BOIS-SAULE
NIHILL
MON DESTIN FATAL
Le Jugement :
Devoir sacrifier les siens ; pour un idéal supérieur, une
personne sacrifie un être proche.
La Roue de la
Fortune : Pour guérir son amour transformée en hérisson,
une personne transforme les membres de sa famille pour en comprendre
le processus.
CHASSER ET SE FAIRE
CHASSER
Quelque chose en a après
moi. Je ne sais pas ce que c'est. C'est une présence invisible.
C'est néfaste. Ça me traque. Ça joue avec moi un jeu malsain du
chat et de la sourie.
Moi aussi, je traque. Je
traque les indices. Du plus loin que remonte mes souvenirs, je suis
seul. Mais il est impossible que je l'ai toujours été. Je serais
mort si personne n'avait pris soin de moi, si personne ne m'avait
enseigné à vivre et survivre dans cette forêt. Pourquoi je ne me
rappelle de rien ? Cette séparation, cette coupure, n'est pas
sans signification. Le destin, ou autre chose, m'a coupé de ceux qui
ont pris soin de moi pour une raison bien précise que je ne connais
pas. Alors je traque chaque indice qui pourra me révéler quel est
mon destin.
UNE QUESTION ET UNE
CERTITUDE
Quel est le sens de ma
solitude ?
Je suis certain que
quelqu'un ou quelque chose préside à ma destinée. On, mais qui et
pourquoi ?, veut m'éloigner ou me précipiter vers ce destin
qui est le mien. J'ai un rôle à jouer !
UNE CROYANCE
Je crois en l'existence
d'autres mondes. On ne peut pas changer Millevaux, rendre cette forêt
meilleure, mais on peut aller... ailleurs.
UNE VERTU ET UN VICE
Une vertu ? La
Tempérance. L'humilité et la modestie sont deux véritables valeurs
faisant office de pilier pour moi. La simplicité matériel est pour
moi le garantie d'une richesse intérieure. Cette richesse est
partout avec moi. Je n'ai pas besoin de palais ni de coffre pour
l'entreposer. Elle est en moi. Cette richesse spirituelle fait de moi
un prince où que je sois. Infinie, elle ne pèse rien et me permet
de voyager sans me préoccuper de qui pourrait bien me la voler.
Cette richesse ne se vole pas. Elle se partage avec plaisir.
Un vice ? J'avoue
pouvoir parfois céder à la colère...
UN SOUVENIR QUI ME
HANTE
J'ai tout oublié de ma
vie d'avant la solitude sauf... Ce moment où, retenu captif par un
groupe de prédicateurs fous, ces derniers ont cru bon de me
défigurer en usant sur moi de leur magie maléfique. La partie
gauche de mon corps est couverte d'horribles cicatrices semblables à
des brûlures. Mais, pire encore, ils ont fait apparaître un 3ème
sous mon œil gauche. Il est valide comme les deux autres. Au début,
j'ai eu un peu de mal à m'habituer à cette nouvelle vision mais
maintenant, je m'y suis fait.
MA QUETE
Ma solitude a un but. Je
dois le découvrir. On m'a projeté dans cette solitude car j'ai un
rôle à jouer, un rôle important. Lequel ?
MES DEUX SYMBOLES
1-l'Ermite Platonique.
2-l’Œil
qui comprend le monde.
XxXxX
Aujourd'hui, je ne suis
pas seul. Un lapin m'accompagne. Je ne sais pas pourquoi il me suit.
Je n'ai pas faim. Je pourrais le tuer pour plus tard mais je n'ai pas
envie. Je n'en ai pas besoin. Pas encore. J'espère seulement pour
lui qu'il ne sera plus là quand j'aurais faim.
Mon humeur est à
l'image du temps. Il fait doux. Je me sens bien. Je me sens léger.
Je regarde ce lapin sautiller autour de moi. Il me fait sourire.
C'est peut-être pour ça que je n'ai pas envie de le tuer. C'est
horrible ! Est-ce que cela veut dire que je voudrais le tuer
quand il ne me fera plus sourire ? Est-ce que sa vie ne tient
finalement qu'à ce fil ? Et moi, pourrais-je avoir envie de
tuer juste pour cette raison ? Dois-je en vouloir à ce lapin de
m'inspirer de telles pensées ? Je le regarde et je ne souris
plus. Je pense, et comment puis-je y penser ?, à ces bouffons
médiévaux sur lesquels le seigneur avait droit de vie ou de mort.
Est-ce là la dimension tragique de toute comédie ? Je ne sais
pas.
Je détourne mon
attention du lapin en espérant qu'il se sauve. Je me concentre. Je
me laisse guider par mon instincts. Là où mes pas me portent, il y
a forcément quelques indices à récolter quant à ma quête. Ce
monde n'est pas qu'un simple environnement. Pour un lapin si bien
sûr, mais pas pour moi. Pour moi, tout a un sens caché que je dois
découvrir. Et tous ces sens sont les pièces d'un puzzle que je dois
assembler afin de comprendre ce monde et ma place en son sein.
Alors, quels signes
vais-je pouvoir interpréter aujourd'hui ? Est-ce cet arbre à
la forme étrange ? Peut-être ? Allons-voir !
XxXxX
Cet arbre était encore
plus étrange que sa forme ne le laissait à penser. À peine l'ai-je
toucher que je me suis retrouvé propulser... ailleurs. Un ailleurs
dont je soupçonnais l'existence. Non ! Dont j'étais convaincu
de l'existence sans pour autant l'avoir jamais expérimenté. Le seul
ailleurs que j'avais expérimenté jusqu'à présent était cette
douleur infligée par ces fous qui m'ont défiguré.
Je suis toujours dans
cette forêt mais plus tout à fait. Le noir est blanc et le blanc
est noir maintenant. J'ai l'impression que l’atmosphère autour de
moi frissonne. Tout est comme légèrement flou et tremblotant. J'ai
l'impression qu'il fait plus chaud aussi. Mais je ne sais pas si cela
vient de la température ou de l'appréhension qui s'est emparée de
moi. J'ai peur car je ne serais pas étonné que la chose qui me
traque soit maintenant tout proche.
Je ne sais pas si c'est
le jour ou la nuit. Avec cette inversion du spectre des couleurs, ce
n'est pas seulement ma vision mais ma perception du temps qui se
trouble. Il faisait jour quand j'ai touché l'arbre mais le ciel est
noir maintenant. Pourtant, j'y vois.
Soudain, la température
chute. Des trombes d'eau secouées par de violentes bourrasques me
tombent dessus et me glacent. J'ai du mal à tenir debout face à
cette tempête des plus soudaines. Pourtant, au lieu de chercher un
abri, je tente de rester debout, droit, la tête haute. Cet endroit
n'est pas l'ailleurs que j'espérais. C'est une métaphore. Cette
tempête n'est rien d'autre que la tempête des pensées qui
s'agitent en moi. Ces bourrasques tentent de me faire tomber à
genoux. Je dois rester maître de mes pensées. Ne pas me laisser
aller à la folie. Je suis l'Ermite Platonique, l’Œil
qui comprend le monde. En toutes circonstances, je conserve mon calme
et ma raison. Ici, je ne suis plus dans la forêt de mon corps. Je
suis dans la forêt de mon âme. Je ferme les yeux, mes trois yeux.
J'occulte l'un de mes sens et réfléchis afin de trouver le sens de
tout cela. Cet arbre étrange m'a conduit ici car il veut me
signifier quelque chose. Mais quoi ? Pourquoi me soumet-il à
cette tempête ? Est-ce une simple épreuve physique ?
Dois-je comprendre quelque chose ? Je tente de rester debout, de
marbre, de pierre dans les bois. Des mots émergent dans ma tête.
D'où viennent-ils ?
« Chariots à
conneries ! J'l'ai pas buté pour la nourriture ! J'l'ai cramé pour
qu'personne mette la main dessus. »
Qu'est-ce que ça veut
dire ? Je pense au lapin que je n'ai pas tué. Et si,
finalement, je l'avais tué ? Mais pas pour m'en nourrir, juste
pour que personne d'autre ne mette la main dessus ? Ne serait-ce
pas là le comble de l'égoïsme ? À moins que je ne l'ai tué
car je lui en ai voulu des pensées qu'il m'a inspiré ? Ou
alors, je l'ai tué pour préserver ceux qui croiseraient sa route de
telles pensées ?
Ai-je tué ce lapin ?
Une violente bourrasque
me projette à terre. Quand j'ouvre les yeux, je suis de retour, au
pied de l'arbre étrange. L'air est sec. Je suis trempé. Ces mots
résonnent (raisonnent?) encore dans ma tête. « Chariots à
conneries ! J'l'ai pas buté pour la nourriture ! J'l'ai cramé pour
qu'personne mette la main dessus. » Je cherche le lapin du
regard. Aucune trace de lui !
Je ne sais pas si c'est
le matin ou l'après-midi. Que me réserve cette journée ?
Ai-je faim ? Oui. Je vais chercher à manger. J'en profiterai
pour explorer cet endroit. Je regarde autour de moi et guette un
signe de vie. Si ce lapin reparaît devant moi, je le tue, pour la
nourriture cette fois ! Je m'éloigne un peu de l'arbre étrange
mais avec quand même quelques réticences. Pourquoi ? J'observe
la nature autour de moi. J'examine les troncs à la recherche de
traces des griffes d'un petit animal qui pourrait me servir de repas.
Je reconnais là celles d'un blaireau. Elles ont l'air fraîche. Il
est passé par ici, il repassera par là. Il doit nicher non loin
d'ici. Je m'allonge derrière un bosquet de roses. Ça sent bon.
Juste sous mes yeux passe un scarabée.
Le scarabée, symbole
solaire, symbole de résurrection. Et si cette forêt à l'intérieur
de cet arbre étrange avait eu pour fonction de me confronter à
cette tempête. Cette tempête à l'intérieur de l'arbre, à
l'intérieur de moi-même ? Et si cette tempête m'avait
transformé, lavé, purifié de la colère issues des mauvaises
pensées inspirées par le lapin ? Telle est peut-être la
fonction de ce lieu ? Comment puis-je en être sûr ? Dois
y retourner pour m'en assurer ? Pas maintenant ! Quoi qu'il
en soit,et même en l'absence de certitude, je sais que cet endroit
est finalement bon pour moi. Si de nouveau le doute et la colère
s'empare de moi, je reviendrais vers cet arbre.
Mais pour l'heure, des
feuillages s'agitent. Ce n'est pas le blaireau que j'attendais. C'est
un faisan. Accompagné de quelques uns des champignons qui poussent
là, il sera succulent.
Cela aura été une
bonne journée pour moi finalement et malgré cette tempête. Je
pourrais y rester, quelques temps au moins. Pourtant, même si je
sais que je reviendrai, demain je serai ailleurs. Mais où ? Et
qu'est-ce qui m'attend là-bas ?
XxXxX
« Sa vue soulève de
honte mon cœur, son odeur broie mon regard.
Je me tourne alors vers
celui par lequel les ténèbres arrivent. »
Je
marche sans faire attention à ce qui m'entoure. Mes jambes avancent
toutes seules sans que je ne leur donne aucune indication quant à la
direction à prendre. Ce n'est que par pur instinct que j'évite les
souches et les racines qui pourraient me faire trébucher. Mes
pensées sont toutes occupées ailleurs. J'essaye de me rappeler. De
me rappeler ce qui s'est passé avant que je ne sois l'objet des
folles expériences de ceux à qui je dois mes difformités et mes
cicatrices. Je veux aussi me rappeler ce qui s'est passé ensuite.
Entre ces tortures et ma solitude. Et si c'était eux qui m'avaient
fait sombrer dans l'oubli ? Et si c'était eux qui m'avaient
projeté dans cette solitude, cette amnésie ? Pourquoi ?
Est-ce encore une expérience ? M'observent-ils ? M'ont-ils
fait ça uniquement par cruauté, par jeu ? Dois-je me faire à
l'idée que tout cela n'a aucune signification pour eux ?
Peut-être n'avaient-ils d'autre but que d'assouvir une pulsion
malsaine ? Et ce serait pur orgueil de penser qu'ils m'ont
choisi autrement que par hasard... Ils l'ont fait non pour atteindre
un quelconque but ésotérique et important. Non, ils l'ont fait
parce qu'ils pouvaient le faire. Je dois arrêter de me torturer et
songer à passer à autre chose. Ma solitude et l'oubli n'ont
peut-être d'autres fonctions que de me permettre de me reconstruire,
de devenir autre, de redevenir quelqu'un.
Quelques
grosses gouttes tombent sur mon visage et me tirent de mes pensées.
Je lève la tête. Le ciel est gris, presque noir. Les nuages
grondent. Le rythme des gouttes s'accélèrent. Le vent se fait plus
fort dans les feuillages. Je dois trouver un abri au plus vite. Je me
mets à courir. Cette fois, j'ai les yeux grands ouvert et trouve
l'entrée d'une grotte. Je m'y précipite.
J'examine
rapidement les lieux. La caverne semble s'enfoncer profondément dans
la terre. Je m'en occuperai plus tard, peut-être. Pour l'heure, je
suis fasciné par cette tempête aux allures de fin du monde. À
quelques minutes près, j'aurais fini trempé. J'aurais pu tomber
malade. D'ailleurs, cela me fait penser qu'il serait raisonnable
d'allumer un feu. Je cherche parmi les lichens qui recouvrent la
roche ceux qui seront assez secs. J'ai de la chance avec les plus
éloignés de l'entrée. Mais alors que je m'en vais en recueillir
une pognée, j'éprouve une sensation étrange, désagréable. Elle
est là. Je le sens. La chose. La créature qui me suit. Elle est là.
Je me retourne vers l'entrée de la grotte et essaye de percevoir sa
présence. Rien. Elle est au fond de la grotte. Elle était déjà là
avant que j'arrive. Elle m'attendait. Et je me suis jeté dans la
gueule de ce loup pierreux. La tempête qui m'a purifié hier dans
cet autre Millevaux m'a aujourd'hui précipité dans les griffes de
mon ennemi invisible. Je sens son influence mais je ne le vois pas.
Je reste là, figé. Une partie de moi veut fuir cette grotte. Une
autre veut voir cette bête de plus près.
Je
suis pris au piège. Si je sors, la tempête me rendra malade et je
pourrais en mourir. Si je reste, c'est la chose qui me tuera. Si je
sors, peut-être que je ne tomberais pas malade. Ou peut-être que je
survivrais à la maladie. Mais si elle doit me tuer, ce sera long et
pénible. Si je reste, la créature me tuera certainement. Mais ce
sera bref ! Et là aussi, finalement, j'ai une chance de m'en
sortir, que ce soit en réussissant à fuir ou à la tuer. Et si je
sors, la bête pourra toujours continuer à me traquer. Je m'empare
de mon couteau de chasse et me saisis d'une grosse pierre. J'avance,
laissant la tempête derrière moi.
J'avance
dans le noir. Je compte sur les fluctuations de l’Égrégore pour
m'indiquer si j'approche de la bête. Cet être est autre. Je ne dois
de toute façon pas me laisser abuser par ce qu'elle pourrait me
montrer. Non, ce ne serait qu'illusion. Je dois saisir le véritable
sens des choses. J'entends un grognement mais je n'arrive pas à
déterminer s'il est proche ou loin. Je me fige. Je sais très bien
que si, moi, je ne la vois pas, la bête sait précisément où je
suis. Elle aussi, elle joue avec moi. A-t-elle un but plus élevé
que le seul fait de jouer ? Que de se nourrir de ma peur, puis
de se nourrir de ma chair ? Pourquoi moi ? Qu'ai-je fait ?
Que lui ai-je fait ? Probablement rien ! Elle ne m'a choisi
que par hasard. Je dois m'habituer à cela. Ceux qui s'en prennent à
moi ne le font pour aucune autre raison que celle-là : ils
souhaitent exercer leur puissance, leur cruauté et... il se trouve
que je suis là. Je n'ai pas été mis là pour ça. Ce n'est pas mon
destin. Ce n'est que pur hasard. Je vais là où mes pas me portent
et il se trouve que partout, car Millevaux et Millevaux, partout il y
a des êtres cruels n'attendant qu'une occasion de laisser libre
cours à leur cruauté. Cette bête ne fait pas exception. Mais moi,
aujourd'hui, je vais faire quelque chose d'exceptionnel.
Je
me concentre. Je veux percevoir les flux de l’Égrégore. Si j'y
parviens, je saurais où est la bête. Sinon, c'est elle qui
m'attaquera. Dans le noir, je ferme les yeux. Je sens l'air prendre
plus de consistance. Dans le noir, dans ma tête, une image se forme.
Un... souvenir ? Un homme d'environ mon âge. Je ne me rappelle
pas son nom mais je sais que j'ai de l'estime pour lui. Mais
l'expression de son visage change, devient dure, menaçante. Il m'en
veut. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je le vois prononcer des mots
que je n'entends pas car cette vision est silencieuse mais je
reconnais la Langue Putride. C'est donc lui ? C'est lui qui a
envoyé cette chose après moi ? La vision s'efface et tout est
sombre et silencieux. Qu'ai-je pu faire ou que croit-il que j'ai fait
pour m'en vouloir à se point ? Si je savais qui il est, je
pourrais le retrouver et m'expliquer.
Pourquoi
ce monstre ne m'a-t-il pas encore attaqué ? Fait-il durer le
plaisir ? Non ! J'ai compris. Cette créature n'est pas
tapie dans l'ombre à m'attendre. Elle EST l'ombre. Elle m'a déjà
englouti ! Cette vision qu'elle m'a envoyé n'avait pour but que
de me signifier que la lente digestion allait commencer. Mon heure
est-elle donc venue ? Vais-je finir ainsi, lentement digéré
dans les ombres, par les ombres ? Non ! À moins d'être
déjà un fantôme, que je puisse encore penser et ressentir prouve
que je ne suis pas mort, pas encore ! Je peux m'enfuir ! Je
cours ! Et tout courant, je fends les ténèbres de la lame de
mon couteau.
J'ai
l'impression d'avoir couru pendant des heures. Mais maintenant, je
suis dehors, à l'air libre... libre. Le vent et la pluie sont
toujours aussi violent mais je m'en moque. Je me retourne vers cette
gueule qu'est la caverne et je ris. Ce Léviathan de pierre ne m'a
pas dévoré finalement. Sous la pluie battante, je tombe à genoux.
Je ris maintenant silencieusement, le regard toujours braqué sur
l'entrée de la grotte. Il ne se passe rien. Il ne se passe plus
rien. Je n'ai plus rien d'intéressant à apprendre ici aujourd'hui.
Je me lève et tourne le dos à mon ennemi. La bête sera de nouveau
après moi, mais plus aujourd'hui.
Je
marche sans faire attention à ce qui m'entoure. Mes jambes avancent
toutes seules sans que je ne leur donne aucune indication quant à la
direction à prendre. Ce n'est que par pur instinct que j'évite les
souches et les racines qui pourraient me faire trébucher. Mes
pensées sont toutes occupées ailleurs. J'essaye de me rappeler. De
me rappeler ce qui s'est passé pour que celui que je considérais
comme un ami m'en veuille au point de lancer cette chose après
moi...
La
pluie cesse. J'entends de nouveau le chant des oiseaux. Un
bruissement dans les fourrés à côté de moi. La tête d'un lapin
émerge d'un bosquet.
XxXxX
Nous
ne sommes que des enfants. Nous sommes les proies des Horlas qui
chassent dans les rêves.
Nous
courons dans la forêt de nos cauchemars.
Et
c'est la fin du mois de Messe. Cette ombre, cette tâche dans mon
passé, n'est pas reparue. Pour autant, je ne vais pas bien. Je
tousse, je crache, je respire mal. Ces jours de tempête m'int
finalement mis à mal. Et je ne m'en remets pas. J'ai fini par manger
le petit lapin, pour regagner des forces. Inutile ! J'aurais pu
le laisser vivre.
En
ce moment, je voyage de nuit. Je ne sais pas pourquoi mais je me sens
moins mal, moins fiévreux la nuit. C'est peut-être parce qu'il fait
plus frais. Comme d'habitude, je vais la où mes pas et le vent me
porte. Et cette nuit, le vent me pousse jusqu'à un vieux cimetière.
Je souris car n'importe quelle âme simple et superstitieuse y
verrait un mauvais présage, surtout dans mon état. Une certaine
ironie consisterait à prendre du repos allongé là sur une de ces
vieilles pierres tombales, mais non. Pas par respect pour une
dépouille qui n'est plus là depuis longtemps, juste parce que c'est
inutile et que je dois atteindre le but de mon périple avant...
Je
vais mourir bientôt. Je le sens bien. Cette mauvaise maladie... Je
n'ai rien pour la soigner. Le simple repos ne suffira pas et je n'ai
nul endroit où me reposer. Cette forêt n'est pas un lieu très
reposant. Si seulement j'avais pu retrouver cet étrange Millevaux du
mois de Merdier. Peut-être qu'un nouvelle tempête dans cette drôle
de forêt me purifierait de mes maux. Ce cimetière est un lieu de
repos. Mais ce n'est pas le repos auquel j'aspire.
Il
y a tant de chose à apprendre, à comprendre. Et le temps qui me
reste me paraît si court maintenant. Pour autant, dois-je renoncer ?
Non, je ne céderais pas à la tentation de ces tombes. Je ne me
reposerai pas. Pas encore. Je quitterai cette forêt oui, mais pas
comme ça.
Je
fais reculer la faim de quelques pas en mastiquant quelques glands
tombés là au hasard. Je me baisse encore pour en ramasser d'autres
et m'approche de ces arbres. Parmi eux, un noyer. Un seul. On dirait
que le vent a repoussé les nuages juste pour que la lune puisse
l'éclairer. Je l'observe. Peut-on dire qu'il a une forme étrange,
comme cet arbre qui m'avait projeté dans cet autre Millevaux ?
Non, rien ne le distingue d'un autre arbre. Je fourre quelques noix
dans ma besace. Je ferme les yeux. J'en croque une.
J'ouvre
les yeux dans une salle carrelée. Il y a là d'autres hommes, tous
nus. Moi, je ne le suis pas. Il y a des Horlas qui les gavent de
farine. Je reconnais ces Horlas. Ce sont des Horlacanthes ! Ils
attrapent les hommes nus et les accrochent sur une machine-ronce-lame
qui les égorge. Leur cadavre est ensuite jeté sur un tapis roulant
qui les entraîne dans un tunnel où ils disparaissent. Je réprime
un hurlement. Qu'est-ce que ça veut dire ? Quel est ce
cauchemar ? Car c'est bien un cauchemar ! Ce n'est pas...
une vision ? Une prémonition ? Non ! C'est une
hallucination parce que cette noix que j'ai mangé était pourrie !
Ce n'est pas la réalité. Car si c'est la réalité, cette forêt
dans laquelle j'erre depuis des mois, qu'est-elle ?
Et
les Horlacanthes continuent d'égorger ces hommes sur leur
machine-ronce-lame ! Est-ce cela le destin des hommes ?
Est-ce là fin de mon voyage ? Si c'est ça, je ne veux plus
être un homme ! Je veux être ailleurs ! Je veux être...
autre chose !
Je
suis de nouveau dans la forêt. Le cimetière, la nuit, le noyer.
Elles sont tentantes ces tombes. Et si, finalement, j'étais arrivé
au bout de mon voyage ? Je ne veux plus être un homme. Je veux
être un arbre.
Le
visage plein de larmes, je pose une main tremblante sur le tronc du
noyer. Le vent souffle. Au matin, il y aura deux noyers dans ce petit
cimetière. Et je serai en paix.
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