LE SCEAU SERA BRISE/
ECHOS FILANTS/
METEMPSYCHOSE
Je m'appelle Dwight. Je
n'ai pas de nom de famille. En réalité, j'ai un numéro de série
car je suis un être synthétique. Je ne suis pas un robot, ni un
cyborg. Je ne suis pas non plus un clone. Je suis un être artificiel
aux caractéristiques physiques légèrement modifiées.
Il s'avère que les
humains supportent mal les sommeils cryogéniques répétés. Or, la
tâche qui m'incombe les rends nécessaires. En effet, à bord de la
station Crowley-Hawking, j'alterne des cycles de sommeil et d'éveil
plus ou moins réguliers et plus ou moins fréquent en fonction de
l'activité régnant autour de la Singularité.
De prime abord, la
Singularité est un trou noir que rien ne distingue d'un autre. Mais
en réalité, c'est une frontière. Et derrière, c'est la guerre !
Cette frontière, cette porte, doit rester fermée. Et c'est mon
travail que d'accomplir le rituel quand c'est nécessaire.
Le rituel est dérivé
des écrits de Crowley. Il permet, par des moyens spirituels,
magiques, de « retourner » le rayonnement de Hawking
émanant de ce trou noir afin d'obtenir une sorte de champ de
confinement maintenant la frontière fermée. Mais, parfois, « on »
frappe un peu trop fort à la porte et elle menace de céder. C'est
là que j'interviens. Quand les signes sont manifestes, R1L33 –
Rilee – , l'I.A. de la station, me réveille afin que j'accomplisse
ce rituel qui ne peut l'être par une seule I.A.
Et Rilee m'a réveillé.
La frontière ne menace pas seulement de s'ouvrir. Il se passe
parfois des « choses ». Sous son influence, la station
subit parfois quelques altérations. Il m'incombe alors de vérifier
que cela ne nuise pas à son bon fonctionnement, voire à effectuer
quelques réparations.
Là, allez savoir
pourquoi, une partie négligeable de la structure vient de changer de
nature. Ce n'est plus de l'acier, du verre et du plastique mais une
sorte de carapace chitineuse. Après analyses, Rilee me confirme la
nature organique de cet élément de structure de la station. La
question est alors de savoir s'il y a un risque de contagion.
Impossible de se prononcer. Comme il n'y a là rien de vital, je
prévois l'« amputation ». Je vais donc sortir et
découper cette partie de la structure. Ensuite, je la mettrais dans
un caisson étanche, puis en quarantaine, en attendant qu'une équipe
vienne la récupérer pour analyses.
Je pratique l'incision
au plus près de la partie organique de la structure qui réagit...
très mal. Un jet acide commence à brûler ma combinaison. N'ayant
que quelques instants devant moi, je me précipite à l'intérieur
avant de mourir asphyxié et rongé. Je mets la combinaison dans le
caisson étanche et Rilee m'informe que la chitine a gagné du
terrain. Pas beaucoup, quelques centimètres carré, mais quand même,
elle a gagné du terrain. J'informe mes supérieurs de l'incident et
replonge dans le sommeil, espérant ne pas me réveiller dans une
station- « insectoïde ».
34 semaines plus tard,
Rilee me réveille. On « frappe à la porte ». C'est
l'expression consacrée, même s'il serait plus juste de dire qu'on
essaye de la « défoncer ». C'est leur du rituel. Mais
avant cela, je m'inquiète le partie chitineuse de la station. Elle a
gagné quelques cm². Rien de dangereux mais inquiétant quand même.
Questionnant en tout cas.
Je prends place dans la
salle consacré au rituel. Là, je trouve tout le matériel
nécessaire afin de contacter Aiwass et obtenir de lui ce
« retournement » du rayonnement de Hawking nécessaire à
la tranquillité de cette portion de la galaxie. Assis en tailleur,
nu, au milieu du pentacle, je pratique l'incision à l'aide de la
lame consacrée et entonne les chants dans la langue des Anciens. Je
sens la présence d'Aiwass. Le démon m'observe. Je le sens me
tourner autour. Comme d'habitude. Je ne change rien à ma pratique.
Je chante. Je dessine les symboles sur mon torses, mes bras et mon
visage avec mon propre sang. On « tape à la porte ».
Puis, sous l'influence d'Aiwass, les importuns s'en vont.
85 ans plus tard, Rilee
me réveille. On a un problème. Je pense à la chitine. Elle n'a pas
augmenté en surface mais semble avoir durci. Mais dans l'immédiat,
ce n'est pas le problème qui a motivé Rilee à me réveiller.
L'I.A. me guide jusqu'à la salle de confinement où j'avais
entreposé ma combinaison brûlée à l'acide. Spontanément, l'acide
a repris son activité. Il a achevé de ronger la combinaison, mais
pas seulement. Ce tas de polymères abîmés s'est rétracté sur
lui-même et ce qui en restait s'est vu recouvert d'un entrelacs de
filaments blanchâtres évoquant un cocon. Rilee a détecté une
source de chaleur à l'intérieur.
85 ans se sont écoulés
et mes supérieurs n'ont pas daigné envoyer une équipe pour
récupérer tout ça et procéder à une enquête. Cela vaut-il
vraiment la peine de les contacter à nouveau. Qu'y a-t-il
là-dedans ? Devrais attendre encore 85 ans pour le savoir ?
Je demande à Rilee de ne toucher à rien et de me replonger dans le
sommeil.
63 ans plus tard, Rilee
me réveille. On « frappe à la porte ». La chitine a
encore gagné en surface, mais juste un peu. Et rien n'est sorti du
cocon. La chaleur émise reste stable mais, par moment, Rilee a
observé que ce qu'il y a l'intérieur se refroidit. Bon, je
m'inquiéterai de ça après l'accomplissement du rituel.
Je procède comme
d'habitude, respectant chacune des étapes du rituel. Je sens la
présence d'Aiwass. Tout se passe conformément à la procédure mais
j'ai un mauvais pressentiment. J'entends une voix dans ma tête mais
ce n'est pas celle d'Aiwass. Je sens Aiwass s'éloigner. J'entends
encore cette voix. Je ne comprends pas ces mots. Ce ne sont pas tant
des mots que des pulsations de... chaleur. J'ai l'impression que ce
qui me parle le fait en faisant pulser une chaleur dans mon cerveau.
Quand elle se met à crier, j'ai l'impression que mon crane va
exploser, fondre ! Aiwass est parti ! La porte s'est
ouverte ! Cela n'a duré qu'un instant, mais elle s'est
ouverte ! Et quelque chose est entré. Est entré dans mon
crane !
J'envoie un message
d'urgence et ordonne à Rilee de me plonger dans le sommeil.
69 siècles plus tard,
Rilee me réveille...
Rien ! Personne !
Je suis seul dans la station. Personne n'a répondu à mon appel de
détresse. Personne n'est venu voir ce qui se passait ici. Pourquoi ?
J'interroge Rilee. J'ai dormi 69 siècles ! La Singularité ?
Rien n'a bougé ! Je me rappelle la chitine sur la coque. Elle a
gagné en surface mais pas tant que ça vu la durée écoulée. Et le
cocon ? Il est ouvert. La chose a l'intérieur n'est plus là
mais il y a une trace d'une substance visqueuse en train de sécher.
Cela ne doit pas faire si longtemps que ça que cette chose s'est
enfuie. C'est peut-être ça qui a activé mon réveil. Rilee
confirme et me montre des images de la créature. Les images sont de
mauvaises qualités. Je distingues 5 pattes. Je m'attendais à une
sorte d'insecte chitineux. Il n'en est rien. C'est plutôt une sorte
de reptile couvert de poils par endroit. Il possède 2 têtes avec
chacune une mâchoire osseuse des plus impressionnantes. Ce n'est pas
là la dentition d'un requin mais je n'ai pas du tout envie de tomber
sous ses énormes crocs carrés. Paradoxalement, cet animal n'a pas
l'air d'être de très grande taille. Un rat, je dirais. Mais quel
rat ! Un rat sans queue mais à 2 têtes et 5 pattes.
Assis devant la console
de communications, je tente d'obtenir une liaison directe avec mes
supérieurs. Je me présente et précise que la vidéo en pièce
jointe est à analyser de toute urgence car il y a vraiment un
problème du côté de Crowley-Hawking et ce depuis peut-être bien
plus de 60 siècles. L'humain qui me fait face à l'écran devient
blême. Il découvre la situation. Il n'était pas né il y a 60
siècles et est incapable de me dire pourquoi mon message précédent
est resté sans réponse. Il récapitule la situation et me demande
la confirmer. Le dernier rituel a échoué. Aiwass n'a pas répondu.
La « Porte » s'est entrouverte et la station est
maintenant l'objet de deux parasitage. Un au niveau de la coque et
l'autre sous la forme d'un organisme inconnu. Je confirme, sans
évoquer cette présence dans mon crâne. J'attends de nouvelles
instructions. L'officier m'explique que je ne dois pas m'attendre à
des secours dans un délai rapide. Je vais donc devoir rester éveillé
et m'assurer de la stabilité de la situation. Et surtout, faire en
sorte que la Singularité reste en l'état.
Je bascule les commandes
et observe l'état de la Singularité. Évidemment, il y a du
changement. Je mets en place les filtres permettant de visualiser le
rayonnement de Hawking. Il est des plus hasardeux, presque chaotique.
Logiquement, Rilee devrait me solliciter pour l'accomplissement du
rituel. Interrogé à ce sujet, il me rappelle qu'Aiwass nous a
abandonné. Je vais devoir me débrouiller seul mais... comment
m'assurer de la stabilité d'une Singularité astrophysique seul,
sans démon pour m'aider ? À moins que je ne trouve une autre
entité pour se faire. Après tout, il n'y a pas qu'Aiwass et les
rituels de Crowley peuvent bien fonctionner avec d'autres créatures.
Par contre, je dois trouver laquelle ? Vers quel mythe me
tourner ? Rilee a-t-il une idée ? Oui, Janus, évidemment !
Mais cela fait tant de temps que nous ne prenons plus ce genre de
divinités au sérieux. En admettant que ce Janus existe vraiment,
acceptera-t-il de m'aider alors que nous lui avons préféré un
démon pendant tant de siècles ? Je dois essayer.
Je me rends dans la
salle consacrée au rituel. Je respecte les protocole présidant à
l'invocation d'Aiwass mais appelle cette fois Janus à l'aide.
J'espère que quelque chose, Janus ou autre, me répondra et
acceptera de m'aider. Mes prières diffèrent de d'habitude. Avant,
je savais qu'Aiwass existait et viendrait. Là, je ne sais pas. Ma
ferveur n'en est que plus grande. Elle s'enracine dans le doute. Et
je sens pulser cette chaleur dans ma tête. Ce qui y a élu domicile
m'accompagne dans l'accomplissement du rituel. Est-ce de bon
présage ?
Oui ! Je sens
quelque chose arriver. L'image mentale que je m'en fais n'est qu'une
reconstruction imaginaire, je le sais bien mais je perçois
réellement une forme à 2 visages. Et je pense à ce rat à 2 têtes
qui se cache dans la station. Cette chose qui approche n'est pas
telle que je la vois en réalité mais elle l'est conceptuellement.
Elle est Janus. Elle a deux visages et elle contemple mon monde et
celui qui se trouve au-delà de la Singularité. Je la supplies
humblement de maintenir cette porte fermée. La chaleur dans ma tête
se joint à moi dans ma prière. Elle aussi, finalement et à ma
grande surprise souhaite que cette porte reste close. J'avais peur
qu'elle ne souhaite l'ouvrir et répandre le chaos. Mais peut-être
que finalement elle n'est venu là que pour s'assurer que tout reste
en ordre. Peut-être que tout le monde, de l'autre côté, ne pense
pas que ce soit une bonne chose que d'ouvrir la porte. Janus et là
et nous écoute. Nous le sentons hésitant. Nous prions avec encore
plus de ferveur. Ma tête brûle. C'est très douloureux. Je ne
tiendrais pas longtemps. Et celui qui accepte que nous l'appelions
Janus accède à notre requête. Je tombe inconscient.
Je me réveille. Me
rhabille et gagne la salle de commandes. J'interroge Rilee. Tout va
bien au niveau de la Singularité. La chitine s'est répandue le long
de la coque de façon assez spectaculaire. Je me demande comment
c'est possible alors même que j'avais découpé cette partie. M'y
serais-je mal pris à l'époque ? Visiblement. J'avais fait au
mieux mais des particules, des molécules ou je ne sais quoi ont du
rester au contact de la paroi ou assez près dans le vide pour s'y
retrouver de nouveau coller et se répandre. Oui, c'est étrange et
intéressant que la chitine ait continué à se propager quand bien
même je l'avais découpée. Ça me fait penser à ce drôle de rat à
deux têtes. Où est-il ? Dans un couloir, je vois des traces de
tirs récents au niveau du sol. Qui a tiré ? Je suis seul ici.
Et sur quoi ? Le rat ? Je demande à Rilee des vidéos.
Non, mais il peut me montrer des séquences quelques minutes avant et
après. Je regarde. Je me demanderai plus tard pourquoi ce passage a
disparu. Je me vois, toujours nu. De la fumée me sort des mains et
mon visage exprime de la douleur. Je me repasse les images plusieurs
fois, avant et après. On dirait bien que la chose qui s'est invitée
en moi a profité de mon inconscience pour se lancer dans la chasse
au rat. Elle doit pouvoir projeter quelque chose de chaud par ce qui
lui sert de mains. Elle l'a fait mais, dans mon corps, cela s'est
révélé douloureux. Elle a ensuite effacer les images de sa
confrontation avec le rat et est retournée dans la salle du rituel,
espérant sans doute que je ne me demande jamais ce qui avait pus se
passer durant mon inconscience. Qu'elle ait réussi ou non à le
tuer, elle a visiblement essayer. Pourquoi me le cacher ? Je
regarde mes mains. Il y a effectivement des traces de brûlures au
milieu des paumes. Mais ce n'est pas, ou plus, douloureux.
Je ne sais pas quelle
est cette chose en moi. Je ne sais pas si ce rat est toujours en vie
à bord de la station. Je ne sais pas si cette entité était
réellement le Janus d'autrefois et si je pourrais compter sur lui
lors du prochain rituel. Je sais juste que mes supérieurs ont envoyé
une mission pour tenter de comprendre ce qui s'est passé ici. Je ne
sais pas dans combien de temps ils arriveront. Aussi bien, ils ne
trouveront qu'une coque chitineuse dérivant dans l'espace.
Je demande à Rilee de
me plonger en sommeil cryogénique. A mesure que la température
baisse, je sens la chaleur dans mon crâne diminuer aussi. Je
m'attendais à un peu de panique de sa part mais non. Elle semble
sereine. Dans combien de temps nous réveillerons-nous ?
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