LE SCEAU SERA BRISÉE/FACE AU TITAN
I-
Berlin, le 30 novembre
1950. Paul Himmelberg, 51 ans, marié, 3 enfants, a traversé la
guerre en tant que cuisinier. Richard Seeman, 34 ans, marié sans
enfant, a évité d'être envoyé au front grâce à l'influence des
riches bourgeois et aristocrates pour lesquels il officiait en tant
qu'astrologue et médium. Heinrich von Bundeslore, 39 ans, marié
sans enfant, travaillait à l'ambassade belge avant d'être rapatrié
à Berlin en 1944.
Tous trois vivent à
Berlin mais font en sorte de ne jamais se croiser. Paul vit dans le
secteur soviétique, Richard dans le secteur américain et Heinrich
dans le secteur français. Ils ont fait exprès de s'installer dans
des secteurs différents. Comme il faut montrer patte blanche pour
quitter son secteur, ils s'épargnent cette peine et limite les
risques de se rencontrer par hasard. En fait, ils ne se rencontrent
qu'une fois par an, chaque 30 novembre. Là, ils se retrouvent dans
le quartier de Pankow, dans le secteur soviétique.
Pankow ne fut pas
seulement le théâtre de combats et de destruction comme le reste de
Berlin. Dans un endroit connu d'eux seuls, il y a ce qu'ils
appellent, faute d'autre mot à leur disposition, une « Barrière
magique ». Et derrière, l'inconnu ! Mais cet inconnu doit
le rester. Les nazis ont commis cette folie que d'aller voir ce qu'il
y avait derrière de telles Barrières. Et les horreurs auxquelles
ils ont ouvert les portes hantent toujours les ruines de Berlin.
Aujourd'hui, comme
chaque 30 novembre depuis maintenant 12 ans, Paul, Richard et
Heinrich vont s'assurer que cette Barrière là restera close, un an
de plus.
Richard, en raison de
ses dons et connaissances ésotériques, président la séance. Il
commence par raconter ce qui lui est arrivé de significatif cette
année. Lors d'une séance de médiumnie, un esprit est venu lui
raconter que la Barrière avait « avancé ». Sur le coup,
Richard n'a pas vraiment compris ce que cela signifier. Il a donc
voulu passer en secteur soviétique pour le constater de visu, plutôt
que de rompre leur engagement en prenant contact avec Paul. Il n'a
pas été trop embêté au check-point et a effectivement constaté
une modification de la Barrière. En réalité, elle n'a pas avancé
dans le sens où elle se serait déplacée, mais elle a gagné en
surface et, dirait-on, en volume.
Paul, quant à lui,
raconte avoir trouvé un drôle d'objet. La petite statuette possède
de gros yeux, une paire d'ailes de chauve-souris et une dizaine de
pattes ou de tentacules. Son instinct lui a dicté de ne pas laissé
ce qui pouvait se révéler un artefact occulte nazi traîner dans la
rue. Aussi, il l'a ramené chez lui. Mais, une nuit, il a constater
que la statuette avait changé de forme, comme changé de position.
S'en emparant pour l'examiner, la statuette s'est alors fixée sur
son avant bras gauche et il a senti quelque chose s'introduire à
travers sa peau. Paul a réussi à arracher la statuette et constaté
trois plaies parallèles. Aujourd'hui, il s'avère que ces cicatrices
ont disparu et qu'il n'y a pas eu d'infection. Pour autant, il a pris
grand soin de cacher cette horrible chose.
Heinrich, pour sa part,
a fait l'objet d'une enquête menée par des agents de la R.P.A. Ces
derniers n'ont pas été très clairs quant à l'objet de cette
enquête mais Heinrich pense qu'ils le soupçonne d'avoir participé
activement à des déportations massives. Ce qui est faux,
évidemment ! Pour autant, et bien qu'il ait répondu en toute
franchise à leurs questions, il sent bien qu'ils demeurent
soupçonneux et pense être surveillé. Tous prennent la mesure de
cette dernière nouvelle. Il va leur falloir être maintenant très
vigilants.
Les trois complices sont
maintenant réunis devant la Barrière. Effectivement, sa forme a
changé. Elle est visiblement plus grande. L'esprit n'avait pas
menti. Chacun se prépare pour l'accomplissement du rituel. Surtout
Richard à qui il incombe de dessiner le pentacle, de placer les
bougies et coupelles remplis d'encens. À sa charge également de
remettre à chacun la copie de la partie du sortilège qu'ils devront
chanter. Le sortilège est rédigé dans une langue ancienne qui n'a,
selon les dires des historiens, jamais existé. Heinrich et Paul,
objectivement, ne comprennent pas ce qu'ils chantent. Richard leur a
expliqué la teneur du sort mais la richesse et la complexité de
cette langue font qu'une traduction littérale est impossible. Elle
n'aurait même pas de sens. Mais leur fois suffit à donner sa force
au rituel. Et, espèrent-ils, cette année encore la Barrière
restera fermée.
Le rituel dure des
heures. Richard montre des signes de fatigues. Les autres ne font que
chanter mais lui doit en plus se concentrer sur le monde des esprits
pour en manipuler les énergies. Cela fait maintenant neuf heures que
le rituel a commencé. La température a considérablement chuter.
Une brise étrange souffle en ce lieu souterrain. La vapeur d'encens
oscillent, la fumée dessine des formes bizarres. Les flammes des
bougies tremblent. Les fronts et les échines de chacun des chanteurs
se recouvrent d'une sueur glacée. La Barrière tremble elle aussi et
semble luire dans l'obscurité. Soudain, alors que le chant monte
dans les aiguës, les bougies s'éteignent. Toutes ! En même
temps ! Le silence se fait. L'obscurité est totale. Chacun sent
la température remonter progressivement. Le Rituel a fonctionné.
Berlin, le 30 novembre
1951. Richard, Paul et Heinrich sont de nouveau réunis dans les
souterrains du quartier de Pankow pour s'assurer que la Barrière
reste bien close une année de plus. Comme à son habitude, Richard
est le premier à prendre la parole. Les nouvelles ne sont pas très
bonnes. Explorant l'autre monde en esprit lors d'une séance de
spiritisme, Richard a senti que la Barrière avait séparé quelque
chose qui formait un tout jusqu'à présent. À ce moment là, il ne
pouvait se représenter les choses avec plus de précision et s'est
lancé dans des recherches afin de mieux cerner la réalité de ce
sentiment étrange. Il pensait tout d'abord que quelque chose de leur
côté de la Barrière s'était rompu. Finalement, il s'est avéré
qu'il s'agissait plutôt de quelque chose de l'autre côté qui
s'était « brisé » et avait glissé jusqu'ici. Il a eu
beau consulter bien des ouvrages consacrés aux « autres
mondes », il n'a rien trouvé de concret. Aussi, à cette
heure, il n'a aucune idée de ce qui a pu réellement se passer.
Paul raconte s'être
retrouvé malgré lui mêlé à une drôle d'histoire de marché
noir. Mais il ne s'agit pas de marché noir « ordinaire ».
Non ! Là, il s'agit d'un trafic de Spezialeinsatztruppen, des
soldats morts-vivants. D'anciens officiers nazis tentaient donc de
reconstituer un bataillon de ST afin de, pensaient-ils, reprendre
Berlin. Paul s'est donc fendu d'un appel anonyme à la R.P.A. qui a
ensuite pris les choses en main. D'après ce qu'il en sait, ces ST ne
sont maintenant plus un problème.
Et à propos de la
R.P.A., Heinrich est ravi d'annoncer qu'il n'est plus l'objet d'une
enquête. On ne lui a pas tout dit, mais il semble que ce soit un
autre fonctionnaire de l'ambassade belges qui ait les mains sales.
Lui, s'en tire avec une belle frayeur malgré tout mais il n'est plus
l'objet de quelque soupçon que ce soit.
Tout en écoutant les
récits de ses camarades, Richard achevait les préparatifs du
Rituel. Concentré à la fois sur sa tâche et sur les propos de ses
amis, il ne pouvait pourtant s'empêcher de penser à ce qui s'était
passé de l'autre côté de la Barrière. Il espérait vraiment que
rien n'ait glissé jusque de leur côté et que la cérémonie se
passerait normalement.
Chacun a pris sa place.
Richard a distribué les pages du rituel. Les bougies sont allumées.
L'encens répand sa fumée odorante. Tout se passe comme prévu
jusqu'à...
C'est en quittant le
souterrain qu Richard comprend vraiment ce qui s'est passé au niveau
de la Barrière. Ce n'est pas un être ou une chose vivant de l'autre
côté qui s'est rompu et s'est glissé ici. C'est la réalité
entière qui s'est divisée. Et une moitié s'est maintenant
superposée à Berlin. C'est... étrange. Les gens sont dehors, mais
tout le monde est calme. Les rues sont emplies d'un brouillard
orangé. Au loin, une gigantesque silhouette se dessine. Richard
regarde autour de lui. Ses deux amis sont là. Puis, soudain, ils
tombent tous les deux en poussière. Dans le ciel, on entend des
sifflements. La foule lève la tête et voit des silhouettes
humanoïdes dotées d'ailes membraneuses. D'autres Berlinois tombent
en poussière. Les premiers hurlements se font entendre.
II-
Le 3 avril 1952. Berlin
est toujours envahit par cet étrange brouillard orangé. Le ciel
reste perpétuellement dans cette nuit étoilée mais pourtant, on y
voit clair, presque comme en plein jour. Ces créatures ailées et
sifflantes fendent les cieux et, au hasard, fondent sur une proie
innocente qu'on ne revoit jamais. Malgré les efforts des différents
corps d'armée, il est difficile d'éviter les mouvements de panique.
Mais, comme à part quelques attaques ponctuelles, la situation
demeure dans une sorte de no man's land, une nouvelle routine s'est
installée, émaillée donc de quelques attaques de créatures
étranges et des mouvements d'une foule paniquée.
Dans un tel contexte, le
travail de la R.P.A. est des plus compliqué puisque ces monstres
s'ajoutent à ceux qu'elle traquait déjà. Mais, un mal pour un
bien, il lui est plus facile aujourd'hui d'agir au grand jour. C'est
d'ailleurs un agent de la R.P.A. que doit rencontrer Richard
aujourd'hui. En effet, quelques semaines après l'apparition du
brouillard et de cette gigantesque ombre inaccessible, il a proposé
ses services à l'Agence qui, après enquête, a accepté cette offre
spontanée. Richard n'a pas été intégré à la R.P.A. mais il
travaille à l'occasion avec Arthur Féval, un français d'une
quarantaine d'année.
Arthur est un ancien
soldat. Habitué du front, il en a vu des vertes et des pas mûres.
Et il a vu, aussi, des bataillons de ST. Là, ça a été un peu trop
pour lui. Après un séjour dans un sanatorium sur la côté
méditerranéenne, il a demandé son intégration à la R.P.A. C'est
une façon pour lui de racheter son honneur de soldat qu'il estime
avoir perdu en craquant face à ses « soldats ».
parallèlement, il mène une enquête discrète pour le compte des
autorités françaises qui voudraient bien mettre la main sur des
éléments clés de la science déviante nazie.
Richard, quant à lui,
n'a pas caché grand chose de ses dons médiumniques. Il a expliqué
savoir voyager en pensées dans le monde des morts. Là, outre qu'il
lui est possible de communiquer avec certains défunt, il peut aussi
prendre le pouls des autres mondes. C'est cet aspect de son don qui
lui a permis de comprendre que quelque chose se tramait au niveau de
la Barrière. Sans tout dévoiler, il a aussi expliquer aux dirigeant
de la R.P.A. être en possession de certains textes anciens riches de
révélations occultes.
S'est joint à eux celui
qui se fait appeler La Bouteille Cassée. On ne sait rien de lui. Il
prétend qu'une partie de lui a été perdue et que le Titan l'a
laissé déchiqueté et sanglant. Malgré leurs efforts, ni Richard
ni Arthur n'ont réussi à obtenir le moindre renseignement sur lui.
Même son accent est impossible à identifier. Par contre, lui aussi
prétend posséder des dons paranormaux. Il prétend être l'hôte de
ce dieu qu'on nomme... La Bouteille Cassée. Si on ne sait rien de
ses prétendus dons shamaniques, il a eu l'occasion de montrer qu'il
excellait dans les bagarres de rues, et ceux même après avoir bu
plus que nécessaire.
Depuis des mois, la
silhouette du Titan se dessine à travers cette brume orangée. Elle
quasiment immobile. Certains pensent qu'elle bouge « à son
rythme » et que celui-ci n'est pas le même que le nôtre. En
réalité, personne n'en sait rien. Mais maintenant, Richard, Arthur
et La Bouteille Cassée veulent en savoir plus. Ils savent bien que
le Titan est au cœur de tout ça et que, aussi inaccessible soit-il,
il va falloir se résoudre à l'affronter.
Dans un premier temps,
l'énormité de cette bête a fait que personne n'osait l'approcher.
Au contraire même. Puis, au bout de quelques semaines, divers corps
d'armée ont missionné quelques bataillons. En vain, celui qu'on
s'est mis à appeler Le Serpent demeurait étrangement inatteignable.
Pourtant, les troupes tentant de s'en prendre à lui se faisaient
décimer par ces créatures ailées et d'autres monstres issus des
égouts et de la science déviante nazie. Ainsi, il apparaissait que
Le Serpent contrôlait ces créatures et que, peut-être, les nazis
avaient été en contact avec lui durant la guerre. Face à cela, la
R.P.A. en profita pour étendre ses prérogatives.
Le travail de la R.P.A.
auquel contribuèrent notamment Arthur et Richard, fut de recueillir
les témoignages de ceux qui avaient pu s'approcher au plus près du
Serpent. Et il apparaissait, selon eux, qu'on ne pouvait l'atteindre
parce qu'en réalité, il n'était pas là ! À mesure qu'ils
s'avançaient, les témoins avaient le sentiment que Le Serpent était
toujours aussi loin. Par contre, les ruines autour d'eux devenaient
de plus en plus étranges. Comme s'il ne s'agissait plus des ruines
de Berlin mais d'autres ruines. Les ruines d'une autre cité. Plus
ancienne ? Étrangère ? Richard comprit des description
qu'il recueillies qu'il devait s'agir d'une de ces cités décrites
dans ses ouvrages occultes. Aussi, Le Serpent était peut-être une
de ces divinités des autres temps et des autres mondes. Les nazis
avaient peut-être attiré son attention par leurs expériences
déviantes. Et malgré leurs efforts, ni lui, ni Paul et Heinrich
n'avait pu maintenir cette Barrière entre les mondes fermée.
Mais, depuis peu, Le
Serpent semblait avoir gagné en taille. Et, aux dires de certains,
cette zone autour de lui où on ne savait plus trop si on était
toujours à Berlin ou ailleurs avait gagné, sinon en surface, en
intensité. Le Serpent, pour quelle raison, gagnait en puissance !
La Bouteille Cassée
n'en faisant qu'à sa tête et Arthur ayant des comptes à rendre à
la R.P.A., Richard a pris sur lui d'explorer seul cette partie de
Berlin sous influence directe du Serpent. Il a emporté avec lui
certains des volumes décrivant ces cités d'outre-monde que les
sages d'autrefois ont parcouru en rêves. Et par moment, il a bien
l'impression de parcourir les ruines de l'une d'elles. Et, dans les
descriptions, dans les dessins, il croit reconnaître Méiyǒu
Chéngshì, la Cité du Rien, du Vide, du Non. La négation faîte
ville. Ainsi l'ont nommé les occultistes chinois de l'ancien temps.
Se pourrait-il alors que le Serpent soit une sorte de Dragon ?
Arthur explore lui aussi
cette partie de Berlin. Il est missionné par la R.P.A. On a rapporté
une importante activité de Spezialeinsatztruppen. Mais il apparaît
que les morts revenus à la vie ne sont pas le seul fruit de la
science déviante nazis. Le Serpent, on le sait, contrôle les
créatures créées et invoquées par les nazis durant la guerre. Ce
n'est pas un hasard. Pour autant, les nazis savaient-ils ce qu'il y
avait derrière ces portes qu'ils ont ouvertes ? Cherchaient-ils
le Serpent ou ont-ils attiré son attention involontairement ?
Et si, se laisse aller à penser Arthur, le Serpent était apparu
avant la fin de la guerre ? Ce n'est pas seulement Berlin qui
serait en ruine, ce serait le monde entier.
La Bouteille Cassée
erre aussi dans les ruines. Mais elle n'est missionnée par personne.
Elle ne cherche pas non plus à en savoir plus sur le Serpent. Parmi
les décombres, elle cherche autre chose. Elle cherche les fragments
ensanglantés de son âme. Mais elle ne trouve pas. Les seuls
fragments sont ceux des corps dévorés par les ST, déchirés par
les créatures ailées. Le Serpent est toujours immobile. Il n'agit
pas, ne fait rien. Pourtant, sa seule présence a engendré tellement
de catastrophes et de drames. Mais c'est cela son action. Le Serpent
répand le malheur par sa seule présence. Qu'il existe créé de la
souffrance. Et comme il y a toujours eu de la souffrance, c'est que
le Serpent a finalement toujours été là, depuis le début. Il est
le mal propre à l'homme. Le mal insidieux. Toujours là... depuis le
début ! Et peut-il en être autrement ? Peut-on le
vaincre ? Doit-on le vaincre ? Que serait l'homme sans le
mal ?
Arthur a demandé à
Richard et La Bouteille Cassée de le retrouver au siège de la
R.P.A. Ici, personne n'a aucune de quoi faire pour se débarrasser du
Serpent et bientôt toutes les forces armées de Berlin et des
environs seront débordés par les monstres qui ne cessent de surgir
des profondeurs des ruines. On dit même, dans les couloirs, que les
U.S.A. envisageraient de bombarder la ville avec des bombes
identiques à celles lâchées sur Hiroshima et Nagasaki.
Richard en pleurerait
mais il doit reconnaître qu'il n'a rien trouvé dans ses grimoires
qui permette de définir une quelconque stratégie. La Cité en ruine
est abondamment décrite. On parle des diverses civilisations qui y
ont vécu. On parle du Serpent. Mais on ne parle que d'échec dès
lors qu'on a tenté de le chasser. Son immobilité n'est
qu'apparente. En réalité, il ici et ailleurs. Il est là sans y
être. Il est immobile mais, à tout instant, il peut se mouvoir
aussi rapidement que l'éclair, que le Serpent qu'il est. Tout ceux
qui ont tenté de le combattre, qu'il s'agisse de sorcier,
d'aventuriers solitaires ou de corps d'armées, ont péri dans
d'horribles souffrances. Et si, par quel hasard ?, le Serpent
devait disparaître, ce ne serait que pour mieux réapparaître là
et quand on ne l'attend pas.
Arthur se montre plus
optimiste. En effet, il a parcouru les archives de la R.P.A. et a
fini part trouver certains rapports rédigés par les occultistes
nazis. En réalité, ils savaient ce qu'ils faisaient. Ils voulaient
faire venir le Serpent car ils croyaient pouvoir le contrôler. Ils
considéraient le Serpent comme l'incarnation du Mal et pensaient
vaincre leurs ennemis en retournant ce mal, « leur » mal
contre eux. Certains pensaient même qu'ainsi ces deux formes du mal
s’auto-annihileraient et qu'il en résulterait un nouvel âge d'or
tel qu'il fut décrit par certains membres de l'Ahnenerbe. Ainsi, si
les nazis avaient trouvé un moyen d'ouvrir une porte, ils avaient
aussi, par précaution, élaboré des protocoles à même de le
renvoyer. Ces rituels n'ont nouveaux n'ont évidemment jamais été
utilisé et personne ne peut dire s'ils fonctionnent. Mais c'est une
piste à explorer.
Puis La Bouteille Cassée
prit la parole à son tour. Ils pleuraient. Lui et l'esprit qui
possédait son corps pleuraient ensemble. La Bouteille Cassée avait
parcouru les ruines de Berlin et les territoires proches du Serpent.
Elle les avait parcouru en rêve aussi. Et jamais aucune solution ne
s'était révélée. Le Serpent n'est pas que le Mal. Il est aussi le
Chaos. Ses mouvements sont impossibles à prévoir. Ses mobiles sont
impossibles à définir. On ne peut décider d'une stratégie car Il
est insaisissable, que ce soit en pensée, dans ses buts, dans ses
actions. En réalité, La Bouteille Cassée n'était même pas
certaine que Le Serpent fut vraiment là. Et si, finalement, ils ne
se battaient que contre une chimère ?
Alors, Richard eut une
idée. Gardant de côté l'idée que les nazis avaient mis au point
des protocoles de renvoi, il rebondit sur ce le fait que Le Serpent
était peut-être, effectivement, une chimère, un rêve. Dans ce
cas, le rêve pouvait devenir le champ de bataille. C'était
peut-être dans rêve qu'il fallait procéder à ces rituels. Et
Richard se surprit à penser à la puissance de ces rituels si tous
les Berlinois rêvaient avec eux. Impossible ! selon Arthur.
Mais Richard expliqua que s'il ne pouvait obliger les Berlinois à
rêver, il pouvait par contre le demander aux esprits des morts.
Un plan commençait à
se dessiner. Arthur détenait les protocoles de renvois élaborés
par les nazis. Richard pouvait commander aux esprits des morts. La
Bouteille Cassée pouvait leur ouvrir à tous les portes du monde des
rêves. Cela pouvait marcher !
Ils agiraient de nuit.
La Bouteille Cassée leur ouvrirait les portes du rêve, et des rêves
des Berlinois afin d'accroître leur puissance. De là, Richard, aidé
des esprits des morts, lancerait les protocoles élaborés par les
nazis afin de renvoyer Le Serpent de son monde d'origine. Arthur,
quant à lui, assurerait la protection physique de ses deux alliés
car nul ne doutait que Le Serpent réagirait à leur attaque en leur
envoyant des bataillons de ST et autres créatures ailées.
Le Serpent réagit
aussitôt qu'il sent que les portes du Rêve sont ouvertes. Les
Berlinois encore éveillés à cette heure de la nuit peuvent voir sa
silhouette s'ébrouer dans cette obscure clarté orangée. La terre
tremble. Des immeubles s'écroulent.
La Bouteille Cassée
dort. Pourtant, elle est debout, tétanisée. Elle crie : « Je
suis La Bouteille Cassée ! Ici et maintenant, je convoque les
Esprits du Rêve, les Lwas, pour qu'ils renvoient Le Serpent dans son
monde d'origine ! » La tension est à son comble. Le corps
de La Bouteille Cassée se raidit encore, comme si c'était possible.
On entendrait presque ses tendons craquer. Dans sa main vient
d'apparaître le goulot d'une bouteille brisée. Criant toujours, La
Bouteille Cassée lacère son visage avec ce tesson. Pour la première
fois, Le Serpent émet un son. Et c'est un hurlement.
La terre tremble de
nouveau, mais moins fortement cette fois. Pourtant, le sol se
fissure, se craquellent. De ces fissures, des stations de métro, des
colonnes de ST jaillissent et convergent vers Arthur et ses
compagnons. Arthur voit se qui se passe à travers une fenêtre. Il
se saisit d'une poignée de grenades et court vers l'extérieur. Il
accueille les ST à coups d'explosifs. Mais il y en a trop. Il est
vite submergé. Et ni Richard, ni La Bouteille Cassée ne peuvent lui
venir en aide. Arthur n'a pas encore rendu son dernier souffle que
les ST, déjà, gravissent les marches conduisant aux deux autres.
Richard entend et
comprend ce qui vient de se passer. Il n'avait pas prévu d'agir
ainsi mais adapte sa stratégie au moment présent. Plongé en pensée
dans le monde des morts, il cherche les esprits de ceux qui furent ce
que sont ces ST aujourd'hui. Et il les trouve ! Certes, ce sont
pour beaucoup d'anciens nazis, et certains d'entre eux sont toujours
convaincus du bien fondé de l'entreprise hitlérienne. Mais Richard
parvient néanmoins, même à eux, à leur faire comprendre la
gravité de l'instant. Aussi, ces cohortes de morts-vivants
refluent-elles et marchent-elles désormais en direction du Serpent.
Le Serpent se fige. Il
pousse un nouveau cri auquel répondent les sifflements aiguës de
ces créatures ailées qui tentent déjà de rentrer par la fenêtre.
La Bouteille Cassée, le visage en sang, hurle toujours, tétanisé.
Richard se saisit alors de ses grimoires et des feuillets sur
lesquels sont rédigés les différentes étapes du rituel de renvois
élaboré par les occultistes nazis. Il relâche son contrôle sur
les ST, espérant que ceux-ci continueront de marcher vers Le
Serpent. Il se concentre maintenant sur le rituel de renvoi, mais
également sur le monde d'origine du Serpent. C'est une mauvaise
traduction en Chinois, mais il comprend le nom de cette Cité
Ancienne comme pouvant signifier « la Cité du Rien »,
« la Cité du Vide ». C'est bien là qu'il veut le
renvoyer. Usant de ses pouvoirs médiumniques, il demande aux esprits
des morts de l'aider dans sa tâche. Ceux-ci acceptent mais exigent
un paiement. Richard ne réfléchit pas et accepte. Il faut renvoyer
le Serpent dans ce Néant qu'il n'aurait jamais dû quitter !
Et la silhouette du
Serpent vacille dans ce brouillard orangé. Et les muscles de Richard
se contractent. Il a le sentiment de se dessécher. Ce n'est pas
douloureux, juste désagréable. Toujours concentré sur la
récitation du rituel, il ne se rend pas compte qu'il s'arrache les
cheveux par poignées. C'est qu'il voit enfin ses mains qu'il se rend
compte à quel point elles sont devenues osseuses et sombre. Il
touche son visage. Sa peau a perdu cette texture caractéristique de
la vie. Il a l'impression de littéralement flotter dans son costume
maintenant trop grand. Il comprend. Les morts lui sont venus en aide
mais, en échange, on fait de lui l'un des leurs. Richard est...
mort ! Mais toujours vivant !
Les créatures ailées
ont fini par réussir à s'introduire dans l'immeuble. La Bouteille
Cassée s'est maintenant tailladé les bras et les jambes. Le sang
coule et attire les bêtes. Maintenant dans la pièce, elles tournent
leur non-visage en direction de Richard et La Bouteille Cassée. De
leur non-bouche sort cette horrible sifflement strident.
« Je suis La
Bouteille Cassée ! Ici et maintenant, à l'aide de ce tesson,
je te crève les yeux ! Je suis La Bouteille Cassée ! »
Mû par l'énergie de
l'esprit qui l'habite, La Bouteille Cassée saute au visage de la
créature la plus proche et lui enfonce un éclat de verre dans son
non-œil. Dessous, un œil humain laisse couler des larmes. La
Bouteille Cassée tente de les recueillir à l'aide de sa bouteille
brisée. Les larmes glissent le long du goulot et tombent au sol.
Richard sort de la
torpeur dans laquelle cette scène l'avait plongé. Il s'empare de la
bouteille et la redresse afin qu'une dernière larme demeure au
niveau du goulot. Il se rappelle que la silhouette du Serpent avait
changé de taille. Il se rappelle aussi que la réalité qui
l'entoure était multiple, chaotique. Le Serpent était ici et
ailleurs, présent et absent. Tout cela n'était finalement qu'une
question de perspective. Alors, il s'approche de la fenêtre et
observe Le Serpent par le prisme de cette larme. Et Le Serpent...
disparut !
Et les ST qui erraient
dans les rues regagnèrent les souterrains. De la fenêtre, on
pouvait voir le corps déchiré d'Arthur. Pourtant, ni Richard ni La
Bouteille Cassée ne sont tristes car ils savent que leur amis n'a
pas disparu. Ils pourront toujours lui parler que ce soit à travers
le monde des morts ou des Rêves.
Richard, quant à lui, a
décidé de rejoindre la R.P.A. de façon officielle et définitive.
Le rôle de simple consultant ne lui convient plus. Si les dirigeants
de l'Agence ne le croient pas quand il leur racontera avoir renvoyer
Le Serpent, ils devront bien s'incliner face aux savoirs contenus
dans ses grimoires et les protocoles nazis. Et puis, aussi, la R.P.A.
aurait vraiment tort de se passer des services d'une goule capable de
communiquer avec les esprits des morts !
La Bouteille Cassée
disparut de Berlin asse rapidement après les événements. Nul ne
sait ce qui est advenu d'Elle. Certains racontent qu'Elle vit
maintenant à cheval sur les mondes de l'éveil et du Rêve. On dit
aussi qu'Elle s'est retiré dans une de ces Cités Interdites
décrites dans les livres anciens. D'autres, enfin, disent que La
Bouteille Cassée s'appelle maintenant La Bouteille Réparée.
Ailleurs, le Néant, le
Vide, les ruines d'une Cité qui n'en mérite plus le nom. Un
brouillard orangé vient de se lever. Une gigantesque silhouette
serpentine se dessine au loin, agitée de soubresauts des plus
erratiques. À aucun moment cette ombre ne semble se stabiliser.
Pourtant, toujours animée de tremblements, elle se dédouble et sa
jumelle entame un cycle de circonvolutions des plus compliquées
autour de la silhouette d'origine, toujours tremblante. Autour de cet
étrange attracteur, l'air crépite...
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