ces propos ne sont nullement
provocateurs me concernant puisque je ne suis pas humain. Je suis le
Kraken. Pas un humain. Et si les humains ne méritent plus d'être
les maîtres de cette terre, doivent-ils pour autant disparaître ?
Ne peut-on pas tout simplement les laisser en paix ?
Aujourd'hui, il ne s'agit pas tant de maintenir les humains au sommet
de cette hiérarchie que de chasser cet hiver qui n'en finit plus et
qui tue même les Horlas. Je lui parle de l'alliance entre Ithaqua et
Shub'Niggurath. Je lui parle aussi des Dunes Vivantes et de
l'Ange-Paon de Yézédis. Je lui dis que la Magicienne et Edes Corso
sont au fond du gouffre et qu'Edes n'en sortira pas. Mais moi, je
dois trouver l'Ange-Paon. Les Corax peuvent-ils m'aider ? Il me
dit que oui. Je lui demande s'il a quelque chose pour moi. Mais non !
Il n'a rien à m'offrir. Au contraire même. Il exige de moi... une
épidémie ? Je ne comprends pas. Ou plutôt, j'ai peur de
comprendre. Aurais-je ramené avec moi le Cruel Centipède ? Ou
une « version » ? Le code trouvé dans la chambre du
Soar serait toujours dans ma tête ? Et le Corax le veut ?
Il tend la main dans ma direction. Je ne peux pas lui donner ma
tête ! Mais lui, peut-il extraire ce code ? Non ! Et
il m'explique même que cela me tuerait de le faire. Ce code risque
donc de me tuer à petit feu et cela me tuerait de tenter de
l'extraire. Mais, si je ne l'extrais pas, puis-je l'effacer de ma
mémoire, le remplacer par autre chose, l'écraser ? Oui,
mais... par quoi le remplacer ? Un autre code, je lui dis. Ou
par ce que je cherche. Au-delà des Dunes Vivantes, de l'Ange-Paon et
de l'Homme-Libre, ce que je cherche par dessus tout, c'est mon nom !
Mon nom... Je réalise alors que cela forme un palindrome. Je m'en
ouvre au Corax. Il sourit et sa main tendue vers moi en attente de
quelque chose devient une main tendue en attente d'être serrée. Je
crois m'être fait un nouvel ami. Il se sépare alors de la chaîne
pendant à son cou. Il me ta tend et m'explique que cette pépite lui
permettra de me retrouver où que je sois. Alors, il me viendra en
aide, mais une seule et unique fois. J'ai compris et le remercies.
Je
regarde au fond du gouffre. Point de Magicienne ni d'Edes. Les
ténèbres continuent de progresser lentement mais sûrement vers la
surface. Plus que jamais, je dois retrouver l'Ange-Paon. Et plus que
jamais je dois retrouver mon nom.
Je
quitte alors l'assemblée des Corax. Je me dirige vers les montagnes.
C'est là, pour ce que je m'en rappelle, que l'Ange-Paon a tiré sur
Haze. Sur le trajet, je fais toutefois un détour par le Noyer. Je
n'ai plus ni Noix, ni Bille. Et la Magicienne ne m'en a pas donné
d'autres.
La
route conduisant aux montagnes me fait m'arrêter dans cette
clairière où s'élève un gigantesque Noyer. Malgré l'hiver, il
regorge de fruits. Aussi, je m'autorise à en manger une et à en
garder une autre pour plus tard. Je n'ose en prendre plus. Je croque
la Noix et m'enfonce dans un profond sommeil.
Je
suis le Kraken. Tout n'est que ténèbres autour de moi. Il fait
froid et sombre comme au fond de l'océan. Je me sens seul, si seul.
Et soudain, alors que je commençais à me perdre dans ma solitude,
je sens une présence. Elle est diffuse, lointaine. Mais elle est
bien présente et je la sens bien intentionnée à mon égard. Je
pointe mes tentacules dans ce que je crois, ce que j'espère être sa
direction. Mais c'est de la folie que je ressens alors ! Je vois
d'horribles Gargouilles s'animer dans les Brumes de Millevaux.
Qu'est-ce que cela signifie ? Qui s'interpose ainsi entre mon
nouvel ami et moi ? Où est-il ?
Horreur !
C'est une vision d'horreur ! Comment ai-je pu me retrouver sur
le territoire de Celui Qui Rêve Au Fond de l'Océan ? Chtulhu !
Je le vois ! Je le sens ! Sa menace plane sur nous, sur
moi ! Mais il y a toujours de l'espoir. Je me concentre et
cherche mon étrange ami. Je veux lui transmettre cet espoir
qu'au-delà de la mort et de la folie, il y a... l'amour ?
Quelque
chose fonce vers nous ! C'est lui, le Messager, Nyarlathoptep !
Je
suis en proie à une terreur indicible. Mais, je sens toujours la
présence de mon ami et cela me donne de la force. Nyarlathotep peut
venir, je suis prêt ! Quel que soit le message des Dieux, je
suis prêt à la recevoir. Je suis le Kraken.
Et
mon ami du rêve est une amie. Un ange. Edes Alom. Qui es-tu ?
Es-tu liée à Edes Corso ? Si oui, je suis désolé d'avoir dû
la laisser mourir mais c'était son choix. Au fond d'elle, elle
souhaitait participer du cycle. Mais, ô Edes, j'aurais vraiment
voulu faire plus. Je voulais te sauver. Crois-moi !
J'ouvre
les yeux. Je suis assis, dos contre le Noyer. Sur mes genoux, un
vieux carnet. Il n'y a pas de titre. Je l'ouvre et crois reconnaître
l'écriture. Mais en vérité, je ne suis sûr de rien. Est-ce la
mienne ? Peut-être ? Peut-être pas ? Ma mémoire me
joue des tours.
Non,
ce n'est pas moi. Ce n'est pas mon journal. C'est celui d'un certain
Dorso, un légionnaire romain. Je lis qu'enfant il a été mordu par
un serpent. Un Horla ? Un de ces homme-serpent à 7 têtes ou un
serpent géant comme ceux qui nichent sur les abords du fleuve ?
Ce Dorso s'est ensuite engagé dans la légion. Envoyé combattre en
Germanie avec son ami Lento, c'est là qu'il se fait mordre et
devient un être de la nuit se nourrissant du sang d'autrui. Il
serait donc ainsi devenu une sorte de Horla lui aussi. Le journal
raconte aussi comment il s'est disputé avec son ami Pavo au sujet
d'une pierre, d'une amulette. Un peu comme celle que m'a donné le
Corax ? Pavo ? Le Paon en latin. Cet homme serait-il
l'Ange-Paon ? Quelle horreur ! Quelle froideur lorsqu'il
raconte comment il s'est nourri de sa propre mère. Puis comment, de
retour à Rome, il n'a cessé de tuer pour survivre. Qui est ce
Thot-Hermès ? Ce serait à son initiative qu'il aurait étudié
l'alchimie. Sous son influence involontaire, il aurait appris à
créer des goules, s'ajoutant à ses serviteurs mortels. Ce fragment
de journal se conclut par ces mots : « En
effet, je relis les lignes de mon journal et constate que ces
souvenirs ne sont plus les miens. Ce ne sont plus que des mots... Je
gagne en âge et celui que j'étais disparaît. Il devient une...
fiction ! »
C'est
un étrange cadeau que tu m'as fait là Edes Alom. Tu as bravé le
territoire de Chtulhu. Tu as risqué de subir le courroux de
Nyarlathotep pour me transmettre ce fragment de journal. Dorso, Pavo
le paon, Thot-Hermès... Qui m'attend au sommet de ces montagnes ?
C'est
un bien étrange spectacle qui s'offre à moi alors que j'approche du
sommet. Un hélicoptère est la proie d'un assaut mené par un
essaim de gargouilles. Au sol, des cris attirent mon attention. C'est
lui ! Je le reconnais à la couleur de ses ailes. L'Ange-Paon de
Yézédis ! Yézédis Corso. Le légionnaire Dorso. Il popinte
son fusil en direction de l'engin volant mais ne tire pas. Nul
besoin. Les gargouilles font du bon travail et le pilote a
manifestement perdu le contrôle de l'appareil qui perd très- trop ?
- rapidement de l'altitude. Il est à bord ! Je le sens. Je ne
sais pas qui il est mais je sens que lui aussi, comme moi, est
porteur du Cruel Centipède. Qui est-il ? Dois-je lui porter
secours ou le laisser mourir ? Le Kraken est un témoin, pas un
acteur... Mais peut-être qu'aujourd'hui je suis l'Homme-Libre, celui
des Champs de Feu, le Dompteurs des Dunes Vivantes. Je dois agir. Je
veux savoir comment cet homme c'est retrouvé en possession du Cruel
Centipède. Et je veux que l'Ange-Paon accède à ma requête et
m'enseigne. Mais ce dernier semble vouloir que l'homme meurt. J'ai
une idée !
Je
m'approche calmement de l'Ange-Paon. Il ne semble pas avoir pris
conscience de ma présence. Il continue de tirer en hurlant et je
dois faire attention à ne pas prendre une balle perdue. Une fois à
porter de voix, je lui dis :
« Je
suis le Kraken ! Je repose à plus de 6 000 mètres au fond de
l'océan. Je me sens si seul depuis que j'ai perdu la mémoire.
Retrouver au moins mon nom apaiserait mon âme. Je suis le Kraken ! »
Un
dernier de coup de feu claque comme un coup de fouet. L'Ange-Paon se
tourne alors vers moi, l'air étrangement conciliant.
« Je
suis l'Ange-Paon de Yézédis. Je vis au sommet des montagnes du
Roi-Volcan. Moi aussi, je me sens seul. Moi aussi, je ne sais plus
qui je suis. Mais je me suis fabriqué un peuple, le Peuple des
Gargouilles. Je ne suis plus seul. Je suis l'Ange-Paon de Yézédis ! »
Je
le regarde, circonspect. Devrais-je moi aussi me fabriquer un peuple
de pierre pour ne plus être seul ?
« Tu
as raison, Ange-Paon ! Moi aussi, je veux me fabriquer un
peuple. Et si cet homme qui tombe du ciel devenait le premier membre
de mon peuple ?
Non,
Kraken ! Lui, Haze doit mourir !
Pourquoi ?
Je
dois tenir ma promesse.
Soit !
Je ne ferai pas de toi un parjure. Mais puis-je te faire cette
proposition. Laisses moi conduire cet homme vers la mort et, en
échange, apprends moi à dompter les Dunes Vivantes. »
L'Ange-Paon
a l'air intrigué.
« Et
comment comptes-tu t'y prendre, Kraken ?
Je
compte lui faire ec qu'on nous a fait. Un être peut mourir même si
son corps ne meurt pas. Il lui suffit de perdre tout ou partie de son
identité. Pour toi, je vais altérer cette identité, sa mémoire,
et cela le conduira vers la mort. Je n'ai qu'à m'approcher de lui
pour ce faire. »
l'Ange-Paon
ne se départ pas de son expression amicale mais pointe néanmoins
son fusil vers moi.
« Non,
Kraken ! Haze doit et va mourir ! Ici et maintenant !
Soit,
mais accepteras-tu malgré tout de m'enseigner?
Non !
Jamais ! Les Dunes Vivantes transformeront Millevaux en désert
et moi seul serait le Roi-Soleil de ce désert à venir !
Soit,
dans ce cas, je te volerai tes secrets. Je les prendrai par la
force ! »
Et
alors, je sers dans ma main l'amulette offerte par le Corax. J'espère
qu'il saura comment s'y prendre contre Yézédis. Ai-je vraiment
raison d'agir ainsi ? Ne vais-je pas le payer plus tard, ou
même... maintenant ? Il me reste une Noix. Une dernière. Je la
croque pour forcer le destin, mon Karma, ? et obtenir ce que je
désire... Étrange sensation de quitte ou double ! Je …
Glisse...
...le
long d'un intestin géant avec tout un tas d'espèces fossiles ou
disparues : des limules, des ichtyosaures, des ammonites et des
choses gerbantes avec des tentacules écumantes de foutre primordial.
Cœlacanthe !
J'émerge
dans la poche à merde du Coelacanthe, qui est pleine à ras bord de
fange liquide et de squelettes de dinosaures morts. Je mourrais
étouffé si je n'étais pas le Kraken. Je mourrais écrasé par la
pression si je n'étais pas le Kraken. Je ne suis pas chez moi au
fond de cet océan de merde mais je peux y vivre, y survivre.
Une
silhouette au loin. Je la reconnais. La Magicienne ! Que
fait-elle là ? Elle est... étrange. Elle a des branchies à la
place du sexe et sous les joues. Et ses mains et ses jambes
commencent à évoluer en pseudo-nageoires. Elle me fait un signe de
la main. Elle me montre une direction. Le bas. Je lui fais confiance.
Je
me retrouve maintenant aspirées dans une forêt immergée. Il y a de
l'eau à perte de vue, dans tous les sens, au-dessus de ma tête,
en-dessous. L'effet de la pression est titanesque. Je mourrais si je
n'étais pas le Kraken ! Il y a des arbres gigantesques aux
branches moisies par l'eau. Des milliers de cœlacanthes mous et
fluorescents remontent des Abysses. Je suis au fond de l'océan mais
je ne suis pas chez moi. Cet océan est celui des Coelacanthes. Je
veux retrouver ma pyramide. Je veux retrouver mon nom. Peu m'importe
maintenant d'être l'Homme-Libre, le Dompteur des Dunes Vivantes. Je
suis le Kraken et je veux retrouver mon nom ! Je remonte vers la
surface.
Je
suis maintenant à la surface. Mais il n'y a pas d'eau. Par où suis
donc arrivé ? Je ne sais pas. C'est une petite pièce au mur
blanc. Il y a peu de meubles mais tout est propre. Par la fenêtre,
je vois que je ne suis plus à Millevaux. Derrière moi, j'entends du
bruit. Il y a quelqu'un dans ce petit appartement. Silencieusement,
je m'approche. Il y a une porte entrouverte. Je l'ouvre doucement. Je
suis accueilli par l'ombre d'un Soar. Pas tout à fait un Soar. Un
homme-sanglier. Son corps translucide est dans un état de
putréfaction avancé. À deux pas devant lui, je vois un homme, de
dos, penché sur son bureau. Il tape sur le clavier de son
ordinateur. Je me tourne vers l'homme-sanglier. Il s'appelle NoAnde.
Je ne sais pas comment je le sais mais... Quand je le dépasse, il
disparaît. L'homme qui tape à l'ordinateur est le Joueur. Ça
aussi, je le sais. Et je sais qu'il sait que je suis là. Pourtant,
il ne se retourne pas. Il sait que s'il se retournait il ne me
verrait pas. Pourtant, je suis là. Nous le savons tous les deux. Je
suis là, hein ? Ne te retournes pas, Joueur ! S'il te
plaît !
Le
Joueur est tenté de se retourner mais résiste !
Je
m'approche et lis par dessus son épaule.
« Bonjour
Kraken. C'est un peu bizarre de (ne pas) te voir ici. Tu n'as pas
besoin de parler. Je sais ce que tu veux. Tu veux retrouver ton nom ;
je vais te le dire. Tu veux dompter les Dunes Vivantes pour chasser
Ithaqua et les Bergers du Givre. Je vais les chasser. Ne t'inquiètes
pas pour Haze. Finalement, il n'est pas mort. Et l'Ange-Paon de
Yézédis ne semble pas disposé à mourir non plus. Son histoire va
continuer encore un peu. La tienne, par contre, va s'arrêter là.
Pour l'instant. Tu reviendras, Kraken, en tant que Kraken ou... qui
sait ? Je ne sais pas encore. Je t'aime bien Kraken. Je pense
que ce serait bien que tu reviennes. Mais plus tard. Pour l'instant,
j'ai d'autres projets. Je vais laisser les Dunes Vivantes s'occuper
de Millevaux. Moi, nous, nous allons devoir nous occuper d'autres
mystères planant aussi autour de Millevaux mais peut-être plus
vastes encore. Je te parle de la Crasse, de l'Hommonde. Tu le sais,
Millevaux contient bien des mondes en son sein, les Forêts
Limbiques, les mondes des Déités Horlas. Même cette région des
Colonnes est un peu comme une « poupée russe », un
Millevaux dans Millevaux. Et bien, j'ai découvert que Millevaux
était également une partie d'un univers plus vaste composé
lui-même de bien des mondes. Et ces mondes ont été tué. Je sais
que les Mouches enquêtent. Je veux percer ce secret. Je veux
explorer ces mondes. Et j'aurais besoin de toi pour ça Kraken ;
donc, ne t'inquiètes pas, tu reviendras. Mais, j'ai l'impression de
tourner autour du pot Kraken. Je repousse ce moment car même si elle
n'est que provisoire c'est quand même une fin et ça me rend un peu
triste. Mais bon, je t'ai promis de te dire ton nom alors je vais te
le dire. Je vais même faire mieux. Je vais te dire TES noms, car tu
en as deux !
Le
premier nom que je te révélerai est Demian Hesse. Mais Demian Hesse
est lui aussi une sorte d'avatar. C'est le pseudonyme que je prends,
parfois, pour jouer ; car oui, c'est un jeu. Un jeu de rôles
dont toi, Kraken, est un personnage, présenté à d'autres par celui
qui se fait appeler Demian Hesse mais qui est en réalité, et c'est
le deuxième nom que je te révélerai, Damien : le Joueur !
Et oui, je suis le Joueur ! Et tu es mon personnage que joue en
utilisant, parfois, le pseudonyme de Demian. Tu comprends ?
Les
Dunes Vivantes vont certainement ravager les Colonnes. Mais Millevaux
reviendra d'une façon ou d'une autre car j'aime cette univers. J'ai
encore envie de l'explorer. Nous aurons donc encore des Horlas et des
Coelacanthes à combattre. Nous croiserons encore la route de la
Magicienne, ou du Magicien, je ne sais pas encore. Et maintenant,
nous croiserons aussi des Mouches, dont je pense qu'elles seront nos
alliées ; Nous croiserons aussi des Cafards et des Soar. J'ai
un peu plus de doutes les concernant.
Il
est 17h02. Il pleut. C'est la fin, pour l'instant. Je vais me
retourner et il n'y aura personne derrière moi. Ni Kraken, ni
fantôme de NoAnde. Haze est perdu quelque part mais je sais qu'il va
s'en sortir. L'Ange-Paon de Yézédis n'est pas encore mort lui non
plus. SiAber a toutes les qualités requises à mon goût pour être
recruté par Black Rain. Et Edes et Tad pourraient bien m'être
utiles de nouveau...
Je
n'ai pas besoin de me retourner. Je sais bien qu'il n'y a personne
derrière moi. Pas vrai ?
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