Millevaux I
NoAnde avait découvert
ce passage sous l'arbre la veille. Il avait demandé conseil au
shaman mais celui-ci ne lui avait pas fait la réponse qu'il
attendait. Selon le vieil homme, ces petites poupées de bois et de
mousses, ces statuettes en os représentant des hommes-poissons
étaient un mauvais présage et NoAnde ne devait pas s'en approcher.
Autant pour le vieil homme, la curiosité fut la plus forte. NoAnde
retourna auprès de l'arbre et s'enfonça dans le passage terreux qui
s'ouvrait entre ses racines. Après quelques minutes de reptation, le
vide le surprend. NoAnde bascule, tombe et perd connaissance.
Il reprend ses esprits
dans un couloir souterrain. Tout, du sol au plafond, n'est que terre.
Les parois comme le plafond sont traversés de racines tordues. Entre
ses pieds coule un petit filet d'eau. Il regarde autour de lui, au
dessus, impossible de faire demi-tour. Ni les racines ni la terre ne
lui offrent la possibilité de grimper vers la surface. Alors que ses
yeux s'habituent à l'obscurité, il distingue une silhouette affalée
contre la paroi. Il s'approche. Il s'agit d'un homme horriblement
défiguré avec un bandeau sur l’œil. Malgré cela, on dirait
qu'il a l'air réjoui. NoAnde l'observe et tente de comprendre
comment s'y est pris son bourreau pour tordre son visage à ce point.
Quelle cruauté !
NoAnde se rappelle alors
quand lui-même avait failli mourir. C'était il y a peu. Parti
cueillir des baies et des champignons, il s'était éloigné du
groupe et retrouvé sur le territoire d'un Horla. Celui-ci
ressemblait à un humain mais en plus... grossier, mal dégrossi.
Comme une sculpture inachevée, dont on aurait négligé les détails.
De plus, son visage asymétrique générait un sentiment de malaise.
Malgré cela, l'air qu'il jouait à la flûte était mélodieux,
raffiné et délicat. NoAnde avait été... charmé. Ce ne fut que
grâce à la chance qu'il esquiva le coup de griffe que lui porta le
Horla quand celui-ci tenta de l'attraper. Il se mit alors à courir
et parvint, là encore par chance, à quitter le territoire du Horla.
De retour au présent,
NoAnde examine de plus prêt ce cadavre. Rien dans les poches mais,
quand il soulève le bandeau, il trouve une grosse écaille de
poisson fichée dans l'orbite creuse. N'osant toucher cette chose, il
repositionne le bandeau et abandonne le cadavre. Ainsi, il entame une
longue marche sous terre et se retrouve dans un petit espace aménagé
comme une sorte de campement. Il y a en effet une couche faite de
fourrure, les traces d'un feu de camp et quelques ustensiles pour
cuisiner. L'endroit est désert. NoAnde fouille un peu plus les
affaires du propriétaire des lieux et trouve une enveloppe. À
l'intérieur, un dessin représente une carte. NoAnde reconnaît une
boussole. Il y a aussi un crane et un diamant. Il y aurait donc un
trésor sous terre ? Il a beau retourner la carte dans tous les
sens, NoAnde n'a aucune idée de là où il pourrait être. Et il lui
semble très peu probable que le crane sur la carte soit celui de
l'homme qu'il a croisé plus tôt. Aussi, il remet l'enveloppe à sa
place et poursuit sa route. En effet, si quelqu'un vit ici, il y a
forcément une sortie.
Du bruit. Un
grognement ! NoAnde se retourne. Il ne voit rien. Puis apparaît,
marchant à quatre pattes, un être terrible. Il est à la fois jeune
et vieux et il saigne abondamment du nez. Il y a quelque chose de
sensuel dans sa façon de se déplacer qui fascine NoAnde. Il
s'approche en faisant des zigzags. On dirait un serpent. Soudain, il
agite la tête de bas en haut, projetant du sang en direction de
NoAnde. « Pourvu qu'il ne me touche pas », se dit le
jeune homme. Mais peut-être fait-il pire en réalité. En effet,
NoAnde recule et se retrouve dos à une paroi. Et l'homme, ou plutôt
la chose qui ressemble à un homme, s'approche. NoAnde se rend alors
compte que la chose n'est pas nue. Elle porte une combinaison faite
de peau humaine...
Un horrible bruit. Un
craquement, une déchirure. La bête jaillit de son costume d'homme
et se jette sur NoAnde griffes et crocs en avant. NoAnde est comme
hypnotisé par ses gigantesques mâchoire carrée. C'est tout juste
s'il se rend compte que la tête de cette chose est faite de dures
plaques osseuses alors que son corps, mou et spongieux, est recouvert
d'écailles et de squames. N'écoutant que son instinct, NoAnde se
jette en dessous de la créature. Il effectue une sorte de roulade
qui lui fait mal à l'épaule mais il se redresse et se met à courir
sans se retourner.
Au bout d'un moment,
NoAnde remarque que le monstre ne le poursuit plus. C'est alors qu'il
s'écroule à terre. Son épaule le fait souffrir le martyre. Il est
beaucoup plus mal en point qu'il ne le pensait et seul l'adrénaline
lui a permis de tenir jusqu'ici. Assis par terre, adossé à une
paroi, il fixe cette caverne terreuse dont il se demande s'il en
trouvera la sortie. Pour l'heure, NoAnde se rend compte qu'il a
échoué dans...
… un abattoir !
La terre ruisselle de sang. Des crochets pendent du plafond. À
certains sont accrochés des cadavres d'animaux mais aussi d'hommes.
Tous sont égorgés, éventrés. Des branches ont été introduites
dans les anus autant d'animaux que d'hommes. Pourquoi ? Est-ce
le « garde-manger » du monstre qu'il vient de fuir ?
Il n'a aucune envie de le savoir. Malgré la douleur, il se relève
et s'éloigne aussi vite qu'il le peut de ce carnage insensé.
NoAnde arrive alors dans
une plus grande salle. Il y a des degrés circulaires. On dirait un
amphithéâtre, mais un tout petit. Il a un étrange sentiment. Il
n'est pas claustrophobe mais... là... il commence à douter.
S'approchant d'une paroi, il se rend compte que des étagères y ont
été creusé. C'est une... bibliothèque ! NoAnde s'empare d'un
ouvrage. Il ne sait pas lire. Il l'ouvre et le porte à son nez pour
sentir l'odeur des pages, de l'encre. Ça sent le pourri. Ça sent la
mort. Repoussant le livre, il voit les mots s'agiter comme une chaîne
de lombrics et autres vers gluants. Puis le livre se met à bouger
dans ses mains. Les autres aussi se mettent à trembler. Ils
sautillent et s'approchent du bords des étagères. Les livres en
hauteur lui tombent dessus. L'un d'entre eux heurte son épaule,
ravivant un pic de douleur. NoAnde n'a qu'une peur, que ces livres
lui parlent ! Et pourtant, c'est bien son nom qui résonne dans
ce petit amphithéâtre. Qui parle ? Les livres ne parlent pas !
Ils ne parlent qu'à ceux qui savent lire, non ? Alors que les
livres continuent de chuter sur lui, NoAnde sort de la torpeur qui
l'avait gagné et s'éloigne. Quand il se retourne, NoAnde constate
que chaque livre est de nouveau à sa place.
Il y a une petite porte
de bois sous une torche. NoAnde doit se pencher pour l'emprunter. Peu
lui importe tant qu'il fuit ce lieu malsain. Derrière la porte, une
échelle de corde. En haut, la lumière...
Combien d'années ont
passé ? NoAnde est finalement devenu Shaman du Clan des Arbre
mais pour l'heure peu importe ! Il faut courir ! Vite,
loin, sans se retourner.
Les hommes en capuches
blanches sont arrivés en nombre cette nuit et ils ont mis le feu au
camp-village de NoAnde. Il a tenté de parlementer, de comprendre, de
les arrêter... mais comment discuter avec des hommes (des hommes,
vraiment?) qui ne parlent pas, qui ne répondent pas ? Ils n'ont
rien cherché à savoir. Il ont craché leur flamme sur les tentes,
les cabanes, les hommes, les femmes et les enfants du Clan des
Arbres. Alors, ils ont fuit, tous, dans des directions différentes.
Un temps, NoAnde courut aux côté de son ami JaHaber mais, sentant
la menace se rapprocher, il a changé de chemin sans se préoccuper
de savoir si l'autre shaman du Clan des Arbres le suivait. Il se
sentait lâche, avait le sentiment d'avoir abandonné son ami. Mais
l'une des voix qui lui parlaient dans sa tête depuis qu'il était
devenu shaman lui dit quel chemin emprunter pour se mettre en
sécurité. Et quand un esprit parle, nul autre choix que de
l'écouter et obéir. Autant pour la culpabilité. NoAnde la laissera
le ronger plus tard. Quand il sera sûr que sa vie ne sera plus en
danger.
Un carreau d'arbalète
se fiche dans un tronc non loin de lui. Les hommes en capuches
blanches sont tout prêt. NoAnde n'a rien pour répliquer. Il n'est
pas un chasseur, encore moins un guerrier. Il est un médiateur.
Entre les hommes. Entre les hommes et les esprits. Il ne possède
pour se défendre que la dague rituelle qui lui a été offerte lors
de son initiation. Il accélère et tente de distancer ses
poursuivants. En vain. Il manque de trébucher sur une racine. Sa
cheville le fait souffrir mais il peut encore courir. Il le doit.
Derrière lui, on hurle. Il reconnaît la Langue Putride. Ces hommes,
s'ils ne sont pas des monstres, des Horlas, sont au moins des
sorciers. Mais NoAnde, s'il connaît la langue des esprits, la
langues des Arbres, ne parle pas la Langue Putride. Il n'en reconnaît
que les accents, les intonations. Il sait que cette langue est celle
des êtres et des choses mauvais. Il tente de regarder par dessus son
épaule pour voir, savoir ce que font ses adversaires. Il ne voit
rien. Une voix dans sa tête lui souffle que c'est uniquement après
lui que ces hommes, ces choses, en ont. Ils auraient massacré tout
son clan juste pour lui ? Non, car ce n'est pas la voix d'un
esprit qui lui parle. Juste celle de sa peur mâtinée d'un
égocentrisme exacerbé soudain par son instinct de survie.
Soudain, une série de
sifflements. De nouveaux volent des carreaux d'arbalète. L'un d'eux
se fichent dans son dos. Il en a le souffle coupé. Il perd le rythme
de sa course, manque de s'écrouler. Et s'écroule finalement.
Rabattant sur son visage sa houppelande faite de feuilles et de
plumes, il espère ainsi se camoufler au mieux et ramper jusqu'à un
abri. Des cris lui signifient qu'il est repéré. Alors, il se
rappelle, quand il était plus jeune, avant de devenir un shaman. Il
y a un monde sous la Forêt, sous les Arbres. C'est un monde
dangereux mais, pour l'heure, il y sera en sécurité. Il rampe
jusqu'au racine d'un arbre pluricentenaire et l'implore de lui offrir
un passage salvateur. La Forêt est clémente. Les racines de l'arbre
dissimule l'entrée d'un souterrain. NoAnde s'y introduit, s'y terre
et sombre...
A son réveil, une tête
morte lui fait face. Elle ouvre les yeux juste après lui. Elle
parle...
« Donner la mort,
c'est un art. La face d'os parle une langue secrète. La vérité
diminue l'amitié. C'est pourquoi la cible fragile collabore avec le
froid destructeur. »
Et la tête va pour
refermer les yeux.
« Non ! »
crie NoAnde.
La tête rouvre les
yeux.
« j'ai des choses
à te dire, à te demander. Si donner la mort est un art, je ne suis
pas la toile sur laquelle le carreau de l'arbalète doit étaler sa
peinture de sang. Je ne parle pas la langue secrète, la Langue
Putride. Sont-ce des faces d'os sous ces capuches blanches ?
Suis-je la cible ? Qui est le destructeur ? »
« Le Lézard a eu
une vision. Il a vu le Serpent-Fleur, reprends la tête morte.
Grattes la croûte et trouve la noirceur. La Noirceur... Ici
commence l'errance de Celui Qui A Disparu Pendant Un An. L'univers
dans une coquille de noix. » Et la tête ferme à nouveau les
yeux.
NoAnde, si c'est bien de
lui dont il est question, aurait disparu pendant un an ? Mais
quand ? Avant ou après son initiation ? Et pourquoi il ne
se rappelle de rien ? Il fouille dans sa besace et en sort...
une noix. Dehors, les hommes aux capuches blanches hurlent. Ils le
cherchent. Ils sont tout prêt. Ils l'ont vu ! NoAnde rampe à
reculons vers le fond du souterrain, s'éloignant de la tête morte.
Il pense à JaHaber, son ami qu'il a perdu de vue (abandonné?).
Est-il mort ?
De la fumée ! Ils
ont mis le feu à l'entrée du souterrain et comptent l'enfumer pour
la faire sortir. La carreau fiché dans son épaule le fait toujours
souffrir. NoAnde a dans sa besace quelques décoctions qui pourraient
apaiser sa douleur, mais ses doigts s'enroule autour d'une noix, une
unique noix. « L'univers dans une coquille de Noix. » Il
éclate la coquille entre deux pierres et avale le fruit.
Je m'appelle Demian.
J'ai 43 ans. Je mesure 1m77 pour environ 62kg. J'ai les cheveux très
courts. Je les avais longs avant mais j'ai fini par les couper car
j'avais la flemme de passer des heures à les sécher et les démêler.
Je porte des lunettes. Une monture que j'espère discrète mais c'est
aujourd'hui d'en trouver de telles aujourd'hui. Aujourd'hui, il faut
que ça se voit. Impossible d'être discret, de vouloir être
discret. Nous vivons dans le monde de la téléréalité, tout le
monde doit être m'as-tu vu, extravertie, égocentrique... Bref...
Je travaille comme
assistant de vie scolaire dans une classe pour élèves souffrant de
troubles de la fonction cognitive. Quand j'écoute les profs en salle
des profs, je ne fais pas la différence entre leurs élèves et les
miens. À l'ère de la téléréalité, nous somme tous des
déficients.
En ce qui me concerne,
ma déficience fait de moi ce qu'on appelle un « Nécrosexuel ».
Pour faire simple, je te baise, je te tue. Autant dire qu'avec une
telle affection ma vie sociale en générale et sentimentale en
particulier est... compliquée.
Je n'ai plus tué depuis
l'âge de 17 ans. Mais peut-être que je mens. J'ai usé de biens des
palliatifs pour éprouver malgré tout quelque chose d'approchant
l'extase. Les paraphilies et les drogues en tous genres sont
d'excellents palliatifs.
Ce soir, j'ai
rendez-vous avec un nouveau dealer. On l'appelle la Magicienne. Je
l'attends dans ce squat, une sorte de terrain de camping sauvage
aménagé dans les ruines d'un immeuble qu'on a jamais fini de
construire. Il y a 15 ans, des raves electro-indus faisaient trembler
les murs jusqu'au levé du soleil. Aujourd'hui, la nature a déjà
commencé à rependre ses droits. La végétations rampent sur le
sol, court sur les murs. Et moi, j'attends la Magicienne dans le noir
et le silence.
Des bruits de pas. Elle
arrive.
Elle porte un vieux
manteau de cuir et un chapeau en fourrure orné d'une tête de loup.
Son visage est surmaquillé. Mais sous la couche de peinture, je
devine qu'elle me ressemble. Ses mains sont... Non ! C'est
impossible ! Ça, ça n'existe pas. Un courant d'air soulève un
pan de son manteau. Dessous, elle est nue. Je découvre qu'elle est
androgyne. C'est... bizarre. Je pourrais la tuer pour ça. Elle se
met à parler. Elle me raconte la Forêt, les Abysses, les Horlas et
les Coelacanthes qui veulent envahir notre monde. Elle me raconte
comment cette drogue, cette noix, va me projeter dans les cauchemars
qui me permettront de sauver le monde. Car c'est seulement en vivant,
en survivant et en mourant dans les cauchemars que je pourrais
repousser les Coelancanthes et protéger notre monde de la Forêt.
Elle me tend une noix.
Je la prends. J'en brise la coquille entre deux cailloux traînant
là. Je porte le fruit à ma bouche. Je vois... Millevaux !
C'est la douleur qui
réveille NoAnde. Il ne se rappelle même pas avoir perdu
connaissance. Il peine à se relever. Ses mouvements sont lents,
difficiles. Il passe de longues minutes à se réapproprier son
corps. Puis, quand ses yeux se sont habitués au ténèbres, il
regarde ses mains. Elles sont couvertes de feuilles, il y a des
branches entre ses doigts. Non ! Ses doigts sont des branches
d'arbres et sa peau est recouverte de feuilles. Il tâte ses biceps,
palpe ses pectoraux. Il sent la rugosité de l'écorce. Il sent... la
noix. Il est un Noyer ? Un Noyé ?
Étrangement, cette
unique noix l'a rassasié. Même sa blessure est moins douloureuse.
Par précaution, il applique dessus un baume composé d'herbes
médicinales. Il ne ressent rien de particulier. Il n'est pas plus
soulagé que cela mais espère que ça évitera que la douleur se
réveille.
En plissant des yeux et
se concentrant, NoAnde parvient à mieux voir là où il se trouve et
ce qui l'entoure. Il y a des peintures sur les murs. On y voit des
hommes en rond autour d'arbres. Mais ce sont des arbres étranges,
pas comme ceux de la forêt. Il ne sait pas si c'est en raison de la
seule maladresse de l'artiste, mais ces arbres ont quelques de...
corrompus. Ils sont biscornus, tordus. Malgré la simplicité des
traits, il émane d'eux quelque chose de malsain, de maléfique. Ce
ne sont pas les Arbres que vénère le Clan des Hommes-Arbres. Même
les silhouettes représentant les hommes sont étranges. Il y a
quelque chose de dérangeant dans cette scène. Pourtant, NoAnde se
sent rassuré car il quitte le domaine de l'inconnu. Il se rappelle
les leçons de son maître. Ces arbres n'en sont pas. En réalité,
il s'agit de rejetons de La Chèvre Noire des Bois aux Milles
Chevreaux, Grand Esprit de la Forêt et objet de cultes impies. On a
toujours mis NoAnde en garde contre Shub-Niggurath et les esprits qui
hantent la forêt, les Horlas. Et on lui a aussi enseigné qu'il ne
fallait pas se laisser tenter par ces esprits. Ils promettent monts
et merveilles, pouvoir et richesse mais ce ne sont que mensonges et
tentations. Au bout de ce chemin de corruption et de souffrance, il
n'y a que la folie, puis la mort. NoAnde frissonne. Où est-il
tombé ? Spontanément, son regard se porte au sol. Il remarque
alors que celui-ci est parsemé de petites statuettes tantôt de
pierre, tantôt de bois, ressemblant vaguement à des hommes.
Certains sont armés, d'autres recouverts de sang ou d'excréments
séchés. Soudain, une tache de lumière attire son attention. Un
petit bonhomme de bois recouvert de merde semble pointer quelque
chose du bout de son bras de brindille. Une noix ? NoAnde la
ramasse, la porte devant ses yeux et l'examine. À la périphérie de
son regard, une ombre se faufile. NoAnde appelle. Pas de réponse.
Juste un craquement. Puis un cri en Langue Putride ! « Ïa !
Ïa ! Shub-Niggurath !! » Il tente de suivre des yeux
la silhouette qui lui tourne autour. Il tourne sur lui-même, de plus
en plus vite. Il est soudain pris de vertige. « Ïa ! Ïa !
Shub-Niggurath !! » Alors que tout devient flou autour de
lui, il voit apparaître un escalier devant lui. Au milieu des
marches plane un crane. Il se recouvre progressivement de chair et
recompose le visage mort qu'il a déjà vu tout à l'heure. La tête
parle :
« L'Ordre va être
bouleversé. L’Équilibre va être rompu. La lumière va montrer
tout l'éventail de son spectre. Il existe un Livre. Il parle d'amour
et de mort. Manges la Noix... et assaisonne là de Viande Noire,
d'Opium Jaune ou de Jus de Singe. Deviens Pan ! Deviens
Dionysos ! Toi... ou un autre... »
NoAnde sent son esprit
vaciller. Il gobe la Noix sans même briser sa coquille. Elle se
bloque dans son œsophage. Il étouffe. Il se tape au niveau du
thorax, espérant la faire descendre ou remonter, espérant briser la
coquille. Il sent finalement la Noix descendre et atterrir dans son
estomac. Il faudra longtemps à ses sucs digestifs pour dissoudre la
coquille. Dans combien de temps ressentira-t-il les effets du
fruits ? Il se rend alors compte que sa blessure ne le fait plus
souffrir. Il la palpe. La douleur revient. Elle repart presque
aussitôt. Il rassemble ses esprits. L'escalier a disparu. À sa
place, NoAnde voit un monticule de chair en putréfaction. Des corps
humains démembrés ont été empilé afin de former une pyramide
d'environ 1m ou 1m20 de haut. Les bras, jambes, têtes et troncs sont
collés les uns aux autres par un ciment de sang, de boue et de
merde.
Un horrible rictus barre
alors le visage de NoAnde. Il ne ressent maintenant nulle compassion
pour ses pauvres victimes. Il a le sentiment de comprendre la
fonction, le but de tout cela. Ces hommes et ses femmes n'avaient été
mis sur Terre que pour servir de sacrifice en l'honneur de « Ïa !
Ïa ! Shub-Niggurath !! » hurle-t-il dans la
pénombre. Il regarde ses mains. Les branches composant ses doigts
sont maintenant plus épaisses. Il sent que l'écorce recouvrant sa
peau est elle aussi plus solide. Les feuilles et les plumes au dessus
de sa tête ne sont plus celles de sa houppelande. Sa chevelure
végétale court maintenant jusque sur ses épaules. Il secoue la
tête et éprouve un vrai plaisir à entendre le bruit des feuilles.
Il se sent devenir arbre. Un noyer. Spontanément, il porte sa main à
son entrejambe et y trouve 2 nouveaux fruits qu'il met dans sa
besace.
NoAnde a sommeil. Il
plante ses pieds dans la boue et laisse ses racines pénétrer
profondément la Terre. Il n'avait jamais éprouvé un tel sentiment
de fusion avec la Forêt. Ses racines s'enfoncent jusqu'au Rêve, au
Rêve de la terre. NoAnde va rêver.
Putain ! Ce tunnel
n'a pas de fin ! No End !
Après avoir gobé la
noix donnée (ou plutôt vendue, mais à quel prix ?) par la
Magicienne, j'ai vu la Forêt et elle portait le nom de Millevaux.
C'était ça le cauchemar ? Le cauchemar dont je suis sensé
sauvé le monde ? Non, je n'y crois pas. Le cauchemar, le vrai,
c'est ce tunnel sans fin. Ça fait des heures que j'erre dans cet
espèce de blockhaus sans même savoir comment je m'y suis retrouvé.
Je suis sous terre. Je le sens. Les murs de béton suintent d'une
humidité crasseuse et des racines se fraient un chemin par les
fissures au plafond. Où suis-je ?
Puis, un intérieur. Une
maison souterraine. Un laboratoire, comme le repaire d'un alchimiste
du Moyen-Âge. Il y a des fours, des fioles, des bocaux remplis de
trucs organiques bizarres. Des ombres qui s'agitent...
Dans un coin, il y a une
grande armures en terre, branchages et feuillages. On dirait un gros
homme dans lequel on pourrait entrer. Un amateur de comics de chez
Marvel y verrait un mélange entre Hulk et Groot.
« Je s'appelle
Hulk ! »
Ça ne me fait pas rire
non plus. Mais cela arrache un bruit de gorge à la magicienne. Je ne
l'avais pas vu. Elle est là.
Elle a l'air fatigué,
vieilli. Je la fixe droit dans les yeux.
« Pour sauver le
Monde des Abysses, tu dois enfiler cette armure et retourner d'où tu
viens pour quérir mon aide. »
l'espace d'un espace
d'un instant, je ne sais plus qu parle à qui. J'ai l'impression que
c'est moi qui m'adresse à la magicienne mais, quand elle me tend un
gobelet rempli d'un mixture à l'odeur bizarre, je suis certain que
c'est elle/lui/moi qui me parle.
Je bois.
Je rentre dans cette
espèce d'armure et je la sens se modifier, se resserrer, se plaquer
contre moi, s'adapter à ma morphologie.
Je regarde mes mains,
des branches tordues. Je secoues la tête, le bruit du vent dans les
feuillages.
Ma vision se trouble.
Mes yeux s'ouvrent dans
une pièce qui fut ma chambre et mon bureau. Les doigts-branchent
courent sur le clavier d'un ordinateur portable usé. Le mien. Les
murs blancs ne le sont plus. Ils sont humides et envahis par de la
mousse et des moisissures. Le sol est dégueulasse. Par la fenêtre,
je reconnais vaguement la route de Paris. Mais elle est envahie par
la forêt.
Où-suis je ? Et
quand ?
Je me retourne. La porte
coulissante donnant sur la salle de bain est sortie de son rail...
depuis très longtemps visiblement. La porte donnant sur la pièce
principale s'ouvre maintenant sur... un tunnel obscur, sans fin... No
End !
J'accède finalement à
ce qui fut la pièce principale de mon appartement. Un air froid
s'engouffre par la vitre brisée de la véranda. Les étagères sont
renversées. Ça me fend le cœur de voir mes livres à terre,
abîmés, rongé par l'humidité et les bestioles qui m'ont remplacé
ici depuis... combien de temps ?
Ma basse est toujours
là, sur son socle. Une odeur atroce s'échappe du frigo dont
l'intérieur est intégralement recouvert de moisissures. Par la
véranda fracassée, je vois que le petit parking de derrière a lui
aussi cédé la place à la forêt. Dans les arbres, un couple de
corbeaux a remplacé le couple de pies. Je sens l'armure de terre
vibrer, bouger tout autour de moi. Des filaments de terre
s'infiltrent sous ma peau. Je tombe à genoux. Des larmes brouillent
ma vision mais je vois mes mains à nouveau changer de forme. Mes
cris, mes gémissements, ressemblent de plus en plus aux
grommellements d'un sanglier.
Quand je parviens à me
relever, il fait nuit. La lune est pleine. Quelques notes de basse.
Je me retourne. Un être difforme, moitié-homme moitié...
sanglier ? Se tient là. Comme moi à l'époque, la basse à la
main, le pied droit en appui sur l'une des 2 malles dans lesquelles
je rangeais mes vieux comics de chez Marvel. Dans quel état
doivent-ils être ?
Je lui demande ce qu'il
fait là, chez moi. Il repose tranquillement la basse sur son support
et m'explique que c'est moi qui l'ai appelé. Je ne le crois pas
mais, quelque part, je suis rassuré par sa présence. Je lui dis que
je veux rentrer chez moi, que je ne comprends rien à tout ça et que
tout ça est certainement un very very bad trip que je dois à cette
putain de noix !
C'est bizarre le rire
d'un sanglier.
« Si tu veux faire
un choix éclairé, embrasse-moi ! »
mon premier réflexe est
de faire un pas en arrière. Puis, j'en fais deux autres, en avant.
C'est bizarre de rouler
une pelle à un sanglier.
Je vois !
Deux chemins. Un vers le
monde. Un vers les cauchemars.
Le monde est laid. Je
choisis le cauchemar.
Sans fin...
NoAnde
ouvre les yeux et hurle. Il regarde ses mains. Ce ne sont plus des
branches. Il secoue la tête. Ce n'est plus le bruit du vent dans les
feuillages. Son cri résonne comme celui d'un sanglier. Un horrible
homme-sanglier. Et devant lui se tient un homme au corps
disproportionné, musculeux et noueux. Ses mains sont énormes. Son
visage est dur, inhumain. Il arbore des bois de cerfs et des cornes
de bouc. Ses yeux sont clos, cousus par de la grosse ficelle. Il se
dégage de lui une forte odeur de terre. Il pousse de longs
gémissement sourds et graves. Il lève une énorme masse faite d'un
agglomérat de branches et d'os.
NoAnde
repousse violemment la chose qui vacille. Il en profite et se rue sur
lui, le rouant de coups. Mais la créature semble ne rien sentir.
Bien que NoAnde le frappe sans relâche et pèse sur lui de tout son
poids, l'être se relève et tente de se saisir de lui. NoAnde tente
de se dégager, en vain. Le monstre enserre le coup de NoAnde d'une
seule main et lève sa masse.
NoAnde
sent les os de son crane céder sous l'impact. Il sent le sang
couler. Il sait qu'il ne tient encore debout que parce que la
créature le porte, l'étrangle. Il voit trouble. Le désespoir
s'insinue à mesure qu'il sent la vie le quitter. À qui peut-il
demander de l'aide ? Il a tourné le dos aux Esprits de la
Forêt, aux Esprits des Arbres. Shub-Niggurath ? Doit-il offrir
son âme à la Chèvre pour espérer sauver sa vie ?
Oui !
Milles fois oui comme les Milles Chevreaux !
« Ïa !
Ïa ! Shub-Niggurath !! »
NoAnde
crie, hurle, chante son adoration pour son nouveau dieu qu'il appelle
désespérément à l'aide.
Un
coup de masse pour seule réponse.
Un
corps meurt.
Une
âme est vouée à la folie.
Où
suis-je ? Quelle heure est-il ?
Putain,
quelle migraine !!
26
juin 2018, l'agent spécial Damon Haze débarque à Olympia, capitale
de l'état de Washington. Vu de l'avion, son surnom de « l’État
vert » n'est pas usurpé. Il est 11h50, le ciel est toujours
brumeux. Il y avait ce matin un fort brouillard qui peine à se
lever.
L'agent
Haze travaille seul depuis l'échec de la négociation avec un
terroriste qui a coûté la vie de plus de la moitié des otages et
ses jambes à son coéquipier. Ce dernier ne lui en tient pas rigueur
et ils se voient régulièrement. Malgré tout, Haze se sent toujours
coupable. Il vit seul également. Il pratique le jeu de rôle par
forum. À cause de ses fréquents déplacements, il ne peut pas jouer
« irl » comme il le voudrait. Il s'est pris d'amitié
pour une de ses partenaires de jeux « Anke », qu'il n'a
jamais vu et dont il n'a même jamais entendu le son de la voix.
L'agent
Haze a rendez-vous avec le chef des forces de l'ordre locale. Son
aide a été requise au titre de consultant afin de résoudre une
affaire d'homicides multiples. Comme pour conjurer un mauvais sort,
on n'ose pas encore parler de meurtres en série. Haze a profité du
vol pour étudier le dossier concernant la dernière des neuf
victimes. Toutes des femmes, des prostituées. Ada Bowler a, ou
plutôt avait, 32 ans. Une rousse ou cheveux longs, comme les autres
victimes. Et comme les autres victimes, on l'a retrouvée parée d'un
collier d'esclave, aux extrémités soudées. Ada a été retrouvé
nue, déposée sur le flanc gauche sur les berges d'un canal. Elle
porte des traces de blessures par balles mais, s'il s'agit du même
MO que pour les victimes précédentes, elle n'est pas morte des
suites des coups de feu. Elle présente également des entailles
qu'on ne peut attribuer à une arme blanche. On constate des marques,
des hématomes, au niveau de son cou mais, là encore, on ne peut pas
parler de strangulation. Éventuellement, d'une tentative inaboutie.
Il y a évidemment de petites entailles causées par le collier et
des marques de brûlures en raison de la soudure. Elle n'a
visiblement pas été vidée de son sang. Toutefois, il y a beaucoup
de sang sur la scène de crime. La victime montre aussi des traces de
liens au niveau des chevilles et des poignées. L'analyse
toxicologique est positive. Comme pour les autres victimes, il s'agit
de cette nouvelle drogue qu'on trouve sur le marché : « la
Noix ». Cela explique notamment l'absence de trace d'injection.
Reste à savoir si la victime a été drogué de force ou si elle
était déjà consommatrice de ce produit. La victime a été violé,
avant et après la mort. On n'a pas retrouvé de traces de sperme
mais des poils ont permis de procédé à une analyse ADN. Pour
l'heure, cela ne correspond à aucune entrée répertoriée dans les
bases de données de la police et du FBI.
Un
détail, et pas des moindres. Comme pour chaque victime, on a
retrouvé près d'Ada un petit bristol avec, tapé, un message. Ici :
« Au
commencement, je la prends. J'en brise la coquille entre deux
cailloux traînant là. Je porte le fruit à ma bouche. Je vois...
Millevaux ! C'est la douleur qui réveille NoAnde. Il ne se
rappelle même pas avoir perdu connaissance. Il peine à se relever.
Ses mouvements sont lents, difficiles. L’hôpital est en ruine,
envahi par la forêt et ses esprits, ses Horlas. L'assistance pousse
une clameur. Tu veux tuer ton frère ? Tu dois trouver le lieu
parfait. Millevaux ! »
Qu'est-ce
que ça peut bien vouloir dire ? Et les autres messages ?
Haze survole alors les dossiers des autres victimes.
1-Lynn
Parker (45 ans) a été retrouvée sur le parking d'un restaurant à
la sortie de la ville.
« La
soumission livre la Vision du Lézard. La braise arrache à la loi.
Elle est hors la loi. Elle revendique la loi du Horla. À jamais. »
2-Jody
Bennett (36 ans) a été retrouvée sur la parking d'un motel.
« Égorger
l'(in-)secte est l'initiation. Le Jus de Singe interroge
l'intégration de l'enfant de Dionysos. »
3-Cindy
Jones (41 ans) a été retrouvée près d'un collecteur d'égout.
« Lever
le voile. La Cité Bleue ! Je suis l'ambassadeur de la Cité
Bleue ! La Nature me torture. Les Cœlacanthes marchent ! »
4-Laura
Bennett (aucun lien avec la victime 2) (32 ans) a été retrouvée à
l'entrée d'un cimetière.
« La
greffe du Horla brandit l'oriflamme de la Cité Bleue. Je franchis la
piste sans hésitation. Laisses-toi entraîner, élevé, par le
Horla ! »
5-Mary
Baker (47 ans) a été retrouvée près d'une cabane dans la forêt.
« N'est-ce pas
marchander que de prendre un pseudonyme ? Ou est-ce un luxe ?
Une performance à graver ? Une performance aggravée ? La
Vision du Lézard, félicitée ! Convoyeur, passeur, ce n'est
pas la mort. C'est une œuvre d'art. »
6-Betsy
Wilson (39 ans) a été retrouvée dans une zone industrielle à la
périphérie de la ville.
« Se
déplacer, allumer Dionysos. Présenter l'opposant. Abandonner la
malchance. Souhaiter la mort de la mémoire est un cri d'amour ! »
7-Léonora
Carpenter (38 ans) a été trouvée dans un terrain vague.
Dionysos
charme la brindille. La Forêt cesse d'être un compagnon. Il faut
s'en arranger, c'est un pari. Ou alors, récupérer un nouveau
contrat... »
8-Angelina
Lopez (36 ans) a été retrouvé au pied d'un monument aux morts.
« Gavé
de Jus de Singe, j'annonce la véracité. Je cite le Verrat. Je
collabore. Je suis brave. Le gain au bout du protocole. Depuis mon
exil, je vous épies. »
OK,
avant son rendez-vous avec le chef de la police, Haze décide d'aller
manger un morceau dans un petit restaurant non loin du commissariat.
Il commande le burger maison avec double ration de frites et fait
bien attention de ne pas tâcher d'huile ses dossiers. Sur un coin de
la nappe en papier, il commence à prendre des notes...
Sitôt
son café enfilé, Haze se rend au commissariat. Là, il est reçu
par Pete DiCompain, le corpulent et jovial chef de la police
d'Olympia. Haze est accueilli avec du café et des donut's qu'il ne
refuse pas. Les présentations sont rapides. Haze ne veut pas perdre
de temps. Il sort ses dossiers et le bout de nappes arrachée sur
laquelle il a commencé à prendre des notes sur l'affaire. DiCompain
semble alors méfiant. Pour l'apaiser, Haze passe alors en mode
warm-up. Il s'excuse de son empressement, met ses notes de côté et
partage un café et quelques beignets, prenant le temps de faire un
peu plus ample connaissance avant d'attaquer les choses sérieuses.
Haze est quelque peu ennuyé quand la conversation dérive sur les
problèmes conjugaux du chef, visiblement cocufié par sa femme.
Mais, ne voulant pas le froisser et encore moins se le mettre à dos,
il l'écoute pendant de longues minutes durant lesquelles, peu à
peu, il fait rentrer ses notes dans le champ de vision du chef. Quand
ce dernier a enfin fini de s'épancher, il aperçoit miraculeusement
les dossiers. Les choses sérieuses vont enfin commencer.
Haze
dresse rapidement un plan d'ensemble de la situation telle qu'il la
perçoit à la lecture des dossiers qu'on lui a fourni :
-Toutes
les victimes sont des femmes aux longs cheveux roux entre 30 et 50
ans.
-Ce
sont toutes des prostitués.
-Elles
ont toutes été retrouvées dans un lieu public, nues, ne portant
qu'un seul collier métallique aux extrémités soudées.
-Elles
ont toutes été retrouvées couchées sur le flanc gauche.
-Elles
présentent toutes des blessures par balles, par une arme blanche
inconnue ainsi que des marques de strangulation au niveau du cou.
Mais, ce n'est pas cela qui les a tuées.
-Elles
ont toutes été ligoté aux poignées et aux chevilles (voir les
marques).
-Elles
ont toutes consommées, de gré ou de force, cette nouvelle drogue
qu'on appelle la Noix.
-Elles
ont toutes été violées avant et après la mort.
-On a
retrouvé, sur chaque scène de crime, un bristol avec un message
étrange tapuscrit.
Partant
de là, Haze livre pèle-mêle ses premières impressions :
-Les
victimes ont certainement retenues en captivité durant un moment.
Cela signifie que le tueur dispose d'un lieu pour cela. Il s'y sent
en sécurité et l'a sûrement équipé afin de procéder au mieux.
Avec presque 10 victimes au compteur, son mode opératoire est bien
rodé. Il a l'habitude. Il a certainement pris confiance en lui, ce
qui peut aussi le conduire à commettre des erreurs. Il faudrait
vérifier si les victimes présentent des traces de malnutrition.
Est-ce que le tueur « prend soin » d'elles ou les
laisse-t-il mourir ? Combien de temps les garde-t-il en vie ?
Le
chef explique alors que les victimes ont été nourri a priori
correctement. Elles ne présentent pas du tout les effets de la
malnutrition évoquée par Haze. Cela signifie notamment que le tueur
achète cette nourriture. S'il vit seul, ce qui est probable, comment
expliquer qu'il achète de la nourriture pour 2 ou plus selon le
nombre de victimes qu'il retient en même temps ? De plus, sa
planque est certainement isolée. Aussi, pour éviter les trajets
inutiles, il doit acheter en grande quantité.
-Les
victimes présentent toutes un profil similaire. La tranche d'âge,
liée à la profession, peut amener à penser que le tueur considère
ses femmes comme plus vulnérables et isolées car, en « fin de
carrière ». Ce sont peut-être à ses yeux des proies plus
faciles. On peut aussi penser qu'il procède à une sélection. Il
doit donc roder dans les parages en quête de la victime idéale.
Le
chef note alors d'organiser des rondes dans les quartiers chaud.
Peut-être pourra-ton repérer un véhicule en repérage. Il s'agit
également de protéger les femmes correspondant aux profil des
victimes.
-Bien
que tuées ailleurs, la scène de crime est pleine de sang. On dirait
que le tueur les « vide », littéralement. Quel sens cela
a pour lui. En tout cas, cela veut dire qu'il prend le temps de le
faire. Il se sent donc en sécurité. Il y a des chances pour qu'il
connaisse les lieux et leur taux de fréquentation. Peut-être
fait-il du repérage à ce niveau là aussi pour trouver le lieu
adéquat où laisser sa prochaine victime ? En tous les cas, il
souhaite manifestement qu'on retrouve ces corps.
-Concernant
la drogue, les victimes étaient-elles connues pour en être des
consommatrices régulières ? Auquel cas, le tueur les a
peut-être « appâtées » en leur en proposant. Et, dans
ce cas, comment s'en est-il procuré ? Est-il également un
consommateur de Noix ? Agit-il sous l'influence de cette
drogue ?
Le
chef note d'envoyer des hommes secouer quelques dealers et autres
indics afin de voir s'il tombe quelques informations à ce sujet.
-On a
retrouvé de poils (et donc de l'ADN) dont on peut penser qu'ils
appartiennent au tueur. Mais ils n'appartiennent à aucun échantillon
recensés dans les fichiers de la police et du FBI. Il faudra quand
même les comparer systématiquement à ceux de tout suspect
interrogé.
-Concernant
les proches des victimes, Haze demande si on a interrogé leur
famille et leurs amis ?
Le
chef avoue qu'ils n'ont pas exploré cette piste là. Enfin, pas
encore. Il y ont pensé, c'est en cours. Mais, comme l'a deviné
Haze, ces femmes étaient plutôt isolées et prendre contact avec
leur famille n'est pas si facile que ça. Et c'est la même chose
pour leurs rares amis qui vivent tous aux marges de la loi.
-Enfin,
les messages ! Haze pense que là sont les véritables indices.
Il pense même que les points communs entre les victimes (cheveux,
coucher la victime sur le flanc gauche etc.) ne sont pas réellement
important pour le tueur. Homme organisé, certainement instruit, il
s'est renseigné sur les serial killer et, à sa façon, copie cet
aspect de leur mode opératoire. Mais son véritable but serait
ailleurs. Et la clé est dans ces messages qui seraient adressés à
un éventuel allié. On peut penser qu'à travers eux le tueur
cherche un allié, quelqu'un qui le comprendrait, qui partagerait ses
objectifs. Les meurtres et les viols ne seraient alors qu'un élément
parmi d'autres dans un desseins plus vaste dépassant largement la
seule recherche d'une satisfaction sexuelle. Tous ces messages sont
autant d'indices qu'il faut décoder. Le tueur donne des
informations, mais pas nécessairement à la police. On peut penser
qu'il est provocateur, mais pas seulement. Il a suffisamment
confiance pour écrire ses messages mais a également un profond
besoin d'être écouté et compris. Peut-être, aussi, a-t-il besoin
d'aide pour achever son œuvre ?
Sous
la dictée, le chef note que Haze pourrait jouer ce rôle, encore
faudrait-il trouver un moyen de communiquer avec le tueur. La
presse ? Le Net ?
-Haze,
même s'il ne les a pas étudiés en profondeur, a déjà relevé
quelques éléments qui lui semblent important ou en tout cas
significatifs. Par exemple, il explique certains de ses jeux de mots.
Il donne des indices. Il veut qu'on le trouve. Mais est-ce seulement
une manifestation de son sentiment de culpabilité. Le reste des
messages, notamment les références mythologiques et ésotériques,
font penser qu'il y a vraiment un but plus élevé à toute son
entreprise et qu'il entendrait bien la mener à son terme. Dans tous
les cas, il va falloir faire vite car, comme son plan n'est pas
encore réalisé, il y a de fortes chances qu'il tue à nouveau et
bientôt. De plus, il risque fort de disparaître car il cessera de
tuer quand son but sera atteint. Il faut absolument le capturer
avant !
Le
chef DiCompain a envoyé des hommes dans le milieu des dealers et des
toxicomanes. S'il s'avère que les victimes étaient des
consommatrices régulières de la Noix, on pourra imaginer que le
tueur s'en est servi pour les aborder. Si non, peut-être
utilise-t-il la drogue pour les garder sous contrôle.
Pendant
ce temps, Haze a repris toutes ses notes et a tenté d'identifier le
profil du tueur. Il a commencé par définir son mode opératoire. Le
tueur cherche donc une victime type (quand bien même ce ne serait
que pour brouiller les pistes ou par simple confort). Il l'observe,
la traque. Quand il est certain d'avoir affaire à une personne qu'il
estime vulnérable et isolée, il la kidnappe. Il l'a conduit dans
son repaire, en droit isolé, bien équipé, où il peut se livrer à
ses activités en toute tranquillité. Il nourrit correctement ses
victimes. On peut penser qu'il les séquestre un long moment. Il leur
fait subir diverses tortures (blessures par balles et armes blanches
volontairement non létales, strangulation, viol). Il leur fait
porter un collier de servitude en acier, certainement pour asseoir sa
domination sur elles. Il les drogue (à quelle fin?). Puis, au bout
d'un certain temps, il les achèves et les expose dans un lieu
public. Là, il continue de les torturer en les vidant de leur sang.
À noter que les victimes ont toutes été violées post-mortem (sur
la scène de crime?). Sur chaque scène de crime a été retrouvé un
petit bristol avec inscrit un court message énigmatique et
halluciné.
Dans
un premier temps, Haze pensait avoir à faire à un tueur mystique.
Il y a des références mythologiques (Dionysos), à des lieux
apparemment sacrés. Il y a une vraie cohérence qu'on discerne dans
la récurrence de certains termes, lieux et personnages (il va
falloir approfondir tout ça). Mais, en définitive, il a plus
l'impression que le tueur décrit une sorte de monde imaginaire qu'il
chercherait à atteindre par cette succession de meurtres et de
tortures.
Haze
prend une fiche de serial killer vierge dans sa chemise en plastique.
Il note donc « Celui qui vit dans un monde imaginaire »
dans la catégorie Profil. Il détaille ensuite le MO dans la case
correspondante et note, à titre d'hypothèse, dans la case
Pathologie Mentale, que le tueur souffre certainement
d'hallucinations, de troubles dissociatifs et/ou de schizophrénie.
Et ce, peut-être bien à cause de sa propre consommation de Noix.
Concernant les anciennes victimes, il y en a eu 8 avant celle-là.
Dans la mesure où il semble bien que le tueur cherche à
communiquer, il est peu probable qu'il en a dissimilé une. Auquel
cas, pourquoi ? Pour ce qui est d'éventuels complices, Haze
pense justement que le tueur agit seul et que cette solitude lui
pèse. Il pense que ces messages sont en partie adressés à un
éventuel complice, à quelqu'un qui saurait en déchiffrer la
symbolique et qui le rejoindrait pour l'aider dans sa quête. D'autre
part, ces messages seraient également adressés à celui à qui le
tueur veut faire la démonstration de sa valeur. Pour entrer dans son
monde imaginaire, il a besoin de l'accord (la bénédiction?) d'une
sorte de passeur, de juge. Par ses messages et ses meurtres, le tueur
demande donc de l'aide à un complice tout en entendant démontrer à
ce « juge » qu'il mérite d'être accepter dans ce monde
imaginaire. Plus prosaïquement, peut-on faire l'hypothèse que ce
« Passeur » serait un vulgaire dealer de Noix ?
Fort
de cette première analyse et de ces hypothèses de travail, Haze
attend maintenant le retour de la patrouille de police pour en savoir
un peu plus et décider de la suite de l'enquête. Il en profite pour
se connecter sur son site de RPG en ligne. Il a eu une idée de
personnage et de scenario. Ça fait un moment qu'il veut jouer dans
une ambiance cyberpunk, il se crée donc le personnage de D. Maze.
C'est un activiste, un journaliste indépendant et militant motivé
par le savoir et la vérité. Pour l'heure, il veut faire la lumière
sur cette nouvelle drogue qui fait des ravages à Reality-City :
la Noix ! Ces yeux cybernétiques sont équipés d'un zoom et
ses oreilles artificielles font office d'amplificateur. Sur un plan
purement visuel, aucune trace de chrome. Et parce qu'il convient
d'être prudent, il possède aussi un pistolet à fléchettes de
marque Lik-Sang. D. Maze a beau travaillé en freelance, il bénéficie
du soutien et du réseau d'ARN (Alternative Reality Network), un
réseau de média indépendant. Mais, pour l'instant, la situation
n'est pas rose. D. Maze commence l'aventure pris au piège par la
bande de dealers qu'il voulait interviewer. Ils en veulent
manifestement à ses crédits, voire même un peu plus.
Haze
stoppe là son récit. À la charge d'un autre joueur de renchérir.
Maintenant, il crée la faction ARN, ce réseau média ayant pour but
de faire le maximum de lumière sur les vérités qui dérangent. Ils
ont l'avantage d'être particulièrement bien équipé. Ils possèdent
un grand nombre de drones équipés de caméras et de micros, ainsi
que toutes sortes de gadgets permettant de voler et stocker sons et
images. Par contre, cet équipement a un prix et il est élevé. Il
semblerait bien que, dans l'immédiat, ARN soit en quête de fond
avant d'être en quête de vérité ! Toutefois, ARN va pouvoir
souffler encore quelque temps puisqu'une banque vient d'accepter de
leur faire crédit. Mais il va quand même falloir renflouer les
caisses au plus vite. Un méga-scoop serait le bienvenu.
C'est
en fin de matinée, 2 jours plus tard, qu'on remet à Haze un rapport
concernant les liens entre les victimes et le milieu des dealers et
toxicomanes. Il se jette dessus comme le chef DiCompain sur une boite
de donut's. C'est avec une certaine déception qu'il apprend que les
victimes n'étaient pas connues pour être des consommatrices de
Noix. Il apparaît même qu'elles ne prenaient aucune drogue et
étaient au contraire connues pour être totalement « clean ».
Haze doit donc revoir sa copie. Ce n'est pas par ce biais que le
tueur les a abordées. De plus, impossible de mettre la main sur un
revendeur de Noix. Les dealers interrogés ont bien un nom mais
aucune idée de comment le contacter. Ce dealer se fait appeler « Le
Magicien ». Toutefois, il y a un doute quant à son sexe. Il
s'agirait peut-être d'une femme en réalité. En tout cas, le tueur
est en contact avec lui. Partant du principe que le tueur vit ou veut
rejoindre son monde imaginaire, Haze pense qu'il drogue ses victimes
non seulement pour les garder contrôle mais aussi, peut-être, pour
partager ses visions avec elles.
Haze
fait ensuite part au chef de ses impressions quant à la série de
messages laissés sur les scènes de crime. Il a tout d'abord noté
des références directes à la drogue. La Noix, mais aussi le Jus de
Singe qui est le surnom d'un autre toxique. L'usage de drogue peut
être une sorte de clé dans sa logique. Elle lui donne accès à ses
visions ainsi, peut-être, que le « courage » de passer à
l'acte. Là est peut être le lien avec la figure de Dionysos, dieu
de l'ivresse. Le tueur évoque aussi différents lieux qu'on peut
qualifier de fantasmatiques : La Cité Bleue, dont il serait
l'ambassadeur ; Millevaux (est-ce vraiment un lieu?) ;
l'Hôpital (a-t-il fait un séjour en hôpital psychiatrique?). Il
parle aussi de la forêt, mais comme d'un lieu négatif. Elle a
« cessé d'être un compagnon ». il écrit que la nature
le torture. Il fait aussi référence à plusieurs personnages.
NoAnde peut se comprendre comme No Hand (pas de main, il serait dans
le déni de ses mains qui donnent la mort?) ou No End (il ne voit pas
de fin à sa quête). Il évoque les Visions du Lézard. Voit-il un
lézard dans ses hallucinations causées par la Noix ? Ce Lézard
est-il le passeur qu'il cherche à amadouer par ses meurtres ?
Il parle aussi plusieurs fois de ces esprits qu'il appelle Horlas. Il
fait lui-même le lien entre ces Horlas et le fait d'être hors la
loi. Il y a un lien, pour lui, entre être hors la loi et appartenir
au monde des esprits. La transgression de la loi serait donc un moyen
de franchir la frontière entre les mondes. Il évoque d'ailleurs
tout un « protocole » et la notion de passeur, de
convoyeur. Il y a donc des étapes à franchir, des lieux à visiter,
des passeurs à payer (en meurtres?). Ce serait donc à ce prix qu'il
parviendrait à gagner son monde imaginaire. Il souhaiterait d'autant
y parvenir qu'il se considère en « exil ». Peut-on
comprendre qu'il se sent exclu ? Le tueur serait donc quelqu'un
de solitaire, isolé au sens propre comme au sens figuré. En
admettant qu'il est une vie sociale, notamment un emploi, il ne doit
avoir que peu de fréquentations. Ce doit être un homme plutôt
discret, timide, voire mal à l'aise en société. Il vivrait autant
que possible retiré. Il est possible qu'il habite une petite maison
isolé à l'extérieur de la ville (dans ces bois qui le torturent?).
Là, il aurait pu sans problème aménager sa planque pour y retenir
ses victimes. De là, on peut imaginer que, par souci pratique, il
possède nécessairement un véhicule. Et, pourquoi pas, un gros. Il
s'agit autant de pouvoir faire de grosses courses et éviter les
supermarchés autant que possible que de se donner un sentiment de
puissance au volant, par exemple, d'un 4x4 ou d'un Hummer.
Pour
Haze, il ne fait aucun doute qu'il a à faire avec un schizophrène
dont les hallucinations sont certainement accrues par la consommation
de drogue et l'isolement. Il pense à un homme autour de la
quarantaine n'ayant rien d'imposant. Il doit être vêtu d'une façon
discrète et peu soignée. Il porte certainement des lunettes et
arbore une calvitie naissante qu'il ne cherche pas à dissimuler. Il
l'imagine marchant vite, voûté, fuyant tout contact avec les
autres. Si, effectivement, le tueur est d'un certain âge, il est
probable qu'il soit le seul de cette tranche parmi les clients du
Magicien. Aussi, il faut absolument lui mettre la main dessus. Il
leur faut six jours pour y parvenir. On conduit le Magicien en salle
d'interrogatoire. Mais alors que l'agent Haze s'apprête à l'y
rejoindre, un officier l'interpelle. Un témoin vient de se présenter
au commissariat.
Haze
décide donc de faire patienter le Magicien et reçoit ce fameux
témoin surprise. Il s'agit d'un homme d'âge moyen, dans les 35 à
40 ans. Il dégage une forte odeur de tabac et de marijuana. Il y a
paquet de cigarettes posés devant lui sur la petite table en bois.
Il enchaînera clopes sur clopes, alternant avec les gobelets de café
dans lesquels il ne cessera de plonger des donut's dégoulinant de
sucre glace. Haze lui trouve un air vif, intéressé. Il se présente
et lui demande d'en faire autant tout en précisant le motif de sa
venue.
L'homme
s'appelle Pete Peyno. Il a 40 ans et exerce la profession de
couvreur. Ou plutôt exercerait si ses antécédents judiciaires en
tant que consommateur et possesseur de produits stupéfiants ne
l'avaient plus ou moins grillé dans la région. Aussi, il attend de
la police qu'elle efface son ardoise, qu'il puisse de nouveau
présenter un casier vierge à ses futurs employeurs. Il n'appartient
certes pas à Haze d'accorder un tel privilège mais accepte sans
souci, affirmant connaître un procureur qui lui doit un service.
Pete semble indifférent, mais commence néanmoins son récit.
Consommateur de drogue, il traîne souvent dans le quartier où il a
vu la police enquêter ces derniers jours. On ne lui a rien demandé,
mais il a compris qu'on recherchait un client du Magicien, un homme
dans la quarantaine, comme lui. Lui, bien sûr, ne touche pas à la
Noix. Mais, il connaît le Magicien de vue et certains de ses
clients. Aussi, il a déjà aperçu un quadra négocier avec lui sur
un parking. Non, il ne conduit pas un 4x4 ou un pick-up. Il l'a vu
monter à bord d'un break. Il se rappelle d'un homme portant des
vêtements tout fripés et auquel il manquait un doigt à la main
droite. Le majeur ! Haze poursuit l'interrogatoire en vue,
notamment, de confirmer ses hypothèses quant à l'apparence du
suspect. Il porte bien des lunettes et présente une calvitie
naissante. Toutefois, Pete n'a pas eu l'impression qu'il était
voûté. Évidemment, le couvreur n'a pas retenu la plaque
d'immatriculation du véhicule. Il ne restait plus maintenant à Haze
qu'à confronter ces informations à celles qu'il pourrait tirer du
Magicien.
Dans
la petite pièce où on l'a fait patienter, le Magicien paraît
indifférent. Il tourne lentement la tête vers Haze quand ce dernier
entre. Le Magicien a une quarantaine d'année lui aussi. Son visage
est lourdement maquillé. Cela lui confère un côté androgyne qu'il
n'aurait peut-être pas autrement. Il porte un long manteau de cuir
usé sous lequel il est torse nu ainsi qu'un chapeau en fourrure orné
d'une tête de loup. Haze lui trouve quelque chose de familier. Il se
regarde dans la glace sans tain couvrant un des murs de la salle.
Non, ce n'est pas possible. Pourtant, il a l'impression qu'ils se
ressemblent tous les deux. Comme s'ils étaient cousins... mais c'est
impossible.
Haze
s'assoit, se présente et se sent obligé de rassurer le Magicien en
lui précisant qu'aucune charge de quelque nature que ce soit n'est
retenue contre lui. C'est uniquement au titre de témoin qu'on lui a
demandé de venir. Le magicien demeure impassible. Haze lui décrit
alors l'homme qu'il considère comme le suspect principal dans son
enquête et lui demande s'il le compte parmi ses clients.
Demian a une migraine
carabinée. Il se lève difficilement. Il n'a aucune idée de là où
il se trouve. Il regarde autour de lui en se massant les tempes. Il
est dans une forêt. Qu'est-ce qu'il fout là ??! Heureusement,
il a son petit sac à dos. Il farfouille à la recherche de son
médicament contre les migraines. Mauvaise pioche. Il a oublié de
les prendre. La journée va être très dure... et longue... comme
une... Il n'a même pas la force de sourire à cette blague pourrie,
ni celle de la trouver pourrie d'ailleurs...
Du bruit dans les
feuillages. Un homme approche. Il porte un manteau de cuir et un
masque en os. Demian reconnaît un Cœlacanthe.
Ce type, cette chose,
lui veut du mal. C'est évident.
Demian essaye de
réfléchir, mais avec cette migraine... Il y a bien un moyen d'en
finir. Enfin, il y en a deux. Mais il ne peut se résoudre à cette
deuxième solution sans avoir un tant soit peu tenté de sauver sa
peau.
Évidemment, il n'est
pas armé. Mais, il peut tuer. Il le sait. Il sait comment. Ça le
dégoutte, mais il sait comment tuer ce Cœlacanthe.
Il s'arc-boute, se
donne des coups de poings sur les tempes pour calmer la migraine.
Juste assez pour sauter sur son agresseur, le ceinturer et tenter de
le plaquer au sol. Mais le Cœlacanthe tient bon et reste debout.
Demian enchaîne alors plusieurs coups de poings dans les côtes, sur
les flancs. Le monstre montre alors quelques signes de faiblesse.
Demian enchaîne les coups tout en tentant de l'entraîner au sol.
Il y a longtemps, il a un peu pratiqué les arts-martiaux. Avec un
peu de chance, il pourra le maintenir au sol assez longtemps pour...
Le Cœlacanthe tombe à
genoux. Demian le pousse sur le ventre et, sans attendre, sans
écouter ni son courage ni sa raison, il lui arrache son pantalon. Il
défait les boutons de son propre jeans et s'enfonce dans la
créature. Il lui maintient la tête dans la boue pendant qu'il
enchaîne de violent va-et-vient entre ses reins. La petite mort
s'offre rapidement à lui et lui offre la mort définitive du
Cœlacanthe.
Demian se redresse et,
avant même de renfiler son pantalon, retourne le monstre dont il
arrache le masque d'os. Avec horreur, il contemple son propre visage.
Une idée horrible se
fait un chemin à travers les méandres de la migraine. Il vient de
se violer lui-même, de se tuer lui-même...
le décor change autour
de lui. Il est sous l'eau. Des poissons à tête d'os nagent autour
de lui. La pression est intenable. La migraine est intenable. Son
corps explose. Sa tête aussi...
Demian émerge au fond
d'un trou. Une gigantesque cavité dont les parois argileuses sont
animés de pulsations régulières, comme un cœur qui bat. Il y a
des cadavres partout. Parmi eux, il reconnaît celui de... son père !
Oh merde !! Pourvu que... Pourvu que tout ça ne soit qu'un
cauchemar, rien qu'un cauchemar...
Soudain, une horrible
douleur dans son ventre fait écho à celle qui lui vrille la tête.
Il sent ses organes internes se... reconfigurer. Changer de forme,
changer de place. Son système digestif se... réorganise. C'est
impossible. Il fait que ça cesse et que ça cesse maintenant. Coûte
que coûte !
Demian hurle...
…
car telle est la Vision du Lézard et cette t'est adressée Damon
Haze. »
Haze
a l'impression d'émerger d'un rêve étrange, d'un sommeil
absolument pas réparateur. Il n'a pas mal à la tête mais ressent
pourtant le besoin de se masser les tempes. Il éprouve le besoin de
demander au Magicien de répéter son histoire mais une irrépressible
angoisse l'empêche de le faire.
Le
Magicien, lui, demeure impassible.
Oubliant
même le motif de cet interrogatoire, Haze quitte précipitamment la
pièce. Il donne à la vite quelques consignes pour qu'on retienne le
Magicien et court jusqu'au toilette. Il tente de vomir mais n'y
parvient pas. Il se passe de l'eau sur le visage et contemple son
reflet dans le miroir, ne sachant pas ce qu'il souhaite y trouver.
OK,
un nom. Il veut un nom. Celui du client. C'est pour ça que le
Magicien est là et pas pour autre chose. Se sentant trop mal pour
poursuivre l'interrogatoire, il délègue cette tâche à un
inspecteur. Mais le Magicien reste intraitable et refuse de donner le
nom de son client. D'une certaine façon, ils le tiennent. Ils
peuvent le coffrer pour obstruction, refus de coopérer. À partir de
là, ils auront tout le temps de le cuisiner.
Haze
a besoin de se changer les idées. Il se connecte sur son forum de
rpg et regarde si on a répondu à son post dans son jeu cyberpunk.
Bonne nouvelle ! Un certain DemianHesse lui a répondu via son
personnage, le Techno-Vaudou Aaron Powl. Aaron se présente comme un
noir albinos d'une trentaine d'année. Il porte de longues dreads
dont certaines sont des implants cybernétiques. L'une d'elles est
dotée d'une caméra, une autre d'une lame rétractable. Il prétend
communiquer avec les Lwas, esprits vaudous, qui lui dictent sa
conduite et dont il se fait un devoir d'accomplir la volonté.
Demian
décrit comment il met en fuite les dealers qui s'en prenaient à D.
Maze. Il fait planer sur eux la menace des Lwas et du clan Powl. On
se saura jamais vraiment laquelle de ces menaces a été efficaces
mais les dealers s'enfuient. Pour autant, D. Maze n'est pas tiré
d'affaire car Demian déclenche une scène de confrontation. Il
entend en effet le faire renoncer à son enquête et déclare que son
but va à l'encontre de la volonté des Lwas. Il est hors la Lwa !
Pour appuyer son propos, Powl agite sa cyberdread à la lame
rétractable. D. Maze sent que l'albinos a des informations. Il
enclenche tous ces cyber d'enregistrement et entend bien obtenir de
lui autant de renseignements que possible. À la cyberlame, il oppose
son pistolet à fléchettes. Il espère ne pas avoir à s'en servir,
mais est-ce que ce sera suffisant pour intimider Aaron Powl ?
On
dirait que oui. L'albinos a un mouvement de recul. Il regarde un peu
partout autour de lui. Il hoche plusieurs fois de la tête et
marmonne des mots inintelligibles.
« Maze !
Les Lwas t'ont à la bonne. Ils ne te veulent pas de mal. Aussi, tu
devrais rester en dehors de toute cette histoire. La Cité Bleue
n'est pas pour toi. Les Lwas ont un message pour toi. Alors, la voix
du vaudou change. Elle devient à la fois plus rauque et lointaine.
« Fange,
ornières, bourbiers. Progresser dans l'infâme mangrove. Sables
mouvants.
Suffocation.
Déchetterie de la mégafaune. La forêt de merde. »
Puis,
elle redevient normale. Aaron transpire abondamment. Il halète. D.
Maze a l'impression qu'il veut lui dire quelque chose mais n'ose pas.
Pour l'apaiser, il range son pistolet à fléchettes et lui tend la
main. Le vaudou la lui prend et la serre, fort. D. Maze ressent une
vive douleur, comme une décharge électrique. Il lit de la tristesse
dans le regard de Powl qui s'excuse et s'enfuit. D. Maze le regarde
courir à tout allure en secouant sa main endolorie. Quand il examine
sa paume, une suite de lettres constituées de pixels bleutés
s'efface. Un nom : Paul Singer...
Haze
se déconnecte sans trop comprendre ce qui vient de se passer. Même
en admettant que ce Demian eut été connecté en même temps que
lui, il est impossible qu'il ait pu participé à son post. Haze n'a
jamais fait l'expérience de l'écriture automatique mais se dit que
ça devrait ressembler à ça. Il décroche le téléphone de son
bureau et demande à parler au chef DiCompain. Il veut savoir si le
Magicien s'est décidé à parler. Oui, mais à lui seul... et il
veut du café. Haze court jusqu'à la machine à café et commande
deux gobelets. Il fonce ensuite jusqu'à la salle d'interrogatoire où
l'attend le Magicien.
« ''Fange,
ornières, bourbiers. Progresser dans l'infâme mangrove. Sables
mouvants.
Suffocation.
Déchetterie de la mégafaune. La forêt de merde'' Qu'est-ce que ça
veut dire ? Et qui est Paul Singer ? »
Le
Magicien sourit. Il est à l'aise. Il hume la fumée de son café et
en boit une gorgée.
« Paul
Singer se rendra dans la Cité Bleue. La Forêt gagne du terrain. La
nature est une Torture. Je ne connais pas le nom de celui que tu
cherche. Mais tu le trouveras dans la forêt, derrière l'hôpital en
ruine. Tu es un gardien de la Lwa. Méfies-toi des Horlas et crains
les Cœlacanthes. »
Haze
pousse devant le gobelet de café qu'il n'a pas touché. I lest
encore fumant. Il attend que le Magicien s'en empare puis quitte
précipitamment la pièce. Haze s'empare de son portable et donne ses
consignes. « Qu'on organise une surveillance plus que serrée
des bois derrière le vieil hôpital en ruine. Qu'on surveille aussi
tous les accès routiers, qu'on arrête systématiquement tous les
véhicules de type break et qu'on retienne tous les conducteurs
répondant au profil décrit par le témoin. Qu'on organise aussi une
battue « discrète ». Que les agents se fassent passer
pour des chasseurs ou des randonneurs. Et qu'on ne s'arrête pas
avant de l'avoir trouvé. Oh, et enfin, est-ce que quelqu'un connaît
un certain Paul Singer ? »
Sans
attendre, Haze se rend sur les lieux décrits par le Magicien. Il
s'enfonce dans les bois jusqu'à un petit cours d'eau. Évidemment,
personne. Pour autant, il a le sentiment que c'est ici et maintenant
que tout se joue. Il appelle le chef DiCompain et, ne voyant pas sur
le terrain les hommes qu'il a demandé, lui met un coup de pression
en lui rappelant premièrement que la vie d'une femme est
certainement en jeu et, deuxièmement, qu'il sera tenu
personnellement responsable de l'échec de cette affaire..il retourne
alors à sa voiture. Il hésite à consulter ses mails. Il renonce,
de peur que ce Demian n'ait répondu à son post. La nuit tombe.
Rien...
Une
semaine plus tard, Haze n'a toujours pas osé se connecter sur son
site de rpg. Toutefois, une bonne nouvelle ce matin, on a arrêté un
homme dans les bois. Un certain Paul Coleman. Il n'a fait aucune
histoire lors de son interpellation. Il n'a d'ailleurs prononcé
quasiment aucun mot. Il attend Haze en salle d'interrogatoire.
Haze
passe à la machine à café et commande deux gobelets fumants.
Discrètement, il observe sa main droite et constate que le majeur
manque. Il n'ose y croire. Ce serait donc lui. Il correspond bien à
la description faite par le couvreur. Haze s'assoit. Il boit une
gorgée de café. Le silence s'installe. Il n'ose le rompre. Coleman
ouvre la bouche. Sa voix est rauque, lointaine...
« Dans
sa boutique, des centaines de flacons de larmes. Cristallines,
fondues, fluides, opaques, irisées...
Sentiments
à boire et à vendre. »
Haze
le fixe droit dans les yeux. Coleman reprend, de sa voix normale.
« Un
incident et j'ai tout perdu. La Cité Bleue. »
Sa
voix change à nouveau.
« Au
bout de ce chemin de corruption et de souffrance, il n'y a que la
folie, puis la mort. NoAnde frissonne. Où est-il tombé ?
Spontanément, son regard se porte au sol. Il remarque alors que
celui-ci est parsemé de petites statuettes tantôt de pierre, tantôt
de bois, ressemblant vaguement à des hommes. Certains sont armés,
d'autres recouverts de sang ou d'excréments séchés. Soudain, une
tache de lumière attire son attention. Un petit bonhomme de bois
recouvert de merde semble pointer quelque chose du bout de son bras
de brindille. Une noix ? »
Haze
a un mouvement de recul. Coleman lève la main droite et pointe son
index sur sa tempe. Il tire. Il s'écroule sur la petite table. Son
sang – rouge – se mélange au café – noir – renversé sous
le choc. Haze ne parvient pas à détacher son regard de l'index
fumant de Coleman.
« Bonjour,
je l'agent spécial Den...
Non !
Pour cette mission, vous êtes l'agent Paul Singer. Vous nous avez
été recommandé par l'Agent Spécial Miner. Savez-vous ce qu'il est
devenu ?
Euh...
non...
Porté
disparu. En mission. Je tiens à vous signaler que Contrôle l'a jugé
coupable de nombreuses violation du protocole. Tirez-en les leçons
qui s'imposent.
Il a
disparu... en mission ? Je vais devoir le retrouver ?
Non.
Enfin, c'est sûr que si vous lui mettez la main dessus... Disons que
ce n'est pas entièrement par hasard qu'on vous a choisi. Mais là
n'est pas l'objet principal de votre mission. Vous n'avez pas lu le
dossier ?
On
ne me l'a pas remis.
Ah !
Tenez, lisez ça. »
Début
juillet 2018, la police d'Olympia (état de Washington) interpelle
Paul Coleman dans le cadre d'une affaire de meurtres en série. On le
soupçonne d'être l'auteur de neuf meurtres précédés de
kidnapping et tortures. Il se laisse docilement conduire au
commissariat où l'agent spécial Haze du FBI entend procéder à son
interrogatoire. Après avoir proférer des paroles vides de sens dans
le même style que les messages qu'il avait laissés sur les scènes
de crime, Coleman se suicide d'une balle dans la tête tiré à
l'aide de... son index droit. Notons que Coleman correspond à la
description faite par des témoins (absence du majeur droit) et que,
après autopsie et analyse, son ADN correspond avec celui retrouvé
sur une des scènes de crime. Parallèlement, une brigade de la
police d'Olympia investit la résidence principale de Coleman, un
chalet en bois perdu dans la forêt. De prime abord, il s'agit d'un
habitat sans histoire et tranquille. Tout est propre et bien rangé.
Les placards sont remplis de nourritures, visiblement pour plusieurs
semaines. Le sous-sol par contre... Une trappe dissimulée dans la
salle de bain mène à un couloir souterrain. Là, les policiers ont
fouillé plusieurs cellules équipées d'une couchette en bois et de
chaînes fixées au mur. Il régnait là une forte odeur de
pourriture et d'excréments. Ils ont trouvé des restes humains en
divers états de putréfaction. Dans l'une des cellules, une femme
rousse approchant la quarantaine était prostrée, nue, sur sa
couchette. Elle était couverte de boue et de sang séché. Elle
récitait en boucle et à voix basse, comme un mantra : « La
Cité Bleue... Le mois de Vrillette... L'orgone, mystérieux fluide,
drogue, aphrodisiaque et source d'énergie... Machines à orgones.
L'emprise et l'égrégore dans le même flacon ! »
« Vous
voyez où nous voulons en venir agent Singer ?
Oui,
effectivement. La Cité Bleue. Cela n'est pas sans rappeler le nom de
code du lieu que nous étudions.
Nous ?
Non, agent Singer. Vous n'étudiez rien. C'est la Compagnie qui
étudie Blue City. Bref, il se trouve que plusieurs message laissés
par Coleman évoquent Blue City mais également une forêt et
d'autres lieux et personnages étranges. Nous voulons en savoir plus.
Nous allons vous envoyer à Blue City. À charge pour vous une fois
là-bas d'en savoir plus sur cette forêt et surtout sur la façon
dont un pauvre type comme Coleman à pu obtenir toutes ces
informations.
Mais,
on dirait que lui comme cette femme, cette Johanna Ackermann, aient
été sous influence de stupéfiant. Ils ont consommé de la Noix.
Est-ce que...
Tutut
agent Singer. Ne parlez pas de la Noix, je vous en pries ! Bon,
si vous avez besoin d'informations complémentaires, vous aurez tout
le loisir de voir directement ça directement avec Contrôle durant
la mission. Pour l'instant, si vous voulez bien retirer votre chemise
que je procède à quelques examens... Bon, vous avez un plutôt bon
cœur pour un homme de votre âge. Veuillez passer dans la pièce d'à
coté je vous pries. Nous allons procéder à l'insertion. »
Insertion
réussie. L'agent Singer se trouve dans une rue déserte. Tout autour
de lui, des immeubles à la hauteur démesurée l'empêche de voir le
ciel. Il doit consulter sa montre pour savoir qu'il est 20h20. En
juillet, il est donc sensé faire encore jour.il se rappelle son
ordre de mission : comprendre comment un tueur en série a pu
être mis au courant de l'existence de Blue City. Sa piste
privilégiée : une boutique avec des flacons. Il aurait
apprécié quelques indications plus précises mais, avec la
Compagnie, il a appris à se contenter de peu. Mais là, c'est
vraiment trop peu. Un petit coup de pouce de Contrôle serait
vraiment le bienvenu.
L'agent
Singer part donc en quête d'une cabine téléphonique. Alors qu'il
marche tranquillement, il revient sur ses pas. Quelque chose a attiré
son attention dans une vitrine. Ce bibelot en forme de chien à 6
pattes est vraiment, mais vraiment horrible ! Au fond de la
boutique, une ombre s'anime. Spontanément, Singer met la main dans
sa poche à la recherche de son arme. Évidemment, elle est vide. À
mesure que la chose avance, il en discerne de mieux en mieux les
contours. Il s'agit d'une espèce de gargouille mécanique. À vue de
nez, elle doit mesurer dans les 2m50. Elle pointe son doigt dans sa
direction. Singer se met alors à courir. Derrière lui, la vitrine
vole en éclats. Malgré son poids, la machine court vite, très
vite. Elle le rattrape trop rapidement et plaque sur son épaule sa
lourde main d'acier. Elle le soulève et le retourne afin de lui
faire face.
« La
viande noire s'agite. En ce mois de Vrillette, on nous disait
clochards, nous étions pionniers, libres, chercheurs d'or. On nous
disait fous, nous étions les seuls à pouvoir s'en sortir. Les
Cœlacanthes se mélangent. Ils ont soif d'amour ? Quand je
parviens à me relever, il fait nuit. La lune est pleine. Quelques
notes de basse. Je me retourne. Un être difforme, moitié-homme
moitié... sanglier ? Se tient là. Comme moi à l'époque, la
basse à la main, le pied droit en appui sur l'une des 2 malles dans
lesquelles je rangeais mes vieux comics de chez Marvel. Dans quel
état doivent-ils être ? »
La
gargouille relâche alors sa prise tout en continuant de fixer
Singer. Alors qu'il tourne dans une ruelle, il voit que la gargouille
est toujours immobile. Il n'ose pourtant pas s'arrêter de courir.
Pas tout de suite. Qu'est-ce que tout ça veut dire ? Après de
longues minutes à courir, puis encore d'autres à reprendre son
souffle, il se rappelle que la teneur de ce message évoque
assurément les messages laissés par Coleman sur ses scène de
crime. Cela signifie-t-il qu'il, ou plutôt que la Compagnie, serait
sur une piste ?
Et
forcément, aucune cabine téléphonique en vue !
OK,
et si c'était un signe ? Dans ce cas, inutile d'essayer de s'en
remettre à Contrôle. Enfin, dans l'immédiat en tout cas. Pour
l'heure, Singer décide tout simplement de s'en remettre à son
Instinct, en espérant qu'il le guide jusqu'à cette fameuse
boutique. Et... ÇA MARCHE !!!
Singer
se retrouve face à une nouvelle vitrine. À l'intérieur, des
flocons. Partout dans la devanture mais aussi dans la boutique.
Singer voit nettement les rayonnages garnis de flacons en verre de
toutes les tailles et de toutes les formes. Avant de se décider à
entrer, il cherche une plaque ou quoi que ce soit indiquant la raison
sociale d'un tel établissement. Rien ! Évidemment. Il se colle
à la vitrine et scrute le fond de la boutique. Il veut s'assurer que
les lieux sont vides. Il n'a aucune envie de se retrouver face à une
autre gargouille mécanique.
Une
ombre bouge dans le fond de la boutique. Singer se plaque contre le
mur extérieur et jette un œil pour savoir de qui il retourne. Une
silhouette s'approche. Une silhouette... Singer estime que ce mot est
bien mal choisi eu égard à la difformité de la créature qui
s'avance. Plus elle s'approche et plus Singer se rend à quel point
elle est grande. Elle dépasse très largement un humain normal.
Cette chose est comme une masse grouillante. Il sent qu'il devrait
fuir mais quelque chose le retient. Serait-ce juste le fait que cet
endroit semble être un des objectifs de sa mission. Singer est
loyal, mais pas suicidaire.
La
chose avance un pseudopode en direction de la vitrine. Un bruit de
succion se fait entendre quand son extrémité se colle au verre.
Puis, un bruit sourd. La vitrine tremble. La chose grouillante est
maintenant collée à la vitrine, à quelques centimètres seulement
de Singer.
« Je
ne te vois pas, mais je sais que tu es là. Je ne vais pas te tuer.
Je ne vais pas chercher à le faire. Si je le cherchais je le
trouverais. Mais je ne vais pas chercher à le faire, Paul Singer.
J'ai un message de la part de Dionysos. Le Thanatrauma et les
Antigens sont des alliés. Mais je ne t'ai rien dit sur la Bouche de
pierre. Ni sur la Bouche, ni sur Pierre. Et maintenant, je m'en
vais... »
S'ensuit
un nouveau bruit de ventouse. Singer attend quelques instants, de
longues minutes, avant d'oser jeter un regard à l'intérieur de la
boutique. Une ombre bouge dans le fond de la boutique. Là, elle a
clairement forme humaine. Singer s'élance à l'intérieur. Il plonge
sa main à l'intérieur de sa veste à la recherche d'une arme. Vain
réflexe. Ses poches sont vides.
« Pas
un geste, je suis armé !, ment-il.
Au
mois de Vrillette, un coup de pelle malheureux a crevé une poche de
biocide. Poison déversé dans les rivières, crèvent plantes,
bêtes, hommes ! Forêt de mort. » lui répond une faible voix
de femme.
Singer
approche. Au sol, recroquevillé en position fœtale une femme nue
est agité de spasmes et chantonne en boucle ces mêmes paroles.
« Madame
Ackermann ? Vous êtes Johanna Ackermann ? Je suis l'agent
Paul Singer. Je vais vous aider. »
Joignant
le geste à la parole, Singer enlève sa veste et la pose sur les
épaules de Johanna. Il cherche un téléphone des yeux et en trouve
un sur le comptoir, au fond de la boutique.
« Allo,
Contrôle ? Ici l'agent Singer. J'ai besoin d'aide.
Pardon ?
Vous dîtes ?
C'est
Paul Singer. J'ai besoin d'aide. Je viens de trouver Johanna
Ackermann dans la boutique de flacons. Je ne sais pas comment
l'extraire. Elle n'est pas sensée être là, non ? Si ?
Agent
Singer... Je, euh... Comment vous dire. Vous êtes mort il y a 12
minutes.
Pas
du tout. J'ai eu quelques petits ennuis mais rien d'insurmontable.
J'ai croisé quelques « personnalités », dirons-nous.
Mais tout va bien. Je suis avec madame Ackermann et elle, par contre,
ne va pas bien du tout. Comment l'extraire ? Elle n'est pas
sensée être là.
Et
bien, euh... Non, elle n'est pas sensée être là. Elle est sensée
être hospitalisée dans le service des soins intensifs de l'hôpital
d'Olympia. Il est donc effectivement théoriquement impossible
qu'elle se trouve à Blue City.
Et
bien en pratique elle y est mon vieux ! Il faut nous sortir de
là.
Et
bien, je...
Contrôle,
bougez-vous le cul s'il vous plaît !
Euh...
Oui, oui. On me dit de vous dire de vous rendre à l'hôpital.
OK,
on est parti. Oh, tant que je vous tiens, il me faudrait des
vêtements pour madame Ackermann et une arme pour moi. »
Singer
inspecte alors l'arrière boutique. Dans un carton, il trouve des
vêtements féminin et un Glock 19. Maintenant, direction l'hôpital
de Blue City.
Était-ce
juste de la chance ou... autre chose, à un abris-bus, Singer
consulte une carte du quartier et trouve l'hôpital. Colonne 13,
ligne P. OK, c'est noté. Johanna Ackermann est toujours inaccessible
à tout discours raisonné, mais au moins elle peut marcher. Elle
regarde les murs de la ville avec un regard perdu et continue de
marmonner des propos incohérents. Singer la prend par les épaules
et la guide jusqu'à l'hôpital.
Quelque
chose titille Singer. Son Instinct lui dit que quelque chose de
louche se trame. Il scrute la rue autour de lui. Rien, mais il sent
malgré tout une présence. Pour autant, celle-ci ne lui semble pas
nécessairement hostile. Mais la plus élémentaire prudence lui
dicte malgré tout de ne pas s'attarder. Après une vingtaine de
minutes à marcher dans les rues déserte, l'hôpital est en vue.
Aux
fenêtres, aucune lumière n'est allumée. Singer aide Johanna à
monter les quelques marches menant à l'accès principal. La porte
n'est pas verrouillée, mais quelque chose en bloque l'ouverture.
Singer tente de l'enfoncer mais elle ne bouge pas. Enfin, pas assez
pour leur permettre d'entrer. Pas de problème, dans une ruelle
adjacente, il trouve une fenêtre accessible. Il la brise et
s'introduit à l'intérieur. Ensuite, il aide Johanna à entrer à
son tour.
Tout
est noir. Il n'y a aucun bruit mais il flotte une odeur étrange.
Comme... de la terre meuble, de l'herbe. En fermant les yeux, il a le
sentiment d'être dehors, dans une... forêt. Il observe les
réactions de Johanna. Elle demeure impassible. Il trouve un
interrupteur. La lumière fut, mais...
Les
murs autour d'eux sont décrépis. Ils tombent en ruine. L'hôpital
n'est plus qu'une ruine envahi par la végétation. On voit le soleil
briller à travers les fenêtres brisées. Johanna semble soudain
triste. Elle se retient de pleurer. Tout en tentant de l'apaiser,
Singer regarde autour de lui. En bas d'un des murs, juste au dessus
de la plinthe, un graffiti. « La Bouche ne parlera plus. Pierre
s'en est allé. »
La
Bouche, Pierre... La chose dans la boutique lui en a parlé.
Qu'est-ce que ça veut dire ? Il soupire. Il doit avant tout
trouver un point d'extraction. Pour ça, appeler Contrôle. Un
téléphone. La réception. En admettant qu'il y en ait un, il est
peu probable qu'il fonctionne, mais il doit tenter le coup. Il prend
la main de Johanna et quitte la pièce. Dans le couloir, tout est
obscur. Tout semble redevenu aussi normal que possible. Il regarde la
porte qu'il vient de refermer et n'ose la rouvrir.
OK !
Pas de téléphone à la réception. La question est réglée. Il
doit pourtant contacter Contrôle, de toute urgence. Il est juste
impossible qu'il n'y ait pas un téléphone dans un hôpital !
Traînant toujours Johanna derrière lui, il entre dans une chambre.
Bonne pioche ! Il y a un combiné. Normalement, il ne devait
servir que pour les communications internes, mais là... ça devrait
marcher quand même. Il décroche. Il y a de la tonalité.
« Contrôle,
nous sommes à l'hôpital. Vous pouvez nous extraire. »
Un
cri lui répond.
« Le
Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »
L'agent
Singer se réveille quelques ??? plus tard dans une chambre
d'hôpital, service de soins intensifs. Assis à côté de son lit,
Contrôle l'observe. Il y a un mélange de tristesse et de méfiance
dans son regard.
« Et
madame Ackermann, elle va bien ? »
Oui,
oui, répond Contrôle. C'est plus pour vous que je m'inquiète.
Comment
ça ? C'est parce que je suis sensé être mort, comme vous avez
dit ?
Non !
J'aimerais que vous me parliez de votre « contact » avec
le Thanatrauma.
Pardon,
de quoi vous parlez ? »
Demian est planté
devant son PC depuis de longues minutes. Il réfléchit à ce qu'il
va pouvoir répondre au dernier post de D. Maze sur son RP cyberpunk.
Il a créé ce personnage d'Aaron Powl au peu au hasard. Ou plutôt
non, ce n'est pas un hasard du tout. C'était un personnage joué
lors d'une campagne d'INS/Delta Green. Il avait beaucoup aimé ce
personnage et vraiment regretté que le joueur la quitte assez tôt
dans la partie. Aussi, il avait bâti autour de ce personnage tout un
back-ground et un clan, le clan Powl, dévoué depuis des générations
au combat contre les Anciens. Aussi, ce n'était pas tant que ça un
hasard s'il avait crée ce cyber-vaudou pour ce RP. Ah Cyberpunk le
Futur Imparfait dont on adorerait qu'il soit quand même. Mais, 2020
approchant, on est bien obligé d'admettre qu'il ne sera pas. En
fait, la situation semble même pire. Les mêmes inégalités, la
même misère humaine et économique... mais sans les gadgets high
techs.
Le futur... Demian
voit... un hangar. Il est dans ce hangar. Il a froid. Il est nu. Les
murs sont hauts et la lumière entre péniblement par des fenêtres
sales. L'odeur est insoutenable. Le sol est recouvert de merde.
Demian n'est pas seul. Un peu plus loin, d'autres enfant, comme lui
(!) pataugent dans leurs excréments.
Une porte s'ouvre. Des
créatures insectoïdes à tête de poisson osseux entrent. Elles
sont immenses. Au moins 3 mètres de haut. Demian capte le regard
incertain d'une d'entre elles. Il tente de se cacher dans un recoin
d'ombre. Il observe les monstres opérer un tri parmi les enfants en
fonction de leur sexe, dirait-on. Demian se blottit encore plus dans
l'ombre. Il sait que l'un d'entre eux l'a vu. Pourtant, il ne semble
pas attirer l'attention des autres sur lui. Pour autant, peut-il
réellement lui faire confiance ? Bien sûr que non, c'est un
Horlacanthe !
Demian réfléchit.
Était-il déjà atteint de cette maladie faisant de lui un
necrosexuel à cet âge ? Pourrait-il tuer ces monstres comme il
a tué l'autre ?
Il
a faim ! Soudain, la faim le dévore. Elle lui vrille les
entrailles et il se rappelle de la douleur qui avait accompagné la
« réorganisation » de son appareil digestif. Il peut les
tuer en les baisant. Mais il peut aussi les manger. Sera-t-il assez
fort pour cela ? Une pensée horrible lui traverse l'esprit. Et
s'il acceptait de se laisser violer par ces monstres pour les manger
ensuite ? Non ! Impossible! Il doit trouver une autre
issue. Il se dirige vers la porte en bois la plus proche. Le
Horlacanthe le suit du regard mais ne dit rien.
Demian n'en croit pas
ses yeux. Des adolescents sont là, fixés sur des machines, leurs
organes génitaux reliés à un horrible système de pompe extrayant
leur foutre. Les Horlacanthes circulent au milieu d'eux, s'assurant
du bon fonctionnement des machines, frappant et violant les enfants
au hasard.ne cherchant pas à en savoir plus, il fait marche arrière.
Demian rampe dans la
merde du grand hangar et ouvre une nouvelle porte. Derrière, ce sont
des adolescentes qui sont retenues et violées par les machines des
Horlacanthes. Certaines sont d'ailleurs enceinte et sur le point
d'accoucher. C'est sans ménagement qu'elles sont conduites dans une
autre salle.
Mais qu'est-ce que c'est
que ce putain de cauchemar. Et là, il n'a même pas pris de drogue.
Ce n'est pas qu'il ne
compatit pas quant au sort de tous ces enfants mais il se sent
terriblement impuissant. Que peut-il faire contre l'incroyable
puissance de la machine Cœlacanthe ? Rien ! Il ne peut
rien.
La sensation de faim
revient en force. L'espace d'un instant, il envisage de manger la
merde qui jonche le sol. Il s'assoit par terre et porte son
avant-bras gauche à sa bouche. Il en arrache un grand bout avec ses
dents. Alors, le Horlacanthe s'approche. Il a un grand couteau et
taille un large bout de chair dans la cuisse de Démian. Il découpe
le morceau en deux et en tend un à Demian. Il dévore la viande crue
et sanguinolente en se fixant droit dans les yeux.
Demian
est de nouveau devant son PC. En musique de fond, la reprise du The
Future de Prince par Lassigue Bendthaus. « I've seen the
future and it will be ! »
Non !
Ce futur ne doit pas être !
Il
se connecte et débute une scène de deal entre Aaron Powl et le
réseau-média Alternative Reality Network. Si cette faction accepte
de le faire bénéficier de son réseau de contact, il leur donnera
la primeur de toute cette affaire. En effet, il sait que quelque
chose d'horrible se trame et fera tout ce qu'il peut pour l'empêcher.
Affaire conclue !
Et
maintenant, et si ce D. Maze se révélait un allié plus utile qu'il
en avait l'air...
NeinUnd
était revenu sur les lieux du massacre. Là où les hommes en
cagoule blanche avaient tué tous ceux, ou presque, du Clan des
Arbres sans aucune pitié. Il se doutait qu'il n'était pas le seul
survivant. C'était impossible. Il devait forcément y en avoir
d'autres. Mais pour l'instant, il était seul. Seul parmi les
cadavres. Il errait au hasard, reconnaissant chacun des visages paré
du masque de la mort.
Siy,
sa sœur, gisait là. Paradoxalement, son visage exprimait une
impassibilité qui n'avait rien à voir avec sa fougue habituelle.
Combien de fois avait-il dû la ramener à la raison, la retenir
alors qu'elle s'apprêtait à se confronter aux dangers de la forêts
en toute insouciance. Elle n'avait que faire des Horlas. Les mises en
gardes des chamans glissaient sur elle. Avait-elle souffert ? On
jurerait que non. Lui, il souffrait. Il avait envie de hurler mais se
retint, de peur d'attirer les hommes en cagoule.
Tout
en jetant des regards craintifs autour de lui, NeinUnd se mit à
creuser le sol. Il savait que cela n'avait aucun sens car il ne
pourrait pas offrir une sépulture décente à chaque membre du clan,
mais il voulait quand même le faire pour sa sœur. Il utilise une
sorte de pelle en pierre pour creuser la terre mais la force et le
courage lui manquent. Et il a peur, peur que ces hommes reviennent.
Le trou est peu profond mais suffisant pour qu'il y dépose Siy. Il
se rappelle quand, petite, elle avait creusé deux trous dans
lesquels elle avait « planté ses pieds ». Elle voulait
prendre racine et, comme les chamans, devenir un arbre elle aussi.
NeinUnd avait commencé par rire mais avait commencé à s'énerver
comme elle refusait de bouger alors même que le soleil se couchait.
Il avait fallu l'intervention et l'évocation d'une vieille légende
mettant en scène Shubb-Niggurath elle-même pour qu'elle consente à
sortir de terre. Maintenant, elle ne sortira plus jamais de terre.
Puisse-t-elle prendre vraiment racine et donner naissance à un bel
arbre. Puis, il éclate en sanglot. Non parce que sa sœur est morte,
mais parce qu'il se souvient. Il se souvient de ce qu'il lui a fait.
Il était jeune et ne comprenait pas. Il avait pris les mots des
chamans au pied de la lettre et avait conduit Siy dans la forêt, de
nuit. Curieux d'observer les esprits de la nuit, il s'était servi
d'elle pour attirer... Il ne savait pas vraiment ce qu'il voulait
voir. Mais il avait vu. Il avait vu le futur. La forêt était devenu
un gigantesque abattoir et d'immenses Horlacanthes d'au moins trois
mètres de haut s'étaient emparées d'elle. Ils l'avaient prise,
forcée et rejetée. Et lui, il avait observé la scène les yeux et
la bouche grands ouverts, sans un mot ni un geste. Il avait ensuite
attendu longtemps que sa sœur reprenne conscience. Puis, il l'avait
ramené au camp en lui jurant que tout cela n'était qu'un rêve.
Mais, il avait vu le futur...
NeinUnd
ne fait qu'enterrer sa sœur. C'est ce souvenir, sa culpabilité
qu'il enterre. Il voudrait aussi que ce futur qu'il a vu reste sous
terre et ne voit jamais le jour. Il s'en veut d'avoir infligé ça à
Siy. Et il s'en veut de n'avoir jamais plus vu en elle par la suite
que l'instrument, le jouet, de ce futur. Pendant des années, il
s'est convaincu qu'elle était responsable de ce qui lui était
arrivé et de ce qui leur arrivera à tous. Mais aujourd'hui, il sait
que c'est lui le responsable de ce qu'elle a subi. Et les seuls
Horlacanthes seront responsables de ce qu'ils infligeront aux
humains. Ils n’avaient jamais évoqué cette nuit. Sauf une fois.
Sa fougue joyeuse, ce jour là, s'était muée en une violence
verbale et physique dont il avait l'objet. Personne n'avait compris
pourquoi elle l'avait agressé ainsi, sans aucun motif apparent. Lui,
n'avait rien fait pour se défendre. Il avait encaissé les insultes
et les coups, sachant qu'il les méritait et espérant qu'elle ne
dise pas à tout le monde à quel point il les méritait. Il se
souvient également de la fois où elle avait interrompu un rituel
clanique. Là aussi, il avait craint qu'elle ne dévoile tout. Mais
elle s'était borné d'injurier les chamans, les traitant au mieux
d'ignorants, au pire de menteur. Il avait fallu l'exclure du cercle.
Ceux qui s'en étaient chargés devaient toujours porter les marques
de griffures et de morsures qu'elle leur infligea.
Un
jour, NoAnde leur fit part de sa volonté de devenir chaman. Il ne
savait absolument pas d'où lui venait cette idée mais elle semblait
profondément enracinée en lui. L'idée avait germé et la fleur de
sa volonté était en train d'éclore. Il rendit visite à Siy et lui
demanda de l'accompagner dans sa démarche car le Serpent-Fleur en
avait décidé ainsi. Elle refusa, arguant qu'elle était la
gardienne d'une tradition trop ancienne pour se perdre dans ces
enfantillages. Quand NoAnde lui demanda de s'expliquer quant à ce
blasphème, elle se contenta d'un nom : le Thanatrauma ! Le
Thanatrauma ! Oh oui ! Quel terrible Horla avait-elle
déchaîné cette nuit. Nul ne sait comment elle s'y était pris et
les chamans eux-mêmes préférèrent mentir et taire le rôle de Siy
dans cette catastrophe, mais le Thanatrauma avait déferlé sur le
Clan des Arbres. Il avait infecté les rêves de chaque membre du
Clan et il avait fallu consacrer bien des jours et des nuits à de
pénibles rituels de purifications. NeinUnd avait alors pensé que
Siy serait bannie. Mais les chamans n'en firent rien. Ils ne
parlèrent jamais d'elle dans cette histoire alors même que NeinUnd
était certain qu'ils savaient. Mais pourquoi, pourquoi la protéger ?
Siy
était née le 18ème jour de Vomembres. Ce jour là, elle chantait
« Y'avait les ruines de cet hôtel... Chaque chambre vous
conduisait à un souvenir de votre passé. Est-ce que ça a
réellement existé ? Et si... » Puis elle s'était arrêté de
chanter et, très sérieusement avait repris « et si ce n'était
pas un hôtel mais un hôpital, qui est le Patient 13 ? »
Le même mois, elle avait de nouveau perturbé une cérémonie. Cette
fois, elle avait brisé le cercle en arrivant le visage recouvert de
sang. Elle avait peint le chiffre 13 sur sa poitrine dénudée. Elle
tenait, dans une main un lézard, dans l'autre un serpent. Elle
poussait des cris étouffés car elle avait rempli sa bouche de
fleurs des bois. Elle recracha les fleurs quand elle fut ceinturés
par les hommes qui tentèrent de la refouler. Alors, on comprit ses
paroles. « Les bourreaux réduisent la douleur ! On ne
respecte les serments envoûtant du SerpentFleur que pour échapper à
la peur ! L'objet légendaire disparaît tous les un et un et un
an. Car telle est la Vision du Lézard ! » NeinUnd se
frappe le front du plat de la main et pleure.
NeinUnd
regarde autour de lui. Il a le sentiment d'être observé. Les hommes
encagoulés sont-ils revenus ou est-ce autre chose... Il ne voit
rien, n'entend rien. Ce qu'il craint n'est pas dehors mais dedans, en
lui. C'est dans sa mémoire. Ce sont ses souvenirs. Ce souvenir...
Cette nuit où il l'avait rejoint. Elle dormait. Il l'avait observée
pendant de longues minutes. Il regardait ses mains s'approchant du
cou de la jeune fille, lentement, très lentement. Mais, elle avait
soudain ouvert les yeux. Elle l'avait fixé froidement puis avait
ouvert la bouche. « Demian décrit comment il met en fuite les
dealers qui s'en prenaient à D. Maze. Il fait planer sur eux la
menace des Lwas et du clan Powl. On se saura jamais vraiment laquelle
de ces menaces a été efficaces mais les dealers s'enfuient. Pour
autant, D. Maze n'est pas tiré d'affaire car Demian déclenche une
scène de confrontation. Il entend en effet le faire renoncer à son
enquête et déclare que son but va à l'encontre de la volonté des
Lwas. Il est hors la Lwa ! Pour appuyer son propos, Powl agite
sa cyberdread à la lame rétractable. D. Maze sent que l'albinos a
des informations. Il enclenche tous ces cyber d'enregistrement et
entend bien obtenir de lui autant de renseignements que possible. À
la cyberlame, il oppose son pistolet à fléchettes. Il espère ne
pas avoir à s'en servir, mais est-ce que ce sera suffisant pour
intimider Aaron Powl ? »
Aucun
sens. Cela n'avait aucun sens. Sa sœur était folle. C'était lui
qui l'avait rendu folle. C'était à cause de lui. Et c'était à lui
de remédier à ça. À lui de la tuer. Mais il avait été lâche et
aujourd'hui, c'était tout le Clan des Arbres qui payait cette
lâcheté car nul doute que c'était pour elle que ces hommes étaient
venus.
L'agent
spécial Haze est de nouveau appelé pour prêter main forte à la
police d'Olympia. Un forcené s'est retranché dans un relais routier
avec 7 otages. Pour l'instant, on ne sait rien de ses revendications.
Il n'y a visiblement pas de mort à déplorer mais des coups de feu
ont été tirés et on craint qu'il n'y ait malgré tout des blessés.
Ayant été négociateur avant de devenir profileur, l'agent Haze est
tout indiqué pour tenter de raisonner cet homme dont on ne sait rien
et sauver les otages.
Le
chef DiCompain a l'air des plus préoccupé lorsqu'il tend un
téléphone à Haze. La communication est établie mais l'homme
semble très très nerveux. Haze tente alors une approche assez
classique visant à le mettre à l'aise. Il commence par se
présenter. Il continue en tentant d'en savoir plus sur lui, sa
famille, sa vie. L'homme vit seul. Il a 3 enfants. 2 filles et un
garçon entre 2 et 10 ans. Cela fait très longtemps qu'il ne les a
pas vu. Haze enchaîne afin de savoir si ses revendications
concernent ses enfants justement. Mais l'homme exige en tout et pour
tout pas moins de 10 millions de dollars. Haze explique que c'est une
grosse somme mais s'engage à relayer et appuyer cette demande.
L'homme, qui n'a toujours pas dit son nom, se crispe. Il n'en croit
rien. Haze lui demande alors ce qu'il veut réellement. L'homme lui
demande un hélicoptère. Haze interrompt la communication le temps,
prétextant devoir en discuter avec le chef de la police locale. À
peine Haze a-t-il raccroché qu'un coup de feu se fait entendre.
Haze
attend quelques minutes. Il apprend qu'un otage a été tué. Il
tente alors de calmer l'homme, de le convaincre de ne pas s'en
prendre aux otages. On lui raccroche au nez. La situation est de plus
en plus tendue. Haze rappelle aussitôt et l'invite à se calmer, à
se détendre, à lui parler. Mais l'homme profère alors une suite de
propos incohérents. Il déclare ne pas vouloir retourner à
l'hôpital. Il n'est pas le 13ème. Tout cela n'est qu'une erreur,
une tragique erreur ! Haze veut en savoir plus mais l'homme
raccroche. Haze rappelle aussitôt. Il tente de gagner sa confiance
en lui expliquant comprendre de quoi il s'agit. Lui aussi connaît
cet endroit. À lui aussi, on lui a dit qu'il était le 13ème...
Avant de raccrocher, l'homme demande de l'eau. Haze attend quelques
minutes avant de rappeler. Il explique alors que les autorités sont
prêtes à accéder à cette dernière demande à condition d'un
geste de bonne volonté de sa part. Au bout du fil, l'homme paraît
se détendre. Haze prétend alors que des policiers sont partis
chercher des packs d'eau minérale. Mais l'autre s eplaint que ça ne
va pas assez vite. Haze tente alors de gagner du temps en essayant de
le faire à nouveau parler de ses enfants. Mais là encore, on lui
raccroche au nez. Le clic du téléphonique est suivi d'un nouveau
coup de feu. Haze rappelle et tend à s'emporter. « Mais
qu'est-ce que tu veux à la fin ? Les gars sont partis ! »
A l'autre bout du fil, la voix monte d'un cran dans les aiguës. « Je
suis votre Mère Truie. Ceci est mon corps, mangez-en. Amputez mes
chairs et regardez-les repousser, dessiner de nouvelles formes de
vie. » Le tout suivi d'un rire strident, hystérique. Haze
pense à la forêt... Il reprend d'une voix qu'il espère plus posée
et lui redemande ce qu'il souhaite vraiment obtenir en agissant
ainsi. Il l'assure que les packs devraient bientôt arriver. Alors,
la voix de l'autre semble se fissurer. « Les Cœlacanthes...
Protégez-moi... »
Il
raccroche. Haze hésite à rappeler immédiatement. Mais la porte du
relais s'ouvre et un homme corpulent d'une soixantaine d'année sort,
les mains en l'air. Il tremble. Un otage vient d'être libéré,
aussitôt pris en charge par les membres de l'équipe d'intervention.
Haze rappelle et remercie l'homme pour son geste. Il lui explique
qu'à partir de maintenant, s'il continue comme ça, tout va aller
pour le mieux. Il suffit de garder son calme. L'autre semble
acquiescer. Haze poursuit dans cette direction. Il souhaite ensuite
en savoir plus sur cet hôpital et ces Cœlacanthes. Là, l'autre lui
parle d'un sorcier vaudou. Lui connaît les Cœlacanthes et les
Horlas. Tous les Esprits maléfiques de la forêt... Haze ne peut
croire à une simple coïncidence. Aaron Powl ? Vous connaissez
Aaron Powl ? » L'autre raccroche. Puis, il rappelle
aussitôt, exigeant de la nourriture.
Haze
craint que cette dernière ne suppose qu'il compte faire durer la
prise d'otage. Or, plus le temps passe, plus grand est le risque
qu'il tue. Il l'enjoint donc à garder son calme, expliquant que les
hommes de la maintenance s'occupent à conditionner packs d'eau et
nourriture. Après un silence, l'autre reprend. « J'ai menti.
J'ai un otage en plus. » Et il raccroche aussitôt.
Haze
informe le chef de cette nouvelle puis rappelle le preneur d'otages.
« OK, on reste calme... De qui s'agit-il ? » D'une
vois presque apaisée, l'homme répond. « Johanna Ackermann est
avec moi. Elle n'a vraiment pas de chance. » C'est impossible !
Johanna Ackermann a été retrouvé dans la planque de Coleman. Elle
est encore en service de soins intensifs. Elle ne peut pas être ici.
Et comment connaît-il son nom ? Est-il lié d'une quelconque
manière à Coleman ? Autant le lui demander. Mais il déclare
ne pas connaître cet homme.
Haze
tente alors de gagner du temps afin que des hommes de DiCompain
s'introduisent dans le relais. En agissant discrètement, et pendant
que Haze détourne l'attention du preneur d'otages, ils parviennent à
exfiltrer deux personnes. Haze continue à tenter de l'apaiser. Il
joue son jeu le plus qu'il peut et se laisse même aller à évoquer
certains de ses échanges avec le personnage d'Aaron Powl dans son
RP. Il prend cependant soin de ne pas prononcer le nom de Demian
Hesse. L'homme semble se calmer. Alors, les hommes de DiCompain en
profitent pour faire sortir les derniers otages.
Le
forcené se retourne. Il se rend alors compte que ses otages ont été
remplacé par des hommes du SWAT. Il a toujours le téléphone collé
à l'oreille. Il lâche un soupir de lassitude. Sous la menace des
hommes du SWAT, l'homme lâche son arme et se rend. On apprendra
qu'il s'agit d'un certain Paul Singer. Johanna Ackermann n'était
évidemment pas présente sur les lieux, mais Singer avait sur lui la
clé de son appartement.
Il y
a très longtemps, une partie de l'humanité a réussi à se protéger
de l'apocalypse forestière et de sa folie. C'est in-extremis que ces
survivants se sont réfugiés dans une flotte de zeppelins et
montgolfières pour fuir l'expansion de Millevaux. Au fil des
décennies, la flotte s'est stabilisée au dessus de la mer et s'est
accrue de nouveaux engins. Au début, de simples ponts de cordes les
reliaient. Puis, au fil du temps, des ponts de bois remplacèrent les
cordages. Des plate-formes furent aménagées. On construisit des
bâtiments de plus en vastes et confortables. La simple flotte était
devenu une vaste cité volante. Elle tirait sa subsistance pour
l'essentiel des produits de la mer. Puis, peu à peu, on réinventa
la roue à aube, la machine à vapeur. On construisit des systèmes
de désalinisation et d'irrigation. On vit apparaître des espaces
agricoles, puis des jardins. Les habitants de cette citée ont le
sentiment d'avoir été abandonnés par leurs dieux. Et les nouveaux
dieux, ceux de Millevaux, sont leurs ennemis. Ne devant leur survie
qu'à eux-mêmes, ils croient avant tout en l'homme et en la science
et ces considérations teintent même leur spiritualité qui pend le
plus souvent la forme de l'alchimie médiéval mâtinée de science à
vapeur. Bien que vivant dans le confort, tous ont confiance de leur
fragilité face à la nature. Aussi, la solidarité est très forte.
Chacun fait sa part et chacun sera là pour autrui, pour préserver
la cité et sa population. La plupart des conflits sont d'ordre
scientifique ou philosophique. Il n'y a que peu de criminalité.
Toutes les volontés et les énergies sont tournées vers les mêmes
buts communs. Les décisions les plus importantes sont prises par un
conseil de sages dont une partie est élue et l'autre tirée au sort.
Élection et tirage au sort ont lieu respectivement tous les 4 et 6
ans.
Après
des décennies à vivre aussi loin que possible de la forêt maudite,
une expédition a pourtant été décidée à des fins d'observation.
Pour des raisons très différentes, une écrasante majorité de la
population est aujourd'hui animée d'une grande curiosité à l'égard
de cette forêt que leurs ancêtre ont fui. Aussi, a-ton affrété
une flottille de zeppelins et autres ballons chargés de matériels
d'exploration afin de dresser un portrait de cet endroit qui, à tort
ou à raison, n'apparait plus comme aussi effrayant que jadis.
Ce
ne sont donc pas moins de 13 ballons de toutes sortes qui font route
vers le continent dévasté. Tout s'annonçait pour le mieux jusqu'à
ce que...
Roger
se réveille la tête dans la boue. Il se relève et s'examine. Il
constate qu'il n'est pas blessé. Roger ne ressent pas la douleur.
Roger n'est pas un être humain. Il est un homoncule. Une sorte de
golem. Un être artificiel composé de chair et de boue. Émergé
ainsi de la terre semble pour lui comme une seconde naissance. Il
regarde autour de lui. Des ballons déchirés sont accrochés dans
les arbres. Les débris des nacelles éclatées sont répandus
partout au sol. De l'ensemble de l'équipage, il est seul debout. Il
se dit que c'est normal. Au sein de cette expédition, c'est lui
l'homme fort, le porteur, le garde du corps. Il tente de reconnaître
un visage amical parmi les corps les plus proches. La plupart sont
méconnaissable .de vulgaires marionnettes désarticulées, mutilées
et ensanglantées. Une vague de tristesse l'envahit. Il ferme les
yeux et invoque ses Augures. La Horde de Cœur et de Sang. L'essaim
aux Mille Mains et aux Milles Visages. Et pourtant, il est seul.,
comme toujours. L'homme marche seul face à la mort. De notre
naissance à notre fin, nous sommes toujours seul. Ainsi va le monde.
Roger est plus seul que jamais. Mais, est-ce grâce à ses Augures ?,
cette solitude ne lui pèse pas. Il n'a aucune idée de ce qui a pu
provoquer la chute de toute la flotte. Est-ce l'influence maléfique
de Millevaux ? Roger regarde le ciel. Il ne voit pas sa cité,
évidemment.
Roger
commence par rassembler en un même endroit tout ce qui lui semble
récupérable et utile parmi les débris. Il rassemble ensuite de
quoi faire du feu et se construire une petite cabane. Il a trouvé
des restes de nourritures. De la viande séchées, des fruits, des
Noix. Pour l'instant, il se sent bien. Est-ce parce qu'il est composé
en parti ede terre et d'herbe, il sent comme une résonance entre lui
et son environnement. Il a le sentiment d'être tout autant un
étranger qu'à sa place. Demain, il partira à la découverte de ce
nouveau monde. De son nouveau « chez lui », de Millevaux.
Il
finit par s'endormir malgré un léger bourdonnement au fond de son
crane. Plusieurs fois durant la nuit, il a l'impression de ne pas
être seul. Il entend des voix. Autour de lui, on parle. Quelqu'un
évoque un hôpital. Le n°13. Trouver le n°13. Il doit trouver le
Patient 13. Demain...
Roger
se réveille de plutôt bonne humeur malgré la catastrophe dont il
est l'unique survivant et le froid intense qui règne ce matin. La
solitude ne lui pèse pas. Au contraire, il a le sentiment qu'être
seul désormais le rend plus... disponible pour l'ensemble de son
environnement. Il sent paradoxalement, en raison de sa nature
d'homoncule, tout à la fois en état d'altérité totale et partie
prenante, une composante même de cette forêt. Après avoir mis un
peu d'ordre dans son campement de fortune, il décide de partir à la
découverte de son nouveau chez-lui.
Après
une petite heure de marche, Roger découvre un ensemble de 7 chalets
en bois, ou plutôt ce qu'il en reste. Ils sont en effet à l'abandon
depuis manifestement longtemps. La plupart des toits sont effondrés.
Ils sont tous envahis par la végétation. Tous ? Non... Ce chalet
est certes lui aussi à l'abandon mais, pourtant, il est épargné
par la végétation. Roger entre.
À
l'intérieur, il règne une odeur étrange et indéfinissable.
Toutefois, elle n'est pas désagréable. Il y a là plein d'objet que
Roger devine destinés à un travail scientifique mais il est
incapable d'en identifier le moindre. Pourtant, certaines de ces
machines lui donnent l'impression de pouvoir encore fonctionner. Il
trouve des livres et des brochures mais tous sont rédigés dans une
langue qu'il ne connaît pas. « la Langue Putride... » lui murmure
dans la tête la même voix que la veille. Par réflexe, Roger se
retourne, mais il sait bien qu'il est seul dans ce chalet. Il sent
alors monter en lui un sentiment de colère. Il a le sentiment
d'avoir perdu quelque chose. Mais quoi ? Il avait découvert quelque
chose, récemment... Et il l'a perdu ! Sa mémoire lui jouerait-elle
des tours ? Et si... Il examine alors ses poches. Un entrelacs de fil
de fer enserrant une bille de verre sombre. Un talisman. Roger le
porte devant ses yeux. Il y a quelque chose dans la bille, mais quoi
? Cela semble bouger. Une forme longue et annelée. Un... ver ? « Ta
mémoire... » lui souffle la voix. Roger se sent alors en proie à
une soudaine migraine. Il regarde autour de lui. Rien, hormis tout
cet attirail dont il n'a aucune idée de la fonction. Il y a encore
quelques minutes, il envisageait d'appuyer sur quelques boutons,
juste pour voir. Mais maintenant, il veut juste quitter ce chalet. Il
se met à courir et s'assomme en percutant un mur de rondins.
Quand
Roger reprend conscience et sort de ce chalet, la lune est pleine
mais à moitié cachée par les nuages. Les étoiles brillent.
Certaines plus que d'autres. Il sent, il sait qu'il y a là un
message mais il est incapable de le comprendre. Alors, la solitude
lui pèse. Il aurait besoin d'un compagnon pour l'aider. Son créateur
? Il est resté dans la cité flottante... ou bien est-il mort dans
le crash de l'expédition ? Il ne sait plus. Il tente de retrouver
son calme en se concentrant sur ses Augures. La Horde de Cœur et de
Sang. L'Essaim aux Mille Mains et aux Mille Visages. Lui qui s'est
toujours senti si seul... et qui aimait ça... Ici, c'est ici qu'il
va apprendre, qu'il doit apprendre à faire parti d'un tout. Il
s'accroupit et plante ses mains dans la terre. Il ressent un vague
fourmillement. Il se passe quelque chose... Il se concentre, espérant
de nouveau entendre cette voix.
«
Contrôle, nous sommes à l'hôpital. Vous pouvez nous extraire. »
Un
cri lui répond.
«
Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »
Et
maintenant, Roger sait. La voix s'appelle NoAnde. Mais, il n'est plus
du tout sûr qu'il s'agisse vraiment d'un ami...
Un
peu plus loin, il distingue un autre bâtiment surmonté d'une croix.
Roger décide d'y passer la nuit.
Roger
ne reconnaît pas le lieu où il se réveille. Il est de nouveau dans
cet étrange chalet en ruine qu'il a quitté (fui?) la veille. Mû
par une angoisse incompréhensible, il sot en courant. Ses pas le
mène jusqu'à une clairière. À sa gauche, un lac. Au centre, un
totem de plus de 3 mètres de haut. Des animaux sont représentés
les uns au dessus des autres. Autrefois, ils ont été peint de
couleurs vives. Aujourd'hui, la peinture s'écaille et on voit très
nettement dessous le bois rouge dans lequel ils ont été sculptés.
Roger pose la main dessus et ferme les yeux. Il entend le cri d'un
corbeau. Il éprouve alors une sensation de chute vertigineuse. Mais
ce n'est pas lui qui chute...
Demian tombe au milieu
de très hauts arbres à l'écorce et aux branches suintantes de sève
sanguinolente. Au-dessus de sa tête, une lune ronde, glaciale et
sanglante, parcourue par le vol noir des corbeaux. Avec lui tombent
des cadavres, hommes, femmes, enfants qui ont connu une mort brutale
: ils ont été brûlés vifs, décapités, éviscérés ou
embrochés. Tous murmurent : « J'étais innocent ».
Perché dans les
branches, un homme observe la scène. Son visage affreusement déformé
évoque une caricature de tête de corbeau déplumée, une gueule
allongée et brisée en guise de bec, des poils épars en guise de
plumes, des yeux hybrides.
Demian tente de se
raccrocher aux branches. Malgré le sentiment d'impuissance que lui
procure la chute, il se sent investi d'un force toute nouvelle. Il
sent aussi le regard de la Mort se poser sur lui. Mais il n'en retire
aucune crainte. Au contraire, la Mort est son alliée. Il sent, il
sait que c'est grâce à elle qu'il parvient à se saisir de cette
branche et à se rétablir avec autant de grâce que...
Roger
pousse un petit cri. Une douleur aiguë lui vrille le crâne. Il
retire aussitôt la main du totem et ouvre les yeux. Qui est cet
homme ? Qui est cet homme qui tombe ? Et qui est cet homme à tête
d'oiseau déplumé ? Il regarde autour de lui. Rien. Au dessus ?
Loin, haut dans le ciel, est-ce un oiseau ou... ?
Demian s'assoit sur une
branche. Il observe. L'être à tête de corbeau n'est plus là. Il
ne le voit plus mais sent qu'il est proche. Il regarde au sol, les
cadavres qui tombaient avec lui ont disparu. Demian descend de son
arbre.
Par terre, envahie par
la végétation, une carcasse de voiture. À l'intérieur, un corps
ensanglanté. Demian reconnaît son père. Il ne parvient pas à
détacher son regard de son visage dont la symétrie a été rompu
par le choc de l'impact. Il se rappelle. Même après être passé
entre les mains du thanatopracteur, le visage de son père portait
toujours les stigmates de la collision. Il tend la main mais n'ose
toucher le corps. Soudain, une horde corbeaux font sur la voiture.
Demian n'a que le temps de se jeter en arrière. Il se couvre les
oreilles pour ne pas entendre le fracas de leurs cris auxquels se
mêlent le crissement de leur bec et de leurs griffes contre l'acier
et le verre. Tout tremble. Il s'enfuit en courant.
Demian atteint ce qui
semble la fin de ce bois maudit. Au loin, il devine quelques modestes
masures. Soudain, comme sorti de nul part, un enfant lui fait face.
Il connaît cet enfant. Un petit gros à lunettes. C'est lui, quand
il avait une dizaine d'année. L'enfant lève la main et plie ses
doigt. Seul l'index reste dressé. Il ouvre la bouche :
« Début juillet 2018,
la police d'Olympia (état de Washington) interpelle Paul Coleman
dans le cadre d'une affaire de meurtres en série. On le soupçonne
d'être l'auteur de neuf meurtres précédés de kidnapping et
tortures. Il se laisse docilement conduire au commissariat où
l'agent spécial Haze du FBI entend procéder à son interrogatoire.
Après avoir proférer des paroles vides de sens dans le même style
que les messages qu'il avait laissés sur les scènes de crime,
Coleman se suicide d'une balle dans la tête tiré à l'aide de...
son index droit. »
Un monstre surgit ! Il
est couvert de poils noirs terminés par de petites bouches, avec de
grandes parties sans poils qui montrent une chair de poule garnie de
plis et de sphincters. Il agrippe l'enfant avec ses pattes de poulet
et son bec de corbeau en disant : « Enfant menteur, je t'emporte
avec moi dans les marais et je vais te punir ! »
Demian sent qu'il
pourrait, qu'il devrait intervenir. Mais il n'aime pas l'enfant qu'il
était. Alors, il le laisse partir entre les griffes du monstre. Il
se met alors à tourner sur lui-même. Sa vision se trouble. Le décor
change. Il voit. Il est dans une clairière. Dans son champ de vision
apparaît par intermittence un vieux totem indien. Il y a un homme
aussi. Enfin, presque un homme. Il est grand, grossier, recouvert de
terre et de branchage. Leurs regards se croisent.
Demian se réveille
dans sa chambre. Il est allongé dans son lit. Les draps sont
humides,souillés d'une sueur désormais froide. À côté de lui,
assis par terre, un homme se lève. C'est le même homme à tête de
sanglier qu'il a déjà vu. L'homme ne dit mot mais Demian sait
maintenant qu'il s'appelle NoAnde. Il sait aussi que l'autre homme, à
côté du totem, s'appelle Roger. Mais ce n'est pas NoAnde qui le lui
a dit.
Demian voudrait se
relever mais il est littéralement cloué à son lit. NoAnde est
maintenant debout. Il lui tourne le dos et sort de sa chambre. Un
flash illumine la pièce à travers les volets baissés.
Demian retombe
inconscient. Ses seules sensations sont celles de son corps soumis de
violents spasmes et de sa tête minée par une effroyable migraine.
Il a envie de vomir.
Nous
ne pensons pas. Nous ne parlons pas. Ne faisons que marcher, courir,
manger, nous nourrir. Nous sommes les Antigens. Nous ne pensons pas.
Nous sommes les organes dispensables de la pensée du Thanatrauma.
Nous
parcourons les bois à la suite de nourritures. Elles sont armées.
Elles tirent et s'enfuient. Des Antigens tombent. D'autres non. La
pensée du Thanatrauma nous anime. Nous courons. Il y a encore des
coups de feu. Certains d'entre nous ne se nourriront plus. Mais
certaines d'entre elles non plus. Deux autres nourritures tombent
entre nos griffes. Le Thanatrauma compte trois cerveaux. Plus que
10...
Roger
se sent moins à l'aise dans cet endroit. Il décide de s'éloigner
des chalets. Il dépasse l'édifice où il avait passé la nuit et se
retrouve dans ce qui a dû être, à une autre époque, un gymnase.
Il reconnaît le marquage au ¾ effacé au sol. Il y a là plein de
meubles en autre objets, tous quasiment inutilisables. Roger ouvre
une des 3 portes qui se présentent à lui. Il entre dans une espèce
d'office. Il farfouille et trouve plusieurs couteaux de cuisine. Il
en éprouve le tranchant et jette son dévolu sur une lame d'environ
15 cm de long.
Roger
retourne devant le totem. Il ne sait pas pourquoi mais cet endroit
l'endroit l'attire. Peut-être est-ce la proximité de cette étendue
d'eau dont il n'ose pourtant s'approcher. Observant son regard dans
le reflet de la lame, il tente de mettre de l'ordre dans ses idées.
Il est donc l'unique survivant d'une expédition lancée par la cité
volante en vue d'explorer la forêt maudite de Millevaux.
L'intégralité de la flotte a été abattue. Par qui et pourquoi ?
Il l'ignore. Il a le sentiment depuis que l'écoulement du temps est
devenu plus flou. Il a l'impression que des pans de sa mémoire ne
lui appartiennent plus vraiment. Il s'est réveillé dans un autre
endroit que celui où il s'était endormi. Il entend des voix. Il a
des visions. Est-ce cela malédiction de Millevaux. Où est-ce juste
cet endroit sous l'influence de cet étrange totem ? Et qui sont ces
gens qui peuplent ses pensées ? NoAnde, Demian, le Thanatrauma...
Roger
est soudain la proie d'une violente migraine. Des mots l'agressent au
plus profond de son crane. C'est NoAnde ?
«
Il vient de la Cité Bleue ! »
Non,
pourtant... ça lui ressemble...
«
''Fange, ornières, bourbiers. Progresser dans l'infâme mangrove.
Sables mouvants.
Suffocation.
Déchetterie de la mégafaune. La forêt de merde'' Qu'est-ce que ça
veut dire ? Et qui est Paul Singer ? »
Le
Magicien sourit. Il est à l'aise. Il hume la fumée de son café et
en boit une gorgée.
«
Paul Singer se rendra dans la Cité Bleue. La Forêt gagne du
terrain. La nature est une Torture. Je ne connais pas le nom de celui
que tu cherche. Mais tu le trouveras dans la forêt, derrière
l'hôpital en ruine. Tu es un gardien de la Lwa. Méfies-toi des
Horlas et crains les Cœlacanthes. »
Non,
ce n'est pas NoAnde. Mais qui ? Qui est le Magicien ? Qui est Paul
Singer ? Les Lwas, sont-ce les esprits représentés sur ce totem ?
Un hôpital en ruine ? Il y aurait donc eu un hôpital ici ? Roger
regarde autour de lui. Nulle trace d'un hôpital. Il se penche et se
sait de l'étrange collier qui pend à son cou. Quelque chose bouge
dans la bille de verre sombre. Et soudain, la solitude lui pèse. Si
lourdement. Ressentirait-il... de la peur ? Cet endroit lui fait
peur. Et il est seul. Il comprend mieux maintenant la puissance des
ses Augures et s'en veut de les avoir combattus en mettant la
solitude sur un piédestal. Ce n'est qu'au sein de la Horde, de
l'Essaim qu'il ne sera en sécurité. Et si c'était cela, le cadeau
de Millevaux ? Lui avoir fait comprendre cela...
Roger
se prend la tête au propre comme au figuré. Avant, il aimait être
seul, perdu dans ses pensées au milieu de la foule de la cité
volante. Il s'y sentait en sécurité et... supérieur. Ici, seul
dans la forêt, en proie à un tourbillon de pensées et de visions
qui ne lui appartiennent pas, il se sent perdu et vulnérable. C'est
ici et maintenant qu'il ressent la force et la sérénité que vous
confère l'appartenance à l'Essaim. Dans la Horde, on est jamais
seul. Dans l'Essaim nulle pensée parasite n'éveille l'angoisse.
Finalement, était-il vraiment heureux là-bas ? Et si ses sentiments
de force et d'intelligence n'étaient que des illusions, des masques
destinés à dissimuler sa peur. Sa peur de quoi ? De se perdre dans
l'Essaim ? Il a l'impression d'avoir été un enfant en pensant cela.
Et maintenant, alors qu'il se sent prêt à remiser toutes ses
considérations égotistes, il a le sentiment, en étant prêt à ce
renoncement à accéder maintenant, véritablement à un stade
supérieur. Mais, où est la Horde qui le délivrera des affres et
des tourments de son individualité ?
Roger
lève la tête vers le sommet du totem. Il a envie de l'abattre mais
des larmes de rosée perlent de ses yeux. Quelques chose approche. Il
le sent.
«
La nature a repris ses droits ! »
Pourquoi
ce message ? Demian ne comprends pas. Ce post n'est pas joué par D.
Maze mais par un certain... NoAnde !! Ce nom lui dit quelque chose
mais impossible de se rappeler où il l'a l'a entendu. À moins qu'il
l'est lu quelque part... Mais qui se cache derrière ce personnage ?
Un autre personnage au pseudonyme emprunté à un manga à la mode...
Que vient-il faire dans ce RP ? Et où est D. Maze ? A-t-il validé
ce personnage ?
Demian
décide d'arrêter de se prendre la tête plus que nécessaire et
décide tout simplement de lire le post de ce NoAnde.
«
Flash-back en noir et blanc. Une jeune femme tend la main à un
cyborg tombé sur le trottoir. Il pleut des cordes. Soudain, une
explosion ! Un océan de bulles chacune renfermant un clone. »
Demian
ne comprend rien. Assis devant son écran, il se masse le menton du
bout des doigts et se dit qu'il devrait penser à se raser. Mais il
se demande surtout comment se dépatouiller de ce post étrange. Et
là, il a une idée. Une scène de deal ! Il range l'exemplaire de
Vertical dont il vient de consulter deux tableaux et s'empare de
Remember Tomorrow. Il envisage de mettre un peu d'ordre sur son
bureau mais renonce. Penché sur son écran, il réfléchit. Aaron
Powl va conclure un deal avec les Lwas. Il va leur demander ce que
signifie ce message et en échange... Il verra bien ce que les
esprits lui demandent.
Demian
va donc créer la Faction des Lwas. Il se dispense de consacrer une
scène à leur Introduction car ils ont déjà été mentionnés dans
le RP. Il se borne à remplir la fiche. Il fera quand même un jet
d'XP, c'est quand même mieux. Il tire leur motivation au hasard en
recourant à Muses & Oracles. Il s'avère que les Lwas veulent
retrouver leur richesse. À leur propos, il est peu probable qu'il
s'agisse d'or et d'argent. C'est certainement quelque chose de plus
symbolique, métaphysique. De plus, n'oublions pas qu'eux et Aaron
sont du même bord. Mais bon, ils veulent retrouver leur richesse.
Ils sont « en colère ». On peut penser qu'ils le sont contre ceux
qui leur ont dérobé leur richesse. S'agit-il des Horlas et des
Cœlacanthes ? Demian réfléchit. Les Lwas sont des esprits de la
nature. Les Horlas aussi, mais eux sont surtout une corruption. Les
Lwas incarnent un certain ordre, une certaine harmonie mise à mal
par les Horlas. Et si les Cœlacanthes étaient en quelque sorte les
bras armés des Horlas dans cette corruption de la nature. Cela
expliquerait pourquoi il devrait se méfier de la Nature. La Nature
reprend ses droits, mais de quelle Nature parle-t-on ? Demian jette à
nouveau 2D6. Les Lwas sont donc en colère mais ils sont aussi «
confus ». C'est très probablement dû à la montée en puissance
des Horlas. Peut-être aussi que les Lwas s'interrogent quant à leur
propre légitimité. Doit-il nécessairement y avoir un ordre à la
Nature. Ou un ordre qu'on puisse opposer à un désordre. Et si la
Nature ne pouvait être qu'ordonnée puisque ces règles sont
nécessairement celles de la Nature justement. Dans ce cas, les
Horlas ont-ils vraiment tort. Ils ne seraient que l'affirmation d'un
autre ordre tout aussi légitime. Les Lwas, finalement, ne
lutteraient pas tant pour préserver l'ordre que pour se préserver
eux-mêmes. La Nature est en perpétuelle évolution. Il est
peut-être temps que les Lwas quittent la scène ? D'ailleurs, dans
un RP cyberpunk, on ne peut pas vraiment dire que la Nature soit la
grande vainqueur. Dans ce cas, du point de vue de la Nature, les
Horlas et les Cœlacanthes sont ses sauveurs, ses vengeurs...
Demian
a l'impression de toucher quelque chose. Mais, pour l'instant, il ne
veut pas aller plus loin. Il veut juste savoir ce que les Lwas ont à
lui apprendre et ce qu'ils vont lui demander.
Aaron
Powl est chez lui. Il accomplit les rituels de purification
nécessaires à la communication avec les Lwas. Il lance ensuite une
musique aux rythmes propres à le mettre en transe. Seul, au milieu
de son salon, Aaron Powl se met à danser, de plus en plus vite. Il
n'a pas voulu recourir à la Noix. Il doit donc danser longtemps. Il
est en nage. Sa vision se brouille. Des pics lui transpercent le
crane. Il voit un vieux totem indien. À son cou pend une breloque.
Un bille de verre sombre dans un entrelacs de fil de fer. Quelque
chose bouge à l'intérieur de la bille. Il entend des voix. Elles
sont en colère. Elles sont confuses. Elles sont les Lwas. Il sait
que NoAnde tente de lui parler. Mais les voix des Lwas couvrent la
sienne.
«
La nature a repris ses droits ! Flash-back en noir et blanc. Une
jeune femme tend la main à un cyborg tombé sur le trottoir. Il
pleut des cordes. Soudain, une explosion ! Un océan de bulles
chacune renfermant un clone. » Qu'est-ce que ça veut dire ?
«
Contrôle, nous sommes à l'hôpital. Vous pouvez nous extraire. »
Un
cri lui répond.
«
Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »
Aaron
Powl pousse un cri. « Noooooooon !!!!!!! »
Il
s'écroule. Loin, très loin, les Lwas lui parlent. Ils crient, ils
hurlent. Mais Aaron Powl n'entend qu'un lointain murmure.
«
Aaron, un artiste de la guerre, impatient, avide... Il pense
combattre une puissance très ancienne avec de l'argent. Il va s'en
prendre à toi, Aaron, lors d'un voyage. Tu dois perdre pour
gagner... »
Aaron
Powl est resté inconscient pendant près de 3 heures. Quand il se
réveille, il a une migraine pas possible. Pourtant, il sait ce qu'il
a à faire. Il doit partir en voyage... et perdre. Alors, les Lwas
lui révéleront leurs secrets.
Nous
courons. Nous mangeons. Nous courons. Nous mangeons. Nous sommes les
Antigens, le véhicule de chair morte du Thanatrauma. L'homme en noir
tire. Deux Antigens tombent. Le Thanatrauma avance. L'homme en noir
et la femme montent dans le bus. Le bus démarre. L'homme en noir
tire. Deux autres Antigens tombent. Les autres antigens se jettent
sur la nourriture qui n'est pas montée dans le bus.
Les
Antigens sont heureux parce qu'ils mangent. Le Thanatrauma ne l'est
pas car il n'a toujours que 10 cerveaux.
Roger
détourne son regard du totem et le pose sur la petite étendue d'eau
sur sa gauche. Il y a un îlot au milieu. Pour autant, il a peur.
Peur de l'eau. Ce n'est pas chez lui. La terre, c'est chez lui. Pas
l'eau. Il préfère donc poursuivre son exploration des lieux en
prenant le chemin qui s'offre tout droit devant lui. Là, il prend
conscience que la solitude commence à lui peser, qu'elle ne peut
plus être conçu comme une fin en soi. Oui, l'homme est toujours
seul face à la mort, mais seulement face à elle. Pour les reste, il
y a la famille, le clan, la tribu. L'essaim et la Horde. Perdu dans
ses pensées, il perçoit un bruit mais ne parvient pas à en
déterminer l'origine. Il ne voit rien autour de lui. Puis, une
ombre.
Roger
fait une roulade et évite in extremis l'attaque d'un énorme
corbeau. L'oiseau prend de l'altitude et pique à nouveau sur lui.
Roger l'évite de nouveau d'un bond mais se retrouve cloué au sol
par une nouvelle crise de migraine. Ce bourdonnement est affreux. Il
voit...
...Demian est de
nouveau dans la forêt. Il voit. Il SE voit. Il est là, face à ce
Horlacanthe qu'il viole pour le tuer. Il SE voit dans cette fosse
remplie de boue et de merde. Il SE voit faisant le tour de la voiture
dans laquelle son père est mort. Il ne l'a jamais vu en vrai. Mais
là, il la voit. Elle est envahie par les feuillages. Le corps de son
père, au visage fracassé, est là, lui aussi en proie à la
végétation qui se teinte de son sang.
Demian se frappe au
visage. Il ne sait pas si c'est pour se réveiller ou s'assommer mais
il ne veut plus voir ça ! À la périphérie de son champ de vision,
l'homme-sanglier est là. Il est nu. Du pus s'échappe de chacun de
ses orifices. Sans tourner la tête dans sa direction, Demian lâche
entre ses dents : « Je te vois... »
« Je sais, répond
l'homme-sanglier. Tu me vois car tu vois les morts. Tu es à cheval
sur la Limite. La Limite entre les mondes. Tu vois les morts. Tu peux
leur parler, entendre leurs pensées. Je suis mort et j'ai besoin de
toi. Je suis mort et j'erre dans un temple-prison dont je dois Le
libérer. J'ai besoin de toi pour activer la Structure, le Schème.
Alors, la Porte s'ouvrira et conduira au temple-prison. Le Patient
13, tu dois le trouver.
Roger
se relève péniblement. Il regarde autour de lui, à l’affût du
moindre mouvement trahissant une attaque du corbeau. Le bourdonnement
est plus intense. Il se concentre. Il sent une présence. Plusieurs
présences. Il ne veut pas les sentir. Il veut les voir ! Et il voit
!
Ils
sont là. Ils sont partout ! Les morts ! Les Antigens ! Encore 10
cerveaux avant le Patient 13. Les Antigens pointent leurs doigts
décharnés et ensanglantés vers lui. Ils le désignent, montrent
quelque chose. Le talisman. Il l'arrache de son cou et le brandit
dans leur direction en criant.
«
Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que vous voulez ? »
«
La Structure, le Schème... Plus que 10 cerveaux... Nous sommes les
Antigens, je suis le Thanatrauma. »
Soudain,
les Antigens se redressent et se figent. Ils pointent encore leurs
index en direction de Roger, du Talisman. La voix du Thanatrauma
retentit encore.
«
Ceci est la Structure, le Schème. Encore 10 cerveaux et le Patient
13... »
Sa
voix change.
«
La nature a repris ses droits ! Flash-back en noir et blanc. Une
jeune femme tend la main à un cyborg tombé sur le trottoir. Il
pleut des cordes. Soudain, une explosion ! Un océan de bulles
chacune renfermant un clone. »
Dans
le ciel le corbeau crie. Les Antigens, tel un seul homme, lèvent la
tête dans sa direction. Le corbeau s'en va. Le tonnerre gronde. La
pluie se met à tomber. Une jeune femme parmi les Antigens, la robe
déchirée, recouverte de boue et de sang, s'approche de Roger et lui
tend la main. Le golem sent ses jambes trembler. Elles peinent à le
porter. Le cadavre sourit. Dans sa main, elle tient une Noix. Dans le
Talisman, le Ver Gris s'agite.
«
Je suis la jeune femme. Tu es le cyborg. Ceci est la bulle. Les
clones sont les holo-fragments de l'identité éclatée de Demian.
Ceci est la Structure, ceci est le Schème. Plus que 10 cerveaux et
le Patient 13... Où est Paul Singer ? Il devrait être là... »
Un vieux tribunal aux
gradins vermoulus, envahis par des champignons blancs géants et des
toiles d'araignées. Partout, des humains empaillés dans des
postures diverses.
Perchés dans de hautes
tribunes, des juges et des avocats à têtes de corbeaux, en toge
noire et perruque poudrée. Dans les gradins, des corbeaux. Sur le
banc des jurés, des têtes de corbeaux.
Pendue à un lustre de
branchages garni de bougies tremblotantes, la Magicienne, avec un
pénis en érection et des seins perlant de lait. Dans la flaque de
foutre, un tubercule humanoïde a poussé : Roger ! Demian !
Demian émerge de la
semence. Il ne reconnaît pas son corps. Pas complètement. Il est mi
homme-mi... terre. Des plaques d'écorces recouvrent ses bras, sa
poitrine. Des feuillages et des brindilles ont remplacé ses poils et
ses cheveux. Il regarde l'étrange collier qui pend à son cou. Dans
la bille de verre, un Ver s'agite. Autour de lui, tout le monde est
figé. Il comprend. Ce silence est sensé lui être insupportable au
point qu'il le rompe lui-même et confesse ses fautes. Quelles fautes
?
La Justice est une
illusion, le tribunal est son petit théâtre. Il a eu des cours
là-dessus en fac. Il ne se laissera pas impressionner. Il se
redresse et fait face fièrement à ses juges. Il les défie du
regard. Inconsciemment, il porte la main au Talisman. Alors qu'il le
manipule, un bourdonnement se fait entendre. Demian ne parvient à
déterminer sa source. Il se concentre. Ils sont là, tout autour de
lui, il les voit. Les morts. Les Antigens. Le Thanatrauma !
Les corbeaux sortent
alors de leur immobilisme. Un vent de panique souffle dans tous le
tribunal. Demian se jette sur un corbeau. Il le saisit par les ailes
qu'il écarte le plus largement possible et empale l'oiseau sur son
sexe en érection.
« Je suis Demian Hesse
et Aaron Powl. Je suis Damon Haze et D. Maze. Je suis Paul Singer et
Paul Coleman. Je suis NoAnde, NeinUnd et Siy. Je suis Roger et
Johanna Ackermann. Je suis le Thanatrauma et les Antigens. Je suis...
Je suis !!! »
Et la voix du
Thanatrauma retentit dans tout le tribunal.
« 13 ! 13 cerveaux pour
le Patient 13 ! Tu es la Structure et le Schème. Tu es le Patient 13
!
Les portes s'ouvrent ! »
Demian vomit. La
migraine est atroce. Roger est seul, à genoux sous la pluie. Les
Antigens sont là eux aussi. Autour de Roger, autour de Demian.
Demian leur fait signe de partir. Roger leur fait signe de
s'approcher. Demian souffre le martyre. Roger se sent libéré.
L'ancrage qui l'entravait vient de voler en éclat. Demian est dévoré
par la migraine la plus atroce à laquelle il est jamais dû faire
face. Il est dévoré par une faim à laquelle il ne peut répondre
qu'en s'arrachant un bout de la chair de son avant bras à grands
coups de dents. Demian est en guerre contre la souffrance et contre
lui-même. Roger est en paix. Il tend la main vers la Horde, vers
l'Essaim et la Horde, l'Essaim, l'accueillent en souriant. Les morts
accordent la paix à Roger. Demian ne peut se résoudre à mourir. Le
bras et la bouche en sang, il erre dans son appartement envahi par la
végétation en hurlant. Il se frappe la tête contre les murs. Il
appelle à l'aide. Il appelle NoAnde. Il appelle Shub'Niggurath. Il
invoque la Structure et le Schème. Il...
A
bout de souffle, Paul Singer finit par arrêter de courir. Il se
retourne et constate que Johanna Ackermann est toujours derrière
lui. Les zombies, par contre, semblent avoir abandonnés leur
poursuite. Un répit ?
Devant
lui, un bâtiment en ruine ressemblant étrangement à l'hôpital de
Blue City. Mais il n'est plus à Blue City. Il est à Millevaux. Il
ne sait pas trop comment ils sont arrivés là Johanna et lui. C'est
à cause de l'hôpital et du Thanatrauma. C'est à peu près tout ce
dont il est sûr. Ils échangent un regard avec Johanna. Elle lui
sourit. Ils entrent.
À
l'intérieur, tout n'est plus que ruines abandonnées à la
végétation. Les racines des arbres percent le sol. Les branches
crèvent les plafonds. Le lierre court le long des murs. Certains se
sont d'ailleurs écroulés. La plupart des fenêtre sont brisées.
Pourtant, la lumière n'entre pas. On y voit à peine dans ces
couloirs. Le silence règne. Singer se retourne et prend la main de
Johanna.
Ils
n'ont pas eu le temps de beaucoup discuter. Tout c'est passé très
vite. Blue City, le Thanatrauma, les Antigens... Singer sait qu'elle
a été kidnappé par un tueur en série. Il sait aussi qu'elle est
la seule à avoir été retrouvée vivante. Il sait donc qu'en
théorie, elle n'avait rien à faire à Blue City. Et pourtant... Il
voudrait lui poser la question, savoir si elle sait pourquoi elle est
ici, avec lui, pourquoi Coleman ne l'a pas tuée. Mais il sent bien
que ce serait indélicat. Et puis, dans l'immédiat, il faut trouver
un moyen de sortir de Millevaux. Visiblement, c'est comme ça que cet
endroit s'appelle. Pour s'éjecter, il lui suffit de faire appel à
Contrôle. Mais elle ? Comment s'est-elle retrouvée à Blue City
sans y avoir été envoyé par la Compagnie. Il semblerait qu'il y
ait une porte ici. Il faut la trouver. Et un certain Patient 13
aussi. Et tout ça avant que ce Thanatrauma ne leur mette la main
dessus.
Ils
entrent dans ce qui a dû être un bureau. Le meuble donnant son nom
à cette pièce git d'ailleurs, renversé dans un coin. Singer tourne
la tête vers une vitrine éclatée. À l'intérieur, une collection
de cranes difformes recouvert de mousse et de moisissures. Johanna,
quant à elle, s'est approchée du bureau et tente d'ouvrir un tiroir
coincé par l'humidité. Singer le débloque d'un coup de pied. Vide
! Rien de très étonnant finalement. Mais Singer se dit qu'il reste
peut-être des dossiers quelque part. S'ils sont bien dans un
hôpital, il doit bien rester quelques traces des dossiers des
patients, dont ce fameux Patient 13. Autant commencer par ce
bureau...
Johanna
et Singer entreprennent donc de fouiller cette pièce, surtout ce qui
reste des étagères et de la bibliothèque. Mais rien concernant les
patients. Rien d'utilisable en fait. Singer réfléchit. Qui dit
dossiers, dit archives. Qui dit archives dit lieu de stockage. Et les
archives, on les stocke au sous-sol ou au grenier, non ? Johanna
acquiesce. « OK ! On commence par le sous-sol. »
«
C'est pas vrai ! »
Singer
est dégoûté. De toutes les portes qu'il aurait pu ouvrir au
hasard, il a fallu que ce soit celle de la morgue. Enfin, de
l'ancienne morgue. Le sol est recouvert de terre. Il en émane une
forte odeur de putréfaction que ne couvre pas, ou plus, une légère
odeur d'alcool. Certaines des pierres constituant les murs se sont
vues déchaussées sous l'action de racines. Derrière lui, Singer
entend un bruit sourd. Johanna Ackermann vient de s'écrouler au sol.
À moitié assise par terre, elle rampe jusque contre un mur. Elle
semble effrayée. Il se retourne et voit...
Dans
un coin de la pièce, vide jusqu'à présent, une ombre est apparue.
Elle est plus grande qu'un être humain. Singer a l'impression de
voir flou. Il plisse les yeux. L'ombre se précise, prend forme. Elle
mesure environ 2m50. Elle est revêtue d'une cape sombre. La capuche
révèle malgré tout le bas d'un visage composé de plaques
osseuses. Pur réflexe, il cherche une arme dans sa poche. Mais ici,
à Millevaux, il n'y a aucun moyen de demander de l'aide à Contrôle.
Sa seule porte de sortie, c'est ce mystérieux Patient 13. Et il
doute que cette chose soit le patient en question.
La
chose, Singer ne lui trouve d'autre nom, fait claquer ses mâchoires
dans sa direction. Pour autant, elle ne bouge pas. Il se surprend à
penser qu'elle ne peut peut-être pas bouger. Est-ce vraiment le cas
? Comment s'en assurer ?
Singer
retient son souffle. Il s'approche de la chose et tend la main dans
sa direction, la retirant aussitôt. La chose émet une sorte de
feulement mais reste immobile. Elle est bel et bien coincée là.
Comment ? Et pourquoi ?
«
Est-ce que tu me comprends ? » tente Singer.
«
Gavé de Jus de Singe, j'annonce la véracité. Je cite le Verrat. Je
collabore. Je suis brave. Le gain au bout du protocole. Depuis mon
exil, je vous épies. »
Singer
a déjà entendu ces mots quelque part. Non ! Il les a lu quelque
part. Il ne sait plus vraiment en fait. Ce dont il est sûr, par
contre, c'est que ces mots sont ceux laissés par Coleman sur une de
ses scènes de crimes. Qu'est-ce que ça veut dire ? Cette chose
est-elle liée à Coleman ? Coment ? Pourquoi ?
«
Êtes-vous Paul Coleman ? » hasarde-t-il en jetant un œil vers
Johanna, pétrifiée, terrifiée.
«
Non, mais... je parle par sa bouche... »
«
Vous êtes... prisonnier, ici ? »
«
Oui, mais... je suis le Patient 13 ! »
«
Quoi ??! Mais qu'est-ce que ça veut dire ? »
«
NoAnde est le verrat de la véracité. Il sait le protocole. Je suis
exilé. Je vous épie. Gavé de jus de singe... »
«
Je... Euh... Si je comprends bien. Vous êtes ce fameux Patient 13
qui est sensé pouvoir nous faire sortir d'ici. Sauf que vous êtes
coincé ici. Vous nous avez adressé des messages. Enfin, pas à moi
personnellement, je veux dire... Vous nous avez adressé des messages
par l'intermédiaire de Paul Coleman, le tueur qui s'en est pris à
Johanna. Vous avez besoin d'aide pour sortir, fuir cet exil forcé,
c'est ça ? Et ce NoAnde sait ce qu'il faut faire ? Il connaît la
procédure pour vous libérer. Et vous connaissez la procédure pour
nous libérer, Johanna et moi ? Vous voulez... qu'on trouve ce NoAnde
pour vous, qu'on vous le ramène ? Il est ici ? Dans ces ruines ? »
«
Non ! »
«
Mais que voulez-vous alors ? »
«
Je veux libérer... quelqu'un... »
«
Mais c'est nous, bordel !! C'est nous qu'il faut libérer ! »
«
Il faut libérer Demian Hesse, mais... »
«
Mais quoi ? Merde ! Parlez bordel !! »
«
Aaron Powl, du clan Powl. Il suit la voie des Lwas. Il n'est pas
horla loi. Dis-le à Haze. Tu le raconteras à Haze ? »
«
Oui, oui ! Mais comment sortir d'ici ? »
«
Trouves le verrat... et reviens. »
Johanna
s'était reprise dès lors qu'ils avaient quitté la morgue. Elle se
montrait même particulièrement active dans la recherche de ce
fameux verrat. Mais, où trouvait-on un homme-porc dans un hôpital
en ruine ? Au moins Singer était sûr que la chose qui s'était
présentée comme étant le Patient 13 ne bougerait pas, elle.
Ils
étaient remontés au rez-de-chaussée. Singer réfléchit. Il a déjà
visité ces ruines d'une certaine façon. Quand il était à Blue
City. Avant de plonger encore plus en avant et de se retrouver ici.
Il se rappelle un message, une inscription à propos de la Bouche et
de Pierre. Les chambres ! Il faut fouiller les anciennes chambres. Ce
Pierre est certainement un ancien patient et il a peut-être laissé
quelque chose. Et c'est à ce moment là que Johanna émerge de
derrière le comptoir de l'accueil avec un vieux plan des lieux à
moitié déchiré. À l'endroit d'une pièce du 1er étage, une
croix. Pas très loin, dans la marge, on a écrit : « La Bouche ne
parlera plus. Pierre s'en est allé. » Sans attendre Johanna, Singer
fonce à l'étage.
Il
trouve facilement la chambre en question. Elle est en ruine, comme
toutes les autres. Le lit est encore là. Le matelas est rongé par
l'humidité, crevé par les ressorts. Un petit bureau gît, renversé,
un pied cassé. Il y a aussi une petite armoire. Singer la fouille.
Il trouve une petite boite en fer blanc. Contrairement à tout le
reste du mobilier, elle ne porte pas la marque du temps et de la
ruine. À l'intérieur, une clé. Singer la prend du bout des doigts,
elle est recouverte d'une substance poisseuse. Une voix retentit de
la porte d'entrée. C'est Johanna.
«
Ma clé ! Je l'avais perdue. »
«
Vous connaissez un certain Pierre ? »
«
Oui, j'ai un cousin qui s'appelle Pierre. »
Singer
secoue la tête et lui tend la clé. Mais Johanna refuse de les
prendre.
«
Gardez-la. Elle est dégoulinante de je-ne-sais-quoi. »
Singer
la fourre dans sa poche. Son contact est gluant et désagréable.
Mais il ne s'attache pas à cette sensation. Il cherche autre chose.
Il cherche la Bouche. Il finit par trouver un dessin au ¾ effacé à
environ un mètre du sol. La Bouche fait environ 30 cm de long.
Singer croit percevoir un vague murmure. Pourtant, le dessin est
immobile. Il approche son oreille du mur.
«
Pierre n'est plus. Il me faut un nouvel assistant. »
Singer
fixe Johanna droit dans les yeux et, sans lâcher son regard répond
à la Bouche.
«
Je ne suis pas Pierre. Je suis Paul. Je peux être votre assistant. »
«
C'est... bien. Tu es Dionysos, mon assistant. »
«
Je le suis. Je dois trouver le verrat pour libérer le Patient 13. »
«
Le porc fantôme est certainement perdu dans l'Abyme. Et s'il n'y est
pas, alors... Vas Dionysos. Fais ce que tu as à faire et reviens me
voir. »
Singer
et Johanna sortent de la chambre. Mû par un réflexe inconnu, Singer
referme la porte. Il sort la clé de Johanna de sa poche et l'enfonce
dans la serrure. Il ferme la porte à clé mais... Impossible de la
retirer. Johanna le regarde, incrédule. Ils fixent tous les deux la
serrure. Ce n'est plus la même clé. Singer porte la main à sa
poche. Vide, bien sûr. Que croyait-il ? Qu'espérait-il ? Il fait de
nouveau tourner la clé. La porte s'ouvre mais il doit la forcer un
peu. Il récupère la clé. Elle a toujours la forme d'une clé de
chambre mais ne dégouline plus de ce liquide visqueux. À
l'intérieur, on entend un murmure incompréhensible. L'Abyme !
Johanna consulte son plan. Une nouvelle croix est apparu au centre
d'une grande pièce du sous-sol...
Demian Hesse rêve...
Il erre sur le plan du Rêve. Et comme par hasard, il ressemble à
l'Antique Plateau de Leng. Ce n'est pas un hasard. Demian Hesse adore
l'univers de Lovecraft. Aussi, ce n'est pas étonnant que le plan du
Rêve prenne pour lui ce décor finalement plutôt familier. Cela
aurait pu être Kadath, mais Leng c'est bien. Ça change de cette
forêt sans fin.
Dans ce rêve, il y a
de l'amour et du danger. Plus de danger que d'amour.
Dans ce rêve, il n'est
pas seul. Qui est l'autre ? Ami ? Ennemi ? Dans le doute, Demian lui
envoie une vague d'amour. L'autre va-t-il la recevoir ?
Demian a l'horrible
vision d'un rat à tête humaine. La chose ricane avant de
s'évaporer. Qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce la réponse de
l'autre rêveur? Un vent de folie souffle alors sur l'Antique Plateau
de Leng !
Mais cette folie
s'accompagne d'une brise bienveillante. Face à l'adversité, Demian
a le sentiment qu'il n'est pas seul. L'espoir est permis.
Mais l'espoir est de
courte durée. Demian doit se mettre à l'abri car une horde
créatures famélique toute en griffes et en dents déferle sur Leng
et y sème le chaos.
Quand Demian sort de sa
cachette, il se trouve nez à nez avec un chat saturnien. Il a les
yeux grands comme des soucoupes. Son pelage est chatoyant. Il ouvre
la bouche. On dirait que sa mâchoire va se déboîter.
«
SodekNoFinkestàl'hôpital ! »
Puis, le chat repart
comme il est venu.
Sans trop savoir
pourquoi, Demian voit là un bon présage. Il est plein d'espoir et
espère que cette vague d'espoir va toucher l'autre rêveur, de
l'autre côté du Plateau. Mais ce ne sont que des hurlements. Des
cris de désespoir et de folie qui traverse Leng en réponse.
Demian repense alors à
ce rat à tête humaine. Un rat, un chat... Et si tout cela n'était
qu'un jeu. Le jeu du chat et de la souris. De l'autre ou de lui, qui
est le chat, qui est la souris ?
Demian est alors cloué
au sol par une migraine d'une violence inouïe. Son crane et son
cerveau sont littéralement réduits en miettes sous l'impact des
hurlements colorés d'une multitude de chats saturniens. Est-ce une
attaque de... l'autre ? Demian hésite. Doit-il répondre par la
folie ou l'amour ? La folie est tentante, mais il choisit l'amour.
Et à cet amour,
l'autre répond par une vague de rats ricanant à visage humain. Une
fois de plus, Demian doit se cacher. Il a l'impression que son
attentte dure des jours. Mais il sait qu'il rêve. Il sait que sa
perception du temps est fausse. Il attend... des jours. Il a
maintenant la certitude que l'autre rêveur n'est pas son allié.
Non, il lui veut du mal. Il doit se méfier, se protéger. L'air est
chargé de folie. Quand il ressort...
Demian
se retrouve dans une pièce sombre. Elle semble éclairée par des
torches médiévales mais il n'y en a pourtant aucune de visible. Cet
endroit, c'est une morgue. Il y a des cadavres partout. Les brancards
s'agitent tout seul. Certains sont projetés contre les murs par des
mains invisibles. Le bruit est insoutenable. Dans un coin, une
silhouette s'anime. Elle est grande et recouverte d'une cape et d'une
capuche. Demian ne discerne que la bas du visage mais reconnaît ces
plaques osseuses. Il les a déjà vu. Dans ces cauchemars. La
silhouette s'avance vers lui à grands pas, ses mains griffues
tendues en avant.
Demian se saisit d'un
brancard métallique qu'il attrape au vol. il hurle : « NoAnde !
Aides moi ! »
Il abat alors le
brancard sur la tête du Coelacanthe. En même temps, NoAnde, l'être
mi-homme-mi sanglier apparaît dans un coin de la pièce. Il
s'accroupit et enfonce ses mains dans la boue sanguinolente qu'est
devenu le sol de la morgue. La terre tremble, gronde. Des racines
apparaissent sous les pieds du Coelacanthe à moitié étourdi. Les
racines grandissent et s'enroulent autour des jambes du monstres.
Demian abat de nouveau le brancard sur son crane. Le Coelacanthe est
rapidement totalement immobilisé.
NoAnde a toujours les
bras solidement enfoncé dans le sol. Il semble fébrile, très
concentré.
Demian s'approche du
monstre et soulève la capuche. Les plaques osseuses ne sont qu'un
masque. Sous le masque, il reconnaît... C'est lui, en femme. La
Magicienne. Il lui saisit le visage entre les mains, s'approche et
lui force la bouche.
Paul
Singer est haletant. Il est debout, face à la porte menant à
l'Abyme. Johanna Ackermann le regarde, affichant un masque
d'incompréhension. Paul vient d'avoir une vision. Une révélation.
Alors que Johanna s'apprête à entrer, il la retient.
«
Je... j'ai vu. Demian Hesse. Il est ici. Il est venu. Il s'est battu
contre la Magicienne au masque de Coelacanthe. Il aurait dû gagner
avec l'aide du verrat. Mais il s'est passé quelque chose. Demian est
resté prisonnier ici, dans le corps de la Magicienne. C'est lui le
Patient 13. Et elle, elle est en liberté, quelque part.
L'homme-sanglier va nous aider, mais pourquoi s'est-il réfugié ici
au lieu d'aider Demian. De quoi a-t-il peur ? »
«
Je comprends » lui répond Johanna alors même qu'elle ouvre la
porte menant à l'Abyme.
L'Abyme
! Une salle hors de toute proportion. Le sol y est de boue. Les murs
sont en terre et percés ça et là de racines et de lierres
grimpant. Le plafond... Il n'y en a pas. Une multitude de cage de
formes et de tailles diverses pendent à plusieurs mètres du sol. On
distingue entre elles des passerelles métalliques, des ponts de
singes en cordes... On entend des gémissements, des hurlements. Les
pensionnaires de cet hôpital seraient donc là ?
Singer
se tourne vers Johanna. Elle paraît très curieuse quant à ce lieu.
Pas du tout effrayée. Lui, par contre, n'est pas du tout à l'aise.
Il se demande si tous ces gens enfermés là sont les anciens
patients ou au contraire de nouvelles personnes qu'on a enfermé. Et
dans ce cas, dans tous les cas, qui est ce « on » ? Qui a les clés
de cette hôpital ? Les clés ou... La Clé ? Inconsciemment, il sert
la clé d'appartement de Johanna et observe cette dernière déambuler
dans l'Abyme. Elle cherche ce fameux NoAnde sensé les aider. Il
trouve qu'elle a l'air anormalement à l'aise en cet endroit. Et il
se demande alors si... elle n'est pas déjà venue ici.
«
Non, lui répond-elle. Mais je connais quelqu'un qui est venu ici.
Coleman
?
Coleman.
Ce
n'est pas vraiment la clé de ton appartement.
Non.
Mais elle fait très bien l'affaire. »
Et
Singer commence à raccrocher les wagons. Et si... Et si Coleman, par
ses meurtres, avait tenté de rejoindre cet endroit. Pas forcément
l'hôpital, mais cette forêt hantée. Les meurtres seraient alors
comme des rituels ouvrant des portes vers le monde des esprits qu'il
voulait rejoindre. Cet hôpital, et même Blue City, ne seraient que
des dimensions intermédiaires, des sas entre notre monde et
celui-là. Si Blue City est bien, comme on le dit à la Compagnie,
une projection ou une sorte de matérialisation de l’inconscient
collectif, est-ce que ça signifie que l'inconscient collectif est
une porte vers Millevaux. Ce serait donc le pyschisme humain qui
serait la porte... et peut-être même la clé. La solution pour
traverser les voiles entre les mondes serait donc en nous et
accessible par divers moyens. L'insertion dans Blue City pour la
Compagnie, la drogue pour les toxicos, la transe pour les chamans, le
meurtre pour Coleman... et les cauchemars pour... Demian Hesse.
Pourquoi penser à lui maintenant ? Parce que lui aussi est piégé
ici.
Singer
secoue la tête. Un peu comme si ses idées allaient se remettre en
place. Mais il a une nouvelle révélation. Si des gens comme lui
peuvent arriver dans cet endroit, ça veut dire que les choses qui
peuplent cet endroit peuvent aussi arriver chez nous... Il regarde de
nouveau la clé de Johanna. Celle-ci n'est définitivement pas une
clé ordinaire. Avec l'aide de NoAnde et Demian Hesse, ils pourront
rentrer chez eux et là... il faudra tout faire pour prévenir le
monde ! Mais pour l'instant, trouver NoAnde.
« NoAnde ?
Vous êtes là ? »
C'est
Johanna qui criait. Singer était atterré par ce manque de prudence.
Cet endroit était potentiellement dangereux, peuplé d'ennemis,
truffés de pièges et elle... et elle... Et Singer trouva alors
qu'elle avait l'air de trouver cette situation somme toute très
naturelle. Elle se conduisait comme si tout était normal. Et il se
dit qu'après tout, d'une certaine manière, elle connaissait
également les lieux. Alors, il se mit lui aussi à crier.
Puis,
alors qu'ils avançaient des les ténèbres, le silence fut brisé
par des sanglots.
« NoAnde ?
demanda Johanna.
Non,
je suis le Fou répondit le jeune homme enfermé dans la cage juste
au-dessus d'eux.
Peux-tu
nous aider à trouver NoAnde s'il-te-plait ? Poursuivit JoHanna.
Pourquoi
le ferais-je ?
Parce
que je suis Dionysos, l'assistant de la Bouche, enchaîna Singer qui
ne comprenait pas vraiment pourquoi ces mots sortaient de sa...
bouche.
Faux !
affirma le Fou. Pierre est l'assistant de la Bouche.
Pierre
n'est plus, reprit doucement Johanna. Dionysos est le nouvel
assistant de la Bouche. Nous devons libérer Demian Hesse et quitter
cet endroit. Nous avons besoin de NoAnde pour cela. Peux-tu nous
aider à le trouver ?
Il
faut la Clé pour quitter cet endroit.
Je
l'ai, affirma Singer-Dionysos en brandissant la clé d'appartement de
Johanna sous la cage.
Oh !
Alors oui, NoAnde est plus loin, vers l'Est, à 2h19. Quand tu verras
la Bouche, parles-lui de moi. Tu promets ?
Je
promets, dit Singer-Dionysos.
Johanna
et Singer-Dionysos marchèrent vers l'Est pendant 2 heures et 19
minutes. Puis, ils levèrent la tête. Il y avait toujours des cages
au dessus d'eux. Certaines étaient vides, d'autres non. Mais ils n'y
prêtèrent pas attention avant 2h19. Et là :
« NoAnde ?
Je suis Dionysos, l'assistant de la Bouche. Nous avons besoin de vous
pour libérer Demian Hesse. Nous possédons la Clé. »
La
cage s'agita au bout de ses chaînes puis, soudain, Johanna et
Singer-Dionysos se retrouvèrent face à un être étrange, mi
homme-mi sanglier recouvert de plaques d'écorce, de feuillages et de
brindilles. L'homme (?) s'incline.
« Je
me présente, NoAnde, chaman du Clan des Arbres et serviteur de
Shub'Niggurath. Je m'incline devant toi, Dionysos, assistant de la
Bouche. »
Puis,
il se tourne vers Johanna.
« Et
je m'incline devant toi, Sodek NoFink. »
Singer
a une sensation bizarre alors qu'il voit NoAnde s'incliner devant
eux. De même, il ne comprend pas pourquoi il appelle Johanna « Sodek
NoFink ». Elle a l'air surprise, mais Singer trouve qu'il y a
un côté surjoué dans sa réaction. Il commence à prendre peur.
Quelque chose lui échappe. Il le sait. Et alors que la petite troupe
se met en marche, il trouve plus prudent de rester quelques pas en
arrière. Johanna et NoAnde échangent quelques mots. Singer tend
l'oreille et capte des bribes de leur dialogue. Ils parlent de lui,
ou plutôt de Dionysos. Il parle de Coleman également. Et de la Cité
Bleue. Singer a l'impression d'être tombé dans un piège. Il pense
à s'enfuir, mais pour aller où. Rester ici, dans l'Abyme. Non !
Il doit sortir de cet hôpital. Et pour ça, il doit les suivre
jusqu'à Demian Hesse.
Ils
sont maintenant tout trois devant la porte donnant sur la morgue.
Derrière, se trouve Demian Hesse et, Singer l'espère, des réponses.
Pourtant, il éprouve une réelle peur à l'idée d'entrée. Et il se
rappelle :
« Je
dois d'abord parler à la Bouche. J'ai un message de la part du fou.
Bien,
si tu veux. Mais dans ce cas, donnes moi la Clé que nous puissions
libérer Demian. »
Singer
jette un regard à NoAnde. Ce dernier semble douter.
« Non,
lâche Singer. Il aurait voulut ne pas trahir son angoisse mais il
sent lui-même les tremblements dans sa voix. Non, tente-t-il de se
reprendre. Je vais voir la Bouche. Attendez-moi ici. »
NoAnde
a l'air soudain méfiant. Johanna, ou Sodek NoFink, fronce les
sourcils. Sa voix se fait plus forte.
« Mais
pourquoi ? Tu as peur qu'on parte sans toi ? Ça n'a pas de
sens. Vas voir la Bouche si tu veux mais laisses-nous au moins gagner
du temps. Plus vite on accomplit ce petit rituel débile, plus vite
on rentre chez nous ! »
« Elle
n'a pas tort, lâche NoAnde. »
Singer
se demande à quoi ils jouent ces deux là. Il a conscience d'être
en infériorité numérique. En admettant qu'il puisse se défendre
contre Johanna, que pourrait-il bien faire contre l'homme-sanglier ?
Et alors, il se demande si tout cela n'est pas un rêve et s'il ne
devrait tout simplement pas se réveiller pour en finir. Et si la
Bouche savait...
« Je
reviens, lâche Singer d'une petite voix. »
Il
s'enfuit littéralement en courant, serrant fort la Clé dans son
poing. Il n'entend pas de bruit derrière lui. Les autres ne semblent
pas le poursuivre. Il n'ose pas se retourner. Il fonce vers la
chambre de la Bouche.
Le
dessin est toujours là, à demi effacé. Singer est essoufflé par
sa course, surtout la montée des escaliers. Il s'écroule devant le
mur et se rend compte qu'il est à genoux, prosterné, devant la
Bouche.
« Relèves-toi
Dionysos. As-tu la Clé ?
Oui,
lâche-t-il dans un souffle.
Qu'as-tu
d'autre pour moi ?
Un
message... du Fou. Il voulait, il veut que je vous parle de lui...
Et
c'est fait. Je t'en remercie Dionysos. Tu as la Clé. L’Éveil est
la Clé.
C'est
un cauchemar, c'est ça ? Je dois me réveiller pour quitter cet
endroit.
Non.
C'est un cauchemar. Demian Hesse doit se réveiller. Cela est
l'ultime Révélation.
Mais
comment ?
Le
Thana... »
«
Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »
Singer
ouvre les yeux. Il est dans une salle d'interrogatoire. En face de
lui, l'agent spécial Damon Haze le fixe d'un air méfiant.
« Je
ne comprends pas, confesse Haze. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Je
ne comprends pas non plus. J'étais avec Johanna quand le Thanatrauma
a débarqué à l'hôpital. Nous devions libérer Demian, avec l'aide
de NoAnde. Mais comme le Fou m'a dit d'aller voir la Bouche et que la
Bouche m'avait demandé de revenir la voir... Et bien, j'étais dans
la chambre de la Bouche quand le Thanatrauma est arrivé. Et Sodek
NoFink était avec NoAnde. Mais comme ils n'avaient pas la Clé... Je
ne sais pas. J'ai toujours la Clé. Je ne sais comment je suis
rentré. Peut-être que Demian Hesse a fini par se réveiller.
Peut-être est-il toujours coincé dans cette morgue. Je ne sais pas
si Johanna est restée coincée elle aussi, ni ce qui a pu arriver à
ce NoAnde. Je ne suis pas certains de vouloir le savoir. Je ne veux
plus entendre parler de cet hôpital, ni de cette forêt, ni de Blue
City, ni de la Compagnie.
Mais
pourquoi cette prise d'otages, demande Haze. Si vous vouliez me
parler, il n'y avait qu'à me demander un rendez-vous. J'aurais
accepté.
Quelle
prise d'otages ? »
Demian Hesse est
toujours coincé dans le corps de la Magicienne Cœlacanthe. On doit
le sortir de là. L'homme et la femme qui sont venus ont promis de
ramener NoAnde. L'homme-sanglier saura quoi faire. Mais en attendant,
que fait la Magicienne avec son corps ? Il ne veut pas y penser
car il se doute, il sait que c'est horrible.
Alors, il rêve...
Demian Hesse est sous
terre. Il est nu. Il saigne. De son nombril s'échappe un bout de
cordon ombilical d'où s'échappe un filet de sang à moitié
coagulé.le sang se répand sur le sol et imprègne la terre boueuse.
Quelque chose bouge sous la terre.
Soudain, la terre
s'ouvre ! Une énorme gueule de poisson osseux jaillit de sous
le sol. Demian Hesse tente de de l'éviter. Mais, malgré sa masse,
la créature est plus rapide et elle l'avale. Demian sent son corps
se concasser, se déchirer sous l'action des terribles mâchoires en
os. Il se sent réduit en morceaux, en pâte sanguinolente aspirée
au fond de l’œsophage du monstre.
Demian Hesse meurt...
pour renaître.
Il ouvre les yeux. Il
est toujours coincé dans le corps de la Magicienne. La femme est là,
avec NoAnde. Mais la femme n'est plus la femme. C'est Sodek NoFink.
Demian panique. Il tente de capter le regard de NoAnde. Celui-ci,
dans l'ombre, paraît devenir agressif. Il le sent hostile.
L'homme-sanglier est sensé être son ami. Va-t-il le trahir au
profit de Sodek NoFink ? Non, c'est impossible.
« Demian,
Dionysos a la Clé. Avec l'aide de NoAnde, nous allons tous quitter
cet endroit. Mais je veux que vous fassiez quelque chose pour moi.
Demian, quand tu te réveilleras, laisse la porte du Rêve ouverte. »
Demian
ne comprend rien et interroge NoAnde du regard.
« Demian,
tu n'as pas besoin de la Clé pour quitter cet endroit. Il te suffit
de cesser de rêver pour ça. Mais tu as besoin de la Clé pour
laisser la porte ouverte. »
Sodek
NoFink se tourne alors vers NoAnde et lui lance un regard furieux.
Demian
a compris. Il croit avoir comprit. Il rêve et peut quitter cet
endroit en se réveillant. Il n'a pas besoin de la Clé pour ça.
C'est Sodek NoFink qui a besoin de la Clé car il veut laisser la
porte ouverte entre Millevaux et notre monde afin que les Cœlacanthes
puissent l'envahir et le transformer en ferme d’élevage-abattoir.
C'est son projet depuis le début. Ouvrir une porte permanente. Il a
tenté de le faire à travers les meurtres de Coleman. Et il va
tenter de le faire encore en tentant de les forcer NoAnde et lui. Et
la Magicienne ? Est-elle en train de se servir du corps du corps
de Demian à cette même fin ?
Demian réfléchit.
Qu'est-ce qui pourrait lui donner juste assez de temps pour se
réveiller avant le retour de Dionysos et de la Clé.
Il a une idée. Le
Thanatrauma.
Et
soudain, le sol et les murs tremblent.
«
Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »
Demian se réveille,
chez lui. Il a la nausée, une migraine carabinée mais il est
content du mauvais tour qu'il vient de jouer à Sodek NoFink. Il
espère juste que NoAnde va bien. Après tout, l'homme-sanglier est
son ami, non ?
Par contre, qu'en est-il
de la Magicienne ? S'est-elle retrouvée transportée dans son
corps d'origine ? Est-elle toujours dans notre monde ?
Qu'a-t-elle fait avec le corps de Demian durant tout ce temps ?
Dimanche. Il fait très
très chaud. Demian est sorti se balader, histoire de mettre un peu
d'ordre dans ses idées. Il a fait un crochet par le parc, pour
traverser la roseraie. Il n'y connais rien en fleurs, mais il aime
les roses... et les coquelicots.
Il est finalement rentré
et a pris une douche bien nécessaire. Puis, il a allumé son PC. Il
a ouvert sa boite mail et répondu à Anke, sa partenaire de jeu sur
forum. Puis, il a ouvert un autre fichier et a commencé à taper...
Est-ce à cause de la
chaleur, de la fatigue, mais Demian cligne des yeux. Quand il les
ouvre, il est dans le ciel. Il vole. La Magicienne vole à côté de
lui. Elle crie quelque chose. En dessous, une forêt, LA Forêt, est
la proie des flammes et de l'eau. Alors, il se rend compte qu'il
tient un enfant dans les bras. Son enfant. D'où sort-il ? Il
n'a pas d'enfant.
Devant lui, se dresse
le Mur du Sommeil : une gigantesque masse à la
fois muqueuse, végétale
et nuageuse, qui suinte par tous ses pores. La Magicienne
crie : «
Débarrasses-toi de l'enfant. Cet abomination ne doit pas passer
dans la réalité ! ».
Devant son PC, Demian
réfléchit. Que fait la Magicienne à ses côtés alors même
qu'elle l'a trahi en l'enfermant dans la morgue de l'hôpital.
Le Mur du Sommeil se
rapproche. Demian sait. Tout ceci n'est qu'un rêve, un cauchemar.
Non !
Pourquoi la Magicienne
qui l'a chargé de combattre les Cœlacanthes l'a-t-elle trahi alors
même qu'elle paraît les servir ?
Le Mur du Sommeil se
rapproche. Demian sait qu'il ne doit pas s'endormir. Il doit rester
éveillé. Il serre son fils contre lui. Hors de question qu'il
obéisse à la Magicienne.
Ce n'est pas un rêve.
C'est un jeu !
Tout ceci n'est qu'un
jeu. Il est le joueur. Le Patient 13. La somme de tous les
personnages. C'est lui que la Magicienne a investi de ce rôle, de
ces rôles.
C'est un jeu. Il doit
empêcher les Cœlacanthes d'envahir notre monde et elle, la
Magicienne, tente de leur ouvrir la porte.
Cet enfant n'existe pas.
Demian n'a pas d'enfant. Il le projette à travers le Mur du Sommeil
et fait demi tour. Il veut quitter ce monde. Pour ça, ne pas rêver,
se réveiller.
Il ouvre les yeux. Il
est de nouveau devant son PC, mais les choses ont changé. Toute la
pièce est envahie par la végétation et l'humidité. Des racines et
des branches crèvent le sol, les murs et les fenêtres. Il ne rêve
pas. Il sent une présence derrière lui. NoAnde. Demian a une
question à lui poser :
« NoAnde, avant
que ton clan ne soit massacré, tu as disparu pendant un an. Où
étais-tu ?
Je ne peux pas le
savoir. Ma mémoire flanche, répond l'homme-sanglier.
Moi je sais. Tu étais
ici. Tu es ici. Avec moi. Ton voyage, ton aventure avec moi aura duré
un an. Quand tout ça sera terminé, tu retrouvera ta place dans ton
clan et, peut-être, tout recommencera. Je le sais parce que je suis
le Patient 13. Je suis le joueur. La somme des personnages. Et comme
tu es un personnage, je suis toi et je sais. »
NoAnde restait
silencieux.
Demian, toujours devant
son PC, se rongeait les ongles. Il réfléchit, jeta un coup d’œil
derrière lui pour s'assurer que NoAnde était/n'était pas là et
que sa chambre était bien normal/rongée par Millevaux.
Il se dit alors qu'en
tant que somme des personnages, s'il tapait ses notes, mettait de
l'ordre dans ses idées, alors tous les personnages, partout dans les
mondes entre le sien et Millevaux sauraient. Alors, il tapa...
Tout
ceci n'est qu'un jeu. C'est pour ça que la Magicienne m'a donné la
Noix. Elle veut ouvrir une porte à travers les mondes entre
Millevaux et le notre. Je dois l'en empêcher.
Les
meurtres de Coleman étaient des rituels d'ouverture du Portail,
initié par Sodek pour le compte de la Magicienne. Mis en échec par
Haze, la Magicienne a alors pris possession de mon corps pour tuer de
nouveau et accomplir ce rite. De l'autre côté, à Millevaux, Sodek
voulait récupérer la Clé pour maintenir l'ouverture ouverte après
mon réveil, malgré ma fuite. Finalement, Coleman, par ses messages,
ne cherchait pas tant un allié que de l'aide pour échapper à
l'emprise de Sodek.
Sodek,
qui est Sodek NoFink. Johanna Ackermann n'est pas une simple victime
de Coleman. Elle a une double personnalité. Elle est Sodek NoFink,
le mentor de Coleman, le complice de la Magicienne. Sodek est un
Personnage Non Joueur, mais Johanna apparaît comme un des « 13
cerveaux du Patient 13 ». On peut donc la considérer comme un
Personnage Joueur et s'en servir pour combattre Sodek et la
Magicienne. Et il en est de même pour NoAnde, Personnage Non Joueur
en tant que serviteur de Shub'Niggurath mais Personnage Joueur en
tant que shaman du Clan des Arbres. Et il en est de même pour le
Thanatrauma depuis que Roger en est devenu une partie, voire le
porte-parole, de même que Singer est devenu celui de la Bouche.
Et
les Lwas, ces esprits que sert Aaron Powl ? Ils sont les ennemis
des Horlas et des Cœlacanthes. Ils incarnent l'Ordre contre les
Cœlacanthes qui incarnent le Chaos, qui incarnent Millevaux. Le
paradoxe, pour le vaudou cyberpunk qu'est Aaron Powl, réside dans le
fait que la Forêt, la nature, obéit à des lois, notamment celles
du chaos mathématique qui régit la forme des fougères, les motifs
de la fourrure des animaux etc. Comment
dépasser ce paradoxe pour que Lwas et Horlas puissent aller dans une
même direction, devenir des Horlwacanthes mettant l'Ordre au service
du Chaos au service de l'Ordre ?
Demian tape sans s'arrêter, juste pour se ronger les ongles.
Noande n'est plus là mais il est toujours là. Demian a un plan. Il
va renvoyer Singer à Blue City. Là, il va trouver ce fameux Livre
de l'Amour et de la Mort. Dedans, il y a la solution.
Et aussi, il va envoyer Haze enquêter sur les meurtres commis par
la Magicienne. Car, si Damien/Demian est bien à Nantes en train de
taper ces notes, la Magicienne est toujours à l'intérieur du corps
de Demian à Olympia, tuant pour accomplir le rituel d'ouverture du
Portail vers Millevaux.
Mais Haze ne sera pas seul. Depuis Millevaux, NeinUnd et sa sœur
l'aideront.
Bien, maintenant que tout est aussi clair que possible, Demian n'a
plus qu'à attendre. Que vont faire ses personnages ? Et que
vont faire la Magicienne et Sodek NoFink ?
OK !
Haze a bien compris qu'il doit maintenant mener l'enquête pour
retrouver la Magicienne sauf que... pour l'instant on a retrouvé
aucun corps. Par où donc commencer ?
Déjà,
ne pas perdre de vue que tout cela n'est qu'un jeu et que lui-même
n'est qu'un personnage, un avatar du joueur, du Patient 13, au même
titre que les autres, au même titre...
NoAnde ?
Non ! Ce personnage est trop ambigu, trop instable et
imprévisible, surtout depuis qu'il est lié à Shub'Niggurath.
NeinUnd ?
Pourquoi pas ? Il fait parti du Clan des Arbres. Et, surtout, le
fantôme de sa sœur peut servir d'intermédiaire entre les mondes.
Haze s'empare de son bloc-notes. Il se cale dans le fauteuil de son
bureau. Il ferme les yeux et se concentre sur Siy. Il attend...
NeinUnd
a quitté les lieux du massacre. Il erre dans la forêt cherchant du
réconfort auprès des arbres. Mais, ils ne lui sont d'aucune aide.
Il est au contraire hanté, harcelé sans relâche par le fantôme de
Siy qui l'accable, l'accuse de tous les maux. Par moment, il ne
l'entend même plus. Et soudain, il ne l'entend plus.
« Siy ?
Attends !
Fermes les yeux. Et vois ! »
NeinUnd
ferme les yeux et voit.
Une
femme... dans un corps d'homme. Des bâtons rouges d'où dépasse une
mèche. De la dynamite ! NeinUnd voit un grand rassemblement.
Cette... femme est là, au loin, elle observe. Il sent qu'elle a pris
son temps. Elle est sûre d'elle. Elle connaît les lieux. Elle est
calme. Elle est convaincue que plus rien ne peut l'arrêter
maintenant.
Haze
ouvre les yeux. Il regarde ses notes. Il ne comprend pas mais accepte
et remercie les membres du Clan des Arbres.
Un
attentat à la l'explosif va avoir lieu. À moins qu'il a déjà eu
lieu. Haze allume son PC et consulte ses bases de données. Aucune
mention d'une explosion dans les dernières 24 heures. Il peut donc
encore empêcher ça. Tout d'abord, lister les lieux pouvant être la
cible d'une telle attaque. La Magicienne a peut-être établi sa
planque à proximité. Il transmet ses instructions au chef DiCompain
mais, en l'absence de données tangible, ce dernier ne semble pas
très motivé à mobiliser ses hommes.
Des
données tangibles. Du concret ! En l'absence de cadavres, de
quoi dispose-t-il pour enquêter ? Que sait-il sur cette
magicienne ?
Elle
est connue pour dealer, notamment cette nouvelle drogue nommée la
Noix.
Elle
a déjà été entendue par les services de police dans le cadre de
l'affaire Coleman. Et il apparaît qu'elle est beaucoup plus liée à
cette histoire que prévu.
Réfléchis
Haze ! Reprends tes notes. Reprends ta fiche de Serial Killer !
Profil :
difficile à déterminer. Est-ce un personnage réel, fictif ou les
deux ? En tout cas, comme Coleman, elle croit en l'existence de
cet autre monde, Millevaux. Et si elle a abordé Demian en lui
proposant de lutter contre les Cœlacanthes, il semble bien au
contraire qu'elle cherche à les faire venir. Alors ? vit-elle
dans un monde imaginaire ou ce monde existe-t-il vraiment ?
Pathologie
mentale : et bien, si elle a tort quant à l'existence de
Milevaux, elle est encore plus malade que Coleman. Mais si elle a
raison...
Mode
opératoire : les meurtres de Coleman étaient les différentes
étapes d'un rituel à caractère magique. Ici, on dirait que la
Magicienne veut obtenir toutes les morts nécessaires d'un seul coup.
Et pour cela, elle va tenter de déclencher une explosion dans un
lieu public.
Anciennes
victimes : peut-on lui imputer les victimes de Coleman ?
Pas sûr. À priori, elle n'a elle-même tué personne. Il semble
plutôt qu'elle a motivé d'autres à le faire.
Complices :
Coleman est à la fois complice et victime car très certainement
sous emprise. Plus sûrement, on peut classer Sodek NoFink/Johanna
Ackermann dans cette rubrique. En effet, c'est par l'intermédiaire
de Sodek que la Magicienne a influencé Coleman et lui a fait
commettre ses meurtres.
Identité
et apparence physique : inconnue, mais à l'heure actuelle elle
« possède » le corps de Demian Hesse
Proches :
à part Sodek, inconnu.
Victime
finale : si son attentat réussi, il risque bien d'y avoir
plusieurs dizaines, voire centaines de victimes. Et si son délire
est réel, c'est tout l'humanité qui succombera à l'assaut des
Cœlacanthes. Sinon, dans la perspective du jeu, Demian est-il la
victime finale ?
Planque :
pour l'instant, Haze pense qu'elle a dû établir sa planque non loin
du lieu qu'elle compte faire sauter. Mais, objectivement, il n'en a
aucune idée...
Maintenant,
que faire ?
Singer-Dionysos
a trouvé Johanna/Sodek à Blue City et Millevaux. Mais les forces de
police d'Olympia l'ont aussi retrouvé dans la planque de Coleman.
Aussi, où que soit finalement Sodek, Johanna est toujours dans ce
service des soins intensifs. Enfin, normalement...
La
Magicienne œuvre sous les traits de Demian Hesse. Il faut donc
trouver un prétexte pour convaincre la police de se lancer à sa
poursuite.
Il
faut aussi, et au plus vite, lister les lieux susceptibles d'être la
cible d'un attentat à la bombe.
NeinUnd,
Siy... Si vous avez une idée géniale, c'est maintenant !
« Tu
es bien silencieuse, Siy.
Il y
a quelque chose que je ne comprends pas.
Ah ?
Oui.
Qui est Anke ?
Je
ne sais pas. Pourquoi ?
Elle
est inquiète. Demian ne lui a pas répondu depuis plusieurs jours.
D'habitude, ils s'écrivent tous les jours ou presque et là... plus
rien. Depuis plusieurs jours. Anke s'inquiète. Et ce n'est pas que
pour les jeux.
Anke ?
Qui est cette Anke ?
Haze
a une idée. Elle est mauvaise, mais c'est la seule qu'il a. Il va
mentir ! Il explique donc à DiCompain que ce fameux Demian
Hesse est lié à l'affaire Coleman et que tout ça est très loin
d'être fini. Il prétend tenir ces informations de Johanna Ackerman.
Il affirme qu'elle s'est rappelée avoir entendu ce nom et d'autres
choses relatives à un attentat lors de sa captivité. Aussi, il faut
de toute urgence lister les cibles possibles d'un attentat à la
bombe et trouver ce Demian Hesse au plus vite.
Quand
on veut, on peut ! Le chef DiCompain a marché dans le baratin
de Haze et lance ses hommes sur les traces de Demian et d'un lieu
propice à un attentat. De son côté, Haze se rend au chevet de
Johanna, ou peut-être, plutôt, de Sodek NoFink.
Haze
entre dans la chambre. Les stores sont baissés, la pénombre règne.
Johanna dort mais elle s'agite dans son lit. Elle parle aussi.
Sortent de sa bouche pâteuse quelques mots et bribes de phrases que
Haze parvient difficilement à comprendre :
« Demian voudrait
se relever mais il est littéralement cloué à son lit. NoAnde est
maintenant debout. Il lui tourne le dos et sort de sa chambre. Un
flash illumine la pièce à travers les volets baissés.
Demian retombe
inconscient. Ses seules sensations sont celles de son corps soumis de
violents spasmes et de sa tête minée par une effroyable migraine.
Il a envie de vomir. »
Demian !
Elle parle de Demian ! Elle ou il ? Johanna ou Sodek ?
« Sodek,
c'est vous ? »
Pas
de réponse.
Haze
la saisit par les épaules et commence à la secouer. Elle ne se
réveille pas mais se remet à parler :
« Le
Patient 13... la Noix... le Jus de Singe... Singer...
Singer-Dionysos... »
Qu'est-ce
que ça veut dire ? Être dans le jus ? Singer est dans le
jus ? Non, c'est autre chose. Haze se creuse la tête et repense
à la symbolique des Cœlacanthes. On les a aussi appelés
Horlacanthes, car ce sont des sortes de Horlas. Les Horlas, hors la
Loi, à l'opposé des Lwas justement... le Jus de Singe... Pas le
Jus, mais la Ius romaine, la justice. La Justice de Singer, la Loi de
Dionysos... Oui, c'est plus... logique... Tout a commencé quand
Demian a accepté la Noix de la Magicienne. Pour en finir, il
faudrait donc accepter la Loi de Dionysos ? Mais Singer-Dionysos
est aujourd'hui l'assistant de la Bouche. Faut-il retourner dans cet
hôpital ? Et que devient Singer justement ?
Haze
ferme les yeux. Haze ouvre les yeux. Il est dans les bois. Un
bivouac. LE bivouac. Là où tout a commencé. Là où la Magicienne
a donné la Noix à Demian. Au centre, un grand trou s'ouvre sur
l'Abyme.
L'Abyme ?
Celle de l'hôpital ou celle qui te regarde quand tu la regarde ?
Pourquoi penser à Nietzsche dans un moment pareil ? Parce que
Nietzsche, c'est Dionysos. C'est cette dialectique de l'apollinien et
du dionysiaque. Apollon, l'ordre et la lumière. Dionysos, la vie et
la folie. Singer-Dionysos est la voix de la Bouche. La Bouche est
dans l'hôpital. Singer-Dionysos est-il la voix de la folie ?
Mais qu'est-ce que la Loi de la Dionysios alors ? Être fou ?
En quoi est-ce bien ? En quoi est-ce mieux que ce que nous
réservent les Cœlacanthes ?
Haze
regarde autour de lui. Il y a des morts partout. Il les reconnaît.
Ce sont les otages qu'il n'a pas pu sauver lors de cette négociation
au terme de laquelle son équipier de l'époque a perdu l'usage des
ses jambes. Devient-il fou ? Il regarde au fond de l'Abyme et
croit voir des cages... suspendues ??!! Il transpire. Il halète.
À travers la forêt, il voit la lumière d'un autre bivouac. Il y a
aussi de petites lumières dans les branches et il aperçoit la
Magicienne qui court vers un chemin. La Magicienne ?! Merde !!!
Haze
court à travers la forêt. Il n'est pas loin de rattraper la
Magicienne. Elle est armée d’un couteau. Elle s'écrie : «
Suivez-moi ! Il faut se réveiller ! C'est notre seule chance de
salut ! Millevaux n'est qu'une chimère de nos esprits ! »
Mais
qu'est-ce qu'elle raconte ? Il ne dort pas. C'est... Ackerman
qui dort. Et Haze se rappelle ses mots...
« Demian voudrait
se relever mais il est littéralement cloué à son lit. NoAnde est
maintenant debout. Il lui tourne le dos et sort de sa chambre. Un
flash illumine la pièce à travers les volets baissés.
Demian retombe
inconscient. Ses seules sensations sont celles de son corps soumis de
violents spasmes et de sa tête minée par une effroyable migraine.
Il a envie de vomir. »
C'est
Ackerman qui doit se réveiller. C'est Demian qui doit se réveiller.
Haze... vole !
Devant lui, se dresse le
Mur du Sommeil : une gigantesque masse à la
fois muqueuse, végétale
et nuageuse, qui suinte par tous ses pores. La Magicienne
crie : «
Débarrasses-toi de l'enfant. Cet abomination ne doit pas passer
dans la réalité ! ».
Haze réfléchit. Que
fait la Magicienne à ses côtés ?
Le Mur du Sommeil se
rapproche. Il sait. Tout ceci n'est qu'un rêve, un cauchemar.
Le Mur du Sommeil se
rapproche. Haze sait qu'il ne doit pas s'endormir. Il doit rester
éveillé. Il serre son fils contre lui. Hors de question qu'il
obéisse à la Magicienne.
Ce n'est pas un rêve.
C'est un jeu !
Tout ceci n'est qu'un
jeu. Le joueur est le Patient 13. La somme de tous les personnages.
Il est un personnage.
C'est un jeu. Il doit
empêcher les Cœlacanthes d'envahir notre monde et elle, la
Magicienne, tente de leur ouvrir la porte.
Cet enfant n'existe pas.
Haze n'a pas d'enfant. Il le projette à travers le Mur du Sommeil et
fait demi tour. Il veut quitter ce monde. Pour ça, ne pas rêver, se
réveiller.
Il ouvre les yeux...
« Haze ?
Vous êtes avec moi ? On a trouvé, Haze. »
Le
chef DiCompain affiche un large sourire. Il a un donut dans une main
et une liasse de feuilles dans l'autre. Il tend la liasse à Haze et
avale le donut. Haze parcourt rapidement le dossier sans réellement
comprendre de quoi il s'agit.
« Dans
la forêt. Dans les ruines d'un vieux sanatorium. Il va y avoir une
rave cette nuit. Il y aura du monde. Si le complice de Coleman veut
tuer beaucoup de monde d'un coup rapidement, alors c'est là qu'il
sera. »
Un
vieux sanatorium en ruine. Un hôpital. L'Abyme... C'est là que la
Magicienne se planque !
Une
rave dans les ruines d'un vieux sanatorium perdu dans la forêt. Haze
tient son lieu. La Magicienne aura tout le loisir de tuer un maximum
de gens dans une explosion et elle aura même pu les gaver de Noix
droguées au préalable.
Avant
toute chose, mettre les lieux sous surveillance, discrètement. Puis,
checker les éléments dont dispose Haze concernant la Magicienne.
1-Profil :
de toute évidence, le même que Coleman. Ou plutôt, c'est Coleman
qui a fait sien celui de la Magicienne. En tout cas, tout les deux
postulent l'existence d'un monde imaginaire.
2-Pathologie
mentale : quel que soit le rôle de la drogue dans tout ça, la
Magicienne souffre manifestement de troubles dissociatifs,
d'hallucinations visuelles et/ou auditives. On peut présumer de
tendances schyzophrènes.
3-Mode
opératoire : elle a usé de la drogue et de beaux discours pour
entraîner Coleman dans son délire et l'amener à tuer pour elle.
Là, elle envisage un attentat à l'explosif.
4-Anciennes
victimes : celles de Coleman.
5-Complices :
Coleman, dans une certaine mesure, mais surtout Sodek NoFink/Johanna
Ackermann. Dans quelle mesure d'ailleurs cette dernière est complice
ou victime ?
6-Identité
et apparence : identité réelle inconnue mais, pour l'heure,
elle possède le corps de Demian Hesse.
7-Proche :
Sodek NoFink/Johanna Ackermann.
8-Victimes
finales : les ravers.
9-Planque :
les ruines du sanatorium où va avoir lieu la rave. Haze ne serait
pas surpris que la Magicienne fasse partie des organisateurs.
Haze
lève les yeux de son carnet et fixe le chef.
« OK,
on a tout. On fonce ! »
Haze
et les hommes de DiCompain arrivent sur les lieux en fin
d'après-midi. Le temps est affreux. Il souffle un vent des plus
violents doublé d'une pluie diluvienne. Malgré cela, la rave est
maintenue. Les premiers teufeurs sont même déjà là. En fait, ils
sont protégés de la pluie car la rave a lieu à l'intérieur même
des ruines. Haze se demande ce qui est le plus dangereux. Être
dehors et affronter le cyclone qui s'annonce ou être à l'intérieur
avec le risque que tout s'écroule à tout moment. Malgré le vent,
on entend les beats et les bass. À l'intérieur, ce doit être
insoutenable. Heureusement, Haze dispose d'une paire de bouchon
anti-bruit.
Lui
et les autres policiers pénètrent discrètement dans les ruines.
C'est d'autant plus facile que la météo contribue à ce que les
lieux soient très sombre. De plus, la musique couvre largement tout
le bruit qu'ils peuvent faire. Toutefois, quelque chose les choque
dès leur entrée. Les murs sont envahis par une végétation
étrange. De gigantesques racines courent du sol au plafond. De
certaines jaillissent des épines acérées, certaines longues de
plus de 30 cm. Haze ne résiste pas à son instinct qui lui impose
d'en arracher une.
Les
hommes prennent la décision de se séparer pour couvrir un plus
large terrain. Haze se retrouve seul. Il s'engouffre dans un couloir
sombre et émerge dans une pièce faiblement éclairée. Une
silhouette gît au sol. Un teufer ? Un toxico ? Un
pléonasme ? Non, une bête. Une chauve-souris, de la taille
d'un homme. Haze est surpris. Pour autant, il sourit car l'image de
Batman s'impose immédiatement à son esprit. Et
l'homme-chauve-souris est l'allié de la justice, le chevalier noir.
Mais là, ce serait peut-être plutôt son ennemi, Manbat. Haze
s'approche prudemment. La créature gémit. Elle est visiblement
affaiblie par le manque de sang et tend un bras, implorant, dans la
direction de Haze. Ce dernier, par prudence, préfère contourner la
bête. Il découvre un autre passage au fond de la pièce. Il
s'enfonce de nouveau dans les ténèbres.
Une
sensation soudaine de vertige, de chute ! Haze tombe. Ça dure
longtemps et s'achève par une douleur insoutenable. Haze atterrit
dans des branches sur lesquelles il s'empale littéralement. Un
dernier souffle, ses yeux se ferment.
Haze
ouvre les yeux. Il étouffe. Il est sous l'eau. Il lui faut quelques
instants pour retrouver son calme et comprendre qu'il parvient malgré
tout à respirer. Où est-il ? Vaste abîme d'eau noire et
poisseuse... Les parois sont couvertes de racines, de limaces de mer
et d'yeux vitreux de créatures antédiluviennes. En dessous de lui,
il distingue des cages maintenues au fond par des chaînes. Le fond
l'attire, l'aspire.
Arrivé
au fond, les ténèbres sont totales. La seule source de lumière
provient du Dieu Coelacanthe, phosphorescent, hideux et aveugle. «
Vous êtes venues contempler la fin de votre monde. »
Haze/Hesse
ouvre de grands yeux. Il halète, se retient de hurler. Malgré qu'il
soit sous l'eau, malgré la terreur, il parvient à articuler :
« Non.
J'ai bu le Jus de Singe. Je suis la Loi de Dionysos. Je suis animé
par la volonté de puissance, de pouvoir, de pouvoir faire, de
pouvoir créer. Tu es la mort et je suis... Je choisis... la Vie.
Alors,
Demian le démiurge sera l'artisan de la reconstruction d'une
nouvelle prison inachevée, une nouvelle bulle à arpenter. Seras-tu
plein d'entrain ou désespéré ? La métamorphose sera-t-elle
une bénédiction ou une malédiction ? »
« Insertion
réussie ! Évidemment qu'elle est réussie. Je suis Dionysos,
merde ! Faut bien que ça serve à quelque chose ! »
Singer
était apparu à Blue City non loin de l'hôpital. Du regard, il
cherche une cabine téléphonique. Il a des choses à demander à
Contrôle. Forcément, il n'en voit pas mais il se rappelle qu'il y
en a une pas loin. Sans quitter l'aire délimitée par l'éclairage
urbain, Singer contourne l'hôpital jusqu'à la cabine.
« Contrôle,
j'ai besoin d'information. Il me faut un topo de l'hôpital. Je veux
un plan indiquant là où trouver la Bouche. Je veux connaître les
plannings du personnel et aussi les dossiers de Demian Hesse et la
Magicienne. Oh, et tant qu'à faire, je veux aussi savoir si ces deux
là sont bien ici.
Vous
êtes exigent agent Singer. Vous trouverez ces dossiers à l'accueil.
Sinon, pour ce qui est de Demian Hesse... Oui, il semblerait qu'il
soit là mais... quelque chose... cloche. Et la Magicienne... Aucune
trace d'elle. Bonne chance agent Singer. »
Singer
se dirige vers l'accueil de l'hôpital. Sur le comptoir, il trouve un
épais dossier. À l'intérieur, il y a un plan des lieux indiquant
notamment la chambre de la Bouche et, au sous-sol, l'Abyme. Le
dossier concernant la Magicienne ne ressemble en rien à un dossier
médical. C'est en fait une compte-rendu de l'interrogatoire mené
par Haze dans le cadre de l'affaire Coleman. Il y a des photos de
scènes de crime, des copies des messages laissés par le tueur et un
ensemble de notes présentant Hesse, en réalité la Magicienne,
comme l'auteur présumé d'un attentat à l'explosif devant avoir
lieu lors d'une rave organisée dans un... hôpital. Et le dossier de
Hesse. Rien bien sûr. Le dossier du Patient 13 est classé
confidentiel.
Singer
regarde autour de lui. Il est nerveux. Il sent que c'est bientôt le
fin de toute cette histoire. Pourtant, il a la désagréable
intuition que ça ne se passe pas comme prévu. Il reprend les notes
de Haze. Ce dernier a lancé une opération dans les ruines de
l'hôpital, dans la forêt aux environs d'Olympia. Il aurait dû y
trouvé la Magicienne. Mais non ! Qu'a-t-il trouvé ? Le
Dieu Cœlacanthe. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de démiurge
et de nouvelle prison. Et qu'est-ce que lui vient faire là-dedans.
Le Jus de Singe. La Loi de Dionysos. Il ne fait pas les lois. Il
n'est que l'assistant de la Bouche. La Bouche. OK !
Singer-Dionysos se dirige vers la chambre de la Bouche, espérant des
réponses.
Il
entre dans la chambre, confiant. Il sait que la Bouche est là. Et il
sait qu'elle a des réponses. Il est son assistant. Elle est son
contact. Miner, son mentor au sein de la Compagnie est derrière tout
ça. C'est lui qui a certainement placé ses pions, qui a fait en
sorte qu'il se retrouve là. Mais pourquoi ? La Bouche doit
savoir...
« Bonjour
Dionysos.
Bonjour,
la Bouche. J'ai des questions.
J'ai
des réponses... peut-être ?
Miner
est derrière tout ça ?
Ackerman
est derrière tout ça.
Ackerman ?
Tu veux dire Sodek NoFink ?
Non,
je parle bien d'Ackerman. C'est elle le cerveau de la bande.
Quoi ?!
Non, c'est la personnalité de Sodek qui est le complice de la
Magicienne. C'est Sodek qui a manipulé Coleman. Johanna est la
victime.
Pas
tout à fait. Johanna est le cerveau qui se fait passer pour la
victime en contraignant Sodek à jouer le complice de la Magicienne
afin que Coleman accomplisse pour eux le rituel d'ouverture de porte
entre les mondes, laissant ainsi le champ libre aux Cœlacanthes
et aux Horlas.
Ça
n'a aucun sens. Sodek n'est pas la victime dans l'histoire.
Mais
il n'est pas le cerveau.
C'est
la Magicienne le cerveau.
Non,
elle est l’entremetteur.
Quoi ?
La
Magicienne est celle qui transmet le flambeau, qui donne la Noix au
nouveau joueur, au nouveau Patient 13.
Demian
Hesse, le Patient 13, le joueur... Mais que fait-il en bas, à la
morgue.
Il
crée la nouvelle prison.
Et
la Magicienne ? »
Je m'appelle Tad Corso.
Enfin, c'est mon nom humain. Mon nom d'ange est Manalyan. Oui, je
suis un ange. Un déchu, abandonné depuis que les dieux de Millevaux
ont chassé notre créateurs. Anges et démons alors incarnés sur
Terre, nous avons été abandonnés là et avons vu, au fil des ans,
des décennies et des siècles, les civilisations humaines décliner,
être rongées par la forêt, devenir Millevaux.
Aujourd'hui, nous ne
pouvons plus acquérir de nouveaux pouvoirs, mais nous conservons
ceux que nous avions avant que Dieu et Satan ne soient chassés de la
Terre. Nous ne disposons plus des antiques énergies mystiques
célestes et infernales pour les alimenter. Mais l’Égrégore
régnant désormais les a remplacé.
Millevaux nous a tous
dispersé. Anges, démons, nous sommes désormais seul. Nous errons,
sans but...
J'ai un but.
Je sauve les miens. Je
leur permets de rentrer à la maison, de regagner le Paradis, ou
l'Enfer. Je leur permets de quitter cet enfer qu'est Millevaux.
Oui, je les tues !
Ils se laissent faire,
des fois. Mais le plus souvent, ils refusent mon aide. Alors je dois
les convaincre, les forcer. Peut-être qu'un jour l'un d'eux me
libérera et alors moi aussi je rentrerai.
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