Millevaux I

 NoAnde avait découvert ce passage sous l'arbre la veille. Il avait demandé conseil au shaman mais celui-ci ne lui avait pas fait la réponse qu'il attendait. Selon le vieil homme, ces petites poupées de bois et de mousses, ces statuettes en os représentant des hommes-poissons étaient un mauvais présage et NoAnde ne devait pas s'en approcher. Autant pour le vieil homme, la curiosité fut la plus forte. NoAnde retourna auprès de l'arbre et s'enfonça dans le passage terreux qui s'ouvrait entre ses racines. Après quelques minutes de reptation, le vide le surprend. NoAnde bascule, tombe et perd connaissance.

Il reprend ses esprits dans un couloir souterrain. Tout, du sol au plafond, n'est que terre. Les parois comme le plafond sont traversés de racines tordues. Entre ses pieds coule un petit filet d'eau. Il regarde autour de lui, au dessus, impossible de faire demi-tour. Ni les racines ni la terre ne lui offrent la possibilité de grimper vers la surface. Alors que ses yeux s'habituent à l'obscurité, il distingue une silhouette affalée contre la paroi. Il s'approche. Il s'agit d'un homme horriblement défiguré avec un bandeau sur l’œil. Malgré cela, on dirait qu'il a l'air réjoui. NoAnde l'observe et tente de comprendre comment s'y est pris son bourreau pour tordre son visage à ce point. Quelle cruauté !

NoAnde se rappelle alors quand lui-même avait failli mourir. C'était il y a peu. Parti cueillir des baies et des champignons, il s'était éloigné du groupe et retrouvé sur le territoire d'un Horla. Celui-ci ressemblait à un humain mais en plus... grossier, mal dégrossi. Comme une sculpture inachevée, dont on aurait négligé les détails. De plus, son visage asymétrique générait un sentiment de malaise. Malgré cela, l'air qu'il jouait à la flûte était mélodieux, raffiné et délicat. NoAnde avait été... charmé. Ce ne fut que grâce à la chance qu'il esquiva le coup de griffe que lui porta le Horla quand celui-ci tenta de l'attraper. Il se mit alors à courir et parvint, là encore par chance, à quitter le territoire du Horla.

De retour au présent, NoAnde examine de plus prêt ce cadavre. Rien dans les poches mais, quand il soulève le bandeau, il trouve une grosse écaille de poisson fichée dans l'orbite creuse. N'osant toucher cette chose, il repositionne le bandeau et abandonne le cadavre. Ainsi, il entame une longue marche sous terre et se retrouve dans un petit espace aménagé comme une sorte de campement. Il y a en effet une couche faite de fourrure, les traces d'un feu de camp et quelques ustensiles pour cuisiner. L'endroit est désert. NoAnde fouille un peu plus les affaires du propriétaire des lieux et trouve une enveloppe. À l'intérieur, un dessin représente une carte. NoAnde reconnaît une boussole. Il y a aussi un crane et un diamant. Il y aurait donc un trésor sous terre ? Il a beau retourner la carte dans tous les sens, NoAnde n'a aucune idée de là où il pourrait être. Et il lui semble très peu probable que le crane sur la carte soit celui de l'homme qu'il a croisé plus tôt. Aussi, il remet l'enveloppe à sa place et poursuit sa route. En effet, si quelqu'un vit ici, il y a forcément une sortie.

Du bruit. Un grognement ! NoAnde se retourne. Il ne voit rien. Puis apparaît, marchant à quatre pattes, un être terrible. Il est à la fois jeune et vieux et il saigne abondamment du nez. Il y a quelque chose de sensuel dans sa façon de se déplacer qui fascine NoAnde. Il s'approche en faisant des zigzags. On dirait un serpent. Soudain, il agite la tête de bas en haut, projetant du sang en direction de NoAnde. « Pourvu qu'il ne me touche pas », se dit le jeune homme. Mais peut-être fait-il pire en réalité. En effet, NoAnde recule et se retrouve dos à une paroi. Et l'homme, ou plutôt la chose qui ressemble à un homme, s'approche. NoAnde se rend alors compte que la chose n'est pas nue. Elle porte une combinaison faite de peau humaine...

Un horrible bruit. Un craquement, une déchirure. La bête jaillit de son costume d'homme et se jette sur NoAnde griffes et crocs en avant. NoAnde est comme hypnotisé par ses gigantesques mâchoire carrée. C'est tout juste s'il se rend compte que la tête de cette chose est faite de dures plaques osseuses alors que son corps, mou et spongieux, est recouvert d'écailles et de squames. N'écoutant que son instinct, NoAnde se jette en dessous de la créature. Il effectue une sorte de roulade qui lui fait mal à l'épaule mais il se redresse et se met à courir sans se retourner.
Au bout d'un moment, NoAnde remarque que le monstre ne le poursuit plus. C'est alors qu'il s'écroule à terre. Son épaule le fait souffrir le martyre. Il est beaucoup plus mal en point qu'il ne le pensait et seul l'adrénaline lui a permis de tenir jusqu'ici. Assis par terre, adossé à une paroi, il fixe cette caverne terreuse dont il se demande s'il en trouvera la sortie. Pour l'heure, NoAnde se rend compte qu'il a échoué dans...
… un abattoir ! La terre ruisselle de sang. Des crochets pendent du plafond. À certains sont accrochés des cadavres d'animaux mais aussi d'hommes. Tous sont égorgés, éventrés. Des branches ont été introduites dans les anus autant d'animaux que d'hommes. Pourquoi ? Est-ce le « garde-manger » du monstre qu'il vient de fuir ? Il n'a aucune envie de le savoir. Malgré la douleur, il se relève et s'éloigne aussi vite qu'il le peut de ce carnage insensé.
NoAnde arrive alors dans une plus grande salle. Il y a des degrés circulaires. On dirait un amphithéâtre, mais un tout petit. Il a un étrange sentiment. Il n'est pas claustrophobe mais... là... il commence à douter. S'approchant d'une paroi, il se rend compte que des étagères y ont été creusé. C'est une... bibliothèque ! NoAnde s'empare d'un ouvrage. Il ne sait pas lire. Il l'ouvre et le porte à son nez pour sentir l'odeur des pages, de l'encre. Ça sent le pourri. Ça sent la mort. Repoussant le livre, il voit les mots s'agiter comme une chaîne de lombrics et autres vers gluants. Puis le livre se met à bouger dans ses mains. Les autres aussi se mettent à trembler. Ils sautillent et s'approchent du bords des étagères. Les livres en hauteur lui tombent dessus. L'un d'entre eux heurte son épaule, ravivant un pic de douleur. NoAnde n'a qu'une peur, que ces livres lui parlent ! Et pourtant, c'est bien son nom qui résonne dans ce petit amphithéâtre. Qui parle ? Les livres ne parlent pas ! Ils ne parlent qu'à ceux qui savent lire, non ? Alors que les livres continuent de chuter sur lui, NoAnde sort de la torpeur qui l'avait gagné et s'éloigne. Quand il se retourne, NoAnde constate que chaque livre est de nouveau à sa place.
Il y a une petite porte de bois sous une torche. NoAnde doit se pencher pour l'emprunter. Peu lui importe tant qu'il fuit ce lieu malsain. Derrière la porte, une échelle de corde. En haut, la lumière...

Combien d'années ont passé ? NoAnde est finalement devenu Shaman du Clan des Arbre mais pour l'heure peu importe ! Il faut courir ! Vite, loin, sans se retourner.
Les hommes en capuches blanches sont arrivés en nombre cette nuit et ils ont mis le feu au camp-village de NoAnde. Il a tenté de parlementer, de comprendre, de les arrêter... mais comment discuter avec des hommes (des hommes, vraiment?) qui ne parlent pas, qui ne répondent pas ? Ils n'ont rien cherché à savoir. Il ont craché leur flamme sur les tentes, les cabanes, les hommes, les femmes et les enfants du Clan des Arbres. Alors, ils ont fuit, tous, dans des directions différentes. Un temps, NoAnde courut aux côté de son ami JaHaber mais, sentant la menace se rapprocher, il a changé de chemin sans se préoccuper de savoir si l'autre shaman du Clan des Arbres le suivait. Il se sentait lâche, avait le sentiment d'avoir abandonné son ami. Mais l'une des voix qui lui parlaient dans sa tête depuis qu'il était devenu shaman lui dit quel chemin emprunter pour se mettre en sécurité. Et quand un esprit parle, nul autre choix que de l'écouter et obéir. Autant pour la culpabilité. NoAnde la laissera le ronger plus tard. Quand il sera sûr que sa vie ne sera plus en danger.
Un carreau d'arbalète se fiche dans un tronc non loin de lui. Les hommes en capuches blanches sont tout prêt. NoAnde n'a rien pour répliquer. Il n'est pas un chasseur, encore moins un guerrier. Il est un médiateur. Entre les hommes. Entre les hommes et les esprits. Il ne possède pour se défendre que la dague rituelle qui lui a été offerte lors de son initiation. Il accélère et tente de distancer ses poursuivants. En vain. Il manque de trébucher sur une racine. Sa cheville le fait souffrir mais il peut encore courir. Il le doit. Derrière lui, on hurle. Il reconnaît la Langue Putride. Ces hommes, s'ils ne sont pas des monstres, des Horlas, sont au moins des sorciers. Mais NoAnde, s'il connaît la langue des esprits, la langues des Arbres, ne parle pas la Langue Putride. Il n'en reconnaît que les accents, les intonations. Il sait que cette langue est celle des êtres et des choses mauvais. Il tente de regarder par dessus son épaule pour voir, savoir ce que font ses adversaires. Il ne voit rien. Une voix dans sa tête lui souffle que c'est uniquement après lui que ces hommes, ces choses, en ont. Ils auraient massacré tout son clan juste pour lui ? Non, car ce n'est pas la voix d'un esprit qui lui parle. Juste celle de sa peur mâtinée d'un égocentrisme exacerbé soudain par son instinct de survie.
Soudain, une série de sifflements. De nouveaux volent des carreaux d'arbalète. L'un d'eux se fichent dans son dos. Il en a le souffle coupé. Il perd le rythme de sa course, manque de s'écrouler. Et s'écroule finalement. Rabattant sur son visage sa houppelande faite de feuilles et de plumes, il espère ainsi se camoufler au mieux et ramper jusqu'à un abri. Des cris lui signifient qu'il est repéré. Alors, il se rappelle, quand il était plus jeune, avant de devenir un shaman. Il y a un monde sous la Forêt, sous les Arbres. C'est un monde dangereux mais, pour l'heure, il y sera en sécurité. Il rampe jusqu'au racine d'un arbre pluricentenaire et l'implore de lui offrir un passage salvateur. La Forêt est clémente. Les racines de l'arbre dissimule l'entrée d'un souterrain. NoAnde s'y introduit, s'y terre et sombre...

A son réveil, une tête morte lui fait face. Elle ouvre les yeux juste après lui. Elle parle...
« Donner la mort, c'est un art. La face d'os parle une langue secrète. La vérité diminue l'amitié. C'est pourquoi la cible fragile collabore avec le froid destructeur. »
Et la tête va pour refermer les yeux.
« Non ! » crie NoAnde.
La tête rouvre les yeux.
« j'ai des choses à te dire, à te demander. Si donner la mort est un art, je ne suis pas la toile sur laquelle le carreau de l'arbalète doit étaler sa peinture de sang. Je ne parle pas la langue secrète, la Langue Putride. Sont-ce des faces d'os sous ces capuches blanches ? Suis-je la cible ? Qui est le destructeur ? »
« Le Lézard a eu une vision. Il a vu le Serpent-Fleur, reprends la tête morte. Grattes la croûte et trouve la noirceur. La Noirceur... Ici commence l'errance de Celui Qui A Disparu Pendant Un An. L'univers dans une coquille de noix. » Et la tête ferme à nouveau les yeux.
NoAnde, si c'est bien de lui dont il est question, aurait disparu pendant un an ? Mais quand ? Avant ou après son initiation ? Et pourquoi il ne se rappelle de rien ? Il fouille dans sa besace et en sort... une noix. Dehors, les hommes aux capuches blanches hurlent. Ils le cherchent. Ils sont tout prêt. Ils l'ont vu ! NoAnde rampe à reculons vers le fond du souterrain, s'éloignant de la tête morte. Il pense à JaHaber, son ami qu'il a perdu de vue (abandonné?). Est-il mort ?
De la fumée ! Ils ont mis le feu à l'entrée du souterrain et comptent l'enfumer pour la faire sortir. La carreau fiché dans son épaule le fait toujours souffrir. NoAnde a dans sa besace quelques décoctions qui pourraient apaiser sa douleur, mais ses doigts s'enroule autour d'une noix, une unique noix. « L'univers dans une coquille de Noix. » Il éclate la coquille entre deux pierres et avale le fruit.

Je m'appelle Demian. J'ai 43 ans. Je mesure 1m77 pour environ 62kg. J'ai les cheveux très courts. Je les avais longs avant mais j'ai fini par les couper car j'avais la flemme de passer des heures à les sécher et les démêler. Je porte des lunettes. Une monture que j'espère discrète mais c'est aujourd'hui d'en trouver de telles aujourd'hui. Aujourd'hui, il faut que ça se voit. Impossible d'être discret, de vouloir être discret. Nous vivons dans le monde de la téléréalité, tout le monde doit être m'as-tu vu, extravertie, égocentrique... Bref...
Je travaille comme assistant de vie scolaire dans une classe pour élèves souffrant de troubles de la fonction cognitive. Quand j'écoute les profs en salle des profs, je ne fais pas la différence entre leurs élèves et les miens. À l'ère de la téléréalité, nous somme tous des déficients.
En ce qui me concerne, ma déficience fait de moi ce qu'on appelle un « Nécrosexuel ». Pour faire simple, je te baise, je te tue. Autant dire qu'avec une telle affection ma vie sociale en générale et sentimentale en particulier est... compliquée.
Je n'ai plus tué depuis l'âge de 17 ans. Mais peut-être que je mens. J'ai usé de biens des palliatifs pour éprouver malgré tout quelque chose d'approchant l'extase. Les paraphilies et les drogues en tous genres sont d'excellents palliatifs.
Ce soir, j'ai rendez-vous avec un nouveau dealer. On l'appelle la Magicienne. Je l'attends dans ce squat, une sorte de terrain de camping sauvage aménagé dans les ruines d'un immeuble qu'on a jamais fini de construire. Il y a 15 ans, des raves electro-indus faisaient trembler les murs jusqu'au levé du soleil. Aujourd'hui, la nature a déjà commencé à rependre ses droits. La végétations rampent sur le sol, court sur les murs. Et moi, j'attends la Magicienne dans le noir et le silence.
Des bruits de pas. Elle arrive.
Elle porte un vieux manteau de cuir et un chapeau en fourrure orné d'une tête de loup. Son visage est surmaquillé. Mais sous la couche de peinture, je devine qu'elle me ressemble. Ses mains sont... Non ! C'est impossible ! Ça, ça n'existe pas. Un courant d'air soulève un pan de son manteau. Dessous, elle est nue. Je découvre qu'elle est androgyne. C'est... bizarre. Je pourrais la tuer pour ça. Elle se met à parler. Elle me raconte la Forêt, les Abysses, les Horlas et les Coelacanthes qui veulent envahir notre monde. Elle me raconte comment cette drogue, cette noix, va me projeter dans les cauchemars qui me permettront de sauver le monde. Car c'est seulement en vivant, en survivant et en mourant dans les cauchemars que je pourrais repousser les Coelancanthes et protéger notre monde de la Forêt.
Elle me tend une noix. Je la prends. J'en brise la coquille entre deux cailloux traînant là. Je porte le fruit à ma bouche. Je vois... Millevaux !

C'est la douleur qui réveille NoAnde. Il ne se rappelle même pas avoir perdu connaissance. Il peine à se relever. Ses mouvements sont lents, difficiles. Il passe de longues minutes à se réapproprier son corps. Puis, quand ses yeux se sont habitués au ténèbres, il regarde ses mains. Elles sont couvertes de feuilles, il y a des branches entre ses doigts. Non ! Ses doigts sont des branches d'arbres et sa peau est recouverte de feuilles. Il tâte ses biceps, palpe ses pectoraux. Il sent la rugosité de l'écorce. Il sent... la noix. Il est un Noyer ? Un Noyé ?

Étrangement, cette unique noix l'a rassasié. Même sa blessure est moins douloureuse. Par précaution, il applique dessus un baume composé d'herbes médicinales. Il ne ressent rien de particulier. Il n'est pas plus soulagé que cela mais espère que ça évitera que la douleur se réveille.
En plissant des yeux et se concentrant, NoAnde parvient à mieux voir là où il se trouve et ce qui l'entoure. Il y a des peintures sur les murs. On y voit des hommes en rond autour d'arbres. Mais ce sont des arbres étranges, pas comme ceux de la forêt. Il ne sait pas si c'est en raison de la seule maladresse de l'artiste, mais ces arbres ont quelques de... corrompus. Ils sont biscornus, tordus. Malgré la simplicité des traits, il émane d'eux quelque chose de malsain, de maléfique. Ce ne sont pas les Arbres que vénère le Clan des Hommes-Arbres. Même les silhouettes représentant les hommes sont étranges. Il y a quelque chose de dérangeant dans cette scène. Pourtant, NoAnde se sent rassuré car il quitte le domaine de l'inconnu. Il se rappelle les leçons de son maître. Ces arbres n'en sont pas. En réalité, il s'agit de rejetons de La Chèvre Noire des Bois aux Milles Chevreaux, Grand Esprit de la Forêt et objet de cultes impies. On a toujours mis NoAnde en garde contre Shub-Niggurath et les esprits qui hantent la forêt, les Horlas. Et on lui a aussi enseigné qu'il ne fallait pas se laisser tenter par ces esprits. Ils promettent monts et merveilles, pouvoir et richesse mais ce ne sont que mensonges et tentations. Au bout de ce chemin de corruption et de souffrance, il n'y a que la folie, puis la mort. NoAnde frissonne. Où est-il tombé ? Spontanément, son regard se porte au sol. Il remarque alors que celui-ci est parsemé de petites statuettes tantôt de pierre, tantôt de bois, ressemblant vaguement à des hommes. Certains sont armés, d'autres recouverts de sang ou d'excréments séchés. Soudain, une tache de lumière attire son attention. Un petit bonhomme de bois recouvert de merde semble pointer quelque chose du bout de son bras de brindille. Une noix ? NoAnde la ramasse, la porte devant ses yeux et l'examine. À la périphérie de son regard, une ombre se faufile. NoAnde appelle. Pas de réponse. Juste un craquement. Puis un cri en Langue Putride ! « Ïa ! Ïa ! Shub-Niggurath !! » Il tente de suivre des yeux la silhouette qui lui tourne autour. Il tourne sur lui-même, de plus en plus vite. Il est soudain pris de vertige. « Ïa ! Ïa ! Shub-Niggurath !! » Alors que tout devient flou autour de lui, il voit apparaître un escalier devant lui. Au milieu des marches plane un crane. Il se recouvre progressivement de chair et recompose le visage mort qu'il a déjà vu tout à l'heure. La tête parle :
« L'Ordre va être bouleversé. L’Équilibre va être rompu. La lumière va montrer tout l'éventail de son spectre. Il existe un Livre. Il parle d'amour et de mort. Manges la Noix... et assaisonne là de Viande Noire, d'Opium Jaune ou de Jus de Singe. Deviens Pan ! Deviens Dionysos ! Toi... ou un autre... »
NoAnde sent son esprit vaciller. Il gobe la Noix sans même briser sa coquille. Elle se bloque dans son œsophage. Il étouffe. Il se tape au niveau du thorax, espérant la faire descendre ou remonter, espérant briser la coquille. Il sent finalement la Noix descendre et atterrir dans son estomac. Il faudra longtemps à ses sucs digestifs pour dissoudre la coquille. Dans combien de temps ressentira-t-il les effets du fruits ? Il se rend alors compte que sa blessure ne le fait plus souffrir. Il la palpe. La douleur revient. Elle repart presque aussitôt. Il rassemble ses esprits. L'escalier a disparu. À sa place, NoAnde voit un monticule de chair en putréfaction. Des corps humains démembrés ont été empilé afin de former une pyramide d'environ 1m ou 1m20 de haut. Les bras, jambes, têtes et troncs sont collés les uns aux autres par un ciment de sang, de boue et de merde.
Un horrible rictus barre alors le visage de NoAnde. Il ne ressent maintenant nulle compassion pour ses pauvres victimes. Il a le sentiment de comprendre la fonction, le but de tout cela. Ces hommes et ses femmes n'avaient été mis sur Terre que pour servir de sacrifice en l'honneur de « Ïa ! Ïa ! Shub-Niggurath !! » hurle-t-il dans la pénombre. Il regarde ses mains. Les branches composant ses doigts sont maintenant plus épaisses. Il sent que l'écorce recouvrant sa peau est elle aussi plus solide. Les feuilles et les plumes au dessus de sa tête ne sont plus celles de sa houppelande. Sa chevelure végétale court maintenant jusque sur ses épaules. Il secoue la tête et éprouve un vrai plaisir à entendre le bruit des feuilles. Il se sent devenir arbre. Un noyer. Spontanément, il porte sa main à son entrejambe et y trouve 2 nouveaux fruits qu'il met dans sa besace.
NoAnde a sommeil. Il plante ses pieds dans la boue et laisse ses racines pénétrer profondément la Terre. Il n'avait jamais éprouvé un tel sentiment de fusion avec la Forêt. Ses racines s'enfoncent jusqu'au Rêve, au Rêve de la terre. NoAnde va rêver.

Putain ! Ce tunnel n'a pas de fin ! No End !
Après avoir gobé la noix donnée (ou plutôt vendue, mais à quel prix ?) par la Magicienne, j'ai vu la Forêt et elle portait le nom de Millevaux. C'était ça le cauchemar ? Le cauchemar dont je suis sensé sauvé le monde ? Non, je n'y crois pas. Le cauchemar, le vrai, c'est ce tunnel sans fin. Ça fait des heures que j'erre dans cet espèce de blockhaus sans même savoir comment je m'y suis retrouvé. Je suis sous terre. Je le sens. Les murs de béton suintent d'une humidité crasseuse et des racines se fraient un chemin par les fissures au plafond. Où suis-je ?
Puis, un intérieur. Une maison souterraine. Un laboratoire, comme le repaire d'un alchimiste du Moyen-Âge. Il y a des fours, des fioles, des bocaux remplis de trucs organiques bizarres. Des ombres qui s'agitent...
Dans un coin, il y a une grande armures en terre, branchages et feuillages. On dirait un gros homme dans lequel on pourrait entrer. Un amateur de comics de chez Marvel y verrait un mélange entre Hulk et Groot.
« Je s'appelle Hulk ! »
Ça ne me fait pas rire non plus. Mais cela arrache un bruit de gorge à la magicienne. Je ne l'avais pas vu. Elle est là.
Elle a l'air fatigué, vieilli. Je la fixe droit dans les yeux.
« Pour sauver le Monde des Abysses, tu dois enfiler cette armure et retourner d'où tu viens pour quérir mon aide. »
l'espace d'un espace d'un instant, je ne sais plus qu parle à qui. J'ai l'impression que c'est moi qui m'adresse à la magicienne mais, quand elle me tend un gobelet rempli d'un mixture à l'odeur bizarre, je suis certain que c'est elle/lui/moi qui me parle.
Je bois.
Je rentre dans cette espèce d'armure et je la sens se modifier, se resserrer, se plaquer contre moi, s'adapter à ma morphologie.
Je regarde mes mains, des branches tordues. Je secoues la tête, le bruit du vent dans les feuillages.
Ma vision se trouble.
Mes yeux s'ouvrent dans une pièce qui fut ma chambre et mon bureau. Les doigts-branchent courent sur le clavier d'un ordinateur portable usé. Le mien. Les murs blancs ne le sont plus. Ils sont humides et envahis par de la mousse et des moisissures. Le sol est dégueulasse. Par la fenêtre, je reconnais vaguement la route de Paris. Mais elle est envahie par la forêt.
Où-suis je ? Et quand ?
Je me retourne. La porte coulissante donnant sur la salle de bain est sortie de son rail... depuis très longtemps visiblement. La porte donnant sur la pièce principale s'ouvre maintenant sur... un tunnel obscur, sans fin... No End !
J'accède finalement à ce qui fut la pièce principale de mon appartement. Un air froid s'engouffre par la vitre brisée de la véranda. Les étagères sont renversées. Ça me fend le cœur de voir mes livres à terre, abîmés, rongé par l'humidité et les bestioles qui m'ont remplacé ici depuis... combien de temps ?
Ma basse est toujours là, sur son socle. Une odeur atroce s'échappe du frigo dont l'intérieur est intégralement recouvert de moisissures. Par la véranda fracassée, je vois que le petit parking de derrière a lui aussi cédé la place à la forêt. Dans les arbres, un couple de corbeaux a remplacé le couple de pies. Je sens l'armure de terre vibrer, bouger tout autour de moi. Des filaments de terre s'infiltrent sous ma peau. Je tombe à genoux. Des larmes brouillent ma vision mais je vois mes mains à nouveau changer de forme. Mes cris, mes gémissements, ressemblent de plus en plus aux grommellements d'un sanglier.
Quand je parviens à me relever, il fait nuit. La lune est pleine. Quelques notes de basse. Je me retourne. Un être difforme, moitié-homme moitié... sanglier ? Se tient là. Comme moi à l'époque, la basse à la main, le pied droit en appui sur l'une des 2 malles dans lesquelles je rangeais mes vieux comics de chez Marvel. Dans quel état doivent-ils être ?
Je lui demande ce qu'il fait là, chez moi. Il repose tranquillement la basse sur son support et m'explique que c'est moi qui l'ai appelé. Je ne le crois pas mais, quelque part, je suis rassuré par sa présence. Je lui dis que je veux rentrer chez moi, que je ne comprends rien à tout ça et que tout ça est certainement un very very bad trip que je dois à cette putain de noix !
C'est bizarre le rire d'un sanglier.
« Si tu veux faire un choix éclairé, embrasse-moi ! »
mon premier réflexe est de faire un pas en arrière. Puis, j'en fais deux autres, en avant.
C'est bizarre de rouler une pelle à un sanglier.
Je vois !
Deux chemins. Un vers le monde. Un vers les cauchemars.
Le monde est laid. Je choisis le cauchemar.
Sans fin...

NoAnde ouvre les yeux et hurle. Il regarde ses mains. Ce ne sont plus des branches. Il secoue la tête. Ce n'est plus le bruit du vent dans les feuillages. Son cri résonne comme celui d'un sanglier. Un horrible homme-sanglier. Et devant lui se tient un homme au corps disproportionné, musculeux et noueux. Ses mains sont énormes. Son visage est dur, inhumain. Il arbore des bois de cerfs et des cornes de bouc. Ses yeux sont clos, cousus par de la grosse ficelle. Il se dégage de lui une forte odeur de terre. Il pousse de longs gémissement sourds et graves. Il lève une énorme masse faite d'un agglomérat de branches et d'os.
NoAnde repousse violemment la chose qui vacille. Il en profite et se rue sur lui, le rouant de coups. Mais la créature semble ne rien sentir. Bien que NoAnde le frappe sans relâche et pèse sur lui de tout son poids, l'être se relève et tente de se saisir de lui. NoAnde tente de se dégager, en vain. Le monstre enserre le coup de NoAnde d'une seule main et lève sa masse.
NoAnde sent les os de son crane céder sous l'impact. Il sent le sang couler. Il sait qu'il ne tient encore debout que parce que la créature le porte, l'étrangle. Il voit trouble. Le désespoir s'insinue à mesure qu'il sent la vie le quitter. À qui peut-il demander de l'aide ? Il a tourné le dos aux Esprits de la Forêt, aux Esprits des Arbres. Shub-Niggurath ? Doit-il offrir son âme à la Chèvre pour espérer sauver sa vie ?
Oui ! Milles fois oui comme les Milles Chevreaux !
« Ïa ! Ïa ! Shub-Niggurath !! »
NoAnde crie, hurle, chante son adoration pour son nouveau dieu qu'il appelle désespérément à l'aide.
Un coup de masse pour seule réponse.
Un corps meurt.
Une âme est vouée à la folie.

Où suis-je ? Quelle heure est-il ?
Putain, quelle migraine !!

26 juin 2018, l'agent spécial Damon Haze débarque à Olympia, capitale de l'état de Washington. Vu de l'avion, son surnom de « l’État vert » n'est pas usurpé. Il est 11h50, le ciel est toujours brumeux. Il y avait ce matin un fort brouillard qui peine à se lever.

L'agent Haze travaille seul depuis l'échec de la négociation avec un terroriste qui a coûté la vie de plus de la moitié des otages et ses jambes à son coéquipier. Ce dernier ne lui en tient pas rigueur et ils se voient régulièrement. Malgré tout, Haze se sent toujours coupable. Il vit seul également. Il pratique le jeu de rôle par forum. À cause de ses fréquents déplacements, il ne peut pas jouer « irl » comme il le voudrait. Il s'est pris d'amitié pour une de ses partenaires de jeux « Anke », qu'il n'a jamais vu et dont il n'a même jamais entendu le son de la voix.

L'agent Haze a rendez-vous avec le chef des forces de l'ordre locale. Son aide a été requise au titre de consultant afin de résoudre une affaire d'homicides multiples. Comme pour conjurer un mauvais sort, on n'ose pas encore parler de meurtres en série. Haze a profité du vol pour étudier le dossier concernant la dernière des neuf victimes. Toutes des femmes, des prostituées. Ada Bowler a, ou plutôt avait, 32 ans. Une rousse ou cheveux longs, comme les autres victimes. Et comme les autres victimes, on l'a retrouvée parée d'un collier d'esclave, aux extrémités soudées. Ada a été retrouvé nue, déposée sur le flanc gauche sur les berges d'un canal. Elle porte des traces de blessures par balles mais, s'il s'agit du même MO que pour les victimes précédentes, elle n'est pas morte des suites des coups de feu. Elle présente également des entailles qu'on ne peut attribuer à une arme blanche. On constate des marques, des hématomes, au niveau de son cou mais, là encore, on ne peut pas parler de strangulation. Éventuellement, d'une tentative inaboutie. Il y a évidemment de petites entailles causées par le collier et des marques de brûlures en raison de la soudure. Elle n'a visiblement pas été vidée de son sang. Toutefois, il y a beaucoup de sang sur la scène de crime. La victime montre aussi des traces de liens au niveau des chevilles et des poignées. L'analyse toxicologique est positive. Comme pour les autres victimes, il s'agit de cette nouvelle drogue qu'on trouve sur le marché : « la Noix ». Cela explique notamment l'absence de trace d'injection. Reste à savoir si la victime a été drogué de force ou si elle était déjà consommatrice de ce produit. La victime a été violé, avant et après la mort. On n'a pas retrouvé de traces de sperme mais des poils ont permis de procédé à une analyse ADN. Pour l'heure, cela ne correspond à aucune entrée répertoriée dans les bases de données de la police et du FBI.
Un détail, et pas des moindres. Comme pour chaque victime, on a retrouvé près d'Ada un petit bristol avec, tapé, un message. Ici :

« Au commencement, je la prends. J'en brise la coquille entre deux cailloux traînant là. Je porte le fruit à ma bouche. Je vois... Millevaux ! C'est la douleur qui réveille NoAnde. Il ne se rappelle même pas avoir perdu connaissance. Il peine à se relever. Ses mouvements sont lents, difficiles. L’hôpital est en ruine, envahi par la forêt et ses esprits, ses Horlas. L'assistance pousse une clameur. Tu veux tuer ton frère ? Tu dois trouver le lieu parfait. Millevaux ! »

Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Et les autres messages ? Haze survole alors les dossiers des autres victimes.
1-Lynn Parker (45 ans) a été retrouvée sur le parking d'un restaurant à la sortie de la ville.
« La soumission livre la Vision du Lézard. La braise arrache à la loi. Elle est hors la loi. Elle revendique la loi du Horla. À jamais. »

2-Jody Bennett (36 ans) a été retrouvée sur la parking d'un motel.
« Égorger l'(in-)secte est l'initiation. Le Jus de Singe interroge l'intégration de l'enfant de Dionysos. »

3-Cindy Jones (41 ans) a été retrouvée près d'un collecteur d'égout.
« Lever le voile. La Cité Bleue ! Je suis l'ambassadeur de la Cité Bleue ! La Nature me torture. Les Cœlacanthes marchent ! »

4-Laura Bennett (aucun lien avec la victime 2) (32 ans) a été retrouvée à l'entrée d'un cimetière.
« La greffe du Horla brandit l'oriflamme de la Cité Bleue. Je franchis la piste sans hésitation. Laisses-toi entraîner, élevé, par le Horla ! »

5-Mary Baker (47 ans) a été retrouvée près d'une cabane dans la forêt.
« N'est-ce pas marchander que de prendre un pseudonyme ? Ou est-ce un luxe ? Une performance à graver ? Une performance aggravée ? La Vision du Lézard, félicitée ! Convoyeur, passeur, ce n'est pas la mort. C'est une œuvre d'art. »

6-Betsy Wilson (39 ans) a été retrouvée dans une zone industrielle à la périphérie de la ville.
« Se déplacer, allumer Dionysos. Présenter l'opposant. Abandonner la malchance. Souhaiter la mort de la mémoire est un cri d'amour ! »

7-Léonora Carpenter (38 ans) a été trouvée dans un terrain vague.
Dionysos charme la brindille. La Forêt cesse d'être un compagnon. Il faut s'en arranger, c'est un pari. Ou alors, récupérer un nouveau contrat... »

8-Angelina Lopez (36 ans) a été retrouvé au pied d'un monument aux morts.
« Gavé de Jus de Singe, j'annonce la véracité. Je cite le Verrat. Je collabore. Je suis brave. Le gain au bout du protocole. Depuis mon exil, je vous épies. »

OK, avant son rendez-vous avec le chef de la police, Haze décide d'aller manger un morceau dans un petit restaurant non loin du commissariat. Il commande le burger maison avec double ration de frites et fait bien attention de ne pas tâcher d'huile ses dossiers. Sur un coin de la nappe en papier, il commence à prendre des notes...

Sitôt son café enfilé, Haze se rend au commissariat. Là, il est reçu par Pete DiCompain, le corpulent et jovial chef de la police d'Olympia. Haze est accueilli avec du café et des donut's qu'il ne refuse pas. Les présentations sont rapides. Haze ne veut pas perdre de temps. Il sort ses dossiers et le bout de nappes arrachée sur laquelle il a commencé à prendre des notes sur l'affaire. DiCompain semble alors méfiant. Pour l'apaiser, Haze passe alors en mode warm-up. Il s'excuse de son empressement, met ses notes de côté et partage un café et quelques beignets, prenant le temps de faire un peu plus ample connaissance avant d'attaquer les choses sérieuses. Haze est quelque peu ennuyé quand la conversation dérive sur les problèmes conjugaux du chef, visiblement cocufié par sa femme. Mais, ne voulant pas le froisser et encore moins se le mettre à dos, il l'écoute pendant de longues minutes durant lesquelles, peu à peu, il fait rentrer ses notes dans le champ de vision du chef. Quand ce dernier a enfin fini de s'épancher, il aperçoit miraculeusement les dossiers. Les choses sérieuses vont enfin commencer.
Haze dresse rapidement un plan d'ensemble de la situation telle qu'il la perçoit à la lecture des dossiers qu'on lui a fourni :
-Toutes les victimes sont des femmes aux longs cheveux roux entre 30 et 50 ans.
-Ce sont toutes des prostitués.
-Elles ont toutes été retrouvées dans un lieu public, nues, ne portant qu'un seul collier métallique aux extrémités soudées.
-Elles ont toutes été retrouvées couchées sur le flanc gauche.
-Elles présentent toutes des blessures par balles, par une arme blanche inconnue ainsi que des marques de strangulation au niveau du cou. Mais, ce n'est pas cela qui les a tuées.
-Elles ont toutes été ligoté aux poignées et aux chevilles (voir les marques).
-Elles ont toutes consommées, de gré ou de force, cette nouvelle drogue qu'on appelle la Noix.
-Elles ont toutes été violées avant et après la mort.
-On a retrouvé, sur chaque scène de crime, un bristol avec un message étrange tapuscrit.

Partant de là, Haze livre pèle-mêle ses premières impressions :
-Les victimes ont certainement retenues en captivité durant un moment. Cela signifie que le tueur dispose d'un lieu pour cela. Il s'y sent en sécurité et l'a sûrement équipé afin de procéder au mieux. Avec presque 10 victimes au compteur, son mode opératoire est bien rodé. Il a l'habitude. Il a certainement pris confiance en lui, ce qui peut aussi le conduire à commettre des erreurs. Il faudrait vérifier si les victimes présentent des traces de malnutrition. Est-ce que le tueur « prend soin » d'elles ou les laisse-t-il mourir ? Combien de temps les garde-t-il en vie ?
Le chef explique alors que les victimes ont été nourri a priori correctement. Elles ne présentent pas du tout les effets de la malnutrition évoquée par Haze. Cela signifie notamment que le tueur achète cette nourriture. S'il vit seul, ce qui est probable, comment expliquer qu'il achète de la nourriture pour 2 ou plus selon le nombre de victimes qu'il retient en même temps ? De plus, sa planque est certainement isolée. Aussi, pour éviter les trajets inutiles, il doit acheter en grande quantité.

-Les victimes présentent toutes un profil similaire. La tranche d'âge, liée à la profession, peut amener à penser que le tueur considère ses femmes comme plus vulnérables et isolées car, en « fin de carrière ». Ce sont peut-être à ses yeux des proies plus faciles. On peut aussi penser qu'il procède à une sélection. Il doit donc roder dans les parages en quête de la victime idéale.
Le chef note alors d'organiser des rondes dans les quartiers chaud. Peut-être pourra-ton repérer un véhicule en repérage. Il s'agit également de protéger les femmes correspondant aux profil des victimes.

-Bien que tuées ailleurs, la scène de crime est pleine de sang. On dirait que le tueur les « vide », littéralement. Quel sens cela a pour lui. En tout cas, cela veut dire qu'il prend le temps de le faire. Il se sent donc en sécurité. Il y a des chances pour qu'il connaisse les lieux et leur taux de fréquentation. Peut-être fait-il du repérage à ce niveau là aussi pour trouver le lieu adéquat où laisser sa prochaine victime ? En tous les cas, il souhaite manifestement qu'on retrouve ces corps.

-Concernant la drogue, les victimes étaient-elles connues pour en être des consommatrices régulières ? Auquel cas, le tueur les a peut-être « appâtées » en leur en proposant. Et, dans ce cas, comment s'en est-il procuré ? Est-il également un consommateur de Noix ? Agit-il sous l'influence de cette drogue ?
Le chef note d'envoyer des hommes secouer quelques dealers et autres indics afin de voir s'il tombe quelques informations à ce sujet.

-On a retrouvé de poils (et donc de l'ADN) dont on peut penser qu'ils appartiennent au tueur. Mais ils n'appartiennent à aucun échantillon recensés dans les fichiers de la police et du FBI. Il faudra quand même les comparer systématiquement à ceux de tout suspect interrogé.

-Concernant les proches des victimes, Haze demande si on a interrogé leur famille et leurs amis ?
Le chef avoue qu'ils n'ont pas exploré cette piste là. Enfin, pas encore. Il y ont pensé, c'est en cours. Mais, comme l'a deviné Haze, ces femmes étaient plutôt isolées et prendre contact avec leur famille n'est pas si facile que ça. Et c'est la même chose pour leurs rares amis qui vivent tous aux marges de la loi.

-Enfin, les messages ! Haze pense que là sont les véritables indices. Il pense même que les points communs entre les victimes (cheveux, coucher la victime sur le flanc gauche etc.) ne sont pas réellement important pour le tueur. Homme organisé, certainement instruit, il s'est renseigné sur les serial killer et, à sa façon, copie cet aspect de leur mode opératoire. Mais son véritable but serait ailleurs. Et la clé est dans ces messages qui seraient adressés à un éventuel allié. On peut penser qu'à travers eux le tueur cherche un allié, quelqu'un qui le comprendrait, qui partagerait ses objectifs. Les meurtres et les viols ne seraient alors qu'un élément parmi d'autres dans un desseins plus vaste dépassant largement la seule recherche d'une satisfaction sexuelle. Tous ces messages sont autant d'indices qu'il faut décoder. Le tueur donne des informations, mais pas nécessairement à la police. On peut penser qu'il est provocateur, mais pas seulement. Il a suffisamment confiance pour écrire ses messages mais a également un profond besoin d'être écouté et compris. Peut-être, aussi, a-t-il besoin d'aide pour achever son œuvre ?
Sous la dictée, le chef note que Haze pourrait jouer ce rôle, encore faudrait-il trouver un moyen de communiquer avec le tueur. La presse ? Le Net ?

-Haze, même s'il ne les a pas étudiés en profondeur, a déjà relevé quelques éléments qui lui semblent important ou en tout cas significatifs. Par exemple, il explique certains de ses jeux de mots. Il donne des indices. Il veut qu'on le trouve. Mais est-ce seulement une manifestation de son sentiment de culpabilité. Le reste des messages, notamment les références mythologiques et ésotériques, font penser qu'il y a vraiment un but plus élevé à toute son entreprise et qu'il entendrait bien la mener à son terme. Dans tous les cas, il va falloir faire vite car, comme son plan n'est pas encore réalisé, il y a de fortes chances qu'il tue à nouveau et bientôt. De plus, il risque fort de disparaître car il cessera de tuer quand son but sera atteint. Il faut absolument le capturer avant !

Le chef DiCompain a envoyé des hommes dans le milieu des dealers et des toxicomanes. S'il s'avère que les victimes étaient des consommatrices régulières de la Noix, on pourra imaginer que le tueur s'en est servi pour les aborder. Si non, peut-être utilise-t-il la drogue pour les garder sous contrôle.
Pendant ce temps, Haze a repris toutes ses notes et a tenté d'identifier le profil du tueur. Il a commencé par définir son mode opératoire. Le tueur cherche donc une victime type (quand bien même ce ne serait que pour brouiller les pistes ou par simple confort). Il l'observe, la traque. Quand il est certain d'avoir affaire à une personne qu'il estime vulnérable et isolée, il la kidnappe. Il l'a conduit dans son repaire, en droit isolé, bien équipé, où il peut se livrer à ses activités en toute tranquillité. Il nourrit correctement ses victimes. On peut penser qu'il les séquestre un long moment. Il leur fait subir diverses tortures (blessures par balles et armes blanches volontairement non létales, strangulation, viol). Il leur fait porter un collier de servitude en acier, certainement pour asseoir sa domination sur elles. Il les drogue (à quelle fin?). Puis, au bout d'un certain temps, il les achèves et les expose dans un lieu public. Là, il continue de les torturer en les vidant de leur sang. À noter que les victimes ont toutes été violées post-mortem (sur la scène de crime?). Sur chaque scène de crime a été retrouvé un petit bristol avec inscrit un court message énigmatique et halluciné.
Dans un premier temps, Haze pensait avoir à faire à un tueur mystique. Il y a des références mythologiques (Dionysos), à des lieux apparemment sacrés. Il y a une vraie cohérence qu'on discerne dans la récurrence de certains termes, lieux et personnages (il va falloir approfondir tout ça). Mais, en définitive, il a plus l'impression que le tueur décrit une sorte de monde imaginaire qu'il chercherait à atteindre par cette succession de meurtres et de tortures.
Haze prend une fiche de serial killer vierge dans sa chemise en plastique. Il note donc « Celui qui vit dans un monde imaginaire » dans la catégorie Profil. Il détaille ensuite le MO dans la case correspondante et note, à titre d'hypothèse, dans la case Pathologie Mentale, que le tueur souffre certainement d'hallucinations, de troubles dissociatifs et/ou de schizophrénie. Et ce, peut-être bien à cause de sa propre consommation de Noix. Concernant les anciennes victimes, il y en a eu 8 avant celle-là. Dans la mesure où il semble bien que le tueur cherche à communiquer, il est peu probable qu'il en a dissimilé une. Auquel cas, pourquoi ? Pour ce qui est d'éventuels complices, Haze pense justement que le tueur agit seul et que cette solitude lui pèse. Il pense que ces messages sont en partie adressés à un éventuel complice, à quelqu'un qui saurait en déchiffrer la symbolique et qui le rejoindrait pour l'aider dans sa quête. D'autre part, ces messages seraient également adressés à celui à qui le tueur veut faire la démonstration de sa valeur. Pour entrer dans son monde imaginaire, il a besoin de l'accord (la bénédiction?) d'une sorte de passeur, de juge. Par ses messages et ses meurtres, le tueur demande donc de l'aide à un complice tout en entendant démontrer à ce « juge » qu'il mérite d'être accepter dans ce monde imaginaire. Plus prosaïquement, peut-on faire l'hypothèse que ce « Passeur » serait un vulgaire dealer de Noix ?

Fort de cette première analyse et de ces hypothèses de travail, Haze attend maintenant le retour de la patrouille de police pour en savoir un peu plus et décider de la suite de l'enquête. Il en profite pour se connecter sur son site de RPG en ligne. Il a eu une idée de personnage et de scenario. Ça fait un moment qu'il veut jouer dans une ambiance cyberpunk, il se crée donc le personnage de D. Maze. C'est un activiste, un journaliste indépendant et militant motivé par le savoir et la vérité. Pour l'heure, il veut faire la lumière sur cette nouvelle drogue qui fait des ravages à Reality-City : la Noix ! Ces yeux cybernétiques sont équipés d'un zoom et ses oreilles artificielles font office d'amplificateur. Sur un plan purement visuel, aucune trace de chrome. Et parce qu'il convient d'être prudent, il possède aussi un pistolet à fléchettes de marque Lik-Sang. D. Maze a beau travaillé en freelance, il bénéficie du soutien et du réseau d'ARN (Alternative Reality Network), un réseau de média indépendant. Mais, pour l'instant, la situation n'est pas rose. D. Maze commence l'aventure pris au piège par la bande de dealers qu'il voulait interviewer. Ils en veulent manifestement à ses crédits, voire même un peu plus.
Haze stoppe là son récit. À la charge d'un autre joueur de renchérir. Maintenant, il crée la faction ARN, ce réseau média ayant pour but de faire le maximum de lumière sur les vérités qui dérangent. Ils ont l'avantage d'être particulièrement bien équipé. Ils possèdent un grand nombre de drones équipés de caméras et de micros, ainsi que toutes sortes de gadgets permettant de voler et stocker sons et images. Par contre, cet équipement a un prix et il est élevé. Il semblerait bien que, dans l'immédiat, ARN soit en quête de fond avant d'être en quête de vérité ! Toutefois, ARN va pouvoir souffler encore quelque temps puisqu'une banque vient d'accepter de leur faire crédit. Mais il va quand même falloir renflouer les caisses au plus vite. Un méga-scoop serait le bienvenu.

C'est en fin de matinée, 2 jours plus tard, qu'on remet à Haze un rapport concernant les liens entre les victimes et le milieu des dealers et toxicomanes. Il se jette dessus comme le chef DiCompain sur une boite de donut's. C'est avec une certaine déception qu'il apprend que les victimes n'étaient pas connues pour être des consommatrices de Noix. Il apparaît même qu'elles ne prenaient aucune drogue et étaient au contraire connues pour être totalement « clean ». Haze doit donc revoir sa copie. Ce n'est pas par ce biais que le tueur les a abordées. De plus, impossible de mettre la main sur un revendeur de Noix. Les dealers interrogés ont bien un nom mais aucune idée de comment le contacter. Ce dealer se fait appeler « Le Magicien ». Toutefois, il y a un doute quant à son sexe. Il s'agirait peut-être d'une femme en réalité. En tout cas, le tueur est en contact avec lui. Partant du principe que le tueur vit ou veut rejoindre son monde imaginaire, Haze pense qu'il drogue ses victimes non seulement pour les garder contrôle mais aussi, peut-être, pour partager ses visions avec elles.
Haze fait ensuite part au chef de ses impressions quant à la série de messages laissés sur les scènes de crime. Il a tout d'abord noté des références directes à la drogue. La Noix, mais aussi le Jus de Singe qui est le surnom d'un autre toxique. L'usage de drogue peut être une sorte de clé dans sa logique. Elle lui donne accès à ses visions ainsi, peut-être, que le « courage » de passer à l'acte. Là est peut être le lien avec la figure de Dionysos, dieu de l'ivresse. Le tueur évoque aussi différents lieux qu'on peut qualifier de fantasmatiques : La Cité Bleue, dont il serait l'ambassadeur ; Millevaux (est-ce vraiment un lieu?) ; l'Hôpital (a-t-il fait un séjour en hôpital psychiatrique?). Il parle aussi de la forêt, mais comme d'un lieu négatif. Elle a « cessé d'être un compagnon ». il écrit que la nature le torture. Il fait aussi référence à plusieurs personnages. NoAnde peut se comprendre comme No Hand (pas de main, il serait dans le déni de ses mains qui donnent la mort?) ou No End (il ne voit pas de fin à sa quête). Il évoque les Visions du Lézard. Voit-il un lézard dans ses hallucinations causées par la Noix ? Ce Lézard est-il le passeur qu'il cherche à amadouer par ses meurtres ? Il parle aussi plusieurs fois de ces esprits qu'il appelle Horlas. Il fait lui-même le lien entre ces Horlas et le fait d'être hors la loi. Il y a un lien, pour lui, entre être hors la loi et appartenir au monde des esprits. La transgression de la loi serait donc un moyen de franchir la frontière entre les mondes. Il évoque d'ailleurs tout un « protocole » et la notion de passeur, de convoyeur. Il y a donc des étapes à franchir, des lieux à visiter, des passeurs à payer (en meurtres?). Ce serait donc à ce prix qu'il parviendrait à gagner son monde imaginaire. Il souhaiterait d'autant y parvenir qu'il se considère en « exil ». Peut-on comprendre qu'il se sent exclu ? Le tueur serait donc quelqu'un de solitaire, isolé au sens propre comme au sens figuré. En admettant qu'il est une vie sociale, notamment un emploi, il ne doit avoir que peu de fréquentations. Ce doit être un homme plutôt discret, timide, voire mal à l'aise en société. Il vivrait autant que possible retiré. Il est possible qu'il habite une petite maison isolé à l'extérieur de la ville (dans ces bois qui le torturent?). Là, il aurait pu sans problème aménager sa planque pour y retenir ses victimes. De là, on peut imaginer que, par souci pratique, il possède nécessairement un véhicule. Et, pourquoi pas, un gros. Il s'agit autant de pouvoir faire de grosses courses et éviter les supermarchés autant que possible que de se donner un sentiment de puissance au volant, par exemple, d'un 4x4 ou d'un Hummer.
Pour Haze, il ne fait aucun doute qu'il a à faire avec un schizophrène dont les hallucinations sont certainement accrues par la consommation de drogue et l'isolement. Il pense à un homme autour de la quarantaine n'ayant rien d'imposant. Il doit être vêtu d'une façon discrète et peu soignée. Il porte certainement des lunettes et arbore une calvitie naissante qu'il ne cherche pas à dissimuler. Il l'imagine marchant vite, voûté, fuyant tout contact avec les autres. Si, effectivement, le tueur est d'un certain âge, il est probable qu'il soit le seul de cette tranche parmi les clients du Magicien. Aussi, il faut absolument lui mettre la main dessus. Il leur faut six jours pour y parvenir. On conduit le Magicien en salle d'interrogatoire. Mais alors que l'agent Haze s'apprête à l'y rejoindre, un officier l'interpelle. Un témoin vient de se présenter au commissariat.
Haze décide donc de faire patienter le Magicien et reçoit ce fameux témoin surprise. Il s'agit d'un homme d'âge moyen, dans les 35 à 40 ans. Il dégage une forte odeur de tabac et de marijuana. Il y a paquet de cigarettes posés devant lui sur la petite table en bois. Il enchaînera clopes sur clopes, alternant avec les gobelets de café dans lesquels il ne cessera de plonger des donut's dégoulinant de sucre glace. Haze lui trouve un air vif, intéressé. Il se présente et lui demande d'en faire autant tout en précisant le motif de sa venue.
L'homme s'appelle Pete Peyno. Il a 40 ans et exerce la profession de couvreur. Ou plutôt exercerait si ses antécédents judiciaires en tant que consommateur et possesseur de produits stupéfiants ne l'avaient plus ou moins grillé dans la région. Aussi, il attend de la police qu'elle efface son ardoise, qu'il puisse de nouveau présenter un casier vierge à ses futurs employeurs. Il n'appartient certes pas à Haze d'accorder un tel privilège mais accepte sans souci, affirmant connaître un procureur qui lui doit un service. Pete semble indifférent, mais commence néanmoins son récit. Consommateur de drogue, il traîne souvent dans le quartier où il a vu la police enquêter ces derniers jours. On ne lui a rien demandé, mais il a compris qu'on recherchait un client du Magicien, un homme dans la quarantaine, comme lui. Lui, bien sûr, ne touche pas à la Noix. Mais, il connaît le Magicien de vue et certains de ses clients. Aussi, il a déjà aperçu un quadra négocier avec lui sur un parking. Non, il ne conduit pas un 4x4 ou un pick-up. Il l'a vu monter à bord d'un break. Il se rappelle d'un homme portant des vêtements tout fripés et auquel il manquait un doigt à la main droite. Le majeur ! Haze poursuit l'interrogatoire en vue, notamment, de confirmer ses hypothèses quant à l'apparence du suspect. Il porte bien des lunettes et présente une calvitie naissante. Toutefois, Pete n'a pas eu l'impression qu'il était voûté. Évidemment, le couvreur n'a pas retenu la plaque d'immatriculation du véhicule. Il ne restait plus maintenant à Haze qu'à confronter ces informations à celles qu'il pourrait tirer du Magicien.
Dans la petite pièce où on l'a fait patienter, le Magicien paraît indifférent. Il tourne lentement la tête vers Haze quand ce dernier entre. Le Magicien a une quarantaine d'année lui aussi. Son visage est lourdement maquillé. Cela lui confère un côté androgyne qu'il n'aurait peut-être pas autrement. Il porte un long manteau de cuir usé sous lequel il est torse nu ainsi qu'un chapeau en fourrure orné d'une tête de loup. Haze lui trouve quelque chose de familier. Il se regarde dans la glace sans tain couvrant un des murs de la salle. Non, ce n'est pas possible. Pourtant, il a l'impression qu'ils se ressemblent tous les deux. Comme s'ils étaient cousins... mais c'est impossible.
Haze s'assoit, se présente et se sent obligé de rassurer le Magicien en lui précisant qu'aucune charge de quelque nature que ce soit n'est retenue contre lui. C'est uniquement au titre de témoin qu'on lui a demandé de venir. Le magicien demeure impassible. Haze lui décrit alors l'homme qu'il considère comme le suspect principal dans son enquête et lui demande s'il le compte parmi ses clients.

Demian a une migraine carabinée. Il se lève difficilement. Il n'a aucune idée de là où il se trouve. Il regarde autour de lui en se massant les tempes. Il est dans une forêt. Qu'est-ce qu'il fout là ??! Heureusement, il a son petit sac à dos. Il farfouille à la recherche de son médicament contre les migraines. Mauvaise pioche. Il a oublié de les prendre. La journée va être très dure... et longue... comme une... Il n'a même pas la force de sourire à cette blague pourrie, ni celle de la trouver pourrie d'ailleurs...
Du bruit dans les feuillages. Un homme approche. Il porte un manteau de cuir et un masque en os. Demian reconnaît un Cœlacanthe.
Ce type, cette chose, lui veut du mal. C'est évident.
Demian essaye de réfléchir, mais avec cette migraine... Il y a bien un moyen d'en finir. Enfin, il y en a deux. Mais il ne peut se résoudre à cette deuxième solution sans avoir un tant soit peu tenté de sauver sa peau.
Évidemment, il n'est pas armé. Mais, il peut tuer. Il le sait. Il sait comment. Ça le dégoutte, mais il sait comment tuer ce Cœlacanthe.
Il s'arc-boute, se donne des coups de poings sur les tempes pour calmer la migraine. Juste assez pour sauter sur son agresseur, le ceinturer et tenter de le plaquer au sol. Mais le Cœlacanthe tient bon et reste debout. Demian enchaîne alors plusieurs coups de poings dans les côtes, sur les flancs. Le monstre montre alors quelques signes de faiblesse. Demian enchaîne les coups tout en tentant de l'entraîner au sol. Il y a longtemps, il a un peu pratiqué les arts-martiaux. Avec un peu de chance, il pourra le maintenir au sol assez longtemps pour...
Le Cœlacanthe tombe à genoux. Demian le pousse sur le ventre et, sans attendre, sans écouter ni son courage ni sa raison, il lui arrache son pantalon. Il défait les boutons de son propre jeans et s'enfonce dans la créature. Il lui maintient la tête dans la boue pendant qu'il enchaîne de violent va-et-vient entre ses reins. La petite mort s'offre rapidement à lui et lui offre la mort définitive du Cœlacanthe.
Demian se redresse et, avant même de renfiler son pantalon, retourne le monstre dont il arrache le masque d'os. Avec horreur, il contemple son propre visage.
Une idée horrible se fait un chemin à travers les méandres de la migraine. Il vient de se violer lui-même, de se tuer lui-même...
le décor change autour de lui. Il est sous l'eau. Des poissons à tête d'os nagent autour de lui. La pression est intenable. La migraine est intenable. Son corps explose. Sa tête aussi...
Demian émerge au fond d'un trou. Une gigantesque cavité dont les parois argileuses sont animés de pulsations régulières, comme un cœur qui bat. Il y a des cadavres partout. Parmi eux, il reconnaît celui de... son père ! Oh merde !! Pourvu que... Pourvu que tout ça ne soit qu'un cauchemar, rien qu'un cauchemar...
Soudain, une horrible douleur dans son ventre fait écho à celle qui lui vrille la tête. Il sent ses organes internes se... reconfigurer. Changer de forme, changer de place. Son système digestif se... réorganise. C'est impossible. Il fait que ça cesse et que ça cesse maintenant. Coûte que coûte !
Demian hurle...

… car telle est la Vision du Lézard et cette t'est adressée Damon Haze. »
Haze a l'impression d'émerger d'un rêve étrange, d'un sommeil absolument pas réparateur. Il n'a pas mal à la tête mais ressent pourtant le besoin de se masser les tempes. Il éprouve le besoin de demander au Magicien de répéter son histoire mais une irrépressible angoisse l'empêche de le faire.
Le Magicien, lui, demeure impassible.
Oubliant même le motif de cet interrogatoire, Haze quitte précipitamment la pièce. Il donne à la vite quelques consignes pour qu'on retienne le Magicien et court jusqu'au toilette. Il tente de vomir mais n'y parvient pas. Il se passe de l'eau sur le visage et contemple son reflet dans le miroir, ne sachant pas ce qu'il souhaite y trouver.
OK, un nom. Il veut un nom. Celui du client. C'est pour ça que le Magicien est là et pas pour autre chose. Se sentant trop mal pour poursuivre l'interrogatoire, il délègue cette tâche à un inspecteur. Mais le Magicien reste intraitable et refuse de donner le nom de son client. D'une certaine façon, ils le tiennent. Ils peuvent le coffrer pour obstruction, refus de coopérer. À partir de là, ils auront tout le temps de le cuisiner.

Haze a besoin de se changer les idées. Il se connecte sur son forum de rpg et regarde si on a répondu à son post dans son jeu cyberpunk. Bonne nouvelle ! Un certain DemianHesse lui a répondu via son personnage, le Techno-Vaudou Aaron Powl. Aaron se présente comme un noir albinos d'une trentaine d'année. Il porte de longues dreads dont certaines sont des implants cybernétiques. L'une d'elles est dotée d'une caméra, une autre d'une lame rétractable. Il prétend communiquer avec les Lwas, esprits vaudous, qui lui dictent sa conduite et dont il se fait un devoir d'accomplir la volonté.
Demian décrit comment il met en fuite les dealers qui s'en prenaient à D. Maze. Il fait planer sur eux la menace des Lwas et du clan Powl. On se saura jamais vraiment laquelle de ces menaces a été efficaces mais les dealers s'enfuient. Pour autant, D. Maze n'est pas tiré d'affaire car Demian déclenche une scène de confrontation. Il entend en effet le faire renoncer à son enquête et déclare que son but va à l'encontre de la volonté des Lwas. Il est hors la Lwa ! Pour appuyer son propos, Powl agite sa cyberdread à la lame rétractable. D. Maze sent que l'albinos a des informations. Il enclenche tous ces cyber d'enregistrement et entend bien obtenir de lui autant de renseignements que possible. À la cyberlame, il oppose son pistolet à fléchettes. Il espère ne pas avoir à s'en servir, mais est-ce que ce sera suffisant pour intimider Aaron Powl ?
On dirait que oui. L'albinos a un mouvement de recul. Il regarde un peu partout autour de lui. Il hoche plusieurs fois de la tête et marmonne des mots inintelligibles.
« Maze ! Les Lwas t'ont à la bonne. Ils ne te veulent pas de mal. Aussi, tu devrais rester en dehors de toute cette histoire. La Cité Bleue n'est pas pour toi. Les Lwas ont un message pour toi. Alors, la voix du vaudou change. Elle devient à la fois plus rauque et lointaine.
« Fange, ornières, bourbiers. Progresser dans l'infâme mangrove. Sables mouvants.
Suffocation. Déchetterie de la mégafaune. La forêt de merde. »
Puis, elle redevient normale. Aaron transpire abondamment. Il halète. D. Maze a l'impression qu'il veut lui dire quelque chose mais n'ose pas. Pour l'apaiser, il range son pistolet à fléchettes et lui tend la main. Le vaudou la lui prend et la serre, fort. D. Maze ressent une vive douleur, comme une décharge électrique. Il lit de la tristesse dans le regard de Powl qui s'excuse et s'enfuit. D. Maze le regarde courir à tout allure en secouant sa main endolorie. Quand il examine sa paume, une suite de lettres constituées de pixels bleutés s'efface. Un nom : Paul Singer...

Haze se déconnecte sans trop comprendre ce qui vient de se passer. Même en admettant que ce Demian eut été connecté en même temps que lui, il est impossible qu'il ait pu participé à son post. Haze n'a jamais fait l'expérience de l'écriture automatique mais se dit que ça devrait ressembler à ça. Il décroche le téléphone de son bureau et demande à parler au chef DiCompain. Il veut savoir si le Magicien s'est décidé à parler. Oui, mais à lui seul... et il veut du café. Haze court jusqu'à la machine à café et commande deux gobelets. Il fonce ensuite jusqu'à la salle d'interrogatoire où l'attend le Magicien.
« ''Fange, ornières, bourbiers. Progresser dans l'infâme mangrove. Sables mouvants.
Suffocation. Déchetterie de la mégafaune. La forêt de merde'' Qu'est-ce que ça veut dire ? Et qui est Paul Singer ? »
Le Magicien sourit. Il est à l'aise. Il hume la fumée de son café et en boit une gorgée.
« Paul Singer se rendra dans la Cité Bleue. La Forêt gagne du terrain. La nature est une Torture. Je ne connais pas le nom de celui que tu cherche. Mais tu le trouveras dans la forêt, derrière l'hôpital en ruine. Tu es un gardien de la Lwa. Méfies-toi des Horlas et crains les Cœlacanthes. »
Haze pousse devant le gobelet de café qu'il n'a pas touché. I lest encore fumant. Il attend que le Magicien s'en empare puis quitte précipitamment la pièce. Haze s'empare de son portable et donne ses consignes. « Qu'on organise une surveillance plus que serrée des bois derrière le vieil hôpital en ruine. Qu'on surveille aussi tous les accès routiers, qu'on arrête systématiquement tous les véhicules de type break et qu'on retienne tous les conducteurs répondant au profil décrit par le témoin. Qu'on organise aussi une battue « discrète ». Que les agents se fassent passer pour des chasseurs ou des randonneurs. Et qu'on ne s'arrête pas avant de l'avoir trouvé. Oh, et enfin, est-ce que quelqu'un connaît un certain Paul Singer ? »
Sans attendre, Haze se rend sur les lieux décrits par le Magicien. Il s'enfonce dans les bois jusqu'à un petit cours d'eau. Évidemment, personne. Pour autant, il a le sentiment que c'est ici et maintenant que tout se joue. Il appelle le chef DiCompain et, ne voyant pas sur le terrain les hommes qu'il a demandé, lui met un coup de pression en lui rappelant premièrement que la vie d'une femme est certainement en jeu et, deuxièmement, qu'il sera tenu personnellement responsable de l'échec de cette affaire..il retourne alors à sa voiture. Il hésite à consulter ses mails. Il renonce, de peur que ce Demian n'ait répondu à son post. La nuit tombe. Rien...
Une semaine plus tard, Haze n'a toujours pas osé se connecter sur son site de rpg. Toutefois, une bonne nouvelle ce matin, on a arrêté un homme dans les bois. Un certain Paul Coleman. Il n'a fait aucune histoire lors de son interpellation. Il n'a d'ailleurs prononcé quasiment aucun mot. Il attend Haze en salle d'interrogatoire.
Haze passe à la machine à café et commande deux gobelets fumants. Discrètement, il observe sa main droite et constate que le majeur manque. Il n'ose y croire. Ce serait donc lui. Il correspond bien à la description faite par le couvreur. Haze s'assoit. Il boit une gorgée de café. Le silence s'installe. Il n'ose le rompre. Coleman ouvre la bouche. Sa voix est rauque, lointaine...
« Dans sa boutique, des centaines de flacons de larmes. Cristallines, fondues, fluides, opaques, irisées...
Sentiments à boire et à vendre. »
Haze le fixe droit dans les yeux. Coleman reprend, de sa voix normale.
« Un incident et j'ai tout perdu. La Cité Bleue. »
Sa voix change à nouveau.
« Au bout de ce chemin de corruption et de souffrance, il n'y a que la folie, puis la mort. NoAnde frissonne. Où est-il tombé ? Spontanément, son regard se porte au sol. Il remarque alors que celui-ci est parsemé de petites statuettes tantôt de pierre, tantôt de bois, ressemblant vaguement à des hommes. Certains sont armés, d'autres recouverts de sang ou d'excréments séchés. Soudain, une tache de lumière attire son attention. Un petit bonhomme de bois recouvert de merde semble pointer quelque chose du bout de son bras de brindille. Une noix ? »
Haze a un mouvement de recul. Coleman lève la main droite et pointe son index sur sa tempe. Il tire. Il s'écroule sur la petite table. Son sang – rouge – se mélange au café – noir – renversé sous le choc. Haze ne parvient pas à détacher son regard de l'index fumant de Coleman.

« Bonjour, je l'agent spécial Den...
Non ! Pour cette mission, vous êtes l'agent Paul Singer. Vous nous avez été recommandé par l'Agent Spécial Miner. Savez-vous ce qu'il est devenu ?
Euh... non...
Porté disparu. En mission. Je tiens à vous signaler que Contrôle l'a jugé coupable de nombreuses violation du protocole. Tirez-en les leçons qui s'imposent.
Il a disparu... en mission ? Je vais devoir le retrouver ?
Non. Enfin, c'est sûr que si vous lui mettez la main dessus... Disons que ce n'est pas entièrement par hasard qu'on vous a choisi. Mais là n'est pas l'objet principal de votre mission. Vous n'avez pas lu le dossier ?
On ne me l'a pas remis.
Ah ! Tenez, lisez ça. »

Début juillet 2018, la police d'Olympia (état de Washington) interpelle Paul Coleman dans le cadre d'une affaire de meurtres en série. On le soupçonne d'être l'auteur de neuf meurtres précédés de kidnapping et tortures. Il se laisse docilement conduire au commissariat où l'agent spécial Haze du FBI entend procéder à son interrogatoire. Après avoir proférer des paroles vides de sens dans le même style que les messages qu'il avait laissés sur les scènes de crime, Coleman se suicide d'une balle dans la tête tiré à l'aide de... son index droit. Notons que Coleman correspond à la description faite par des témoins (absence du majeur droit) et que, après autopsie et analyse, son ADN correspond avec celui retrouvé sur une des scènes de crime. Parallèlement, une brigade de la police d'Olympia investit la résidence principale de Coleman, un chalet en bois perdu dans la forêt. De prime abord, il s'agit d'un habitat sans histoire et tranquille. Tout est propre et bien rangé. Les placards sont remplis de nourritures, visiblement pour plusieurs semaines. Le sous-sol par contre... Une trappe dissimulée dans la salle de bain mène à un couloir souterrain. Là, les policiers ont fouillé plusieurs cellules équipées d'une couchette en bois et de chaînes fixées au mur. Il régnait là une forte odeur de pourriture et d'excréments. Ils ont trouvé des restes humains en divers états de putréfaction. Dans l'une des cellules, une femme rousse approchant la quarantaine était prostrée, nue, sur sa couchette. Elle était couverte de boue et de sang séché. Elle récitait en boucle et à voix basse, comme un mantra : « La Cité Bleue... Le mois de Vrillette... L'orgone, mystérieux fluide, drogue, aphrodisiaque et source d'énergie... Machines à orgones. L'emprise et l'égrégore dans le même flacon ! »

« Vous voyez où nous voulons en venir agent Singer ?
Oui, effectivement. La Cité Bleue. Cela n'est pas sans rappeler le nom de code du lieu que nous étudions.
Nous ? Non, agent Singer. Vous n'étudiez rien. C'est la Compagnie qui étudie Blue City. Bref, il se trouve que plusieurs message laissés par Coleman évoquent Blue City mais également une forêt et d'autres lieux et personnages étranges. Nous voulons en savoir plus. Nous allons vous envoyer à Blue City. À charge pour vous une fois là-bas d'en savoir plus sur cette forêt et surtout sur la façon dont un pauvre type comme Coleman à pu obtenir toutes ces informations.
Mais, on dirait que lui comme cette femme, cette Johanna Ackermann, aient été sous influence de stupéfiant. Ils ont consommé de la Noix. Est-ce que...
Tutut agent Singer. Ne parlez pas de la Noix, je vous en pries ! Bon, si vous avez besoin d'informations complémentaires, vous aurez tout le loisir de voir directement ça directement avec Contrôle durant la mission. Pour l'instant, si vous voulez bien retirer votre chemise que je procède à quelques examens... Bon, vous avez un plutôt bon cœur pour un homme de votre âge. Veuillez passer dans la pièce d'à coté je vous pries. Nous allons procéder à l'insertion. »

Insertion réussie. L'agent Singer se trouve dans une rue déserte. Tout autour de lui, des immeubles à la hauteur démesurée l'empêche de voir le ciel. Il doit consulter sa montre pour savoir qu'il est 20h20. En juillet, il est donc sensé faire encore jour.il se rappelle son ordre de mission : comprendre comment un tueur en série a pu être mis au courant de l'existence de Blue City. Sa piste privilégiée : une boutique avec des flacons. Il aurait apprécié quelques indications plus précises mais, avec la Compagnie, il a appris à se contenter de peu. Mais là, c'est vraiment trop peu. Un petit coup de pouce de Contrôle serait vraiment le bienvenu.
L'agent Singer part donc en quête d'une cabine téléphonique. Alors qu'il marche tranquillement, il revient sur ses pas. Quelque chose a attiré son attention dans une vitrine. Ce bibelot en forme de chien à 6 pattes est vraiment, mais vraiment horrible ! Au fond de la boutique, une ombre s'anime. Spontanément, Singer met la main dans sa poche à la recherche de son arme. Évidemment, elle est vide. À mesure que la chose avance, il en discerne de mieux en mieux les contours. Il s'agit d'une espèce de gargouille mécanique. À vue de nez, elle doit mesurer dans les 2m50. Elle pointe son doigt dans sa direction. Singer se met alors à courir. Derrière lui, la vitrine vole en éclats. Malgré son poids, la machine court vite, très vite. Elle le rattrape trop rapidement et plaque sur son épaule sa lourde main d'acier. Elle le soulève et le retourne afin de lui faire face.
« La viande noire s'agite. En ce mois de Vrillette, on nous disait clochards, nous étions pionniers, libres, chercheurs d'or. On nous disait fous, nous étions les seuls à pouvoir s'en sortir. Les Cœlacanthes se mélangent. Ils ont soif d'amour ? Quand je parviens à me relever, il fait nuit. La lune est pleine. Quelques notes de basse. Je me retourne. Un être difforme, moitié-homme moitié... sanglier ? Se tient là. Comme moi à l'époque, la basse à la main, le pied droit en appui sur l'une des 2 malles dans lesquelles je rangeais mes vieux comics de chez Marvel. Dans quel état doivent-ils être ? »
La gargouille relâche alors sa prise tout en continuant de fixer Singer. Alors qu'il tourne dans une ruelle, il voit que la gargouille est toujours immobile. Il n'ose pourtant pas s'arrêter de courir. Pas tout de suite. Qu'est-ce que tout ça veut dire ? Après de longues minutes à courir, puis encore d'autres à reprendre son souffle, il se rappelle que la teneur de ce message évoque assurément les messages laissés par Coleman sur ses scène de crime. Cela signifie-t-il qu'il, ou plutôt que la Compagnie, serait sur une piste ?
Et forcément, aucune cabine téléphonique en vue !
OK, et si c'était un signe ? Dans ce cas, inutile d'essayer de s'en remettre à Contrôle. Enfin, dans l'immédiat en tout cas. Pour l'heure, Singer décide tout simplement de s'en remettre à son Instinct, en espérant qu'il le guide jusqu'à cette fameuse boutique. Et... ÇA MARCHE !!!
Singer se retrouve face à une nouvelle vitrine. À l'intérieur, des flocons. Partout dans la devanture mais aussi dans la boutique. Singer voit nettement les rayonnages garnis de flacons en verre de toutes les tailles et de toutes les formes. Avant de se décider à entrer, il cherche une plaque ou quoi que ce soit indiquant la raison sociale d'un tel établissement. Rien ! Évidemment. Il se colle à la vitrine et scrute le fond de la boutique. Il veut s'assurer que les lieux sont vides. Il n'a aucune envie de se retrouver face à une autre gargouille mécanique.
Une ombre bouge dans le fond de la boutique. Singer se plaque contre le mur extérieur et jette un œil pour savoir de qui il retourne. Une silhouette s'approche. Une silhouette... Singer estime que ce mot est bien mal choisi eu égard à la difformité de la créature qui s'avance. Plus elle s'approche et plus Singer se rend à quel point elle est grande. Elle dépasse très largement un humain normal. Cette chose est comme une masse grouillante. Il sent qu'il devrait fuir mais quelque chose le retient. Serait-ce juste le fait que cet endroit semble être un des objectifs de sa mission. Singer est loyal, mais pas suicidaire.
La chose avance un pseudopode en direction de la vitrine. Un bruit de succion se fait entendre quand son extrémité se colle au verre. Puis, un bruit sourd. La vitrine tremble. La chose grouillante est maintenant collée à la vitrine, à quelques centimètres seulement de Singer.
« Je ne te vois pas, mais je sais que tu es là. Je ne vais pas te tuer. Je ne vais pas chercher à le faire. Si je le cherchais je le trouverais. Mais je ne vais pas chercher à le faire, Paul Singer. J'ai un message de la part de Dionysos. Le Thanatrauma et les Antigens sont des alliés. Mais je ne t'ai rien dit sur la Bouche de pierre. Ni sur la Bouche, ni sur Pierre. Et maintenant, je m'en vais... »
S'ensuit un nouveau bruit de ventouse. Singer attend quelques instants, de longues minutes, avant d'oser jeter un regard à l'intérieur de la boutique. Une ombre bouge dans le fond de la boutique. Là, elle a clairement forme humaine. Singer s'élance à l'intérieur. Il plonge sa main à l'intérieur de sa veste à la recherche d'une arme. Vain réflexe. Ses poches sont vides.
« Pas un geste, je suis armé !, ment-il.
Au mois de Vrillette, un coup de pelle malheureux a crevé une poche de biocide. Poison déversé dans les rivières, crèvent plantes, bêtes, hommes ! Forêt de mort. » lui répond une faible voix de femme.
Singer approche. Au sol, recroquevillé en position fœtale une femme nue est agité de spasmes et chantonne en boucle ces mêmes paroles.
« Madame Ackermann ? Vous êtes Johanna Ackermann ? Je suis l'agent Paul Singer. Je vais vous aider. »
Joignant le geste à la parole, Singer enlève sa veste et la pose sur les épaules de Johanna. Il cherche un téléphone des yeux et en trouve un sur le comptoir, au fond de la boutique.
« Allo, Contrôle ? Ici l'agent Singer. J'ai besoin d'aide.
Pardon ? Vous dîtes ?
C'est Paul Singer. J'ai besoin d'aide. Je viens de trouver Johanna Ackermann dans la boutique de flacons. Je ne sais pas comment l'extraire. Elle n'est pas sensée être là, non ? Si ?
Agent Singer... Je, euh... Comment vous dire. Vous êtes mort il y a 12 minutes.
Pas du tout. J'ai eu quelques petits ennuis mais rien d'insurmontable. J'ai croisé quelques « personnalités », dirons-nous. Mais tout va bien. Je suis avec madame Ackermann et elle, par contre, ne va pas bien du tout. Comment l'extraire ? Elle n'est pas sensée être là.
Et bien, euh... Non, elle n'est pas sensée être là. Elle est sensée être hospitalisée dans le service des soins intensifs de l'hôpital d'Olympia. Il est donc effectivement théoriquement impossible qu'elle se trouve à Blue City.
Et bien en pratique elle y est mon vieux ! Il faut nous sortir de là.
Et bien, je...
Contrôle, bougez-vous le cul s'il vous plaît !
Euh... Oui, oui. On me dit de vous dire de vous rendre à l'hôpital.
OK, on est parti. Oh, tant que je vous tiens, il me faudrait des vêtements pour madame Ackermann et une arme pour moi. »
Singer inspecte alors l'arrière boutique. Dans un carton, il trouve des vêtements féminin et un Glock 19. Maintenant, direction l'hôpital de Blue City.

Était-ce juste de la chance ou... autre chose, à un abris-bus, Singer consulte une carte du quartier et trouve l'hôpital. Colonne 13, ligne P. OK, c'est noté. Johanna Ackermann est toujours inaccessible à tout discours raisonné, mais au moins elle peut marcher. Elle regarde les murs de la ville avec un regard perdu et continue de marmonner des propos incohérents. Singer la prend par les épaules et la guide jusqu'à l'hôpital.
Quelque chose titille Singer. Son Instinct lui dit que quelque chose de louche se trame. Il scrute la rue autour de lui. Rien, mais il sent malgré tout une présence. Pour autant, celle-ci ne lui semble pas nécessairement hostile. Mais la plus élémentaire prudence lui dicte malgré tout de ne pas s'attarder. Après une vingtaine de minutes à marcher dans les rues déserte, l'hôpital est en vue.
Aux fenêtres, aucune lumière n'est allumée. Singer aide Johanna à monter les quelques marches menant à l'accès principal. La porte n'est pas verrouillée, mais quelque chose en bloque l'ouverture. Singer tente de l'enfoncer mais elle ne bouge pas. Enfin, pas assez pour leur permettre d'entrer. Pas de problème, dans une ruelle adjacente, il trouve une fenêtre accessible. Il la brise et s'introduit à l'intérieur. Ensuite, il aide Johanna à entrer à son tour.
Tout est noir. Il n'y a aucun bruit mais il flotte une odeur étrange. Comme... de la terre meuble, de l'herbe. En fermant les yeux, il a le sentiment d'être dehors, dans une... forêt. Il observe les réactions de Johanna. Elle demeure impassible. Il trouve un interrupteur. La lumière fut, mais...
Les murs autour d'eux sont décrépis. Ils tombent en ruine. L'hôpital n'est plus qu'une ruine envahi par la végétation. On voit le soleil briller à travers les fenêtres brisées. Johanna semble soudain triste. Elle se retient de pleurer. Tout en tentant de l'apaiser, Singer regarde autour de lui. En bas d'un des murs, juste au dessus de la plinthe, un graffiti. « La Bouche ne parlera plus. Pierre s'en est allé. »
La Bouche, Pierre... La chose dans la boutique lui en a parlé. Qu'est-ce que ça veut dire ? Il soupire. Il doit avant tout trouver un point d'extraction. Pour ça, appeler Contrôle. Un téléphone. La réception. En admettant qu'il y en ait un, il est peu probable qu'il fonctionne, mais il doit tenter le coup. Il prend la main de Johanna et quitte la pièce. Dans le couloir, tout est obscur. Tout semble redevenu aussi normal que possible. Il regarde la porte qu'il vient de refermer et n'ose la rouvrir.
OK ! Pas de téléphone à la réception. La question est réglée. Il doit pourtant contacter Contrôle, de toute urgence. Il est juste impossible qu'il n'y ait pas un téléphone dans un hôpital ! Traînant toujours Johanna derrière lui, il entre dans une chambre. Bonne pioche ! Il y a un combiné. Normalement, il ne devait servir que pour les communications internes, mais là... ça devrait marcher quand même. Il décroche. Il y a de la tonalité.
« Contrôle, nous sommes à l'hôpital. Vous pouvez nous extraire. »
Un cri lui répond.
« Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »

L'agent Singer se réveille quelques ??? plus tard dans une chambre d'hôpital, service de soins intensifs. Assis à côté de son lit, Contrôle l'observe. Il y a un mélange de tristesse et de méfiance dans son regard.
« Et madame Ackermann, elle va bien ? »
Oui, oui, répond Contrôle. C'est plus pour vous que je m'inquiète.
Comment ça ? C'est parce que je suis sensé être mort, comme vous avez dit ?
Non ! J'aimerais que vous me parliez de votre « contact » avec le Thanatrauma.
Pardon, de quoi vous parlez ? »

Demian est planté devant son PC depuis de longues minutes. Il réfléchit à ce qu'il va pouvoir répondre au dernier post de D. Maze sur son RP cyberpunk. Il a créé ce personnage d'Aaron Powl au peu au hasard. Ou plutôt non, ce n'est pas un hasard du tout. C'était un personnage joué lors d'une campagne d'INS/Delta Green. Il avait beaucoup aimé ce personnage et vraiment regretté que le joueur la quitte assez tôt dans la partie. Aussi, il avait bâti autour de ce personnage tout un back-ground et un clan, le clan Powl, dévoué depuis des générations au combat contre les Anciens. Aussi, ce n'était pas tant que ça un hasard s'il avait crée ce cyber-vaudou pour ce RP. Ah Cyberpunk le Futur Imparfait dont on adorerait qu'il soit quand même. Mais, 2020 approchant, on est bien obligé d'admettre qu'il ne sera pas. En fait, la situation semble même pire. Les mêmes inégalités, la même misère humaine et économique... mais sans les gadgets high techs.
Le futur... Demian voit... un hangar. Il est dans ce hangar. Il a froid. Il est nu. Les murs sont hauts et la lumière entre péniblement par des fenêtres sales. L'odeur est insoutenable. Le sol est recouvert de merde. Demian n'est pas seul. Un peu plus loin, d'autres enfant, comme lui (!) pataugent dans leurs excréments.
Une porte s'ouvre. Des créatures insectoïdes à tête de poisson osseux entrent. Elles sont immenses. Au moins 3 mètres de haut. Demian capte le regard incertain d'une d'entre elles. Il tente de se cacher dans un recoin d'ombre. Il observe les monstres opérer un tri parmi les enfants en fonction de leur sexe, dirait-on. Demian se blottit encore plus dans l'ombre. Il sait que l'un d'entre eux l'a vu. Pourtant, il ne semble pas attirer l'attention des autres sur lui. Pour autant, peut-il réellement lui faire confiance ? Bien sûr que non, c'est un Horlacanthe !
Demian réfléchit. Était-il déjà atteint de cette maladie faisant de lui un necrosexuel à cet âge ? Pourrait-il tuer ces monstres comme il a tué l'autre ?
Il a faim ! Soudain, la faim le dévore. Elle lui vrille les entrailles et il se rappelle de la douleur qui avait accompagné la « réorganisation » de son appareil digestif. Il peut les tuer en les baisant. Mais il peut aussi les manger. Sera-t-il assez fort pour cela ? Une pensée horrible lui traverse l'esprit. Et s'il acceptait de se laisser violer par ces monstres pour les manger ensuite ? Non ! Impossible! Il doit trouver une autre issue. Il se dirige vers la porte en bois la plus proche. Le Horlacanthe le suit du regard mais ne dit rien.
Demian n'en croit pas ses yeux. Des adolescents sont là, fixés sur des machines, leurs organes génitaux reliés à un horrible système de pompe extrayant leur foutre. Les Horlacanthes circulent au milieu d'eux, s'assurant du bon fonctionnement des machines, frappant et violant les enfants au hasard.ne cherchant pas à en savoir plus, il fait marche arrière.
Demian rampe dans la merde du grand hangar et ouvre une nouvelle porte. Derrière, ce sont des adolescentes qui sont retenues et violées par les machines des Horlacanthes. Certaines sont d'ailleurs enceinte et sur le point d'accoucher. C'est sans ménagement qu'elles sont conduites dans une autre salle.
Mais qu'est-ce que c'est que ce putain de cauchemar. Et là, il n'a même pas pris de drogue.
Ce n'est pas qu'il ne compatit pas quant au sort de tous ces enfants mais il se sent terriblement impuissant. Que peut-il faire contre l'incroyable puissance de la machine Cœlacanthe ? Rien ! Il ne peut rien.
La sensation de faim revient en force. L'espace d'un instant, il envisage de manger la merde qui jonche le sol. Il s'assoit par terre et porte son avant-bras gauche à sa bouche. Il en arrache un grand bout avec ses dents. Alors, le Horlacanthe s'approche. Il a un grand couteau et taille un large bout de chair dans la cuisse de Démian. Il découpe le morceau en deux et en tend un à Demian. Il dévore la viande crue et sanguinolente en se fixant droit dans les yeux.

Demian est de nouveau devant son PC. En musique de fond, la reprise du The Future de Prince par Lassigue Bendthaus. « I've seen the future and it will be ! »
Non ! Ce futur ne doit pas être !
Il se connecte et débute une scène de deal entre Aaron Powl et le réseau-média Alternative Reality Network. Si cette faction accepte de le faire bénéficier de son réseau de contact, il leur donnera la primeur de toute cette affaire. En effet, il sait que quelque chose d'horrible se trame et fera tout ce qu'il peut pour l'empêcher. Affaire conclue !
Et maintenant, et si ce D. Maze se révélait un allié plus utile qu'il en avait l'air...

NeinUnd était revenu sur les lieux du massacre. Là où les hommes en cagoule blanche avaient tué tous ceux, ou presque, du Clan des Arbres sans aucune pitié. Il se doutait qu'il n'était pas le seul survivant. C'était impossible. Il devait forcément y en avoir d'autres. Mais pour l'instant, il était seul. Seul parmi les cadavres. Il errait au hasard, reconnaissant chacun des visages paré du masque de la mort.
Siy, sa sœur, gisait là. Paradoxalement, son visage exprimait une impassibilité qui n'avait rien à voir avec sa fougue habituelle. Combien de fois avait-il dû la ramener à la raison, la retenir alors qu'elle s'apprêtait à se confronter aux dangers de la forêts en toute insouciance. Elle n'avait que faire des Horlas. Les mises en gardes des chamans glissaient sur elle. Avait-elle souffert ? On jurerait que non. Lui, il souffrait. Il avait envie de hurler mais se retint, de peur d'attirer les hommes en cagoule.
Tout en jetant des regards craintifs autour de lui, NeinUnd se mit à creuser le sol. Il savait que cela n'avait aucun sens car il ne pourrait pas offrir une sépulture décente à chaque membre du clan, mais il voulait quand même le faire pour sa sœur. Il utilise une sorte de pelle en pierre pour creuser la terre mais la force et le courage lui manquent. Et il a peur, peur que ces hommes reviennent. Le trou est peu profond mais suffisant pour qu'il y dépose Siy. Il se rappelle quand, petite, elle avait creusé deux trous dans lesquels elle avait « planté ses pieds ». Elle voulait prendre racine et, comme les chamans, devenir un arbre elle aussi. NeinUnd avait commencé par rire mais avait commencé à s'énerver comme elle refusait de bouger alors même que le soleil se couchait. Il avait fallu l'intervention et l'évocation d'une vieille légende mettant en scène Shubb-Niggurath elle-même pour qu'elle consente à sortir de terre. Maintenant, elle ne sortira plus jamais de terre. Puisse-t-elle prendre vraiment racine et donner naissance à un bel arbre. Puis, il éclate en sanglot. Non parce que sa sœur est morte, mais parce qu'il se souvient. Il se souvient de ce qu'il lui a fait. Il était jeune et ne comprenait pas. Il avait pris les mots des chamans au pied de la lettre et avait conduit Siy dans la forêt, de nuit. Curieux d'observer les esprits de la nuit, il s'était servi d'elle pour attirer... Il ne savait pas vraiment ce qu'il voulait voir. Mais il avait vu. Il avait vu le futur. La forêt était devenu un gigantesque abattoir et d'immenses Horlacanthes d'au moins trois mètres de haut s'étaient emparées d'elle. Ils l'avaient prise, forcée et rejetée. Et lui, il avait observé la scène les yeux et la bouche grands ouverts, sans un mot ni un geste. Il avait ensuite attendu longtemps que sa sœur reprenne conscience. Puis, il l'avait ramené au camp en lui jurant que tout cela n'était qu'un rêve. Mais, il avait vu le futur...
NeinUnd ne fait qu'enterrer sa sœur. C'est ce souvenir, sa culpabilité qu'il enterre. Il voudrait aussi que ce futur qu'il a vu reste sous terre et ne voit jamais le jour. Il s'en veut d'avoir infligé ça à Siy. Et il s'en veut de n'avoir jamais plus vu en elle par la suite que l'instrument, le jouet, de ce futur. Pendant des années, il s'est convaincu qu'elle était responsable de ce qui lui était arrivé et de ce qui leur arrivera à tous. Mais aujourd'hui, il sait que c'est lui le responsable de ce qu'elle a subi. Et les seuls Horlacanthes seront responsables de ce qu'ils infligeront aux humains. Ils n’avaient jamais évoqué cette nuit. Sauf une fois. Sa fougue joyeuse, ce jour là, s'était muée en une violence verbale et physique dont il avait l'objet. Personne n'avait compris pourquoi elle l'avait agressé ainsi, sans aucun motif apparent. Lui, n'avait rien fait pour se défendre. Il avait encaissé les insultes et les coups, sachant qu'il les méritait et espérant qu'elle ne dise pas à tout le monde à quel point il les méritait. Il se souvient également de la fois où elle avait interrompu un rituel clanique. Là aussi, il avait craint qu'elle ne dévoile tout. Mais elle s'était borné d'injurier les chamans, les traitant au mieux d'ignorants, au pire de menteur. Il avait fallu l'exclure du cercle. Ceux qui s'en étaient chargés devaient toujours porter les marques de griffures et de morsures qu'elle leur infligea.
Un jour, NoAnde leur fit part de sa volonté de devenir chaman. Il ne savait absolument pas d'où lui venait cette idée mais elle semblait profondément enracinée en lui. L'idée avait germé et la fleur de sa volonté était en train d'éclore. Il rendit visite à Siy et lui demanda de l'accompagner dans sa démarche car le Serpent-Fleur en avait décidé ainsi. Elle refusa, arguant qu'elle était la gardienne d'une tradition trop ancienne pour se perdre dans ces enfantillages. Quand NoAnde lui demanda de s'expliquer quant à ce blasphème, elle se contenta d'un nom : le Thanatrauma ! Le Thanatrauma ! Oh oui ! Quel terrible Horla avait-elle déchaîné cette nuit. Nul ne sait comment elle s'y était pris et les chamans eux-mêmes préférèrent mentir et taire le rôle de Siy dans cette catastrophe, mais le Thanatrauma avait déferlé sur le Clan des Arbres. Il avait infecté les rêves de chaque membre du Clan et il avait fallu consacrer bien des jours et des nuits à de pénibles rituels de purifications. NeinUnd avait alors pensé que Siy serait bannie. Mais les chamans n'en firent rien. Ils ne parlèrent jamais d'elle dans cette histoire alors même que NeinUnd était certain qu'ils savaient. Mais pourquoi, pourquoi la protéger ?
Siy était née le 18ème jour de Vomembres. Ce jour là, elle chantait « Y'avait les ruines de cet hôtel... Chaque chambre vous conduisait à un souvenir de votre passé. Est-ce que ça a réellement existé ? Et si... » Puis elle s'était arrêté de chanter et, très sérieusement avait repris « et si ce n'était pas un hôtel mais un hôpital, qui est le Patient 13 ? » Le même mois, elle avait de nouveau perturbé une cérémonie. Cette fois, elle avait brisé le cercle en arrivant le visage recouvert de sang. Elle avait peint le chiffre 13 sur sa poitrine dénudée. Elle tenait, dans une main un lézard, dans l'autre un serpent. Elle poussait des cris étouffés car elle avait rempli sa bouche de fleurs des bois. Elle recracha les fleurs quand elle fut ceinturés par les hommes qui tentèrent de la refouler. Alors, on comprit ses paroles. « Les bourreaux réduisent la douleur ! On ne respecte les serments envoûtant du SerpentFleur que pour échapper à la peur ! L'objet légendaire disparaît tous les un et un et un an. Car telle est la Vision du Lézard ! » NeinUnd se frappe le front du plat de la main et pleure.
NeinUnd regarde autour de lui. Il a le sentiment d'être observé. Les hommes encagoulés sont-ils revenus ou est-ce autre chose... Il ne voit rien, n'entend rien. Ce qu'il craint n'est pas dehors mais dedans, en lui. C'est dans sa mémoire. Ce sont ses souvenirs. Ce souvenir... Cette nuit où il l'avait rejoint. Elle dormait. Il l'avait observée pendant de longues minutes. Il regardait ses mains s'approchant du cou de la jeune fille, lentement, très lentement. Mais, elle avait soudain ouvert les yeux. Elle l'avait fixé froidement puis avait ouvert la bouche. « Demian décrit comment il met en fuite les dealers qui s'en prenaient à D. Maze. Il fait planer sur eux la menace des Lwas et du clan Powl. On se saura jamais vraiment laquelle de ces menaces a été efficaces mais les dealers s'enfuient. Pour autant, D. Maze n'est pas tiré d'affaire car Demian déclenche une scène de confrontation. Il entend en effet le faire renoncer à son enquête et déclare que son but va à l'encontre de la volonté des Lwas. Il est hors la Lwa ! Pour appuyer son propos, Powl agite sa cyberdread à la lame rétractable. D. Maze sent que l'albinos a des informations. Il enclenche tous ces cyber d'enregistrement et entend bien obtenir de lui autant de renseignements que possible. À la cyberlame, il oppose son pistolet à fléchettes. Il espère ne pas avoir à s'en servir, mais est-ce que ce sera suffisant pour intimider Aaron Powl ? »
Aucun sens. Cela n'avait aucun sens. Sa sœur était folle. C'était lui qui l'avait rendu folle. C'était à cause de lui. Et c'était à lui de remédier à ça. À lui de la tuer. Mais il avait été lâche et aujourd'hui, c'était tout le Clan des Arbres qui payait cette lâcheté car nul doute que c'était pour elle que ces hommes étaient venus.

L'agent spécial Haze est de nouveau appelé pour prêter main forte à la police d'Olympia. Un forcené s'est retranché dans un relais routier avec 7 otages. Pour l'instant, on ne sait rien de ses revendications. Il n'y a visiblement pas de mort à déplorer mais des coups de feu ont été tirés et on craint qu'il n'y ait malgré tout des blessés. Ayant été négociateur avant de devenir profileur, l'agent Haze est tout indiqué pour tenter de raisonner cet homme dont on ne sait rien et sauver les otages.
Le chef DiCompain a l'air des plus préoccupé lorsqu'il tend un téléphone à Haze. La communication est établie mais l'homme semble très très nerveux. Haze tente alors une approche assez classique visant à le mettre à l'aise. Il commence par se présenter. Il continue en tentant d'en savoir plus sur lui, sa famille, sa vie. L'homme vit seul. Il a 3 enfants. 2 filles et un garçon entre 2 et 10 ans. Cela fait très longtemps qu'il ne les a pas vu. Haze enchaîne afin de savoir si ses revendications concernent ses enfants justement. Mais l'homme exige en tout et pour tout pas moins de 10 millions de dollars. Haze explique que c'est une grosse somme mais s'engage à relayer et appuyer cette demande. L'homme, qui n'a toujours pas dit son nom, se crispe. Il n'en croit rien. Haze lui demande alors ce qu'il veut réellement. L'homme lui demande un hélicoptère. Haze interrompt la communication le temps, prétextant devoir en discuter avec le chef de la police locale. À peine Haze a-t-il raccroché qu'un coup de feu se fait entendre.
Haze attend quelques minutes. Il apprend qu'un otage a été tué. Il tente alors de calmer l'homme, de le convaincre de ne pas s'en prendre aux otages. On lui raccroche au nez. La situation est de plus en plus tendue. Haze rappelle aussitôt et l'invite à se calmer, à se détendre, à lui parler. Mais l'homme profère alors une suite de propos incohérents. Il déclare ne pas vouloir retourner à l'hôpital. Il n'est pas le 13ème. Tout cela n'est qu'une erreur, une tragique erreur ! Haze veut en savoir plus mais l'homme raccroche. Haze rappelle aussitôt. Il tente de gagner sa confiance en lui expliquant comprendre de quoi il s'agit. Lui aussi connaît cet endroit. À lui aussi, on lui a dit qu'il était le 13ème... Avant de raccrocher, l'homme demande de l'eau. Haze attend quelques minutes avant de rappeler. Il explique alors que les autorités sont prêtes à accéder à cette dernière demande à condition d'un geste de bonne volonté de sa part. Au bout du fil, l'homme paraît se détendre. Haze prétend alors que des policiers sont partis chercher des packs d'eau minérale. Mais l'autre s eplaint que ça ne va pas assez vite. Haze tente alors de gagner du temps en essayant de le faire à nouveau parler de ses enfants. Mais là encore, on lui raccroche au nez. Le clic du téléphonique est suivi d'un nouveau coup de feu. Haze rappelle et tend à s'emporter. « Mais qu'est-ce que tu veux à la fin ? Les gars sont partis ! » A l'autre bout du fil, la voix monte d'un cran dans les aiguës. « Je suis votre Mère Truie. Ceci est mon corps, mangez-en. Amputez mes chairs et regardez-les repousser, dessiner de nouvelles formes de vie. » Le tout suivi d'un rire strident, hystérique. Haze pense à la forêt... Il reprend d'une voix qu'il espère plus posée et lui redemande ce qu'il souhaite vraiment obtenir en agissant ainsi. Il l'assure que les packs devraient bientôt arriver. Alors, la voix de l'autre semble se fissurer. « Les Cœlacanthes... Protégez-moi... »
Il raccroche. Haze hésite à rappeler immédiatement. Mais la porte du relais s'ouvre et un homme corpulent d'une soixantaine d'année sort, les mains en l'air. Il tremble. Un otage vient d'être libéré, aussitôt pris en charge par les membres de l'équipe d'intervention. Haze rappelle et remercie l'homme pour son geste. Il lui explique qu'à partir de maintenant, s'il continue comme ça, tout va aller pour le mieux. Il suffit de garder son calme. L'autre semble acquiescer. Haze poursuit dans cette direction. Il souhaite ensuite en savoir plus sur cet hôpital et ces Cœlacanthes. Là, l'autre lui parle d'un sorcier vaudou. Lui connaît les Cœlacanthes et les Horlas. Tous les Esprits maléfiques de la forêt... Haze ne peut croire à une simple coïncidence. Aaron Powl ? Vous connaissez Aaron Powl ? » L'autre raccroche. Puis, il rappelle aussitôt, exigeant de la nourriture.
Haze craint que cette dernière ne suppose qu'il compte faire durer la prise d'otage. Or, plus le temps passe, plus grand est le risque qu'il tue. Il l'enjoint donc à garder son calme, expliquant que les hommes de la maintenance s'occupent à conditionner packs d'eau et nourriture. Après un silence, l'autre reprend. « J'ai menti. J'ai un otage en plus. » Et il raccroche aussitôt.
Haze informe le chef de cette nouvelle puis rappelle le preneur d'otages. « OK, on reste calme... De qui s'agit-il ? » D'une vois presque apaisée, l'homme répond. « Johanna Ackermann est avec moi. Elle n'a vraiment pas de chance. » C'est impossible ! Johanna Ackermann a été retrouvé dans la planque de Coleman. Elle est encore en service de soins intensifs. Elle ne peut pas être ici. Et comment connaît-il son nom ? Est-il lié d'une quelconque manière à Coleman ? Autant le lui demander. Mais il déclare ne pas connaître cet homme.
Haze tente alors de gagner du temps afin que des hommes de DiCompain s'introduisent dans le relais. En agissant discrètement, et pendant que Haze détourne l'attention du preneur d'otages, ils parviennent à exfiltrer deux personnes. Haze continue à tenter de l'apaiser. Il joue son jeu le plus qu'il peut et se laisse même aller à évoquer certains de ses échanges avec le personnage d'Aaron Powl dans son RP. Il prend cependant soin de ne pas prononcer le nom de Demian Hesse. L'homme semble se calmer. Alors, les hommes de DiCompain en profitent pour faire sortir les derniers otages.
Le forcené se retourne. Il se rend alors compte que ses otages ont été remplacé par des hommes du SWAT. Il a toujours le téléphone collé à l'oreille. Il lâche un soupir de lassitude. Sous la menace des hommes du SWAT, l'homme lâche son arme et se rend. On apprendra qu'il s'agit d'un certain Paul Singer. Johanna Ackermann n'était évidemment pas présente sur les lieux, mais Singer avait sur lui la clé de son appartement.

Il y a très longtemps, une partie de l'humanité a réussi à se protéger de l'apocalypse forestière et de sa folie. C'est in-extremis que ces survivants se sont réfugiés dans une flotte de zeppelins et montgolfières pour fuir l'expansion de Millevaux. Au fil des décennies, la flotte s'est stabilisée au dessus de la mer et s'est accrue de nouveaux engins. Au début, de simples ponts de cordes les reliaient. Puis, au fil du temps, des ponts de bois remplacèrent les cordages. Des plate-formes furent aménagées. On construisit des bâtiments de plus en vastes et confortables. La simple flotte était devenu une vaste cité volante. Elle tirait sa subsistance pour l'essentiel des produits de la mer. Puis, peu à peu, on réinventa la roue à aube, la machine à vapeur. On construisit des systèmes de désalinisation et d'irrigation. On vit apparaître des espaces agricoles, puis des jardins. Les habitants de cette citée ont le sentiment d'avoir été abandonnés par leurs dieux. Et les nouveaux dieux, ceux de Millevaux, sont leurs ennemis. Ne devant leur survie qu'à eux-mêmes, ils croient avant tout en l'homme et en la science et ces considérations teintent même leur spiritualité qui pend le plus souvent la forme de l'alchimie médiéval mâtinée de science à vapeur. Bien que vivant dans le confort, tous ont confiance de leur fragilité face à la nature. Aussi, la solidarité est très forte. Chacun fait sa part et chacun sera là pour autrui, pour préserver la cité et sa population. La plupart des conflits sont d'ordre scientifique ou philosophique. Il n'y a que peu de criminalité. Toutes les volontés et les énergies sont tournées vers les mêmes buts communs. Les décisions les plus importantes sont prises par un conseil de sages dont une partie est élue et l'autre tirée au sort. Élection et tirage au sort ont lieu respectivement tous les 4 et 6 ans.
Après des décennies à vivre aussi loin que possible de la forêt maudite, une expédition a pourtant été décidée à des fins d'observation. Pour des raisons très différentes, une écrasante majorité de la population est aujourd'hui animée d'une grande curiosité à l'égard de cette forêt que leurs ancêtre ont fui. Aussi, a-ton affrété une flottille de zeppelins et autres ballons chargés de matériels d'exploration afin de dresser un portrait de cet endroit qui, à tort ou à raison, n'apparait plus comme aussi effrayant que jadis.
Ce ne sont donc pas moins de 13 ballons de toutes sortes qui font route vers le continent dévasté. Tout s'annonçait pour le mieux jusqu'à ce que...
Roger se réveille la tête dans la boue. Il se relève et s'examine. Il constate qu'il n'est pas blessé. Roger ne ressent pas la douleur. Roger n'est pas un être humain. Il est un homoncule. Une sorte de golem. Un être artificiel composé de chair et de boue. Émergé ainsi de la terre semble pour lui comme une seconde naissance. Il regarde autour de lui. Des ballons déchirés sont accrochés dans les arbres. Les débris des nacelles éclatées sont répandus partout au sol. De l'ensemble de l'équipage, il est seul debout. Il se dit que c'est normal. Au sein de cette expédition, c'est lui l'homme fort, le porteur, le garde du corps. Il tente de reconnaître un visage amical parmi les corps les plus proches. La plupart sont méconnaissable .de vulgaires marionnettes désarticulées, mutilées et ensanglantées. Une vague de tristesse l'envahit. Il ferme les yeux et invoque ses Augures. La Horde de Cœur et de Sang. L'essaim aux Mille Mains et aux Milles Visages. Et pourtant, il est seul., comme toujours. L'homme marche seul face à la mort. De notre naissance à notre fin, nous sommes toujours seul. Ainsi va le monde. Roger est plus seul que jamais. Mais, est-ce grâce à ses Augures ?, cette solitude ne lui pèse pas. Il n'a aucune idée de ce qui a pu provoquer la chute de toute la flotte. Est-ce l'influence maléfique de Millevaux ? Roger regarde le ciel. Il ne voit pas sa cité, évidemment.
Roger commence par rassembler en un même endroit tout ce qui lui semble récupérable et utile parmi les débris. Il rassemble ensuite de quoi faire du feu et se construire une petite cabane. Il a trouvé des restes de nourritures. De la viande séchées, des fruits, des Noix. Pour l'instant, il se sent bien. Est-ce parce qu'il est composé en parti ede terre et d'herbe, il sent comme une résonance entre lui et son environnement. Il a le sentiment d'être tout autant un étranger qu'à sa place. Demain, il partira à la découverte de ce nouveau monde. De son nouveau « chez lui », de Millevaux.
Il finit par s'endormir malgré un léger bourdonnement au fond de son crane. Plusieurs fois durant la nuit, il a l'impression de ne pas être seul. Il entend des voix. Autour de lui, on parle. Quelqu'un évoque un hôpital. Le n°13. Trouver le n°13. Il doit trouver le Patient 13. Demain...

Roger se réveille de plutôt bonne humeur malgré la catastrophe dont il est l'unique survivant et le froid intense qui règne ce matin. La solitude ne lui pèse pas. Au contraire, il a le sentiment qu'être seul désormais le rend plus... disponible pour l'ensemble de son environnement. Il sent paradoxalement, en raison de sa nature d'homoncule, tout à la fois en état d'altérité totale et partie prenante, une composante même de cette forêt. Après avoir mis un peu d'ordre dans son campement de fortune, il décide de partir à la découverte de son nouveau chez-lui.
Après une petite heure de marche, Roger découvre un ensemble de 7 chalets en bois, ou plutôt ce qu'il en reste. Ils sont en effet à l'abandon depuis manifestement longtemps. La plupart des toits sont effondrés. Ils sont tous envahis par la végétation. Tous ? Non... Ce chalet est certes lui aussi à l'abandon mais, pourtant, il est épargné par la végétation. Roger entre.
À l'intérieur, il règne une odeur étrange et indéfinissable. Toutefois, elle n'est pas désagréable. Il y a là plein d'objet que Roger devine destinés à un travail scientifique mais il est incapable d'en identifier le moindre. Pourtant, certaines de ces machines lui donnent l'impression de pouvoir encore fonctionner. Il trouve des livres et des brochures mais tous sont rédigés dans une langue qu'il ne connaît pas. « la Langue Putride... » lui murmure dans la tête la même voix que la veille. Par réflexe, Roger se retourne, mais il sait bien qu'il est seul dans ce chalet. Il sent alors monter en lui un sentiment de colère. Il a le sentiment d'avoir perdu quelque chose. Mais quoi ? Il avait découvert quelque chose, récemment... Et il l'a perdu ! Sa mémoire lui jouerait-elle des tours ? Et si... Il examine alors ses poches. Un entrelacs de fil de fer enserrant une bille de verre sombre. Un talisman. Roger le porte devant ses yeux. Il y a quelque chose dans la bille, mais quoi ? Cela semble bouger. Une forme longue et annelée. Un... ver ? « Ta mémoire... » lui souffle la voix. Roger se sent alors en proie à une soudaine migraine. Il regarde autour de lui. Rien, hormis tout cet attirail dont il n'a aucune idée de la fonction. Il y a encore quelques minutes, il envisageait d'appuyer sur quelques boutons, juste pour voir. Mais maintenant, il veut juste quitter ce chalet. Il se met à courir et s'assomme en percutant un mur de rondins.
Quand Roger reprend conscience et sort de ce chalet, la lune est pleine mais à moitié cachée par les nuages. Les étoiles brillent. Certaines plus que d'autres. Il sent, il sait qu'il y a là un message mais il est incapable de le comprendre. Alors, la solitude lui pèse. Il aurait besoin d'un compagnon pour l'aider. Son créateur ? Il est resté dans la cité flottante... ou bien est-il mort dans le crash de l'expédition ? Il ne sait plus. Il tente de retrouver son calme en se concentrant sur ses Augures. La Horde de Cœur et de Sang. L'Essaim aux Mille Mains et aux Mille Visages. Lui qui s'est toujours senti si seul... et qui aimait ça... Ici, c'est ici qu'il va apprendre, qu'il doit apprendre à faire parti d'un tout. Il s'accroupit et plante ses mains dans la terre. Il ressent un vague fourmillement. Il se passe quelque chose... Il se concentre, espérant de nouveau entendre cette voix.
« Contrôle, nous sommes à l'hôpital. Vous pouvez nous extraire. »
Un cri lui répond.
« Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »
Et maintenant, Roger sait. La voix s'appelle NoAnde. Mais, il n'est plus du tout sûr qu'il s'agisse vraiment d'un ami...
Un peu plus loin, il distingue un autre bâtiment surmonté d'une croix. Roger décide d'y passer la nuit.

Roger ne reconnaît pas le lieu où il se réveille. Il est de nouveau dans cet étrange chalet en ruine qu'il a quitté (fui?) la veille. Mû par une angoisse incompréhensible, il sot en courant. Ses pas le mène jusqu'à une clairière. À sa gauche, un lac. Au centre, un totem de plus de 3 mètres de haut. Des animaux sont représentés les uns au dessus des autres. Autrefois, ils ont été peint de couleurs vives. Aujourd'hui, la peinture s'écaille et on voit très nettement dessous le bois rouge dans lequel ils ont été sculptés. Roger pose la main dessus et ferme les yeux. Il entend le cri d'un corbeau. Il éprouve alors une sensation de chute vertigineuse. Mais ce n'est pas lui qui chute...

Demian tombe au milieu de très hauts arbres à l'écorce et aux branches suintantes de sève sanguinolente. Au-dessus de sa tête, une lune ronde, glaciale et sanglante, parcourue par le vol noir des corbeaux. Avec lui tombent des cadavres, hommes, femmes, enfants qui ont connu une mort brutale : ils ont été brûlés vifs, décapités, éviscérés ou embrochés. Tous murmurent : « J'étais innocent ».
Perché dans les branches, un homme observe la scène. Son visage affreusement déformé évoque une caricature de tête de corbeau déplumée, une gueule allongée et brisée en guise de bec, des poils épars en guise de plumes, des yeux hybrides.

Demian tente de se raccrocher aux branches. Malgré le sentiment d'impuissance que lui procure la chute, il se sent investi d'un force toute nouvelle. Il sent aussi le regard de la Mort se poser sur lui. Mais il n'en retire aucune crainte. Au contraire, la Mort est son alliée. Il sent, il sait que c'est grâce à elle qu'il parvient à se saisir de cette branche et à se rétablir avec autant de grâce que...

Roger pousse un petit cri. Une douleur aiguë lui vrille le crâne. Il retire aussitôt la main du totem et ouvre les yeux. Qui est cet homme ? Qui est cet homme qui tombe ? Et qui est cet homme à tête d'oiseau déplumé ? Il regarde autour de lui. Rien. Au dessus ? Loin, haut dans le ciel, est-ce un oiseau ou... ?

Demian s'assoit sur une branche. Il observe. L'être à tête de corbeau n'est plus là. Il ne le voit plus mais sent qu'il est proche. Il regarde au sol, les cadavres qui tombaient avec lui ont disparu. Demian descend de son arbre.
Par terre, envahie par la végétation, une carcasse de voiture. À l'intérieur, un corps ensanglanté. Demian reconnaît son père. Il ne parvient pas à détacher son regard de son visage dont la symétrie a été rompu par le choc de l'impact. Il se rappelle. Même après être passé entre les mains du thanatopracteur, le visage de son père portait toujours les stigmates de la collision. Il tend la main mais n'ose toucher le corps. Soudain, une horde corbeaux font sur la voiture. Demian n'a que le temps de se jeter en arrière. Il se couvre les oreilles pour ne pas entendre le fracas de leurs cris auxquels se mêlent le crissement de leur bec et de leurs griffes contre l'acier et le verre. Tout tremble. Il s'enfuit en courant.
Demian atteint ce qui semble la fin de ce bois maudit. Au loin, il devine quelques modestes masures. Soudain, comme sorti de nul part, un enfant lui fait face. Il connaît cet enfant. Un petit gros à lunettes. C'est lui, quand il avait une dizaine d'année. L'enfant lève la main et plie ses doigt. Seul l'index reste dressé. Il ouvre la bouche :
« Début juillet 2018, la police d'Olympia (état de Washington) interpelle Paul Coleman dans le cadre d'une affaire de meurtres en série. On le soupçonne d'être l'auteur de neuf meurtres précédés de kidnapping et tortures. Il se laisse docilement conduire au commissariat où l'agent spécial Haze du FBI entend procéder à son interrogatoire. Après avoir proférer des paroles vides de sens dans le même style que les messages qu'il avait laissés sur les scènes de crime, Coleman se suicide d'une balle dans la tête tiré à l'aide de... son index droit. »
Un monstre surgit ! Il est couvert de poils noirs terminés par de petites bouches, avec de grandes parties sans poils qui montrent une chair de poule garnie de plis et de sphincters. Il agrippe l'enfant avec ses pattes de poulet et son bec de corbeau en disant : « Enfant menteur, je t'emporte avec moi dans les marais et je vais te punir ! »
Demian sent qu'il pourrait, qu'il devrait intervenir. Mais il n'aime pas l'enfant qu'il était. Alors, il le laisse partir entre les griffes du monstre. Il se met alors à tourner sur lui-même. Sa vision se trouble. Le décor change. Il voit. Il est dans une clairière. Dans son champ de vision apparaît par intermittence un vieux totem indien. Il y a un homme aussi. Enfin, presque un homme. Il est grand, grossier, recouvert de terre et de branchage. Leurs regards se croisent.
Demian se réveille dans sa chambre. Il est allongé dans son lit. Les draps sont humides,souillés d'une sueur désormais froide. À côté de lui, assis par terre, un homme se lève. C'est le même homme à tête de sanglier qu'il a déjà vu. L'homme ne dit mot mais Demian sait maintenant qu'il s'appelle NoAnde. Il sait aussi que l'autre homme, à côté du totem, s'appelle Roger. Mais ce n'est pas NoAnde qui le lui a dit.
Demian voudrait se relever mais il est littéralement cloué à son lit. NoAnde est maintenant debout. Il lui tourne le dos et sort de sa chambre. Un flash illumine la pièce à travers les volets baissés.
Demian retombe inconscient. Ses seules sensations sont celles de son corps soumis de violents spasmes et de sa tête minée par une effroyable migraine. Il a envie de vomir.

Nous ne pensons pas. Nous ne parlons pas. Ne faisons que marcher, courir, manger, nous nourrir. Nous sommes les Antigens. Nous ne pensons pas. Nous sommes les organes dispensables de la pensée du Thanatrauma.
Nous parcourons les bois à la suite de nourritures. Elles sont armées. Elles tirent et s'enfuient. Des Antigens tombent. D'autres non. La pensée du Thanatrauma nous anime. Nous courons. Il y a encore des coups de feu. Certains d'entre nous ne se nourriront plus. Mais certaines d'entre elles non plus. Deux autres nourritures tombent entre nos griffes. Le Thanatrauma compte trois cerveaux. Plus que 10...

Roger se sent moins à l'aise dans cet endroit. Il décide de s'éloigner des chalets. Il dépasse l'édifice où il avait passé la nuit et se retrouve dans ce qui a dû être, à une autre époque, un gymnase. Il reconnaît le marquage au ¾ effacé au sol. Il y a là plein de meubles en autre objets, tous quasiment inutilisables. Roger ouvre une des 3 portes qui se présentent à lui. Il entre dans une espèce d'office. Il farfouille et trouve plusieurs couteaux de cuisine. Il en éprouve le tranchant et jette son dévolu sur une lame d'environ 15 cm de long.
Roger retourne devant le totem. Il ne sait pas pourquoi mais cet endroit l'endroit l'attire. Peut-être est-ce la proximité de cette étendue d'eau dont il n'ose pourtant s'approcher. Observant son regard dans le reflet de la lame, il tente de mettre de l'ordre dans ses idées. Il est donc l'unique survivant d'une expédition lancée par la cité volante en vue d'explorer la forêt maudite de Millevaux. L'intégralité de la flotte a été abattue. Par qui et pourquoi ? Il l'ignore. Il a le sentiment depuis que l'écoulement du temps est devenu plus flou. Il a l'impression que des pans de sa mémoire ne lui appartiennent plus vraiment. Il s'est réveillé dans un autre endroit que celui où il s'était endormi. Il entend des voix. Il a des visions. Est-ce cela malédiction de Millevaux. Où est-ce juste cet endroit sous l'influence de cet étrange totem ? Et qui sont ces gens qui peuplent ses pensées ? NoAnde, Demian, le Thanatrauma...
Roger est soudain la proie d'une violente migraine. Des mots l'agressent au plus profond de son crane. C'est NoAnde ?
« Il vient de la Cité Bleue ! »
Non, pourtant... ça lui ressemble...
« ''Fange, ornières, bourbiers. Progresser dans l'infâme mangrove. Sables mouvants.
Suffocation. Déchetterie de la mégafaune. La forêt de merde'' Qu'est-ce que ça veut dire ? Et qui est Paul Singer ? »
Le Magicien sourit. Il est à l'aise. Il hume la fumée de son café et en boit une gorgée.
« Paul Singer se rendra dans la Cité Bleue. La Forêt gagne du terrain. La nature est une Torture. Je ne connais pas le nom de celui que tu cherche. Mais tu le trouveras dans la forêt, derrière l'hôpital en ruine. Tu es un gardien de la Lwa. Méfies-toi des Horlas et crains les Cœlacanthes. »
Non, ce n'est pas NoAnde. Mais qui ? Qui est le Magicien ? Qui est Paul Singer ? Les Lwas, sont-ce les esprits représentés sur ce totem ? Un hôpital en ruine ? Il y aurait donc eu un hôpital ici ? Roger regarde autour de lui. Nulle trace d'un hôpital. Il se penche et se sait de l'étrange collier qui pend à son cou. Quelque chose bouge dans la bille de verre sombre. Et soudain, la solitude lui pèse. Si lourdement. Ressentirait-il... de la peur ? Cet endroit lui fait peur. Et il est seul. Il comprend mieux maintenant la puissance des ses Augures et s'en veut de les avoir combattus en mettant la solitude sur un piédestal. Ce n'est qu'au sein de la Horde, de l'Essaim qu'il ne sera en sécurité. Et si c'était cela, le cadeau de Millevaux ? Lui avoir fait comprendre cela...
Roger se prend la tête au propre comme au figuré. Avant, il aimait être seul, perdu dans ses pensées au milieu de la foule de la cité volante. Il s'y sentait en sécurité et... supérieur. Ici, seul dans la forêt, en proie à un tourbillon de pensées et de visions qui ne lui appartiennent pas, il se sent perdu et vulnérable. C'est ici et maintenant qu'il ressent la force et la sérénité que vous confère l'appartenance à l'Essaim. Dans la Horde, on est jamais seul. Dans l'Essaim nulle pensée parasite n'éveille l'angoisse. Finalement, était-il vraiment heureux là-bas ? Et si ses sentiments de force et d'intelligence n'étaient que des illusions, des masques destinés à dissimuler sa peur. Sa peur de quoi ? De se perdre dans l'Essaim ? Il a l'impression d'avoir été un enfant en pensant cela. Et maintenant, alors qu'il se sent prêt à remiser toutes ses considérations égotistes, il a le sentiment, en étant prêt à ce renoncement à accéder maintenant, véritablement à un stade supérieur. Mais, où est la Horde qui le délivrera des affres et des tourments de son individualité ?
Roger lève la tête vers le sommet du totem. Il a envie de l'abattre mais des larmes de rosée perlent de ses yeux. Quelques chose approche. Il le sent.

« La nature a repris ses droits ! »
Pourquoi ce message ? Demian ne comprends pas. Ce post n'est pas joué par D. Maze mais par un certain... NoAnde !! Ce nom lui dit quelque chose mais impossible de se rappeler où il l'a l'a entendu. À moins qu'il l'est lu quelque part... Mais qui se cache derrière ce personnage ? Un autre personnage au pseudonyme emprunté à un manga à la mode... Que vient-il faire dans ce RP ? Et où est D. Maze ? A-t-il validé ce personnage ?
Demian décide d'arrêter de se prendre la tête plus que nécessaire et décide tout simplement de lire le post de ce NoAnde.
« Flash-back en noir et blanc. Une jeune femme tend la main à un cyborg tombé sur le trottoir. Il pleut des cordes. Soudain, une explosion ! Un océan de bulles chacune renfermant un clone. »
Demian ne comprend rien. Assis devant son écran, il se masse le menton du bout des doigts et se dit qu'il devrait penser à se raser. Mais il se demande surtout comment se dépatouiller de ce post étrange. Et là, il a une idée. Une scène de deal ! Il range l'exemplaire de Vertical dont il vient de consulter deux tableaux et s'empare de Remember Tomorrow. Il envisage de mettre un peu d'ordre sur son bureau mais renonce. Penché sur son écran, il réfléchit. Aaron Powl va conclure un deal avec les Lwas. Il va leur demander ce que signifie ce message et en échange... Il verra bien ce que les esprits lui demandent.
Demian va donc créer la Faction des Lwas. Il se dispense de consacrer une scène à leur Introduction car ils ont déjà été mentionnés dans le RP. Il se borne à remplir la fiche. Il fera quand même un jet d'XP, c'est quand même mieux. Il tire leur motivation au hasard en recourant à Muses & Oracles. Il s'avère que les Lwas veulent retrouver leur richesse. À leur propos, il est peu probable qu'il s'agisse d'or et d'argent. C'est certainement quelque chose de plus symbolique, métaphysique. De plus, n'oublions pas qu'eux et Aaron sont du même bord. Mais bon, ils veulent retrouver leur richesse. Ils sont « en colère ». On peut penser qu'ils le sont contre ceux qui leur ont dérobé leur richesse. S'agit-il des Horlas et des Cœlacanthes ? Demian réfléchit. Les Lwas sont des esprits de la nature. Les Horlas aussi, mais eux sont surtout une corruption. Les Lwas incarnent un certain ordre, une certaine harmonie mise à mal par les Horlas. Et si les Cœlacanthes étaient en quelque sorte les bras armés des Horlas dans cette corruption de la nature. Cela expliquerait pourquoi il devrait se méfier de la Nature. La Nature reprend ses droits, mais de quelle Nature parle-t-on ? Demian jette à nouveau 2D6. Les Lwas sont donc en colère mais ils sont aussi « confus ». C'est très probablement dû à la montée en puissance des Horlas. Peut-être aussi que les Lwas s'interrogent quant à leur propre légitimité. Doit-il nécessairement y avoir un ordre à la Nature. Ou un ordre qu'on puisse opposer à un désordre. Et si la Nature ne pouvait être qu'ordonnée puisque ces règles sont nécessairement celles de la Nature justement. Dans ce cas, les Horlas ont-ils vraiment tort. Ils ne seraient que l'affirmation d'un autre ordre tout aussi légitime. Les Lwas, finalement, ne lutteraient pas tant pour préserver l'ordre que pour se préserver eux-mêmes. La Nature est en perpétuelle évolution. Il est peut-être temps que les Lwas quittent la scène ? D'ailleurs, dans un RP cyberpunk, on ne peut pas vraiment dire que la Nature soit la grande vainqueur. Dans ce cas, du point de vue de la Nature, les Horlas et les Cœlacanthes sont ses sauveurs, ses vengeurs...
Demian a l'impression de toucher quelque chose. Mais, pour l'instant, il ne veut pas aller plus loin. Il veut juste savoir ce que les Lwas ont à lui apprendre et ce qu'ils vont lui demander.
Aaron Powl est chez lui. Il accomplit les rituels de purification nécessaires à la communication avec les Lwas. Il lance ensuite une musique aux rythmes propres à le mettre en transe. Seul, au milieu de son salon, Aaron Powl se met à danser, de plus en plus vite. Il n'a pas voulu recourir à la Noix. Il doit donc danser longtemps. Il est en nage. Sa vision se brouille. Des pics lui transpercent le crane. Il voit un vieux totem indien. À son cou pend une breloque. Un bille de verre sombre dans un entrelacs de fil de fer. Quelque chose bouge à l'intérieur de la bille. Il entend des voix. Elles sont en colère. Elles sont confuses. Elles sont les Lwas. Il sait que NoAnde tente de lui parler. Mais les voix des Lwas couvrent la sienne.
« La nature a repris ses droits ! Flash-back en noir et blanc. Une jeune femme tend la main à un cyborg tombé sur le trottoir. Il pleut des cordes. Soudain, une explosion ! Un océan de bulles chacune renfermant un clone. » Qu'est-ce que ça veut dire ?

« Contrôle, nous sommes à l'hôpital. Vous pouvez nous extraire. »
Un cri lui répond.
« Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »

Aaron Powl pousse un cri. « Noooooooon !!!!!!! »
Il s'écroule. Loin, très loin, les Lwas lui parlent. Ils crient, ils hurlent. Mais Aaron Powl n'entend qu'un lointain murmure.
« Aaron, un artiste de la guerre, impatient, avide... Il pense combattre une puissance très ancienne avec de l'argent. Il va s'en prendre à toi, Aaron, lors d'un voyage. Tu dois perdre pour gagner... »

Aaron Powl est resté inconscient pendant près de 3 heures. Quand il se réveille, il a une migraine pas possible. Pourtant, il sait ce qu'il a à faire. Il doit partir en voyage... et perdre. Alors, les Lwas lui révéleront leurs secrets.

Nous courons. Nous mangeons. Nous courons. Nous mangeons. Nous sommes les Antigens, le véhicule de chair morte du Thanatrauma. L'homme en noir tire. Deux Antigens tombent. Le Thanatrauma avance. L'homme en noir et la femme montent dans le bus. Le bus démarre. L'homme en noir tire. Deux autres Antigens tombent. Les autres antigens se jettent sur la nourriture qui n'est pas montée dans le bus.
Les Antigens sont heureux parce qu'ils mangent. Le Thanatrauma ne l'est pas car il n'a toujours que 10 cerveaux.

Roger détourne son regard du totem et le pose sur la petite étendue d'eau sur sa gauche. Il y a un îlot au milieu. Pour autant, il a peur. Peur de l'eau. Ce n'est pas chez lui. La terre, c'est chez lui. Pas l'eau. Il préfère donc poursuivre son exploration des lieux en prenant le chemin qui s'offre tout droit devant lui. Là, il prend conscience que la solitude commence à lui peser, qu'elle ne peut plus être conçu comme une fin en soi. Oui, l'homme est toujours seul face à la mort, mais seulement face à elle. Pour les reste, il y a la famille, le clan, la tribu. L'essaim et la Horde. Perdu dans ses pensées, il perçoit un bruit mais ne parvient pas à en déterminer l'origine. Il ne voit rien autour de lui. Puis, une ombre.
Roger fait une roulade et évite in extremis l'attaque d'un énorme corbeau. L'oiseau prend de l'altitude et pique à nouveau sur lui. Roger l'évite de nouveau d'un bond mais se retrouve cloué au sol par une nouvelle crise de migraine. Ce bourdonnement est affreux. Il voit...

...Demian est de nouveau dans la forêt. Il voit. Il SE voit. Il est là, face à ce Horlacanthe qu'il viole pour le tuer. Il SE voit dans cette fosse remplie de boue et de merde. Il SE voit faisant le tour de la voiture dans laquelle son père est mort. Il ne l'a jamais vu en vrai. Mais là, il la voit. Elle est envahie par les feuillages. Le corps de son père, au visage fracassé, est là, lui aussi en proie à la végétation qui se teinte de son sang.
Demian se frappe au visage. Il ne sait pas si c'est pour se réveiller ou s'assommer mais il ne veut plus voir ça ! À la périphérie de son champ de vision, l'homme-sanglier est là. Il est nu. Du pus s'échappe de chacun de ses orifices. Sans tourner la tête dans sa direction, Demian lâche entre ses dents : « Je te vois... »
« Je sais, répond l'homme-sanglier. Tu me vois car tu vois les morts. Tu es à cheval sur la Limite. La Limite entre les mondes. Tu vois les morts. Tu peux leur parler, entendre leurs pensées. Je suis mort et j'ai besoin de toi. Je suis mort et j'erre dans un temple-prison dont je dois Le libérer. J'ai besoin de toi pour activer la Structure, le Schème. Alors, la Porte s'ouvrira et conduira au temple-prison. Le Patient 13, tu dois le trouver.

Roger se relève péniblement. Il regarde autour de lui, à l’affût du moindre mouvement trahissant une attaque du corbeau. Le bourdonnement est plus intense. Il se concentre. Il sent une présence. Plusieurs présences. Il ne veut pas les sentir. Il veut les voir ! Et il voit !
Ils sont là. Ils sont partout ! Les morts ! Les Antigens ! Encore 10 cerveaux avant le Patient 13. Les Antigens pointent leurs doigts décharnés et ensanglantés vers lui. Ils le désignent, montrent quelque chose. Le talisman. Il l'arrache de son cou et le brandit dans leur direction en criant.
« Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que vous voulez ? »
« La Structure, le Schème... Plus que 10 cerveaux... Nous sommes les Antigens, je suis le Thanatrauma. »
Soudain, les Antigens se redressent et se figent. Ils pointent encore leurs index en direction de Roger, du Talisman. La voix du Thanatrauma retentit encore.
« Ceci est la Structure, le Schème. Encore 10 cerveaux et le Patient 13... »
Sa voix change.
« La nature a repris ses droits ! Flash-back en noir et blanc. Une jeune femme tend la main à un cyborg tombé sur le trottoir. Il pleut des cordes. Soudain, une explosion ! Un océan de bulles chacune renfermant un clone. »
Dans le ciel le corbeau crie. Les Antigens, tel un seul homme, lèvent la tête dans sa direction. Le corbeau s'en va. Le tonnerre gronde. La pluie se met à tomber. Une jeune femme parmi les Antigens, la robe déchirée, recouverte de boue et de sang, s'approche de Roger et lui tend la main. Le golem sent ses jambes trembler. Elles peinent à le porter. Le cadavre sourit. Dans sa main, elle tient une Noix. Dans le Talisman, le Ver Gris s'agite.
« Je suis la jeune femme. Tu es le cyborg. Ceci est la bulle. Les clones sont les holo-fragments de l'identité éclatée de Demian. Ceci est la Structure, ceci est le Schème. Plus que 10 cerveaux et le Patient 13... Où est Paul Singer ? Il devrait être là... »

Un vieux tribunal aux gradins vermoulus, envahis par des champignons blancs géants et des toiles d'araignées. Partout, des humains empaillés dans des postures diverses.
Perchés dans de hautes tribunes, des juges et des avocats à têtes de corbeaux, en toge noire et perruque poudrée. Dans les gradins, des corbeaux. Sur le banc des jurés, des têtes de corbeaux.
Pendue à un lustre de branchages garni de bougies tremblotantes, la Magicienne, avec un pénis en érection et des seins perlant de lait. Dans la flaque de foutre, un tubercule humanoïde a poussé : Roger ! Demian !

Demian émerge de la semence. Il ne reconnaît pas son corps. Pas complètement. Il est mi homme-mi... terre. Des plaques d'écorces recouvrent ses bras, sa poitrine. Des feuillages et des brindilles ont remplacé ses poils et ses cheveux. Il regarde l'étrange collier qui pend à son cou. Dans la bille de verre, un Ver s'agite. Autour de lui, tout le monde est figé. Il comprend. Ce silence est sensé lui être insupportable au point qu'il le rompe lui-même et confesse ses fautes. Quelles fautes ?
La Justice est une illusion, le tribunal est son petit théâtre. Il a eu des cours là-dessus en fac. Il ne se laissera pas impressionner. Il se redresse et fait face fièrement à ses juges. Il les défie du regard. Inconsciemment, il porte la main au Talisman. Alors qu'il le manipule, un bourdonnement se fait entendre. Demian ne parvient à déterminer sa source. Il se concentre. Ils sont là, tout autour de lui, il les voit. Les morts. Les Antigens. Le Thanatrauma !
Les corbeaux sortent alors de leur immobilisme. Un vent de panique souffle dans tous le tribunal. Demian se jette sur un corbeau. Il le saisit par les ailes qu'il écarte le plus largement possible et empale l'oiseau sur son sexe en érection.
« Je suis Demian Hesse et Aaron Powl. Je suis Damon Haze et D. Maze. Je suis Paul Singer et Paul Coleman. Je suis NoAnde, NeinUnd et Siy. Je suis Roger et Johanna Ackermann. Je suis le Thanatrauma et les Antigens. Je suis... Je suis !!! »

Et la voix du Thanatrauma retentit dans tout le tribunal.
« 13 ! 13 cerveaux pour le Patient 13 ! Tu es la Structure et le Schème. Tu es le Patient 13 !
Les portes s'ouvrent ! »

Demian vomit. La migraine est atroce. Roger est seul, à genoux sous la pluie. Les Antigens sont là eux aussi. Autour de Roger, autour de Demian. Demian leur fait signe de partir. Roger leur fait signe de s'approcher. Demian souffre le martyre. Roger se sent libéré. L'ancrage qui l'entravait vient de voler en éclat. Demian est dévoré par la migraine la plus atroce à laquelle il est jamais dû faire face. Il est dévoré par une faim à laquelle il ne peut répondre qu'en s'arrachant un bout de la chair de son avant bras à grands coups de dents. Demian est en guerre contre la souffrance et contre lui-même. Roger est en paix. Il tend la main vers la Horde, vers l'Essaim et la Horde, l'Essaim, l'accueillent en souriant. Les morts accordent la paix à Roger. Demian ne peut se résoudre à mourir. Le bras et la bouche en sang, il erre dans son appartement envahi par la végétation en hurlant. Il se frappe la tête contre les murs. Il appelle à l'aide. Il appelle NoAnde. Il appelle Shub'Niggurath. Il invoque la Structure et le Schème. Il...

A bout de souffle, Paul Singer finit par arrêter de courir. Il se retourne et constate que Johanna Ackermann est toujours derrière lui. Les zombies, par contre, semblent avoir abandonnés leur poursuite. Un répit ?
Devant lui, un bâtiment en ruine ressemblant étrangement à l'hôpital de Blue City. Mais il n'est plus à Blue City. Il est à Millevaux. Il ne sait pas trop comment ils sont arrivés là Johanna et lui. C'est à cause de l'hôpital et du Thanatrauma. C'est à peu près tout ce dont il est sûr. Ils échangent un regard avec Johanna. Elle lui sourit. Ils entrent.

À l'intérieur, tout n'est plus que ruines abandonnées à la végétation. Les racines des arbres percent le sol. Les branches crèvent les plafonds. Le lierre court le long des murs. Certains se sont d'ailleurs écroulés. La plupart des fenêtre sont brisées. Pourtant, la lumière n'entre pas. On y voit à peine dans ces couloirs. Le silence règne. Singer se retourne et prend la main de Johanna.
Ils n'ont pas eu le temps de beaucoup discuter. Tout c'est passé très vite. Blue City, le Thanatrauma, les Antigens... Singer sait qu'elle a été kidnappé par un tueur en série. Il sait aussi qu'elle est la seule à avoir été retrouvée vivante. Il sait donc qu'en théorie, elle n'avait rien à faire à Blue City. Et pourtant... Il voudrait lui poser la question, savoir si elle sait pourquoi elle est ici, avec lui, pourquoi Coleman ne l'a pas tuée. Mais il sent bien que ce serait indélicat. Et puis, dans l'immédiat, il faut trouver un moyen de sortir de Millevaux. Visiblement, c'est comme ça que cet endroit s'appelle. Pour s'éjecter, il lui suffit de faire appel à Contrôle. Mais elle ? Comment s'est-elle retrouvée à Blue City sans y avoir été envoyé par la Compagnie. Il semblerait qu'il y ait une porte ici. Il faut la trouver. Et un certain Patient 13 aussi. Et tout ça avant que ce Thanatrauma ne leur mette la main dessus.
Ils entrent dans ce qui a dû être un bureau. Le meuble donnant son nom à cette pièce git d'ailleurs, renversé dans un coin. Singer tourne la tête vers une vitrine éclatée. À l'intérieur, une collection de cranes difformes recouvert de mousse et de moisissures. Johanna, quant à elle, s'est approchée du bureau et tente d'ouvrir un tiroir coincé par l'humidité. Singer le débloque d'un coup de pied. Vide ! Rien de très étonnant finalement. Mais Singer se dit qu'il reste peut-être des dossiers quelque part. S'ils sont bien dans un hôpital, il doit bien rester quelques traces des dossiers des patients, dont ce fameux Patient 13. Autant commencer par ce bureau...
Johanna et Singer entreprennent donc de fouiller cette pièce, surtout ce qui reste des étagères et de la bibliothèque. Mais rien concernant les patients. Rien d'utilisable en fait. Singer réfléchit. Qui dit dossiers, dit archives. Qui dit archives dit lieu de stockage. Et les archives, on les stocke au sous-sol ou au grenier, non ? Johanna acquiesce. « OK ! On commence par le sous-sol. »

« C'est pas vrai ! »
Singer est dégoûté. De toutes les portes qu'il aurait pu ouvrir au hasard, il a fallu que ce soit celle de la morgue. Enfin, de l'ancienne morgue. Le sol est recouvert de terre. Il en émane une forte odeur de putréfaction que ne couvre pas, ou plus, une légère odeur d'alcool. Certaines des pierres constituant les murs se sont vues déchaussées sous l'action de racines. Derrière lui, Singer entend un bruit sourd. Johanna Ackermann vient de s'écrouler au sol. À moitié assise par terre, elle rampe jusque contre un mur. Elle semble effrayée. Il se retourne et voit...
Dans un coin de la pièce, vide jusqu'à présent, une ombre est apparue. Elle est plus grande qu'un être humain. Singer a l'impression de voir flou. Il plisse les yeux. L'ombre se précise, prend forme. Elle mesure environ 2m50. Elle est revêtue d'une cape sombre. La capuche révèle malgré tout le bas d'un visage composé de plaques osseuses. Pur réflexe, il cherche une arme dans sa poche. Mais ici, à Millevaux, il n'y a aucun moyen de demander de l'aide à Contrôle. Sa seule porte de sortie, c'est ce mystérieux Patient 13. Et il doute que cette chose soit le patient en question.
La chose, Singer ne lui trouve d'autre nom, fait claquer ses mâchoires dans sa direction. Pour autant, elle ne bouge pas. Il se surprend à penser qu'elle ne peut peut-être pas bouger. Est-ce vraiment le cas ? Comment s'en assurer ?
Singer retient son souffle. Il s'approche de la chose et tend la main dans sa direction, la retirant aussitôt. La chose émet une sorte de feulement mais reste immobile. Elle est bel et bien coincée là. Comment ? Et pourquoi ?
« Est-ce que tu me comprends ? » tente Singer.
« Gavé de Jus de Singe, j'annonce la véracité. Je cite le Verrat. Je collabore. Je suis brave. Le gain au bout du protocole. Depuis mon exil, je vous épies. »
Singer a déjà entendu ces mots quelque part. Non ! Il les a lu quelque part. Il ne sait plus vraiment en fait. Ce dont il est sûr, par contre, c'est que ces mots sont ceux laissés par Coleman sur une de ses scènes de crimes. Qu'est-ce que ça veut dire ? Cette chose est-elle liée à Coleman ? Coment ? Pourquoi ?
« Êtes-vous Paul Coleman ? » hasarde-t-il en jetant un œil vers Johanna, pétrifiée, terrifiée.
« Non, mais... je parle par sa bouche... »
« Vous êtes... prisonnier, ici ? »
« Oui, mais... je suis le Patient 13 ! »
« Quoi ??! Mais qu'est-ce que ça veut dire ? »
« NoAnde est le verrat de la véracité. Il sait le protocole. Je suis exilé. Je vous épie. Gavé de jus de singe... »
« Je... Euh... Si je comprends bien. Vous êtes ce fameux Patient 13 qui est sensé pouvoir nous faire sortir d'ici. Sauf que vous êtes coincé ici. Vous nous avez adressé des messages. Enfin, pas à moi personnellement, je veux dire... Vous nous avez adressé des messages par l'intermédiaire de Paul Coleman, le tueur qui s'en est pris à Johanna. Vous avez besoin d'aide pour sortir, fuir cet exil forcé, c'est ça ? Et ce NoAnde sait ce qu'il faut faire ? Il connaît la procédure pour vous libérer. Et vous connaissez la procédure pour nous libérer, Johanna et moi ? Vous voulez... qu'on trouve ce NoAnde pour vous, qu'on vous le ramène ? Il est ici ? Dans ces ruines ? »
« Non ! »
« Mais que voulez-vous alors ? »
« Je veux libérer... quelqu'un... »
« Mais c'est nous, bordel !! C'est nous qu'il faut libérer ! »
« Il faut libérer Demian Hesse, mais... »
« Mais quoi ? Merde ! Parlez bordel !! »
« Aaron Powl, du clan Powl. Il suit la voie des Lwas. Il n'est pas horla loi. Dis-le à Haze. Tu le raconteras à Haze ? »
« Oui, oui ! Mais comment sortir d'ici ? »
« Trouves le verrat... et reviens. »

Johanna s'était reprise dès lors qu'ils avaient quitté la morgue. Elle se montrait même particulièrement active dans la recherche de ce fameux verrat. Mais, où trouvait-on un homme-porc dans un hôpital en ruine ? Au moins Singer était sûr que la chose qui s'était présentée comme étant le Patient 13 ne bougerait pas, elle.
Ils étaient remontés au rez-de-chaussée. Singer réfléchit. Il a déjà visité ces ruines d'une certaine façon. Quand il était à Blue City. Avant de plonger encore plus en avant et de se retrouver ici. Il se rappelle un message, une inscription à propos de la Bouche et de Pierre. Les chambres ! Il faut fouiller les anciennes chambres. Ce Pierre est certainement un ancien patient et il a peut-être laissé quelque chose. Et c'est à ce moment là que Johanna émerge de derrière le comptoir de l'accueil avec un vieux plan des lieux à moitié déchiré. À l'endroit d'une pièce du 1er étage, une croix. Pas très loin, dans la marge, on a écrit : « La Bouche ne parlera plus. Pierre s'en est allé. » Sans attendre Johanna, Singer fonce à l'étage.
Il trouve facilement la chambre en question. Elle est en ruine, comme toutes les autres. Le lit est encore là. Le matelas est rongé par l'humidité, crevé par les ressorts. Un petit bureau gît, renversé, un pied cassé. Il y a aussi une petite armoire. Singer la fouille. Il trouve une petite boite en fer blanc. Contrairement à tout le reste du mobilier, elle ne porte pas la marque du temps et de la ruine. À l'intérieur, une clé. Singer la prend du bout des doigts, elle est recouverte d'une substance poisseuse. Une voix retentit de la porte d'entrée. C'est Johanna.
« Ma clé ! Je l'avais perdue. »
« Vous connaissez un certain Pierre ? »
« Oui, j'ai un cousin qui s'appelle Pierre. »
Singer secoue la tête et lui tend la clé. Mais Johanna refuse de les prendre.
« Gardez-la. Elle est dégoulinante de je-ne-sais-quoi. »
Singer la fourre dans sa poche. Son contact est gluant et désagréable. Mais il ne s'attache pas à cette sensation. Il cherche autre chose. Il cherche la Bouche. Il finit par trouver un dessin au ¾ effacé à environ un mètre du sol. La Bouche fait environ 30 cm de long. Singer croit percevoir un vague murmure. Pourtant, le dessin est immobile. Il approche son oreille du mur.
« Pierre n'est plus. Il me faut un nouvel assistant. »
Singer fixe Johanna droit dans les yeux et, sans lâcher son regard répond à la Bouche.
« Je ne suis pas Pierre. Je suis Paul. Je peux être votre assistant. »
« C'est... bien. Tu es Dionysos, mon assistant. »
« Je le suis. Je dois trouver le verrat pour libérer le Patient 13. »
« Le porc fantôme est certainement perdu dans l'Abyme. Et s'il n'y est pas, alors... Vas Dionysos. Fais ce que tu as à faire et reviens me voir. »

Singer et Johanna sortent de la chambre. Mû par un réflexe inconnu, Singer referme la porte. Il sort la clé de Johanna de sa poche et l'enfonce dans la serrure. Il ferme la porte à clé mais... Impossible de la retirer. Johanna le regarde, incrédule. Ils fixent tous les deux la serrure. Ce n'est plus la même clé. Singer porte la main à sa poche. Vide, bien sûr. Que croyait-il ? Qu'espérait-il ? Il fait de nouveau tourner la clé. La porte s'ouvre mais il doit la forcer un peu. Il récupère la clé. Elle a toujours la forme d'une clé de chambre mais ne dégouline plus de ce liquide visqueux. À l'intérieur, on entend un murmure incompréhensible. L'Abyme ! Johanna consulte son plan. Une nouvelle croix est apparu au centre d'une grande pièce du sous-sol...

Demian Hesse rêve... Il erre sur le plan du Rêve. Et comme par hasard, il ressemble à l'Antique Plateau de Leng. Ce n'est pas un hasard. Demian Hesse adore l'univers de Lovecraft. Aussi, ce n'est pas étonnant que le plan du Rêve prenne pour lui ce décor finalement plutôt familier. Cela aurait pu être Kadath, mais Leng c'est bien. Ça change de cette forêt sans fin.
Dans ce rêve, il y a de l'amour et du danger. Plus de danger que d'amour.
Dans ce rêve, il n'est pas seul. Qui est l'autre ? Ami ? Ennemi ? Dans le doute, Demian lui envoie une vague d'amour. L'autre va-t-il la recevoir ?
Demian a l'horrible vision d'un rat à tête humaine. La chose ricane avant de s'évaporer. Qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce la réponse de l'autre rêveur? Un vent de folie souffle alors sur l'Antique Plateau de Leng !
Mais cette folie s'accompagne d'une brise bienveillante. Face à l'adversité, Demian a le sentiment qu'il n'est pas seul. L'espoir est permis.
Mais l'espoir est de courte durée. Demian doit se mettre à l'abri car une horde créatures famélique toute en griffes et en dents déferle sur Leng et y sème le chaos.
Quand Demian sort de sa cachette, il se trouve nez à nez avec un chat saturnien. Il a les yeux grands comme des soucoupes. Son pelage est chatoyant. Il ouvre la bouche. On dirait que sa mâchoire va se déboîter.
« SodekNoFinkestàl'hôpital ! »
Puis, le chat repart comme il est venu.
Sans trop savoir pourquoi, Demian voit là un bon présage. Il est plein d'espoir et espère que cette vague d'espoir va toucher l'autre rêveur, de l'autre côté du Plateau. Mais ce ne sont que des hurlements. Des cris de désespoir et de folie qui traverse Leng en réponse.
Demian repense alors à ce rat à tête humaine. Un rat, un chat... Et si tout cela n'était qu'un jeu. Le jeu du chat et de la souris. De l'autre ou de lui, qui est le chat, qui est la souris ?
Demian est alors cloué au sol par une migraine d'une violence inouïe. Son crane et son cerveau sont littéralement réduits en miettes sous l'impact des hurlements colorés d'une multitude de chats saturniens. Est-ce une attaque de... l'autre ? Demian hésite. Doit-il répondre par la folie ou l'amour ? La folie est tentante, mais il choisit l'amour.
Et à cet amour, l'autre répond par une vague de rats ricanant à visage humain. Une fois de plus, Demian doit se cacher. Il a l'impression que son attentte dure des jours. Mais il sait qu'il rêve. Il sait que sa perception du temps est fausse. Il attend... des jours. Il a maintenant la certitude que l'autre rêveur n'est pas son allié. Non, il lui veut du mal. Il doit se méfier, se protéger. L'air est chargé de folie. Quand il ressort...

Demian se retrouve dans une pièce sombre. Elle semble éclairée par des torches médiévales mais il n'y en a pourtant aucune de visible. Cet endroit, c'est une morgue. Il y a des cadavres partout. Les brancards s'agitent tout seul. Certains sont projetés contre les murs par des mains invisibles. Le bruit est insoutenable. Dans un coin, une silhouette s'anime. Elle est grande et recouverte d'une cape et d'une capuche. Demian ne discerne que la bas du visage mais reconnaît ces plaques osseuses. Il les a déjà vu. Dans ces cauchemars. La silhouette s'avance vers lui à grands pas, ses mains griffues tendues en avant.
Demian se saisit d'un brancard métallique qu'il attrape au vol. il hurle : « NoAnde ! Aides moi ! »
Il abat alors le brancard sur la tête du Coelacanthe. En même temps, NoAnde, l'être mi-homme-mi sanglier apparaît dans un coin de la pièce. Il s'accroupit et enfonce ses mains dans la boue sanguinolente qu'est devenu le sol de la morgue. La terre tremble, gronde. Des racines apparaissent sous les pieds du Coelacanthe à moitié étourdi. Les racines grandissent et s'enroulent autour des jambes du monstres. Demian abat de nouveau le brancard sur son crane. Le Coelacanthe est rapidement totalement immobilisé.
NoAnde a toujours les bras solidement enfoncé dans le sol. Il semble fébrile, très concentré.
Demian s'approche du monstre et soulève la capuche. Les plaques osseuses ne sont qu'un masque. Sous le masque, il reconnaît... C'est lui, en femme. La Magicienne. Il lui saisit le visage entre les mains, s'approche et lui force la bouche.

Paul Singer est haletant. Il est debout, face à la porte menant à l'Abyme. Johanna Ackermann le regarde, affichant un masque d'incompréhension. Paul vient d'avoir une vision. Une révélation. Alors que Johanna s'apprête à entrer, il la retient.
« Je... j'ai vu. Demian Hesse. Il est ici. Il est venu. Il s'est battu contre la Magicienne au masque de Coelacanthe. Il aurait dû gagner avec l'aide du verrat. Mais il s'est passé quelque chose. Demian est resté prisonnier ici, dans le corps de la Magicienne. C'est lui le Patient 13. Et elle, elle est en liberté, quelque part. L'homme-sanglier va nous aider, mais pourquoi s'est-il réfugié ici au lieu d'aider Demian. De quoi a-t-il peur ? »
« Je comprends » lui répond Johanna alors même qu'elle ouvre la porte menant à l'Abyme.

L'Abyme ! Une salle hors de toute proportion. Le sol y est de boue. Les murs sont en terre et percés ça et là de racines et de lierres grimpant. Le plafond... Il n'y en a pas. Une multitude de cage de formes et de tailles diverses pendent à plusieurs mètres du sol. On distingue entre elles des passerelles métalliques, des ponts de singes en cordes... On entend des gémissements, des hurlements. Les pensionnaires de cet hôpital seraient donc là ?
Singer se tourne vers Johanna. Elle paraît très curieuse quant à ce lieu. Pas du tout effrayée. Lui, par contre, n'est pas du tout à l'aise. Il se demande si tous ces gens enfermés là sont les anciens patients ou au contraire de nouvelles personnes qu'on a enfermé. Et dans ce cas, dans tous les cas, qui est ce « on » ? Qui a les clés de cette hôpital ? Les clés ou... La Clé ? Inconsciemment, il sert la clé d'appartement de Johanna et observe cette dernière déambuler dans l'Abyme. Elle cherche ce fameux NoAnde sensé les aider. Il trouve qu'elle a l'air anormalement à l'aise en cet endroit. Et il se demande alors si... elle n'est pas déjà venue ici.
« Non, lui répond-elle. Mais je connais quelqu'un qui est venu ici.
Coleman ?
Coleman.
Ce n'est pas vraiment la clé de ton appartement.
Non. Mais elle fait très bien l'affaire. »

Et Singer commence à raccrocher les wagons. Et si... Et si Coleman, par ses meurtres, avait tenté de rejoindre cet endroit. Pas forcément l'hôpital, mais cette forêt hantée. Les meurtres seraient alors comme des rituels ouvrant des portes vers le monde des esprits qu'il voulait rejoindre. Cet hôpital, et même Blue City, ne seraient que des dimensions intermédiaires, des sas entre notre monde et celui-là. Si Blue City est bien, comme on le dit à la Compagnie, une projection ou une sorte de matérialisation de l’inconscient collectif, est-ce que ça signifie que l'inconscient collectif est une porte vers Millevaux. Ce serait donc le pyschisme humain qui serait la porte... et peut-être même la clé. La solution pour traverser les voiles entre les mondes serait donc en nous et accessible par divers moyens. L'insertion dans Blue City pour la Compagnie, la drogue pour les toxicos, la transe pour les chamans, le meurtre pour Coleman... et les cauchemars pour... Demian Hesse. Pourquoi penser à lui maintenant ? Parce que lui aussi est piégé ici.
Singer secoue la tête. Un peu comme si ses idées allaient se remettre en place. Mais il a une nouvelle révélation. Si des gens comme lui peuvent arriver dans cet endroit, ça veut dire que les choses qui peuplent cet endroit peuvent aussi arriver chez nous... Il regarde de nouveau la clé de Johanna. Celle-ci n'est définitivement pas une clé ordinaire. Avec l'aide de NoAnde et Demian Hesse, ils pourront rentrer chez eux et là... il faudra tout faire pour prévenir le monde ! Mais pour l'instant, trouver NoAnde.

« NoAnde ? Vous êtes là ? »
C'est Johanna qui criait. Singer était atterré par ce manque de prudence. Cet endroit était potentiellement dangereux, peuplé d'ennemis, truffés de pièges et elle... et elle... Et Singer trouva alors qu'elle avait l'air de trouver cette situation somme toute très naturelle. Elle se conduisait comme si tout était normal. Et il se dit qu'après tout, d'une certaine manière, elle connaissait également les lieux. Alors, il se mit lui aussi à crier.
Puis, alors qu'ils avançaient des les ténèbres, le silence fut brisé par des sanglots.
« NoAnde ? demanda Johanna.
Non, je suis le Fou répondit le jeune homme enfermé dans la cage juste au-dessus d'eux.
Peux-tu nous aider à trouver NoAnde s'il-te-plait ? Poursuivit JoHanna.
Pourquoi le ferais-je ?
Parce que je suis Dionysos, l'assistant de la Bouche, enchaîna Singer qui ne comprenait pas vraiment pourquoi ces mots sortaient de sa... bouche.
Faux ! affirma le Fou. Pierre est l'assistant de la Bouche.
Pierre n'est plus, reprit doucement Johanna. Dionysos est le nouvel assistant de la Bouche. Nous devons libérer Demian Hesse et quitter cet endroit. Nous avons besoin de NoAnde pour cela. Peux-tu nous aider à le trouver ?
Il faut la Clé pour quitter cet endroit.
Je l'ai, affirma Singer-Dionysos en brandissant la clé d'appartement de Johanna sous la cage.
Oh ! Alors oui, NoAnde est plus loin, vers l'Est, à 2h19. Quand tu verras la Bouche, parles-lui de moi. Tu promets ?
Je promets, dit Singer-Dionysos.

Johanna et Singer-Dionysos marchèrent vers l'Est pendant 2 heures et 19 minutes. Puis, ils levèrent la tête. Il y avait toujours des cages au dessus d'eux. Certaines étaient vides, d'autres non. Mais ils n'y prêtèrent pas attention avant 2h19. Et là :
« NoAnde ? Je suis Dionysos, l'assistant de la Bouche. Nous avons besoin de vous pour libérer Demian Hesse. Nous possédons la Clé. »
La cage s'agita au bout de ses chaînes puis, soudain, Johanna et Singer-Dionysos se retrouvèrent face à un être étrange, mi homme-mi sanglier recouvert de plaques d'écorce, de feuillages et de brindilles. L'homme (?) s'incline.
« Je me présente, NoAnde, chaman du Clan des Arbres et serviteur de Shub'Niggurath. Je m'incline devant toi, Dionysos, assistant de la Bouche. »
Puis, il se tourne vers Johanna.
« Et je m'incline devant toi, Sodek NoFink. »

Singer a une sensation bizarre alors qu'il voit NoAnde s'incliner devant eux. De même, il ne comprend pas pourquoi il appelle Johanna « Sodek NoFink ». Elle a l'air surprise, mais Singer trouve qu'il y a un côté surjoué dans sa réaction. Il commence à prendre peur. Quelque chose lui échappe. Il le sait. Et alors que la petite troupe se met en marche, il trouve plus prudent de rester quelques pas en arrière. Johanna et NoAnde échangent quelques mots. Singer tend l'oreille et capte des bribes de leur dialogue. Ils parlent de lui, ou plutôt de Dionysos. Il parle de Coleman également. Et de la Cité Bleue. Singer a l'impression d'être tombé dans un piège. Il pense à s'enfuir, mais pour aller où. Rester ici, dans l'Abyme. Non ! Il doit sortir de cet hôpital. Et pour ça, il doit les suivre jusqu'à Demian Hesse.
Ils sont maintenant tout trois devant la porte donnant sur la morgue. Derrière, se trouve Demian Hesse et, Singer l'espère, des réponses. Pourtant, il éprouve une réelle peur à l'idée d'entrée. Et il se rappelle :
« Je dois d'abord parler à la Bouche. J'ai un message de la part du fou.
Bien, si tu veux. Mais dans ce cas, donnes moi la Clé que nous puissions libérer Demian. »
Singer jette un regard à NoAnde. Ce dernier semble douter.
« Non, lâche Singer. Il aurait voulut ne pas trahir son angoisse mais il sent lui-même les tremblements dans sa voix. Non, tente-t-il de se reprendre. Je vais voir la Bouche. Attendez-moi ici. »
NoAnde a l'air soudain méfiant. Johanna, ou Sodek NoFink, fronce les sourcils. Sa voix se fait plus forte.
« Mais pourquoi ? Tu as peur qu'on parte sans toi ? Ça n'a pas de sens. Vas voir la Bouche si tu veux mais laisses-nous au moins gagner du temps. Plus vite on accomplit ce petit rituel débile, plus vite on rentre chez nous ! »
« Elle n'a pas tort, lâche NoAnde. »
Singer se demande à quoi ils jouent ces deux là. Il a conscience d'être en infériorité numérique. En admettant qu'il puisse se défendre contre Johanna, que pourrait-il bien faire contre l'homme-sanglier ? Et alors, il se demande si tout cela n'est pas un rêve et s'il ne devrait tout simplement pas se réveiller pour en finir. Et si la Bouche savait...
« Je reviens, lâche Singer d'une petite voix. »
Il s'enfuit littéralement en courant, serrant fort la Clé dans son poing. Il n'entend pas de bruit derrière lui. Les autres ne semblent pas le poursuivre. Il n'ose pas se retourner. Il fonce vers la chambre de la Bouche.
Le dessin est toujours là, à demi effacé. Singer est essoufflé par sa course, surtout la montée des escaliers. Il s'écroule devant le mur et se rend compte qu'il est à genoux, prosterné, devant la Bouche.
« Relèves-toi Dionysos. As-tu la Clé ?
Oui, lâche-t-il dans un souffle.
Qu'as-tu d'autre pour moi ?
Un message... du Fou. Il voulait, il veut que je vous parle de lui...
Et c'est fait. Je t'en remercie Dionysos. Tu as la Clé. L’Éveil est la Clé.
C'est un cauchemar, c'est ça ? Je dois me réveiller pour quitter cet endroit.
Non. C'est un cauchemar. Demian Hesse doit se réveiller. Cela est l'ultime Révélation.
Mais comment ?
Le Thana... »

« Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »

Singer ouvre les yeux. Il est dans une salle d'interrogatoire. En face de lui, l'agent spécial Damon Haze le fixe d'un air méfiant.
« Je ne comprends pas, confesse Haze. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Je ne comprends pas non plus. J'étais avec Johanna quand le Thanatrauma a débarqué à l'hôpital. Nous devions libérer Demian, avec l'aide de NoAnde. Mais comme le Fou m'a dit d'aller voir la Bouche et que la Bouche m'avait demandé de revenir la voir... Et bien, j'étais dans la chambre de la Bouche quand le Thanatrauma est arrivé. Et Sodek NoFink était avec NoAnde. Mais comme ils n'avaient pas la Clé... Je ne sais pas. J'ai toujours la Clé. Je ne sais comment je suis rentré. Peut-être que Demian Hesse a fini par se réveiller. Peut-être est-il toujours coincé dans cette morgue. Je ne sais pas si Johanna est restée coincée elle aussi, ni ce qui a pu arriver à ce NoAnde. Je ne suis pas certains de vouloir le savoir. Je ne veux plus entendre parler de cet hôpital, ni de cette forêt, ni de Blue City, ni de la Compagnie.
Mais pourquoi cette prise d'otages, demande Haze. Si vous vouliez me parler, il n'y avait qu'à me demander un rendez-vous. J'aurais accepté.
Quelle prise d'otages ? »

Demian Hesse est toujours coincé dans le corps de la Magicienne Cœlacanthe. On doit le sortir de là. L'homme et la femme qui sont venus ont promis de ramener NoAnde. L'homme-sanglier saura quoi faire. Mais en attendant, que fait la Magicienne avec son corps ? Il ne veut pas y penser car il se doute, il sait que c'est horrible.
Alors, il rêve...
Demian Hesse est sous terre. Il est nu. Il saigne. De son nombril s'échappe un bout de cordon ombilical d'où s'échappe un filet de sang à moitié coagulé.le sang se répand sur le sol et imprègne la terre boueuse. Quelque chose bouge sous la terre.
Soudain, la terre s'ouvre ! Une énorme gueule de poisson osseux jaillit de sous le sol. Demian Hesse tente de de l'éviter. Mais, malgré sa masse, la créature est plus rapide et elle l'avale. Demian sent son corps se concasser, se déchirer sous l'action des terribles mâchoires en os. Il se sent réduit en morceaux, en pâte sanguinolente aspirée au fond de l’œsophage du monstre.
Demian Hesse meurt... pour renaître.
Il ouvre les yeux. Il est toujours coincé dans le corps de la Magicienne. La femme est là, avec NoAnde. Mais la femme n'est plus la femme. C'est Sodek NoFink. Demian panique. Il tente de capter le regard de NoAnde. Celui-ci, dans l'ombre, paraît devenir agressif. Il le sent hostile. L'homme-sanglier est sensé être son ami. Va-t-il le trahir au profit de Sodek NoFink ? Non, c'est impossible.

« Demian, Dionysos a la Clé. Avec l'aide de NoAnde, nous allons tous quitter cet endroit. Mais je veux que vous fassiez quelque chose pour moi. Demian, quand tu te réveilleras, laisse la porte du Rêve ouverte. »

Demian ne comprend rien et interroge NoAnde du regard.

« Demian, tu n'as pas besoin de la Clé pour quitter cet endroit. Il te suffit de cesser de rêver pour ça. Mais tu as besoin de la Clé pour laisser la porte ouverte. »
Sodek NoFink se tourne alors vers NoAnde et lui lance un regard furieux.

Demian a compris. Il croit avoir comprit. Il rêve et peut quitter cet endroit en se réveillant. Il n'a pas besoin de la Clé pour ça. C'est Sodek NoFink qui a besoin de la Clé car il veut laisser la porte ouverte entre Millevaux et notre monde afin que les Cœlacanthes puissent l'envahir et le transformer en ferme d’élevage-abattoir. C'est son projet depuis le début. Ouvrir une porte permanente. Il a tenté de le faire à travers les meurtres de Coleman. Et il va tenter de le faire encore en tentant de les forcer NoAnde et lui. Et la Magicienne ? Est-elle en train de se servir du corps du corps de Demian à cette même fin ?
Demian réfléchit. Qu'est-ce qui pourrait lui donner juste assez de temps pour se réveiller avant le retour de Dionysos et de la Clé.
Il a une idée. Le Thanatrauma.

Et soudain, le sol et les murs tremblent.

« Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »

Demian se réveille, chez lui. Il a la nausée, une migraine carabinée mais il est content du mauvais tour qu'il vient de jouer à Sodek NoFink. Il espère juste que NoAnde va bien. Après tout, l'homme-sanglier est son ami, non ?
Par contre, qu'en est-il de la Magicienne ? S'est-elle retrouvée transportée dans son corps d'origine ? Est-elle toujours dans notre monde ? Qu'a-t-elle fait avec le corps de Demian durant tout ce temps ?

Dimanche. Il fait très très chaud. Demian est sorti se balader, histoire de mettre un peu d'ordre dans ses idées. Il a fait un crochet par le parc, pour traverser la roseraie. Il n'y connais rien en fleurs, mais il aime les roses... et les coquelicots.
Il est finalement rentré et a pris une douche bien nécessaire. Puis, il a allumé son PC. Il a ouvert sa boite mail et répondu à Anke, sa partenaire de jeu sur forum. Puis, il a ouvert un autre fichier et a commencé à taper...
Est-ce à cause de la chaleur, de la fatigue, mais Demian cligne des yeux. Quand il les ouvre, il est dans le ciel. Il vole. La Magicienne vole à côté de lui. Elle crie quelque chose. En dessous, une forêt, LA Forêt, est la proie des flammes et de l'eau. Alors, il se rend compte qu'il tient un enfant dans les bras. Son enfant. D'où sort-il ? Il n'a pas d'enfant.
Devant lui, se dresse le Mur du Sommeil : une gigantesque masse à la
fois muqueuse, végétale et nuageuse, qui suinte par tous ses pores. La Magicienne
crie : « Débarrasses-toi de l'enfant. Cet abomination ne doit pas passer
dans la réalité ! ».
Devant son PC, Demian réfléchit. Que fait la Magicienne à ses côtés alors même qu'elle l'a trahi en l'enfermant dans la morgue de l'hôpital.
Le Mur du Sommeil se rapproche. Demian sait. Tout ceci n'est qu'un rêve, un cauchemar.
Non !
Pourquoi la Magicienne qui l'a chargé de combattre les Cœlacanthes l'a-t-elle trahi alors même qu'elle paraît les servir ?
Le Mur du Sommeil se rapproche. Demian sait qu'il ne doit pas s'endormir. Il doit rester éveillé. Il serre son fils contre lui. Hors de question qu'il obéisse à la Magicienne.
Ce n'est pas un rêve. C'est un jeu !
Tout ceci n'est qu'un jeu. Il est le joueur. Le Patient 13. La somme de tous les personnages. C'est lui que la Magicienne a investi de ce rôle, de ces rôles.
C'est un jeu. Il doit empêcher les Cœlacanthes d'envahir notre monde et elle, la Magicienne, tente de leur ouvrir la porte.
Cet enfant n'existe pas. Demian n'a pas d'enfant. Il le projette à travers le Mur du Sommeil et fait demi tour. Il veut quitter ce monde. Pour ça, ne pas rêver, se réveiller.
Il ouvre les yeux. Il est de nouveau devant son PC, mais les choses ont changé. Toute la pièce est envahie par la végétation et l'humidité. Des racines et des branches crèvent le sol, les murs et les fenêtres. Il ne rêve pas. Il sent une présence derrière lui. NoAnde. Demian a une question à lui poser :
« NoAnde, avant que ton clan ne soit massacré, tu as disparu pendant un an. Où étais-tu ?
Je ne peux pas le savoir. Ma mémoire flanche, répond l'homme-sanglier.
Moi je sais. Tu étais ici. Tu es ici. Avec moi. Ton voyage, ton aventure avec moi aura duré un an. Quand tout ça sera terminé, tu retrouvera ta place dans ton clan et, peut-être, tout recommencera. Je le sais parce que je suis le Patient 13. Je suis le joueur. La somme des personnages. Et comme tu es un personnage, je suis toi et je sais. »
NoAnde restait silencieux.
Demian, toujours devant son PC, se rongeait les ongles. Il réfléchit, jeta un coup d’œil derrière lui pour s'assurer que NoAnde était/n'était pas là et que sa chambre était bien normal/rongée par Millevaux.
Il se dit alors qu'en tant que somme des personnages, s'il tapait ses notes, mettait de l'ordre dans ses idées, alors tous les personnages, partout dans les mondes entre le sien et Millevaux sauraient. Alors, il tapa...

Tout ceci n'est qu'un jeu. C'est pour ça que la Magicienne m'a donné la Noix. Elle veut ouvrir une porte à travers les mondes entre Millevaux et le notre. Je dois l'en empêcher.
Les meurtres de Coleman étaient des rituels d'ouverture du Portail, initié par Sodek pour le compte de la Magicienne. Mis en échec par Haze, la Magicienne a alors pris possession de mon corps pour tuer de nouveau et accomplir ce rite. De l'autre côté, à Millevaux, Sodek voulait récupérer la Clé pour maintenir l'ouverture ouverte après mon réveil, malgré ma fuite. Finalement, Coleman, par ses messages, ne cherchait pas tant un allié que de l'aide pour échapper à l'emprise de Sodek.
Sodek, qui est Sodek NoFink. Johanna Ackermann n'est pas une simple victime de Coleman. Elle a une double personnalité. Elle est Sodek NoFink, le mentor de Coleman, le complice de la Magicienne. Sodek est un Personnage Non Joueur, mais Johanna apparaît comme un des « 13 cerveaux du Patient 13 ». On peut donc la considérer comme un Personnage Joueur et s'en servir pour combattre Sodek et la Magicienne. Et il en est de même pour NoAnde, Personnage Non Joueur en tant que serviteur de Shub'Niggurath mais Personnage Joueur en tant que shaman du Clan des Arbres. Et il en est de même pour le Thanatrauma depuis que Roger en est devenu une partie, voire le porte-parole, de même que Singer est devenu celui de la Bouche.
Et les Lwas, ces esprits que sert Aaron Powl ? Ils sont les ennemis des Horlas et des Cœlacanthes. Ils incarnent l'Ordre contre les Cœlacanthes qui incarnent le Chaos, qui incarnent Millevaux. Le paradoxe, pour le vaudou cyberpunk qu'est Aaron Powl, réside dans le fait que la Forêt, la nature, obéit à des lois, notamment celles du chaos mathématique qui régit la forme des fougères, les motifs de la fourrure des animaux etc. Comment dépasser ce paradoxe pour que Lwas et Horlas puissent aller dans une même direction, devenir des Horlwacanthes mettant l'Ordre au service du Chaos au service de l'Ordre ?

Demian tape sans s'arrêter, juste pour se ronger les ongles. Noande n'est plus là mais il est toujours là. Demian a un plan. Il va renvoyer Singer à Blue City. Là, il va trouver ce fameux Livre de l'Amour et de la Mort. Dedans, il y a la solution.
Et aussi, il va envoyer Haze enquêter sur les meurtres commis par la Magicienne. Car, si Damien/Demian est bien à Nantes en train de taper ces notes, la Magicienne est toujours à l'intérieur du corps de Demian à Olympia, tuant pour accomplir le rituel d'ouverture du Portail vers Millevaux.
Mais Haze ne sera pas seul. Depuis Millevaux, NeinUnd et sa sœur l'aideront.
Bien, maintenant que tout est aussi clair que possible, Demian n'a plus qu'à attendre. Que vont faire ses personnages ? Et que vont faire la Magicienne et Sodek NoFink ?

OK ! Haze a bien compris qu'il doit maintenant mener l'enquête pour retrouver la Magicienne sauf que... pour l'instant on a retrouvé aucun corps. Par où donc commencer ?
Déjà, ne pas perdre de vue que tout cela n'est qu'un jeu et que lui-même n'est qu'un personnage, un avatar du joueur, du Patient 13, au même titre que les autres, au même titre...
NoAnde ? Non ! Ce personnage est trop ambigu, trop instable et imprévisible, surtout depuis qu'il est lié à Shub'Niggurath.
NeinUnd ? Pourquoi pas ? Il fait parti du Clan des Arbres. Et, surtout, le fantôme de sa sœur peut servir d'intermédiaire entre les mondes. Haze s'empare de son bloc-notes. Il se cale dans le fauteuil de son bureau. Il ferme les yeux et se concentre sur Siy. Il attend...
NeinUnd a quitté les lieux du massacre. Il erre dans la forêt cherchant du réconfort auprès des arbres. Mais, ils ne lui sont d'aucune aide. Il est au contraire hanté, harcelé sans relâche par le fantôme de Siy qui l'accable, l'accuse de tous les maux. Par moment, il ne l'entend même plus. Et soudain, il ne l'entend plus.
« Siy ?
Attends ! Fermes les yeux. Et vois ! »
NeinUnd ferme les yeux et voit.
Une femme... dans un corps d'homme. Des bâtons rouges d'où dépasse une mèche. De la dynamite ! NeinUnd voit un grand rassemblement. Cette... femme est là, au loin, elle observe. Il sent qu'elle a pris son temps. Elle est sûre d'elle. Elle connaît les lieux. Elle est calme. Elle est convaincue que plus rien ne peut l'arrêter maintenant.

Haze ouvre les yeux. Il regarde ses notes. Il ne comprend pas mais accepte et remercie les membres du Clan des Arbres.
Un attentat à la l'explosif va avoir lieu. À moins qu'il a déjà eu lieu. Haze allume son PC et consulte ses bases de données. Aucune mention d'une explosion dans les dernières 24 heures. Il peut donc encore empêcher ça. Tout d'abord, lister les lieux pouvant être la cible d'une telle attaque. La Magicienne a peut-être établi sa planque à proximité. Il transmet ses instructions au chef DiCompain mais, en l'absence de données tangible, ce dernier ne semble pas très motivé à mobiliser ses hommes.
Des données tangibles. Du concret ! En l'absence de cadavres, de quoi dispose-t-il pour enquêter ? Que sait-il sur cette magicienne ?
Elle est connue pour dealer, notamment cette nouvelle drogue nommée la Noix.
Elle a déjà été entendue par les services de police dans le cadre de l'affaire Coleman. Et il apparaît qu'elle est beaucoup plus liée à cette histoire que prévu.
Réfléchis Haze ! Reprends tes notes. Reprends ta fiche de Serial Killer !
Profil : difficile à déterminer. Est-ce un personnage réel, fictif ou les deux ? En tout cas, comme Coleman, elle croit en l'existence de cet autre monde, Millevaux. Et si elle a abordé Demian en lui proposant de lutter contre les Cœlacanthes, il semble bien au contraire qu'elle cherche à les faire venir. Alors ? vit-elle dans un monde imaginaire ou ce monde existe-t-il vraiment ?
Pathologie mentale : et bien, si elle a tort quant à l'existence de Milevaux, elle est encore plus malade que Coleman. Mais si elle a raison...
Mode opératoire : les meurtres de Coleman étaient les différentes étapes d'un rituel à caractère magique. Ici, on dirait que la Magicienne veut obtenir toutes les morts nécessaires d'un seul coup. Et pour cela, elle va tenter de déclencher une explosion dans un lieu public.
Anciennes victimes : peut-on lui imputer les victimes de Coleman ? Pas sûr. À priori, elle n'a elle-même tué personne. Il semble plutôt qu'elle a motivé d'autres à le faire.
Complices : Coleman est à la fois complice et victime car très certainement sous emprise. Plus sûrement, on peut classer Sodek NoFink/Johanna Ackermann dans cette rubrique. En effet, c'est par l'intermédiaire de Sodek que la Magicienne a influencé Coleman et lui a fait commettre ses meurtres.
Identité et apparence physique : inconnue, mais à l'heure actuelle elle « possède » le corps de Demian Hesse
Proches : à part Sodek, inconnu.
Victime finale : si son attentat réussi, il risque bien d'y avoir plusieurs dizaines, voire centaines de victimes. Et si son délire est réel, c'est tout l'humanité qui succombera à l'assaut des Cœlacanthes. Sinon, dans la perspective du jeu, Demian est-il la victime finale ?
Planque : pour l'instant, Haze pense qu'elle a dû établir sa planque non loin du lieu qu'elle compte faire sauter. Mais, objectivement, il n'en a aucune idée...

Maintenant, que faire ?
Singer-Dionysos a trouvé Johanna/Sodek à Blue City et Millevaux. Mais les forces de police d'Olympia l'ont aussi retrouvé dans la planque de Coleman. Aussi, où que soit finalement Sodek, Johanna est toujours dans ce service des soins intensifs. Enfin, normalement...
La Magicienne œuvre sous les traits de Demian Hesse. Il faut donc trouver un prétexte pour convaincre la police de se lancer à sa poursuite.
Il faut aussi, et au plus vite, lister les lieux susceptibles d'être la cible d'un attentat à la bombe.

NeinUnd, Siy... Si vous avez une idée géniale, c'est maintenant !

« Tu es bien silencieuse, Siy.
Il y a quelque chose que je ne comprends pas.
Ah ?
Oui. Qui est Anke ?
Je ne sais pas. Pourquoi ?
Elle est inquiète. Demian ne lui a pas répondu depuis plusieurs jours. D'habitude, ils s'écrivent tous les jours ou presque et là... plus rien. Depuis plusieurs jours. Anke s'inquiète. Et ce n'est pas que pour les jeux.

Anke ? Qui est cette Anke ?

Haze a une idée. Elle est mauvaise, mais c'est la seule qu'il a. Il va mentir ! Il explique donc à DiCompain que ce fameux Demian Hesse est lié à l'affaire Coleman et que tout ça est très loin d'être fini. Il prétend tenir ces informations de Johanna Ackerman. Il affirme qu'elle s'est rappelée avoir entendu ce nom et d'autres choses relatives à un attentat lors de sa captivité. Aussi, il faut de toute urgence lister les cibles possibles d'un attentat à la bombe et trouver ce Demian Hesse au plus vite.
Quand on veut, on peut ! Le chef DiCompain a marché dans le baratin de Haze et lance ses hommes sur les traces de Demian et d'un lieu propice à un attentat. De son côté, Haze se rend au chevet de Johanna, ou peut-être, plutôt, de Sodek NoFink.
Haze entre dans la chambre. Les stores sont baissés, la pénombre règne. Johanna dort mais elle s'agite dans son lit. Elle parle aussi. Sortent de sa bouche pâteuse quelques mots et bribes de phrases que Haze parvient difficilement à comprendre :

« Demian voudrait se relever mais il est littéralement cloué à son lit. NoAnde est maintenant debout. Il lui tourne le dos et sort de sa chambre. Un flash illumine la pièce à travers les volets baissés.
Demian retombe inconscient. Ses seules sensations sont celles de son corps soumis de violents spasmes et de sa tête minée par une effroyable migraine. Il a envie de vomir. »

Demian ! Elle parle de Demian ! Elle ou il ? Johanna ou Sodek ?
« Sodek, c'est vous ? »
Pas de réponse.
Haze la saisit par les épaules et commence à la secouer. Elle ne se réveille pas mais se remet à parler :
« Le Patient 13... la Noix... le Jus de Singe... Singer... Singer-Dionysos... »

Qu'est-ce que ça veut dire ? Être dans le jus ? Singer est dans le jus ? Non, c'est autre chose. Haze se creuse la tête et repense à la symbolique des Cœlacanthes. On les a aussi appelés Horlacanthes, car ce sont des sortes de Horlas. Les Horlas, hors la Loi, à l'opposé des Lwas justement... le Jus de Singe... Pas le Jus, mais la Ius romaine, la justice. La Justice de Singer, la Loi de Dionysos... Oui, c'est plus... logique... Tout a commencé quand Demian a accepté la Noix de la Magicienne. Pour en finir, il faudrait donc accepter la Loi de Dionysos ? Mais Singer-Dionysos est aujourd'hui l'assistant de la Bouche. Faut-il retourner dans cet hôpital ? Et que devient Singer justement ?

Haze ferme les yeux. Haze ouvre les yeux. Il est dans les bois. Un bivouac. LE bivouac. Là où tout a commencé. Là où la Magicienne a donné la Noix à Demian. Au centre, un grand trou s'ouvre sur l'Abyme.
L'Abyme ? Celle de l'hôpital ou celle qui te regarde quand tu la regarde ? Pourquoi penser à Nietzsche dans un moment pareil ? Parce que Nietzsche, c'est Dionysos. C'est cette dialectique de l'apollinien et du dionysiaque. Apollon, l'ordre et la lumière. Dionysos, la vie et la folie. Singer-Dionysos est la voix de la Bouche. La Bouche est dans l'hôpital. Singer-Dionysos est-il la voix de la folie ? Mais qu'est-ce que la Loi de la Dionysios alors ? Être fou ? En quoi est-ce bien ? En quoi est-ce mieux que ce que nous réservent les Cœlacanthes ?
Haze regarde autour de lui. Il y a des morts partout. Il les reconnaît. Ce sont les otages qu'il n'a pas pu sauver lors de cette négociation au terme de laquelle son équipier de l'époque a perdu l'usage des ses jambes. Devient-il fou ? Il regarde au fond de l'Abyme et croit voir des cages... suspendues ??!! Il transpire. Il halète. À travers la forêt, il voit la lumière d'un autre bivouac. Il y a aussi de petites lumières dans les branches et il aperçoit la Magicienne qui court vers un chemin. La Magicienne ?! Merde !!!
Haze court à travers la forêt. Il n'est pas loin de rattraper la Magicienne. Elle est armée d’un couteau. Elle s'écrie : « Suivez-moi ! Il faut se réveiller ! C'est notre seule chance de salut ! Millevaux n'est qu'une chimère de nos esprits ! »
Mais qu'est-ce qu'elle raconte ? Il ne dort pas. C'est... Ackerman qui dort. Et Haze se rappelle ses mots...

« Demian voudrait se relever mais il est littéralement cloué à son lit. NoAnde est maintenant debout. Il lui tourne le dos et sort de sa chambre. Un flash illumine la pièce à travers les volets baissés.
Demian retombe inconscient. Ses seules sensations sont celles de son corps soumis de violents spasmes et de sa tête minée par une effroyable migraine. Il a envie de vomir. »

C'est Ackerman qui doit se réveiller. C'est Demian qui doit se réveiller. Haze... vole !

Devant lui, se dresse le Mur du Sommeil : une gigantesque masse à la
fois muqueuse, végétale et nuageuse, qui suinte par tous ses pores. La Magicienne
crie : « Débarrasses-toi de l'enfant. Cet abomination ne doit pas passer
dans la réalité ! ».
Haze réfléchit. Que fait la Magicienne à ses côtés ?
Le Mur du Sommeil se rapproche. Il sait. Tout ceci n'est qu'un rêve, un cauchemar.
Le Mur du Sommeil se rapproche. Haze sait qu'il ne doit pas s'endormir. Il doit rester éveillé. Il serre son fils contre lui. Hors de question qu'il obéisse à la Magicienne.
Ce n'est pas un rêve. C'est un jeu !
Tout ceci n'est qu'un jeu. Le joueur est le Patient 13. La somme de tous les personnages. Il est un personnage.
C'est un jeu. Il doit empêcher les Cœlacanthes d'envahir notre monde et elle, la Magicienne, tente de leur ouvrir la porte.
Cet enfant n'existe pas. Haze n'a pas d'enfant. Il le projette à travers le Mur du Sommeil et fait demi tour. Il veut quitter ce monde. Pour ça, ne pas rêver, se réveiller.
Il ouvre les yeux...

« Haze ? Vous êtes avec moi ? On a trouvé, Haze. »
Le chef DiCompain affiche un large sourire. Il a un donut dans une main et une liasse de feuilles dans l'autre. Il tend la liasse à Haze et avale le donut. Haze parcourt rapidement le dossier sans réellement comprendre de quoi il s'agit.
« Dans la forêt. Dans les ruines d'un vieux sanatorium. Il va y avoir une rave cette nuit. Il y aura du monde. Si le complice de Coleman veut tuer beaucoup de monde d'un coup rapidement, alors c'est là qu'il sera. »
Un vieux sanatorium en ruine. Un hôpital. L'Abyme... C'est là que la Magicienne se planque !

Une rave dans les ruines d'un vieux sanatorium perdu dans la forêt. Haze tient son lieu. La Magicienne aura tout le loisir de tuer un maximum de gens dans une explosion et elle aura même pu les gaver de Noix droguées au préalable.
Avant toute chose, mettre les lieux sous surveillance, discrètement. Puis, checker les éléments dont dispose Haze concernant la Magicienne.
1-Profil : de toute évidence, le même que Coleman. Ou plutôt, c'est Coleman qui a fait sien celui de la Magicienne. En tout cas, tout les deux postulent l'existence d'un monde imaginaire.
2-Pathologie mentale : quel que soit le rôle de la drogue dans tout ça, la Magicienne souffre manifestement de troubles dissociatifs, d'hallucinations visuelles et/ou auditives. On peut présumer de tendances schyzophrènes.
3-Mode opératoire : elle a usé de la drogue et de beaux discours pour entraîner Coleman dans son délire et l'amener à tuer pour elle. Là, elle envisage un attentat à l'explosif.
4-Anciennes victimes : celles de Coleman.
5-Complices : Coleman, dans une certaine mesure, mais surtout Sodek NoFink/Johanna Ackermann. Dans quelle mesure d'ailleurs cette dernière est complice ou victime ?
6-Identité et apparence : identité réelle inconnue mais, pour l'heure, elle possède le corps de Demian Hesse.
7-Proche : Sodek NoFink/Johanna Ackermann.
8-Victimes finales : les ravers.
9-Planque : les ruines du sanatorium où va avoir lieu la rave. Haze ne serait pas surpris que la Magicienne fasse partie des organisateurs.

Haze lève les yeux de son carnet et fixe le chef.
« OK, on a tout. On fonce ! »

Haze et les hommes de DiCompain arrivent sur les lieux en fin d'après-midi. Le temps est affreux. Il souffle un vent des plus violents doublé d'une pluie diluvienne. Malgré cela, la rave est maintenue. Les premiers teufeurs sont même déjà là. En fait, ils sont protégés de la pluie car la rave a lieu à l'intérieur même des ruines. Haze se demande ce qui est le plus dangereux. Être dehors et affronter le cyclone qui s'annonce ou être à l'intérieur avec le risque que tout s'écroule à tout moment. Malgré le vent, on entend les beats et les bass. À l'intérieur, ce doit être insoutenable. Heureusement, Haze dispose d'une paire de bouchon anti-bruit.
Lui et les autres policiers pénètrent discrètement dans les ruines. C'est d'autant plus facile que la météo contribue à ce que les lieux soient très sombre. De plus, la musique couvre largement tout le bruit qu'ils peuvent faire. Toutefois, quelque chose les choque dès leur entrée. Les murs sont envahis par une végétation étrange. De gigantesques racines courent du sol au plafond. De certaines jaillissent des épines acérées, certaines longues de plus de 30 cm. Haze ne résiste pas à son instinct qui lui impose d'en arracher une.
Les hommes prennent la décision de se séparer pour couvrir un plus large terrain. Haze se retrouve seul. Il s'engouffre dans un couloir sombre et émerge dans une pièce faiblement éclairée. Une silhouette gît au sol. Un teufer ? Un toxico ? Un pléonasme ? Non, une bête. Une chauve-souris, de la taille d'un homme. Haze est surpris. Pour autant, il sourit car l'image de Batman s'impose immédiatement à son esprit. Et l'homme-chauve-souris est l'allié de la justice, le chevalier noir. Mais là, ce serait peut-être plutôt son ennemi, Manbat. Haze s'approche prudemment. La créature gémit. Elle est visiblement affaiblie par le manque de sang et tend un bras, implorant, dans la direction de Haze. Ce dernier, par prudence, préfère contourner la bête. Il découvre un autre passage au fond de la pièce. Il s'enfonce de nouveau dans les ténèbres.
Une sensation soudaine de vertige, de chute ! Haze tombe. Ça dure longtemps et s'achève par une douleur insoutenable. Haze atterrit dans des branches sur lesquelles il s'empale littéralement. Un dernier souffle, ses yeux se ferment.

Haze ouvre les yeux. Il étouffe. Il est sous l'eau. Il lui faut quelques instants pour retrouver son calme et comprendre qu'il parvient malgré tout à respirer. Où est-il ? Vaste abîme d'eau noire et poisseuse... Les parois sont couvertes de racines, de limaces de mer et d'yeux vitreux de créatures antédiluviennes. En dessous de lui, il distingue des cages maintenues au fond par des chaînes. Le fond l'attire, l'aspire.

Arrivé au fond, les ténèbres sont totales. La seule source de lumière provient du Dieu Coelacanthe, phosphorescent, hideux et aveugle. « Vous êtes venues contempler la fin de votre monde. »

Haze/Hesse ouvre de grands yeux. Il halète, se retient de hurler. Malgré qu'il soit sous l'eau, malgré la terreur, il parvient à articuler :
« Non. J'ai bu le Jus de Singe. Je suis la Loi de Dionysos. Je suis animé par la volonté de puissance, de pouvoir, de pouvoir faire, de pouvoir créer. Tu es la mort et je suis... Je choisis... la Vie.
Alors, Demian le démiurge sera l'artisan de la reconstruction d'une nouvelle prison inachevée, une nouvelle bulle à arpenter. Seras-tu plein d'entrain ou désespéré ? La métamorphose sera-t-elle une bénédiction ou une malédiction ? »

« Insertion réussie ! Évidemment qu'elle est réussie. Je suis Dionysos, merde ! Faut bien que ça serve à quelque chose ! »
Singer était apparu à Blue City non loin de l'hôpital. Du regard, il cherche une cabine téléphonique. Il a des choses à demander à Contrôle. Forcément, il n'en voit pas mais il se rappelle qu'il y en a une pas loin. Sans quitter l'aire délimitée par l'éclairage urbain, Singer contourne l'hôpital jusqu'à la cabine.
« Contrôle, j'ai besoin d'information. Il me faut un topo de l'hôpital. Je veux un plan indiquant là où trouver la Bouche. Je veux connaître les plannings du personnel et aussi les dossiers de Demian Hesse et la Magicienne. Oh, et tant qu'à faire, je veux aussi savoir si ces deux là sont bien ici.
Vous êtes exigent agent Singer. Vous trouverez ces dossiers à l'accueil. Sinon, pour ce qui est de Demian Hesse... Oui, il semblerait qu'il soit là mais... quelque chose... cloche. Et la Magicienne... Aucune trace d'elle. Bonne chance agent Singer. »
Singer se dirige vers l'accueil de l'hôpital. Sur le comptoir, il trouve un épais dossier. À l'intérieur, il y a un plan des lieux indiquant notamment la chambre de la Bouche et, au sous-sol, l'Abyme. Le dossier concernant la Magicienne ne ressemble en rien à un dossier médical. C'est en fait une compte-rendu de l'interrogatoire mené par Haze dans le cadre de l'affaire Coleman. Il y a des photos de scènes de crime, des copies des messages laissés par le tueur et un ensemble de notes présentant Hesse, en réalité la Magicienne, comme l'auteur présumé d'un attentat à l'explosif devant avoir lieu lors d'une rave organisée dans un... hôpital. Et le dossier de Hesse. Rien bien sûr. Le dossier du Patient 13 est classé confidentiel.
Singer regarde autour de lui. Il est nerveux. Il sent que c'est bientôt le fin de toute cette histoire. Pourtant, il a la désagréable intuition que ça ne se passe pas comme prévu. Il reprend les notes de Haze. Ce dernier a lancé une opération dans les ruines de l'hôpital, dans la forêt aux environs d'Olympia. Il aurait dû y trouvé la Magicienne. Mais non ! Qu'a-t-il trouvé ? Le Dieu Cœlacanthe. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de démiurge et de nouvelle prison. Et qu'est-ce que lui vient faire là-dedans. Le Jus de Singe. La Loi de Dionysos. Il ne fait pas les lois. Il n'est que l'assistant de la Bouche. La Bouche. OK ! Singer-Dionysos se dirige vers la chambre de la Bouche, espérant des réponses.
Il entre dans la chambre, confiant. Il sait que la Bouche est là. Et il sait qu'elle a des réponses. Il est son assistant. Elle est son contact. Miner, son mentor au sein de la Compagnie est derrière tout ça. C'est lui qui a certainement placé ses pions, qui a fait en sorte qu'il se retrouve là. Mais pourquoi ? La Bouche doit savoir...
« Bonjour Dionysos.
Bonjour, la Bouche. J'ai des questions.
J'ai des réponses... peut-être ?
Miner est derrière tout ça ?
Ackerman est derrière tout ça.
Ackerman ? Tu veux dire Sodek NoFink ?
Non, je parle bien d'Ackerman. C'est elle le cerveau de la bande.
Quoi ?! Non, c'est la personnalité de Sodek qui est le complice de la Magicienne. C'est Sodek qui a manipulé Coleman. Johanna est la victime.
Pas tout à fait. Johanna est le cerveau qui se fait passer pour la victime en contraignant Sodek à jouer le complice de la Magicienne afin que Coleman accomplisse pour eux le rituel d'ouverture de porte entre les mondes, laissant ainsi le champ libre aux Cœlacanthes et aux Horlas.
Ça n'a aucun sens. Sodek n'est pas la victime dans l'histoire.
Mais il n'est pas le cerveau.
C'est la Magicienne le cerveau.
Non, elle est l’entremetteur.
Quoi ?
La Magicienne est celle qui transmet le flambeau, qui donne la Noix au nouveau joueur, au nouveau Patient 13.
Demian Hesse, le Patient 13, le joueur... Mais que fait-il en bas, à la morgue.
Il crée la nouvelle prison.
Et la Magicienne ? »

Je m'appelle Tad Corso. Enfin, c'est mon nom humain. Mon nom d'ange est Manalyan. Oui, je suis un ange. Un déchu, abandonné depuis que les dieux de Millevaux ont chassé notre créateurs. Anges et démons alors incarnés sur Terre, nous avons été abandonnés là et avons vu, au fil des ans, des décennies et des siècles, les civilisations humaines décliner, être rongées par la forêt, devenir Millevaux.
Aujourd'hui, nous ne pouvons plus acquérir de nouveaux pouvoirs, mais nous conservons ceux que nous avions avant que Dieu et Satan ne soient chassés de la Terre. Nous ne disposons plus des antiques énergies mystiques célestes et infernales pour les alimenter. Mais l’Égrégore régnant désormais les a remplacé.
Millevaux nous a tous dispersé. Anges, démons, nous sommes désormais seul. Nous errons, sans but...
J'ai un but.
Je sauve les miens. Je leur permets de rentrer à la maison, de regagner le Paradis, ou l'Enfer. Je leur permets de quitter cet enfer qu'est Millevaux.
Oui, je les tues !
Ils se laissent faire, des fois. Mais le plus souvent, ils refusent mon aide. Alors je dois les convaincre, les forcer. Peut-être qu'un jour l'un d'eux me libérera et alors moi aussi je rentrerai.


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